Type de RP Classique
Date du sujet 20 Marchiver 5:13
Participants @Linnarel & Hareas Virnehn
TW Stalking Aucun
Résumé Ce sont des retrouvailles incroyablement gênantes entre Linnarel et Hareas, qui a décidé que la meilleure approche était... furtive.
Pour le recensement

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[code]<ul><li><en3>20 Marchiver 5:13</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1164-un-metre-de-distance-de-securite-linnarel-hareas">Un mètre de distance de sécurité</a></li></ul><p><u> Linnarel & Hareas Virnehn</u> Ce sont des retrouvailles incroyablement gênantes entre Linnarel et Hareas, qui a décidé que la meilleure approche était... furtive.</p>[/code]

L'endroit était humide ; plus que d'habitude, s'entend. Hareas n'y avait pas mis les pieds depuis Voiréale, au moins. Par deux fois, il manqua d'éternuer. Il s'arrêta, se boucha le nez, puis reprit sa marche dans les couloirs du thaig. De temps à autre la pierre craquait sous ses semelles et rebondissait en écho comme les petits cailloux qui roulaient sous ses pas. L'apprenti assassin n'était pas particulièrement discret, mais il ne tenait pas particulièrement à se faire voir non plus. Il n'était pas censé traîner dans le quartier du Carta.

Le faussaire était penché sur son travail, entouré de piles de parchemins et d'encre. Sa lanterne l'éclairait à peine, pensa l'elfe, qui se demandait s'il voyait réellement ce qu'il faisait. Mais comme il lui tournait le dos, il ne pouvait pas s'en assurer. Il leva sa propre lanterne pour jeter un œil aux alentours, s'assurant qu'ils étaient seuls, avant de faire un pas. Là encore, il ne cachait pas particulièrement sa présence, mais il ne tenait pas à s'annoncer non plus. Il lui semblait que ce serait un peu trop formel.

Il n'était pas certain de ce que cela devait être, plutôt de ce qu'il ne voulait pas que cela soit. Mais cela faisait partie des choses qu'il ne pouvait pas prévoir, ce qu'il acceptait avec un certain détachement qui le surprenait presque. Pour le reste, Hareas comptait sur son mutisme naturel et un talent quasiment inné pour feindre la sérénité, afin de ne pas gâcher ce qui était peut-être sa seule opportunité de le pincer dans un endroit duquel il ne pourrait pas fuir facilement.

Dis comme ça, on aurait pu croire qu'il était en mission pour les Corbeaux, mais c'était son jour de congé.

Sa préférence allait toujours aux approches furtives, la faute à ses années de chasse puis son apprentissage dans la maison mineure Stazzo. Et puis, s'il était celui qui surprenait toujours les autres, il ne pouvait pas être pris au dépourvu, n'est-ce pas ? Logique implacable. Aussi implacable qu'Hareas lorsqu'il se pencha pour percevoir le profil du faussaire à la lumière de sa lanterne. Elle claqua contre la pierre quand il la posa brutalement juste à côté de lui.

Je le savais !

C'était presque triomphant. Son semblant de discrétion envolée, il détailla avec satisfaction les traits familiers qu'il avait devinés depuis longtemps, sans approcher son propriétaire. Il avait juste besoin de se le confirmer et de voir son expression - il l'espérait, au moins un minimum - choquée. C'était satisfaisant mais c'était mal et Hareas ravala un sourire qui ne savait pas s'il avait le droit de se moquer ou d'être peut-être, un peu, soulagé. Il recula à une assez bonne distance pour signifier à son vis-à-vis qu'il n'allait pas l'attaquer, et se rappeler à lui-même quelles limites il était censé poser. Si Linnarel était en droit de se montrer méfiant après son approche, somme toute, fidèle à lui-même, la récipoque était vraie également. Hareas n'avait pas oublié que son ami avait quitté le clan sans le prévenir et sa confiance en avait pris un coup. Il avisa d'un œil critique l'excuse de siège en bois qui servait au faussaire pour son travail, avant de porter son dévolu sur un rebord en pierre un peu plus en hauteur, sur lequel il s'installa comme si c'était là son spot habituel.

Aneth ara. Qu'est-ce que tu fais ?

À croire qu'il reprenait une conversation entamée sept ans plus tôt. Ce n'était pas le cas bien sûr, mais si Drynne avait eu droit à quatorze ans de répit avant qu'Hareas ne retrouve sa trace, ce dernier pouvait bien accorder quatre minutes à Linnarel - et un mètre de distance de sécurité.

Hareas n'avait jamais remarqué à quel point le thaig possédait une belle acoustique, mais à présent que sa voix résonnait seule entre les pierres, c'était l'évidence-même. Aussi évident que son apparition mi-balourde mi-subtile avait mis le faussaire dans un état proche de la paralysie. Il suivit le regard de son vis-à-vis, sur le parchemin déchiré, et une pointe de culpabilité surgit alors qu'il se demandait s'il devait s'excuser. Il avait clairement entendu la plume craquer, et le papier aussi miteux soit-il était à présent déchiré, impossible de l'ignorer. C'était son premier réflexe : s'excuser. Il en fut agacé, mais l'émotion dominante était différente.

Il était lui-même surpris.

Hareas ne pouvait pas nier qu'il l'avait cherché - pire, il l'avait imaginé, oserions-nous dire désiré, dans les nombreux scénarios des possibles que son esprit avait élaboré en amont. Hareas avait beaucoup d'imagination. Et parmi tous ces scénarios, celui-ci était peut-être l'un des pires - au moins Linnarel ne lui avait-il pas lancé son encrier à la figure pour avoir saboté son travail. (Pas encore.) Et dans ce cas, cela n'aurait pas dû être une surprise, n'est-ce pas ? Il aurait même pu se sentir soulagé de l'avoir prévu. Mais non. Hareas plissa légèrement les yeux.

Mmh. Linnarel ?

Il était perplexe. Il y avait un monde où Linnarel était devenu sourd, ou muet, mais ça n'expliquerait pas la rigidité générale de sa silhouette. Taillée dans la pierre du thaig, visualisa brièvement Hareas. Devait-il employer les grands moyens pour le secouer ? Une épaisse couche de neige était tombée cette nuit. Si seulement il avait pensé à en prendre un peu avec lui... Mais l'heure n'était pas aux plaisanteries. Il essayait sincèrement de comprendre comment sa simple présence pouvait provoquer une réaction aussi extrême. Certes, il réapparaissait dans un contexte inattendu. Linnarel avait le droit de se sentir surpris, mais il semblait plutôt effrayé.

Étrange, d'autant plus qu'Hareas n'était même pas armé. Son couteau de chasse ne comptait pas, c'était sentimental et il ne le portait jamais ostensiblement à sa ceinture. Il était confiant dans l'idée qu'il ne semblait pas physiquement menaçant non plus - il était, à peu de choses près, le même elfe que Linnarel avait quitté cinq ans plus tôt. Rien de rationnel ne pouvait à ses yeux expliquer l'attitude complètement figée de son vis-à-vis.

Quelque chose remua alors à la lisière de ses souvenirs, presqu'une impression de déjà-vu, et le visage d'Hareas prit une expression pensive. C'était... comme trouver un lapin mal attrapé dans un collet lorsqu'il venait relever un piège. S'il en avait la possibilité, Hareas essayait de le libérer. Sinon il lui fallait l'achever. La décision comme son exécution n'étaient jamais faciles. Il réalisa que ce qu'il ressentait, au delà de l'incompréhension, était de la peine. Indirectement, pour Linnarel. Il comprit alors que la seule réaction acceptable pour son ancien ami aurait été qu'il quitte calmement les lieux, à reculons, les mains bien en vue pour lui montrer qu'il ne le menaçait pas... probablement. Un choix parfaitement raisonnable et compréhensible.

Or, reculer n'était jamais une option pour Hareas.

Il lui fallait un compromis.

Il repensa au lapin. Sans gestes brusques, mais sans quitter le faussaire du regard, il leva les mains en signe d'excuse :

Ir abelas, je ne cherchais pas à t'effrayer. Il faillit préciser qu'il n'allait pas le manger, mais il ne voulait pas l'infantiliser. Ses yeux se posèrent brièvement sur le parchemin et il ajouta : Ni à gâcher ton travail.

Il n'allait pas faire semblant d'être entré ici par hasard, cela faisait des semaines qu'il avait compris que Linnarel travaillait au thaig, lui aussi... simplement pas dans la même zone que lui. La coïncidence aurait pu l'amuser, voire le rassurer, mais Hareas n'en retirait qu'une légère confusion. Cet ancien ami, ou plutôt l'image qu'il avait de lui, façonnée au fil des années, semblait bien déplacée ici. Ce ne serait pas la première fois qu'elle serait malmenée, cela dit. Cette fois au moins, Hareas n'en retirait aucune déception. Simplement de la curiosité.

Il y avait quelque chose de familier et pourtant extrêmement déroutant chez Linnarel, et il fallut à Hareas un petit peu plus de temps que nécessaire pour le voir. Le faussaire du Carta ressemblait à s'y méprendre au petit elfe avec qui il avait grandi, celui qui se cachait derrière Drynne et lui, que les autres enfants aimaient bien embêter, qu'Hareas encourageait à dire tout haut ce qu'il pensait, parce qu'il trouvait toujours que son ami avait des choses plus intéressantes à dire que lui. Quand le petit elfe sortait de sa carapace timide pour affronter ses peurs, c'était presque une victoire personnelle pour Hareas, qui ne pouvait s'empêcher d'en ressentir de la fierté, même s'il ne faisait souvent rien de particulier, si ce n'était exister à ses côtés. Nin l'avait prévenu, qu'un jour, ses attentes seraient déçues.

Il faut toujours que tu trouves un petit animal à protéger. Tu sais très bien que tu ne peux jamais le garder.

Nin aimait bien dire les choses de façon détournée et Hareas était trop bête ou trop aveugle pour l'entendre correctement. Jusqu'à ce qu'il arrive, invariablement, que Nin avait eu raison.

Hareas n'était pas déçu, cependant. Il était surpris, mais content de lui, soulagé même de réaliser qu'il ne ressentait pas de déception. Pas cette fois. Car cette fois, ce n'était pas contre lui, et ce n'était pas de sa faute non plus. Quelles que soient les raisons qui poussaient le faussaire du Carta à vivre misérablement caché ici comme une petite souris - Hareas adorait les souris, là n'était pas la question - il n'aurait pas pu empêcher une telle régression. Le petit elfe avec lequel il avait grandi, lui, n'aurait peut-être pas osé soutenir son regard, mais il l'aurait salué sans trembler.

Et si Hareas ressentait quelque chose de nouveau, c'était de la pitié. Une pitié teintée d'empathie, dans une certaine mesure, puisqu'il avait lui aussi tenté de se cacher, à sa façon. Mais dès lors qu'il avait fait le choix d'avancer, Hareas avait du mal à imaginer une autre option. Or, Linnarel avait fait l'exact opposé : il avait choisi de reculer, reculer si loin au fond de lui que même le petit elfe avec lequel il avait grandi lui était devenu étranger.

Tout cela Hareas ne le comprit que lorsque son ancien ami lui demanda, enfin, pourquoi il était là. La première question, il pouvait encore faire semblant de ne pas la comprendre, d'ailleurs il lui fallut quelques secondes pour réaliser que Linnarel ne lui demandait pas ce qu'il faisait là, au thaig, de manière générale mais plutôt là devant lui, à le tourmenter de sa présence. Il manqua répondre à côté de la plaque, comme il en avait l'habitude. C'était sa voix, ça devait être ça. Elle lui rappelait le clan et la forêt, à une époque où l'on pouvait s'y promener sans craindre ni la solitude, ni pour sa vie. Et puis Hareas élargissait sa vision et au-delà de la voix il voyait l'obscurité du thaig, sa roche dure et son froid humide, et les bois qui le réconfortaient disparaissaient aussi vite qu'ils étaient venus, pour laisser place à ceux qui lui étaient inconnus, mais dans lesquels il avait accepté d'avancer pour survivre, laisser place à la ville, aux shemlens, aux Corbeaux et au thaig.

Mythal, il détestait le thaig.

Hareas plissa les yeux, dans une expression pensive qui lui donnait presque l'air suspicieux. Méfiant envers lui-même, surtout, et sa capacité décidément limitée à comprendre ce qu'on attendait de lui, tant que les mots n'étaient pas clairement énoncés. Aveugle et sourd en terres sociales, piètre chasseur qu'il faisait.

Il n'y avait plus que les sanglots de Linnarel qui résonnaient dans le thaig et même la voix claire d'Hareas ne pouvait dissimuler le désespoir de l'autre elfe. Ce qu'il avait, à tort, pris uniquement pour de la peur, menaçait de submerger son ancien ami et il n'y avait rien qu'Hareas puisse faire si ce n'était regarder. Même s'il avait pu - voulu - intervenir il n'aurait su quoi faire, quoi dire. Le chasseur n'avait jamais été très adroit avec les mots, quant à l'autre option elle était hors de question. Même s'il avait pu - voulu - le réconforter, il refusait de briser ses quatre mètres de distance de sécurité. On aurait pu croire qu'ils étaient là pour ménager le scribe après la mauvaise surprise qu'Hareas lui avait faite en réapparaissant aussi soudainement, mais au fond ils servaient surtout à rassurer le chasseur.



Ces dernières années écoulées, Hareas était incapable de les mettre de côté pour faire comme s'il ne s'était rien passé. Il ne pouvait simplement pas faire semblant. Alors il observa, distant. Les sanglots incontrôlés, le tremblement de ses membres dissimulés sous la pelisse miteuse, le visage déformé par la douleur quasiment invisible derrière le rideau de cheveux sombres ; tout cela sans juger. Il ne pouvait prendre la mesure de son désespoir car il ne pouvait s'imaginer dans sa situation, et même son empathie avait ses limites. Mais - et c'est là que son masque indifférent se brisa - Linnarel mentionna le nom de son frère. L'expression d'Hareas s'éclaircit, mais sans joie. De la même façon que ce nom éclaircissait son esprit au réveil, lorsqu'il était encore trop endormi pour se rappeler pourquoi l'air était humide et sentait le moisi plutôt que les épines de pin. Drynne.

Tu sais où il est ?

Drynne, Drynne, Drynne, Drynne.

Le nom cognait au rythme de son coeur dans sa poitrine.

Il y pensait le matin au réveil, juste avant de réaliser pourquoi il n'était plus dans la forêt, et le soir avant de s'endormir entre les murs glacés du thaig. Il y pensait chaque jour de sa vie et quelle que soit l'issue de leur réunion il y penserait jusqu'à la fin de ses jours. Drynne était une plaie qui ne pouvait pas cicatriser, une plaie qui le démangeait, et même à présent que l'infection guettait il continuait de gratter, l'empêchant de se renfermer. Hareas ne pouvait pas - voulait pas - l'oublier.

Il ramena sa jambe qui se balançait dans le vide contre lui et de nonchalante sa posture se fit plus attentive. Il réfléchissait à toute vitesse. Plusieurs hypothèses : Linnarel avait entendu des rumeurs, comme lui - des oreilles pointues parmi les Gardes des ombres arrivés pendant le tournoi - Linnarel avait entendu un nom, Linnarel avait aperçu - Hareas n'avait jamais eu de preuve visuelle - ledit elfe, reconnu ? peut-être même parlé, mais… Inatteignable ? Il faillit couper Linnarel avant la fin de sa phrase :

Pourquoi ? Tu l'as vu ?

Sa voix était plus basse, mais son ton plus pressant, presque brusque. Il en était conscient mais il avait du mal à retenir ses pensées. Inatteignable ? Et pourquoi pas ? Se cachait-il, après tout ce temps ? Vraiment ? Peut-être, peut-être pas. Ce n'était pas ce qui allait l'empêcher d'essayer. Hareas inspira brusquement pour calmer les battements de son coeur.



Il ne pouvait pas laisser parler son impatience et sa détermination, il devait trouver les mots justes pour ne pas brusquer Linnarel, lui faire comprendre qu'il n'était pas son ennemi, qu'il avait simplement besoin de lui. Des informations, c'était tout ce qu'il voulait. Il pouvait lui promettre de le laisser tranquille ensuite. Hareas prit une nouvelle inspiration, et reprit sur un ton plus assuré :

Tu dois me dire où.

C'était un ordre, mais avec toute la douceur du conseil avisé. Parce que c'était ce que Linnarel avait de mieux à faire, n'est-ce pas ? De toute manière, il en avait trop dit pour revenir en arrière. Hareas essaya de capter son regard, mais le scribe se cachait derrière ses cheveux, recroquevillé sur lui-même. Que pouvait-il ajouter pour le convaincre de l'aider ?

Hareas… Il grimaçait. Hareas… ça sonnait différemment maintenant. Moins apeuré. Juste prudent. Peut-être parce qu'il savait qu'Hareas n'aurait pas la réponse qu'il voulait. Le chasseur sentait, avant même de l'entendre, qu'il n'avait pas réussi à le convaincre. Mais il n'y avait pas à être prudent ; à ce moment-là, il n'était pas agacé. Si ses sourcils se froncèrent, ce fut de confusion. S'il ouvrit la bouche pour protester, ce fut parce que ce bref retournement le déstabilisait, et parce qu'il n'avait jamais été très bon pour argumenter. (Pas sans une arme.) Hareas serra les lèvres, dérouté.

Je ne te déteste pas, répondit-il, embarrassé.

Il était incapable de soutenir le regard de Linnarel, parce que ses mots ressemblaient trop à ceux qu'il avait dû refouler.
Pourquoi t'en aller sans prévenir ?
Qu'est-ce que j'ai fait ?
Tu me détestes, n'est-ce pas ?
Ne me laisse pas.
Même pour son frère, il ne pourrait plus les prononcer. C'était trop tard ; à force de se tourmenter, il n'avait pas eu d'autres choix que de les enterrer pour pouvoir s'en relever. Linnarel ne pouvait pas deviner. Hareas se força à le regarder :

Je ne suis pas ton ennemi, d'accord ? Je ne suis pas venu t'attirer des ennuis. Mais ce qui va se passer entre mon frère et moi… restera entre lui et moi.

Et entre les Evanuris, faillit-il ajouter.

Ça ne te concerne pas, alors tu n'as pas besoin de le protéger.

Il était presque sûr que Drynne pouvait se débrouiller seul pour assumer le retour de son petit frère abandonné. Et si la Garde ou les Evanuris décidaient de punir ce dernier, c'était un risque qu'Hareas était prêt à assumer... même s'il était conscient que les choses n'allaient pas dans la direction espérée. Il posa son menton sur ses bras croisés, pensif. Il avait envie d'y mettre son front, enfin son visage tout entier, s'enterrer en lui-même avec sa frustration le temps de remonter avec une solution. Il était si proche de réussir… et il était allé trop loin pour reculer.

Hareas se rappelait les longues heures à marcher dans la forêt, les "c'est encore loin ?", à crapahuter entre des rochers plus gros qu'eux pour trouver finalement le pilier moussu qu'était devenu "la grande cité perdue" promise par son frère. Il se revoyait courir en avant pour être le premier arrivé en haut du rocher, même s'il n'était jamais aussi rapide ni aussi agile que son aîné, et il se revoyait glisser des petites sculptures en forme de hahl  entre les cailloux et les racines, pour que la petite Rasa puisse participer aux recherches, elle aussi. Il entendait son rire et les plaisanteries de Drynne alors que lui ravalait sa déception, allongé sur le rocher moussu, et il revoyait Linnarel penché au-dessus d'un relief presque effacé par le temps pour le gribouiller sur ses pages et leur raconter l'histoire des lieux, en dessinant, une histoire bien plus extraordinaire que ce que ces quelques vestiges laissaient présupposer. Il en inventait probablement la moitié, mais Hareas s'en fichait.

Il ne cherchait pas des ruines pour découvrir tous leurs mystères, il laissait cela à Linnarel, non : c'était le chemin parcouru qui l'intéressait et les histoires que l'on s'imaginait en cours de route. Hareas n'était pas comme Linnarel, qui aimait Savoir, avec un grand S. Hareas vivait pour l'Aventure, avec un A, mais la vérité ne l'intéressait pas, car bien souvent, la réalité était en-deça de ses attentes.

Les larmes de Linnarel ne le laissèrent pas insensible cette fois-là, peut-être parce qu'il venait de repenser au garçon qui dessinait les piliers de mousse, et à celui qui grimpait sur les rochers et qui même parvenu tout au sommet ne regardait jamais son ami d'en haut. Son regard brillait de fierté, sans que l'on sache si elle était dédiée à son exploit ou au camarade qui dessinait en contrebas. Regarde, regarde ! criait-il jusqu'à ce qu'on daigne lever les yeux sur lui, dans sa posture triomphante, des feuilles dans ses longs cheveux entremêlés, ses petits poings écorchés posés sur les hanches d'une tunique sale et déjà déchirée que sa mère allait lui faire rapiécer une fois rentré. Lui aussi, il voulait figurer sur les dessins, et les piliers, et dans les légendes des temps anciens ! C'était ce garçon-là, sûrement, qui observait les larmes de Linnarel et qui songeait, soulagé alors ça veut dire qu'on est toujours amis ?

Parce qu'Hareas, lui, n'osait même pas y penser.

Non, il ne le détestait pas, mais il ne pouvait envisager une amitié à ce stade de leurs étranges retrouvailles. Tout ce qu'il pouvait était lui promettre de ne pas être l'inverse, parce qu'il n'avait sincèrement aucune intention mauvaise à son égard, et que les motivations du faussaire, quelles qu'elles soient, ne le regardaient pas. Il avait tiré un trait sur des explications des années plus tôt, usé par la disparition déjà incompréhensible de son propre frère. Le petit garçon se serait raccroché à ses proches comme à une bouée, mais Hareas savait qu'il les ferait tous couler. Il y avait probablement là une des raisons qui poussaient ceux qui survivaient à partir, et il ne pouvait honnêtement pas les blâmer. Il était même surpris d'être parti avant Nin. Elle ne lui avait même pas fait promettre de revenir. Il ne lui en voulait pas, il savait à quel point les promesses étaient dangereuses si elles se faisaient sur un coup de tête.

Il releva légèrement le nez lorsque Linnarel mentionna à nouveau son frère. Il découvrit qu'il éprouvait moins de colère à entendre son nom, cette fois. Il n'avait pas encore essayé de le prononcer à haute voix, mais... Se l'entendre dire n'était pas aussi terrible que cela. Hareas écouta l'information, retint les éléments importants - le lieu, la Garde, encore une fois, Brasir était au courant de leur présence - sans rien dire mais sans quitter Linnarel des yeux. Lorsque ce dernier rompit le contact, il supposa que c'était à son tour de dire quelque chose. Linnarel, malgré ses aveux, semblait prendre à coeur sa réaction. Hareas comprenait un peu sa position. Se trouver entre les deux frères n'était pas chose facile et il respectait le fait que leur ancien ami essaye, au moins, de colmater les brèches des deux côtés. Il réfléchit, pas longtemps, juste assez pour réaliser qu'il n'avait pas envie de faire semblant.

Je ne peux rien te promettre, tu sais. Mais…

Un petit courant d'air siffla plus haut entre les pierres et le chasseur serra ses deux genoux contre lui. Chercha le courage d'exprimer ce qu'il ressentait le plus honnêtement possible. Linnarel avait bien voulu lui révéler l'information qu'il voulait, alors Hareas lui devait au moins ça.

Je te remercie de… de m'avoir dit cela.

Tout cela donnait matière à réfléchir, et pas seulement parce qu'il avait à présent les informations nécessaires pour élaborer un véritable plan. Il savait qu'il reviendrait en boucle sur les mots du faussaire, les prochains jours, les prochaines nuits surtout, même s'il ne lui plaisait pas de les entendre maintenant. Même s'il refusait d'aller dans son sens, de lui promettre de ne pas faire de vagues, il ne pouvait pas s'empêcher de se demander ce qui retenait autant Linnarel, ce qui l'effrayait - son frère ? lui-même ? - sans qu'il ne comprenne. Oui, peut-être que comme Linnarel, Hareas essayerait aussi de Savoir, avec le grand S, avant de se jeter dans l'aventure bien peu héroïque qui guidait ses pas.

Mais d'ici là, certaines interrogations resteraient en suspens, car l'ancien chasseur du clan Virnehn n'avait pas de mots à poser sur les non-dits qui planaient entre Linnarel et lui, encore moins le courage d'écouter une réponse qu'il ne voulait peut-être pas entendre. Ses doigts tapotèrent sur son genou et il glissa un regard gêné entre le travail du faussaire et la sortie. Causer des dégâts matériels, récolter les informations qui l'intéressaient, repartir comme un voleur ? On pouvait dire que les Stazzo le formaient bien. Hareas déplia ses jambes et sauta au bas de son petit perchoir, avant de faire un pas de côté.

Je ne veux pas te déranger plus longtemps, je vais...

En fait si. Mais non. C'était compliqué. Heureusement pour lui, Hareas était devenu plutôt bon pour négocier entre ses attentes absurdes et la réalité. Il tentait de ne pas formuler de promesse qu'il ne pouvait pas tenir.

Je vais m'en aller, mais... je te compenserai pour la plume cassée.