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À l'encre de leurs yeux - ft. Taenar

Linnarel
Linnarel
Faussaire du Carta
Faussaire du Carta
Linnarel
Personnage
Illustration : À l'encre de leurs yeux - ft. Taenar 80iw

Peuple : Elfe
Âge : 26 ans
Pronom.s personnage : Il
Origine : Dalatien, même s'il aimerait le cacher un peu plus habilement : ses yeux brillent du sang de la forêt et ses lèvres connaissent leurs us et coutumes mieux que quiconque.
Occupation : Faussaire pour le Carta : il n'y a pas de quoi en être fier, surtout quand c'est la seule chose que vous avez trouvée pour survivre. Quant à savoir ce qu'il fait de son temps libre, c'est assez mystérieux et sûrement peu intéressant.
Localisation : Entre le bascloître et le thaig Kavish : la route est longue, et il peut passer des journées entière d'un côté ou de l'autre sans bouger, mais on le verra rarement ailleurs. Il n'aime pas traîner là où il ne doit pas.
Pseudo : Kietah
Pronom.s joueur.euse : Elle
Crédits : Maglor, by Miyota (VK)
Date d'inscription : 28/08/2021
Messages : 1139
Autres personnages : Fionnuala Vaël - Nucci Mansilla - Khaiki Keltarr.
Attributs : Capacité de combat : 10.
Capacité de tir : 10
Endurance : 8.
Force : 8.
Perception : 18.
Agilité : 16.
Volonté : 18.
Chance : 18.

Classe : Civil
Sorts : /
Feuille
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https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t357-linnarel-une-ombr
À l’encre de leurs yeuxCHAPITRE UN : BÉNIS SOIENT LES CHAMPIONS DU CRÉATEUR

Type de RP Classique.
Date du sujet 10 Voiréale, 5:12 des Exaltés.
Participants @Linnarel et @Taenar.
TW Insultes, discriminations raciales.
Résumé Linnarel est monté au Caillte pour faire quelques achats avec le peu d’argent qu’il a : espérant fort retourner rapidement disparaître dans les quartiers plus mal fréquentés, son attention est captivée par un autre Elfe au visage mystérieux et aux vêtements si colorés… qu’il en vient par maladresse à s’attirer les foudres des Humains.
Pour le recensement


Code:
[code]<li><en3>10 Voiréale, 5:12 des Exaltés.</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t382-a-l-encre-de-leurs-yeux-ft-taenar">À l’encre de leurs yeux</a> : <u>@"Linnarel" et @"Taenar".</u> Linnarel est monté au Caillte pour faire quelques achats avec le peu d’argent qu’il a : espérant fort retourner rapidement disparaître dans les quartiers plus mal fréquentés, son attention est captivée par un autre Elfe au visage mystérieux et aux vêtements si colorés… qu’il en vient par maladresse à s’attirer les foudres des Humains. </li>[/code]


Il ne s’était jamais prétendu courageux et l’âge n’avait en rien diminué sa couardise. Étrange phénomène : moins il nous reste d’années à vivre, plus on a peur de les perdre. Peut-être qu’on reçoit à la naissance une quantité limitée de courage qui s’use à chaque écorchure.

Joe Abercrombie.

Linnarel s'exprime en commun en Peru (#CD853F), et en elfique en Tan (#D2B48C).

Merci pour les cadeaux  Stareheart:
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Origine : Dalatien, même s'il aimerait le cacher un peu plus habilement : ses yeux brillent du sang de la forêt et ses lèvres connaissent leurs us et coutumes mieux que quiconque.
Occupation : Faussaire pour le Carta : il n'y a pas de quoi en être fier, surtout quand c'est la seule chose que vous avez trouvée pour survivre. Quant à savoir ce qu'il fait de son temps libre, c'est assez mystérieux et sûrement peu intéressant.
Localisation : Entre le bascloître et le thaig Kavish : la route est longue, et il peut passer des journées entière d'un côté ou de l'autre sans bouger, mais on le verra rarement ailleurs. Il n'aime pas traîner là où il ne doit pas.
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Capacité de tir : 10
Endurance : 8.
Force : 8.
Perception : 18.
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À l’encre de leurs yeux


« Tu as oublié dix pièces de cuivre. »

À n’en pas douter, la femme était entraînée à repérer les petites arnaques dans ce genre : elle avait eu le décompte facile, avait rapidement saisi la différence, et avait pris à parti l’autre client qui se chargea du regard mauvais en direction du filou. Et pourtant : si la valeur de l’argent lui échappait encore souvent, Linnarel savait que la vendeuse en demandait trop pour ses produits. Le papier vendu s’avérait pourtant de qualité médiocre, et son encre particulièrement diluée : mais le Dalatien avait appris que dans le monde des Humains, l’on payait souvent pour la qualité. Ou pour la tranquillité…

Affaire ratée.

« Je me suis trompé Messerah, pardon, s’excusa-t-il après un coup d’œil à la mine autoritaire de l’Humaine. Les voilà…, et il sortit à contrecœur les dernières pièces de sa bourse de fortune.
- Bien, et elle conclut sa transaction avec un ton arguant l’inverse de ses mots : je suis gentille, mais évite de recommencer.
- Oui, Messerah. Pardon, Messerah, tête baissée, pupilles fuyantes, sortie déjà engagée.
- Oh, John, je suis ravie de te voir… ! »

Le petit Elfe évita son regard : dans le fond, il savait qu’il avait raison, mais il était bien incapable de se défendre. Il ne mangerait pas demain – ou peut-être que s’il poussait jusqu’au thaig, il resterait un quignon pour lui… Évitant l’Humain qui grogna à son passage, il sortit de la boutique, et se lova directement entre la porte et la fenêtre.

Contre son cœur, coincé dans sa tunique sale et enroulé dans un linge pas forcément plus propre, Linnarel sentait la liasse de papiers lui gratter l’aisselle et les hanches ; mais l’objet de son attention était fermement tenu entre ses doigts. Petite bouteille d’encre noirâtre, au verre fumé mais au bruit éloquent, le faussaire la tenait comme le plus cher de ses trésors. Aucune de ses cachettes ne le satisfaisant, il décida de le garder bien protégé entre ses mains.

Dans une heure, tout est bon…

L’après-midi dans le Caillte était effectivement bien mouvementée. Les passants nombreux, de tout âges, de toutes origines, allaient à leurs occupations, loisirs ou travail ; ce quartier commercial criait et résonnait d’une vie échappant à son silencieux spectateur. Car tous s’accordaient sur une chose : ils étaient de bien plus haute richesse et statut social que Linnarel, l’ignorant pour cette raison superbement.

Seulement, dans le Caillte plus que dans les autres quartiers citoyens, on l’ignorait plutôt bien : la proximité avec le Clayrak rendait la pauvreté et la mendicité plus présentes qu’ailleurs. Alors, l’Elfe en profitait pour se glisser et filer rapidement, et commença sa course, avec la hâte de rentrer et mettre ses précieuses courses en sécurité. Et quand ses vallaslins attiraient les regards, lui préférait baisser les yeux.  

Seulement, cette fois-là, son regard en décida autrement ; ses pupilles refusèrent de se dérober, ses rétines contemplèrent. L’image refusait d’être ignorée. Car, perturbé par cette image merveilleuse, Linnarel arrêta de regarder ses pieds et la route et s’en trouva tout captivé.

Lui, cet Elfe, cette autre apparu dans la rue, paraissait irréel au milieu des Humains détestables. À chacun de ses pas, mille couleurs dansaient, comme on pouvait le raconter dans les anciennes villes de la Dalatie ; et les Archivistes gardaient précieusement les rares robes aussi bigarrées datant de temps perdu. Lui, cet Elfe, cet autre qui marchait dans sa direction, de l’autre côté de la rue, les portait avec un naturel envoûtant ; de l’insolence, tant la réalité n’avait pas de prise, et tant aucun Humain ne paraissait disposé à faire de commentaires. À chacun de ses pas, ses vêtements scintillaient, et ses breloques tournoyaient, comme venu d’un autre monde où les leurs avaient droit aux impensables richesses.

Mais si le regard du Dalatien pouilleux avait été attiré par les couleurs, ce fut tout autre qui garda son attention prisonnière. Il était si grand pour un Elfe, cet autre, cet Elfe, qui le dépassait dans une ignorance maîtrisée ; plus grand que de nombreuses femmes, et d’autant plus grand par son regard mystérieux. Sombre. Assuré. Peu disposé à livrer ses secrets. Le Dalatien ressentit le besoin fou de le percer et de s’y perdre ; s’en rendant compte, il ressentit de la honte, mais ne voulait pas perdre cet arc-en-ciel qui traversait la boue de Starkhaven. Non, par pitié...

Certain qu’on ne le voyait pas, Linnarel observa l’Elfe, cet autre qui disparaissait avec la même aisance qu’il était apparu ; ses pupilles restèrent accrochées jusqu’au bout, jusqu’au moment où leurs routes se séparèrent à cause du monde et des rues. Ce qu’il ne remarqua pas, en revanche, c’est que lui-même ne voyait plus rien, et il ne comprit son erreur qu’au moment où il cogna violemment contre un autre passant.

Par chance, le Dalatien réussit à rester debout, ses jambes relativement agiles. lui préservant son équilibre ; par malchance, ses doigts s’emmêlèrent sans autre raison que la honte, se perdirent les uns avec les autres, cherchant à se raccrocher à l’homme mais regrettant l’erreur, et libérant le flacon d’encre dont la chute sonna comme un carillon funeste. Au sol. Sur les souliers et les habits de l’Humain.

Non, non, non, mais qu’est-ce que je peux être bête !

« Regarde donc où tu vas, sale rat !s’emporta le bourgeois, sûrement un citoyen, à la haute taille et à la corpulence très sèche.
- M… Mais… Messer ! Pardonnez-moi… »

Les yeux de l’Elfe allaient et venaient entre son visage étreint par la colère et sa fiole encore renversée sur le sol : les deux se teintaient regrettablement de pourpre, à mesure de ses bégaiements. Les jurons et les insultes de l’homme le perdirent un moment, avant qu’il ne se précipite pour sauver le peu d’encre qui pouvait l’être encore, et qui ne s’enfuyait pas. Ce que lui aurait dû faire : mais dans la panique, il aurait été prêt à sauver le plus de ce liquide précieux, même s’il aurait fallu qu’il le garde dans ses paumes jusqu’à sa maison.

« Pardonnez-moi… », geignit-il.

Les souliers du bourgeois s’en retrouvaient totalement fichus par l’encre : par un miracle, les siens avaient échappé à l’encre. Les doigts de Linnarel tâtonnèrent un instant boue et pavés, cherchèrent la bouteille et, quand il faut à la limite de la trouver, la victime de son étourderie donna un vif coup de pied dedans, l’envoyer voler à l’autre bout de la chaussée, et déversant entre des dizaines de gouttes les restants de son contenu. L’Elfe se recroquevilla immédiatement, essuyant rapidement ses larmes dans sa tunique.

Une déception remplacée par une peur.

Il va s’énerver, et il va s’en prendre à moi…

Les Humains alentours s’arrêtèrent, partagés entre la compassion pour la vermine grouillant au sol ou la solidarité envers le citoyen aux souliers fichus. Leurs murmures semblaient réfréner les ardeurs de celui-ci, et le petit être recroquevillé cacha du mieux qu’il pouvait son visage bariolé pour profiter de cette pitié salvatrice.

« Quelle pitoyable comédie ! »

La confusion ne durerait pas, et bientôt l’homme s’en retournerait contre lui. Linnarel attrapa la petite laine sur ses épaules et, un instant, hésita à ajouter aux troues des taches d’une encre qu’il ne pourrait jamais laver ; mais il sentit que le geste pourrait être apprécié, et accepta de sacrifier son étoffe. Grave erreur : l’homme recula d’un bond et vociféra :

« Ne t’approche pas, l’Elfe ! T’en as déjà assez fait. Je laisse la garde s’occuper de toi. J’exige réparations, ajouta-t-il à l’adresse des autorités arrivant.
- Je n’ai pas… », commença le Dalatien.

… de quoi vous payer. Tout était parti dans la fiole perdue, et dans ces papiers collés à sa poitrine.

Les habits de l’Elfe illuminaient encore sa rétine, comme un arc-en-ciel inattendu dans ce quotidien boueux, tandis que les gardes approchaient de lui. Maintenant que la bouteille d’encre était perdue, Linnarel envisagea de fuir : mais la petite foule constituait un obstacle difficile à franchir. Il ne trouva pas un mot pour se défendre, la gorge nouée.




Il ne s’était jamais prétendu courageux et l’âge n’avait en rien diminué sa couardise. Étrange phénomène : moins il nous reste d’années à vivre, plus on a peur de les perdre. Peut-être qu’on reçoit à la naissance une quantité limitée de courage qui s’use à chaque écorchure.

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Le Caillte, contre toute attente, n’a jamais figuré parmi ses quartiers favoris. L’architecture est par endroits familière et il s’y trouve quelques maisons dont les portes lui sont officieusement ouvertes, quand le besoin s’en fait ressentir ; mais l’ensemble reste décidément bien laid. Le passé tévintide transparaît comme le feraient des lézardes dans un mur mal reconstruit : tout, ici, empeste le mauvais goût d’un héritage non assumé. Aussi n’aime-t-il guère s’y rendre, et seules les diverses courses exigées par son maître l’y poussent généralement. La sûreté du quartier est appréciable, sans doute : les coupeurs de bourses y sont beaucoup moins nombreux, les regards se font tantôt faussement indifférents, tantôt franchement suspicieux, rappelant la proximité de la prison et des soldats qui garnisonnent avec une rassurante assiduité.

C’est une importante commande de laine qui l’a fait se perdre chez les différents artisans du quartier : lavée et cardée pour rembourrer les coussins de Monsieur ; encore pleine de suint pour isoler les parois de la niche des chiens ; filée en pelotes pour les travaux de Zélia… Il lui faudra repasser dans quelques jours pour tout récupérer. Bien sûr, il rend quelques visites au nom de son maître et, ce faisant, il arpente les rues avec l’aisance impertinente de celui qui usurpe notoirement sa liberté. C’est bien le seul vice qu’on lui connaît, n’est-ce pas ?

La curiosité en est un autre qu’il partage avec nombre de ses pairs. Lorsqu’il perçoit un poids indéfinissable sur lui, il ne ralentit pas. C’est un regard plus insistant que les autres, et qu’il ne cherche pas à croiser, feignant de l’ignorer par simple habitude. Il lui suffit de distinguer l’importun du coin de l’œil en le dépassant, de remarquer vaguement ce qu’il tient comme si sa vie en dépendait, de se faire la réflexion qu’il l’a peut-être déjà vu quelquefois – car des yeux aussi dévorants ne s’oublient pas, surtout lorsqu’ils appartiennent à un Dalatien laissé-pour-compte. Il les sent encore un moment dans sa nuque mais ne paraît pas spécialement inquiet à l’idée d’être suivi.

Il entend la rumeur d’une querelle alors qu’il est sur le point de disparaître au tournant. Très vite, on s’amasse autour des deux instigateurs, on s’informe de la nature du problème. Il se retourne, demeure immobile, ne s’approche pas encore, préférant observer de loin l’étau se refermer sur les éclats de voix. Quand il se joint enfin au groupe, des gardes, du côté opposé, ont fait de même. Il se faufile dans les derniers rangs de la foule qui s’est considérablement épaissie. L’assemblée, il le comprend rapidement, est divisée : certains légitiment la réclamation du bourgeois, d’autres expriment timidement de la compassion pour l’elfe qui, somme toute n’a été qu’inattentif…

Ce n’est pas vraiment son problème. Il est hors de question pour lui de jouer les héros en faveur d’un autre elfe, de se donner ainsi en spectacle face à tant de témoins et de nuire stupidement à l’image de son maître. Un esclave tévintide qui manifeste de l’intérêt pour un Dalatien miséreux ? La chose aurait paru trop suspecte…

Quand bien même celui-ci et son flacon d’encre ont de quoi l’intriguer.

Noyé dans la masse compacte des badauds, il attend en silence la suite des événements. Devant lui, le dépassant d’une tête, un homme ventripotent manifeste son excitation d’un commentaire obscène. Les gardes sont maintenant à quelques pas de l’elfe resté dans une attitude prostrée. « Que se passe-t-il, ici ? » demande l’un d’eux d’une voix forte et ennuyée. Le bourgeois bombe aussitôt le torse, sûr de son bon droit : « Il se passe que ce maudit elfe vient de ficher en l’air mes souliers et que j’attends de lui qu’il me donne de quoi les remplacer ! » Il couronne son accusation d’un silence sentencieux… que rompt bientôt l’étrange susurrement du métal roulant contre la pierre.

Il est difficile de déterminer d’où vient la pièce éclatante qui vient de rouler entre les pieds figés des spectateurs avides de ce genre de chicanes.

Le bourgeois en arrête spontanément la course du bout de sa chaussure souillée ; les murmures reprennent de plus belle. « Qu’est-ce que c’est que ça ? maugrée-t-il en fronçant le nez.
Eh, ta réparation, sans doute ! De faibles rires se font entendre dans la foule.
C’est une mauvaise blague ? À qui est cette pièce ?
Chacun vérifie que les cordons de sa bourse n’ont pas été déliés par une main chapardeuse.
Le Créateur est intervenu en personne pour sauver ce pauvre petit elfe ! déclare-t-on dans un chuchotement admiratif. Un rire gras s’élève irrésistiblement, auquel répondent des exhortations indignées à ne pas moquer Sa volonté.
Je crois bien que la pièce est à moi ! tente hardiment une femme.
Comment donc, à toi ? s’écrie une autre. En as-tu la preuve ? Je pourrais tout aussi bien dire qu’elle est à moi !
Ah, non, il me semble qu’un mauvais drôle doit me l’avoir volée ! intervient un nain. Je suis sûr que le Dalatien a un complice ! »

Taenar, lui, n’est déjà plus là.

« Allons, ne l’accablez pas davantage, intervient une marchande, il est évident que cet elfe n’est rien d’autre que maladroit ! »

Les murmures de sympathie sont cependant étouffés par les voix qui grossissent à nouveau. On se dispute pour décider à qui appartient la mystérieuse pièce, dont la valeur n’est tout de même pas négligeable. Le bourgeois tente de ramener la conversation sur le prix de ses souliers, l’un soutient que la pièce est à lui, l’autre continue d’y voir une intervention divine, celui-ci propose de départager les prétendants autour d’une partie de Grâce Perfide, celui-là argue qu’il est père de famille et qu’on retire la nourriture de la bouche de ses enfants, on s’échauffe jusqu’à l’absurde, si bien que les gardes finissent par s’impatienter. L’un ramasse la pièce, l’enfonce d’une bourrade dans le torse de l’homme lésé, « Tiens, affaire réglée ! », avant de bousculer l’elfe apeuré pour disperser la foule, plus soucieux de maintenir la tranquillité de la rue que de complaire à un grippe-sou à qui la Guerre des Rats n'a pas suffi. « Là, il n’y a plus rien à voir, dégagez ! » vocifère-t-il en jouant agressivement des coudes. Le bourgeois veut protester – il n’en a pas moins pris la pièce –, esquisse un geste pour retenir le Dalatien et continuer de le malmener, mais l’impulsion de la cohue est trop puissante, laissant toute latitude à ce dernier pour s’éclipser.


Taenar s’étonne – vraiment ? – de le retrouver quelques minutes plus tard dans une ruelle voisine, beaucoup moins fréquentée que la précédente. Le Dalatien se tient là, dans un renfoncement, comme désemparé. Après avoir regardé autour d’eux, l’esclave se décide enfin à l’approcher, doucement, manifestant ainsi son désir de ne pas le brusquer. « Ne craignez rien. » murmure-t-il en guise de salut, pour qu’il ne cède pas au réflexe de fuir – car il est aisé pour lui de reconnaître un animal farouche. « S’il vous plaît. » Il ne sourit pas et son regard est toujours aussi incisif, mais son attitude n’est pas du tout menaçante – seulement guindée, comme par habitude. « J’ai le désagréable sentiment d’être responsable de votre mésaventure. » Il l’observe attentivement, tâche de garder une expression neutre malgré l’indigence de sa mise qui contraste si grossièrement avec ses traits délicats. De toute évidence, c’est le désarroi qui retient cet elfe ici. « Vous semblez abattu… et le devoir m’interdit de vous laisser dans l’infortune. » Il s’abstient de faire un pas supplémentaire, comme pour lui signifier qu’il est libre de se soustraire à sa présence, s’il le souhaite. « Est-ce la perte de votre flacon d’encre qui vous donne tant de souci ? »

Linnarel
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Occupation : Faussaire pour le Carta : il n'y a pas de quoi en être fier, surtout quand c'est la seule chose que vous avez trouvée pour survivre. Quant à savoir ce qu'il fait de son temps libre, c'est assez mystérieux et sûrement peu intéressant.
Localisation : Entre le bascloître et le thaig Kavish : la route est longue, et il peut passer des journées entière d'un côté ou de l'autre sans bouger, mais on le verra rarement ailleurs. Il n'aime pas traîner là où il ne doit pas.
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À l’encre de leurs yeux

La foule murmurait, raillait, ricanait : autant de sons agressant un Linnarel reclus sur lui-même, passant sa peur et sa frustration sur le coin d’un parchemin collé à sa poitrine. Son regard à lui se figeait de droite et de gauche, tout devenant danger : les éclats de voix, les badauds, les rats… Il voyait désormais milles Humains hurlant haro sur sa personne. Ethérés et informes, imperceptibles, qu’il paraissait craindre plus fort que les gourdins et les ongles bagués. Et encore plus de sons, de murmures, brises irrésistibles chassés par ses prières silencieuses.

Par pitié, faites taire toutes ces voix…

« C’est une mauvaise blague ? À qui est cette pièce ? », la voix du citoyen se détachait de l’infâme bourdonnement, sanctionnant le roulis clair et clinquant.

Aux yeux du Dalatien, cette pièce n’avait pas le moindre éclat : perçant la boue, charriant les immondices de la rue – dont ses mains étaient pleines, constata-t-il avec dégoût – elle s’arrêta net sur les chaussures souillées. Son contact aurait-il pu miraculeusement nettoyer leur surface et réparer leur cuir ? Cette question effleura l’esprit de de l’Elfe, surpris de se trouver à ce point stupide en pareille situation.

Il entendit quelques appels au Créateur, quelques mots probablement sympathiques à son encontre – mais ils sonnèrent tous faux à son oreille, tant Linnarel ne croyait plus en rien. Le bourdonnement devint grondement, comme si les abeilles s’étaient soudain changées en un imposant orage ; et leurs piqûres mordraient comme l’éclair. Les Humains commencèrent à batailler entre eux à savoir lequel avait droit à cette pièce : ç’aurait salvateur, si seulement ils n’avaient la terrible habitude dans ces situations de se rapprocher et de former un mur encore plus infranchissable, comme pouvaient l’être les nuages gris des pires jours de pluie… Le perturbateur n’osait toujours pas lever les yeux, de crainte de s’attirer leurs foudres : il avait bien entendu les quelques mots sur une intervention du Créateur et une chance qu’il aurait eue…

Si c’était le cas, pourquoi ne lui laissait-il aucune échappatoire ?

Ce furent surtout des bras vigoureux qui le saisirent, précédés par les cliquetis des armures : sans sommation, ils le remirent sur ses pieds, et Linnarel discerna assez d’un garde pour ne pas oser dire quoi que ce soit. Il essayait juste de préserver l’infime lapée d’encre n’ayant pas fui, l’homme l’ayant secoué beaucoup. On essaya enfin de disperser la foule, obéissante, bien qu’un peu frustrée d’avoir manqué d’une belle anecdote à conter à leurs marmots au souper. Mais enfin elle lui offrit l’échappatoire désirée, et on l’y poussa ; et finalement, tout le monde trouverait son compte à ce qu’il disparaisse de leur vue.

Sauf évidemment le fameux citoyen, désireux d’obtenir meilleure réparation : il essaya d’attraper le Dalatien, mais celui-ci l’esquiva tout juste et ne demanda pas son reste pour détaler. Il y avait à côté de cet Humain une ombre encore plus inquiétant à ses yeux, et il voulait laisser la plus grande distance entre eux et lui ; peu lui importait si ses mots et ses menaces accompagnèrent ses pas jusqu’à l’angle de la rue. Laissant derrière lui le citoyen, l’encre et les soucis.

« Je retiens ton visage, sale rat, et j’aurai justice ! Il est inacceptable que la vermine comme toi court les rues, toi qui portes l’infâme péché sur la face ! »

Linnarel ne comptait jamais le recroiser, dans cette ville aux âmes aussi nombreuses que les forêts, dans laquelle sa propre existence se perdait et ne revêtait aucune importance.

L’Elfe fuyait loin de toute cette scène horrible, aussi rapidement qu’il le pouvait, se jetant dans les étroites ruelles toujours moins passantes et plus désertes ; il détalait comme s’il avait le feu aux trousses, sans se rendre compte qu’il allait bien trop vite pour son corps malingre. Rapidement, la peur ne suffit plus à donner de petites ailes à ses pieds, et sa respiration devint rauque : en plus de s’être un peu désorienté dans ces bâtiments trop grands, trop réguliers – on attribuait cette architecture aux Tévintides et cela ne l’étonnerait pas qu’ils aient eu principalement en tête de perdre tout Dalatien qui passait là –, il ne pouvait physiquement plus aller très loin. Sa respiration le lâchait, et il se réfugia dans la première alcôve d’une porte désaffectée.

Ses doigts serraient toujours impulsivement la fiole vidée : et, la fixant, constatant à nouveau l’ampleur des dégâts, sans la pression d’une foule le jugeant, il sentit deux larmes lui échapper et un sanglot secouer son nez : plus il se frottait le visage, plus il laissait de place à d’autres rivières. Ses jambes se fléchirent et il se blottit dans le coin de cette pierre blanche, espérant ainsi disparaître. Réaction imbécile, voire disproportionnée, mais on ne pouvait estimer la valeur que ce flacon avait pour Linnarel : et dans son affliction, ses pensées ne permirent pas de se fixer dans ses malheurs, car elles n’auraient fait que redoubler ses sanglots. Il tirerait de ce fond d’encre peut-être deux, ou trois pages ; que tchi pour lui.

Et le Dalatien se trouvait encore assis en plein milieu de la rue, dans un quartier d’Humains riches, peut-être pas très éloigné des lieux de son crime. La fatigue le figea pourtant dans cette cachette peu utile.

Je vais devoir tenir des semaines sans…, et il renifla bruyamment.

Si cet autre Elfe débarqua du bout de la rue, le bruissement de ses vêtements et le claquement de ses breloques retentirent distinctement à ses oreilles effilées. Linnarel le vit arriver et, à nouveau, le spectacle des couleurs capta son regard : il stoppa ses larmes mais n’assécha pas ses joues. Car cette fois-ci, les pupilles sombres se posèrent sur lui et ne l’ignorèrent pas : il s sentit exister, et cela lui ficha une frousse terrible.

Si plus tôt, c’était le Dalatien qui avait ressenti de le percer, maintenant ce fut l’inconnu qui prit cette position, et avec plus de maîtrise que sa cible n’aurait jamais.

Encore une fois, les yeux écarquillés, Linnarel le fixa ; et malgré l’appréhension, il ne détala pas. Bien trop captivé, bien trop pris par sa curiosité : qui était donc cet autre Elfe mystérieux ? Pourquoi venait-il le voir ? Ils ne se retrouvaient pas ici par hasard, non ; pas deux fois aussi rapprochées. Ses lèvres commencèrent à former un « Messer », mais il s’arrêta net, une boule au fond de la gorge. Tiraillé entre l’envie de fuir, loin, de cet individu trop mystérieux, trop insondable, qui transportait avec lui trop de questions. Pourquoi ces vêtements ? Pourquoi cette assurance ? Pourquoi ces regards insondables ? Pourquoi venait-il le voir, lui, le misérable ? Pourquoi tout cela ensemble, sans que personne ne trouve rien à dire ?

Mais qui était-il, cet autre Elfe ? Le Dalatien n’aimait pas les questions : le hahren en avait été son témoin et son professeur. À l’époque, pourtant, personne ne lui en tenait rigueur…

Un sale rat.

« Ne craignez rien. S’il vous plaît.
- Messer… »

Le voilà vouvoyé ? Quelle stupéfaction. Sa voix résonnait avec des accents si bas, si rassurants, mais aussi si jugeurs ; plus que ne l’était réellement ce visage appartenant à un ailleurs indéfinissable. Indifférent ? Non, détaché, contrairement au sens de ses mots. Cet autre Elfe se tenait encore assez loin de loin pour qu’il puisse s’échapper, et laisser tout cet évènement dans le passé. Serrer les dents plusieurs semaines et attendre le prochain salaire…

Même là il s’avérait parfaite déception : car, à la place, il se recroquevilla plus fortement contre la pierre dure. Le rouge montait sur ses pommettes tatouées, sous ces vallaslins lui causant tant de soucis. Ses lèvres se mirent à trembler, présageant des mots incertains et confus. Ses mains se tordirent à côté du flacon posé à ses pieds. Ses regards se lancèrent impulsivement, n’assumant pas leur désir de voir plus, d’observer mieux. En somme, le Dalatien se livra complètement à cet autre Elfe, scella sûrement son sort à cause de sa faiblesse et de sa fatigue.

Quelle drôle de prise, quel drôle de filet, quel drôle de chasseur.

« J’ai le désagréable sentiment d’être responsable de votre mésaventure », continua l’inconnu.

La chaleur monta plus fortement aux joues, car il comprit que cet autre Elfe l’avait vu le fixer, le détailler ; pourquoi n’arrivait-il pas à être discret, pourquoi fallait-il toujours que ç’ait de terribles conséquences Le Dalatien secoua la tête de droite et de gauche, et sentit ses longs cheveux détachés se secouer, claquer contre la pierre et ses épaules : et qu’ils étaient sales et emmêlés. Ils le dérangeaient. Peu dignes de l’autre Elfe face à lui, avec sa longue et fine tresse noire. Lui se demanda quand il avait coiffé et ordonné ses mèches pour la dernière fois. Alors, il essaya de les dégager de son visage et de ses yeux, les coinçant contre sa nuque, sous sa petite laine râpeuse. Lui donnant tout à la fois plus et moins chaud. Mais livrant effectivement à l’inconnu tout son visage, portant les contrastes de sa personne et sa soumission à sa nouvelle condition…

Pourquoi cette peine ?

« Vous semblez abattu… et le devoir m’interdit de vous laisser dans l’infortune.
- Ne vous… Vous ne me devez rien…, et la remarque s’avérait toute aussi sincère qu’intéressée : Linnarel n’estimait pas que cet Elfe avait une quelconque dette envers lui et, surtout, lui refusait d’être son débiteur.
- Est-ce la perte de votre flacon d’encre qui vous donne tant de souci ? »

Ses doigts errèrent, cherchèrent d’eux-mêmes la fiole de la vendeuse, la prirent avec crispation, sentir les restes de son liquide danser. Cogner comme autant de sanctions à sa maladresse : des semaines et des semaines de salaire, étalées sur les souliers d’un détestable citoyen havenois…

« L’encre était diluée… et coûtait cher pour rien… »

Linnarel croyait dur comme écorce de fer que le citoyen ne le louperait pas une seconde fois. Les Humains avaient la mauvaise habitude à se rappeler leurs vies ennuyantes quand ils voyaient un Elfe passer ; surtout pauvre, en guenilles, avec de si rares richesses qu’on ne pouvait le leur laisser ; surtout tatoué, Dalatien, avec une si détestable liberté qu’il fallait leur rappeler à quel prix ils étaient là…

« Ne… ne… ne vous embêtez pas avec moi. Ne… ne vous attirez pas d’ennuis avec… les shems… les shemlens »

Seulement, son esprit et son regard étaient bien plus vifs que ce que sa voix et ses airs laissaient transparaître : cet autre Elfe était beaucoup trop richement vêtu pour que les Humains ne l’aient pas laissé faire. Il avait traversé cette foule ; il avait déambulé avec légèreté dans ses rues ; il allait et venait comme bon lui semblait, capable de le retrouver dans cette venelle.

Celui qui attirait les ennuis, ici, ce n’était pas cet autre Elfe, sûrement ardûment protégé comme ils protégeaient leurs grands étalons ou leurs coffres finement ouvragés.

« … ou… avec votre maître », et il cracha ce dernier mot, sursaut de mépris presque inattendu.

Regrettait-il cette soudaine aigreur ?

Il ramena ses jambes contre sa poitrine, se blottissant encore plus contre le bois craquelé. L’autre Elfe lui faisait un peu peur, oui, parce qu’il ne se sentait pas de partir ; mais il l’avait tout autant captivé, capturé. Par ses milles couleurs, par sa voix profonde, par sa présence mystérieuse ; et lui affaibli, par son affliction, par sa fatigue, par sa solitude ; s’il cherchait à obtenir quoi que ce soit de lui, le piège était réussi. Et ce sot de Linnarel se voyait pris dans ses filets, désirant tout à la fois fuir, comme un lapin piégé dans Sa seule échappatoire aurait été le désintérêt et l’ennui de l’inconnu.




Il ne s’était jamais prétendu courageux et l’âge n’avait en rien diminué sa couardise. Étrange phénomène : moins il nous reste d’années à vivre, plus on a peur de les perdre. Peut-être qu’on reçoit à la naissance une quantité limitée de courage qui s’use à chaque écorchure.

Joe Abercrombie.

Linnarel s'exprime en commun en Peru (#CD853F), et en elfique en Tan (#D2B48C).

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Il n’a pas l’indécence de s’attarder sur ses joues sillonnées de larmes, ni de le prendre trop ouvertement en pitié. Ce sont là des choses qui le gênent viscéralement, même quand il lui faut seulement les feindre. Du moins le Dalatien ne fuit-il pas. Pour l’heure, c’est tout ce qui compte. Taenar réprime un sourire ironique quand on l’appelle « Messer » : il ne voudrait pas laisser penser qu’il se moque de lui. Le Dalatien est d’une essence volatile, paraît aussi fragile que son flacon de verre. Il doit se montrer précautionneux, et celui-ci le lui rappelle on ne peut mieux en se recroquevillant contre son renfoncement de pierre. Il perçoit les rougeurs qui trahissent le cheminement de ses pensées, le tremblement de ses lèvres, sans se donner l’air, pour le moment, de chercher à les interpréter. Il n’a pas non plus de regard appuyé sur la torsion éloquente de ses mains, ne lui fait pas remarquer qu’il se rend trop vulnérable. Peut-être s’agit-il d’un leurre, après tout, de même que lui met tout en œuvre pour ne pas donner l’impression de vouloir abuser de sa position. Lorsque le Dalatien secoue négativement la tête, dans un embarras de cheveux auquel il essaie de se soustraire, il songe que l’ensemble est touchant comme peut l’être une esquisse au fusain. Cependant il ne dit rien de plus, cille patiemment. Il voit mieux son visage, ainsi, et se fait à nouveau la réflexion que ce n’est pas le genre de traits qui s’accommodent de la crasse.

Il reconnaît, à sa première réponse, un refus prudent de construire le moindre lien avec lui. Il comprend sans peine, car il aurait fait exactement la même chose. Hélas, c’est précisément ce qui lui donne envie d’insister, sous un extérieur désintéressé et soucieux de ne pas s’imposer. La remarque au sujet de l’encre le conforte d’ailleurs dans son idée première – il suppose que peu d’artisans seraient prêts à la lui vendre au prix juste. Il baisse pudiquement les paupières quand on prétend vouloir lui épargner des ennuis avec les shemlens mais les relève sitôt le dernier mot prononcé avec mépris. Ah ! La volte-face n’a donc pas tardé. Il hausse les sourcils dans une comédie de stupeur et de déception mêlées. Est-il surpris, au fond ? Non, pas vraiment : la misère dans laquelle vit ce Dalatien n’enlève rien à sa nature hautaine, sans doute, et c’est bien pour cela que le titre « Messer » dont il l’a d’abord gratifié, comme par inadvertance, l’a secrètement amusé. Cependant, pour des raisons qu’il se garde bien de dévoiler, il lui plaît qu’il fasse entendre cette voix-là.

Sa main gantée sur le cœur, Taenar finit par s’incliner doucement : « Je vous prie de me pardonner, Messer, souffle-t-il avant de se redresser, je n’avais nullement l’intention de vous importuner. »

Il le regarde un instant au fond des yeux, sans un mot de plus, puis se retire comme il est arrivé.

En vérité, il ne se rend pas très loin, et il a bon espoir que l’abattement coule pour de nombreuses minutes encore du plomb dans les jambes du Dalatien.

Et de fait, un court moment plus tard, il est de nouveau face à lui, main tendue, avec au creux de celle-ci un petit flacon que l’infortuné reconnaîtra sans doute. L’encre qu’elle contient est probablement de bien meilleure qualité que celle qu’il a achetée et perdue précédemment.

« Mon maître m’aurait également interdit de vous laisser dans l’infortune. » reprend-il comme s’il ne l’avait jamais quitté. Il ne lui reproche pas de l’avoir mal jugé – après tout, qui peut le savoir ? – et se contente d’un hochement de tête pour l’encourager : « Prenez, je vous en prie. Ainsi, nous serons quittes. » C’est faux, évidemment ; mais le Dalatien semble avoir un grand besoin de cette encre. Saura-t-il résister à ce flacon qu’il lui offre ?

Linnarel
Linnarel
Faussaire du Carta
Faussaire du Carta
Linnarel
Personnage
Illustration : À l'encre de leurs yeux - ft. Taenar 80iw

Peuple : Elfe
Âge : 26 ans
Pronom.s personnage : Il
Origine : Dalatien, même s'il aimerait le cacher un peu plus habilement : ses yeux brillent du sang de la forêt et ses lèvres connaissent leurs us et coutumes mieux que quiconque.
Occupation : Faussaire pour le Carta : il n'y a pas de quoi en être fier, surtout quand c'est la seule chose que vous avez trouvée pour survivre. Quant à savoir ce qu'il fait de son temps libre, c'est assez mystérieux et sûrement peu intéressant.
Localisation : Entre le bascloître et le thaig Kavish : la route est longue, et il peut passer des journées entière d'un côté ou de l'autre sans bouger, mais on le verra rarement ailleurs. Il n'aime pas traîner là où il ne doit pas.
Pseudo : Kietah
Pronom.s joueur.euse : Elle
Crédits : Maglor, by Miyota (VK)
Date d'inscription : 28/08/2021
Messages : 1139
Autres personnages : Fionnuala Vaël - Nucci Mansilla - Khaiki Keltarr.
Attributs : Capacité de combat : 10.
Capacité de tir : 10
Endurance : 8.
Force : 8.
Perception : 18.
Agilité : 16.
Volonté : 18.
Chance : 18.

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À l’encre de leurs yeux

Son regard sombre le transperça, et accrocha ses propres yeux gris : ce n’était pas par force qu’il fut soutenu. Car cet autre Elfe mystérieux lui avait montré combien ses mots ne l’avaient pas tant laissé indifférent, lui qui ne s’avérait pas si détaché : déception, stupeur… résignation ? Ces réactions déstabilisaient totalement le Dalatien.

« Je vous prie de me pardonner, Messer, je n’avais nullement l’intention de vous importuner. »

Linnarel avait-il prononcé le mot de trop ?

Car voilà que son interlocuteur, après une subtile et légère révérence le laissant totalement pantois, se retira. Se retourna dans un ballet de couleurs : sa longue tresse claqua, claquement résonnant à son oreille, comme une indication à prendre une décision, maintenant : une dernière fois.

Vas-tu vraiment le laisser partir, petit Elfe ?

Partagé entre ce plaisir d’une attention à son égard, pour lui et lui seul, d’un inconnu qui ne le laissait pas indifférent, et cette peur de ce qu’on pouvait attendre de lui qui n’avait rien, ou n’affichait rien que cette misère méprisable. Était-ce uniquement cela qu’il avait lui montrer, à cet autre Elfe mystérieux ?

Linnarel valait plus que cela, non ? Il ne voulait en tout cas pas le laisser partir avec cette dernière impression de lui.

« Non…, gémit-il, avant de reprendre plus fort, voix enfin claire et haute : attendez ! »

Avec précipitation, et non sans humiliation, Linnarel se releva : ses mains glissèrent sur la pierre sale et humide, ses vêtements se froissèrent plaintivement et ses cheveux s’échappèrent de leur prison de fortune. La fiole d’encre s’échappa encore, s’échoua une dernière fois au sol, libéra quelques gouttes sur les pavés ; mais le faussaire ne le remarqua pas, son attention entière captivée par les étoffes soyeuses s’éloignant.

De ses longs doigts, fins et doux, peu habitués au travail manuel, le Dalatien attrapa le bras de cet autre Elfe mystérieux. Sans froisser cette soie si douce sous sa peau : car il y avait de la pudeur dans son geste, une gêne certaine, et il ne voulait pas abîmer ces habits si précieux. Car maintenant qu’il les sentait, Linnarel ne regretta pas sa décision, quoi qu’il continuait de bafouiller en tentant de se justifier :

« Vous ne me… »

Les mots se perdirent car ils ne parurent terriblement pas sincères à leur locuteur : et lui, qui avait pris l’habitude de mentir pour s’en sortir, se sentit maintenant le besoin d’être honnête avec cet autre Elfe.

« Arrêtez de m’appeler Messer, ou même Ser, s’il vous plaît…, reprit-il. Ce sont des titres d’Humains… et je ne les trouve pas si… respectueux, pour nous. »

Oserait-il lui demander son nom, pour remplacer ces marques de politesse trop humaines ? La question lui brûla les lèvres, et la retenir fut douloureux, quoique nécessaire ; et il lâcha son bras lorsque celui-ci esquissa un mouvement pour lui dévoiler, d’un habile tour de bras, un flacon d’encre.

Les yeux de Linnarel se firent plus grands en découvrant cela, et il détailla de pied en cape son interlocuteur, ébahi :

« Mon maître m’aurait également interdit de vous laisser dans l’infortune. »


Jet de Perception – 11/18 – Réussite.


Ce maître, ce serviteur – soudain Linnarel comprit ce qu’était donc cet autre Elfe mystérieux, et son cœur se serra. De peur, de dégoût, d’incompréhension. Son cœur se serra de se tenir devant un esclave tévintide – car il ne pouvait pour lui en être autrement, tant le sort détestable des siens aux mains des magisters lui était connu.

Mille paroles lui revinrent en mémoire, de ces Elfes alors si sages et dispensant conseils : sur ces shemlens pires que les autres, ceux qui encore tenaient des citadins subitement cousins comme esclaves. Oui, la langue des Evanuris sonna à son oreille, raviva tous ces avertissements que des légendes trop éloquentes, si peu imagées, avaient imprimé à son esprit malléable.

L’Impérium, plus qu’aucune autre nation de ce monde, provoquait une peur ; et oui, Linnarel se sentit plus que jamais Dalatien devant cet autre Elfe mystérieux soudain transformé en un esclave tévintide. Quoique la voix de celui-ci résonna toujours avec douceur, une douceur qui, cette fois encore, réussit à outrepasser les mots plus incisifs et véhéments de ses souvenirs :

« Prenez, je vous en prie. Ainsi, nous serons quittes. »

Était-ce comme cela que l’on achetait une liberté ?

Car quittes de quoi ? La question effleura l’esprit bien perturbé de Linnarel, qui continua sur cette lancée de la sincérité, les yeux rivés sur le ce liquide contenu comme s’il menaçait à tout moment de s’évaporer – non, de se briser, comme ne cessaient de se briser les certitudes du Dalatien.

« Pourquoi un Tévintide voudrait aider un Elfe, Dalatien de surcroît ? », murmura-t-il.

Est-ce aussi le mot de trop ?

Pourquoi faire ce présent ? Ce n’était pas ce qu’on lui avait enseigné, il y avait sûrement erreur ; ou peut-être un intérêt. Oui, le faussaire ressentit de la méfiance, mais cette détestable maîtresse devrait maintenant bien apprendre à se taire : car la curiosité, la reconnaissance et le besoin lui firent comprendre qu’ils avaient droit au chapitre. Que de toute façon, ils avaient réussi à coincer la proie, qui ne voyait pas bien ce qu’on pouvait attendre de lui.

Qui, par peur de perdre cet autre, continua :

« Et si ce n’est… lui, pourquoi vous ?, et il bafouillait si peu, cette fois-ci. Les histoires que j’ai entenduesque je pourrais conter et raconter, se retint-il d’ajouter – sur les magisters, et elles sont bien nombreuses, ne regorgent pas de… »

Linnarel hésita alors, mais brisa cette distance que l’autre avait installée et posa sa main sur ce flacon d’encre. Espoir retrouvé d’une échappatoire future, d’instants fugaces de bonheur – espoir donné, surtout, par cet esclave ayant prétendument agi sur la volonté de son maître.

Le Dalatien leva les yeux vers le Tévintide, celui-ci si grand parmi les Elfes, et ses doigts toujours sur le verre, termina sa phrase :

« … générosité. »




Il ne s’était jamais prétendu courageux et l’âge n’avait en rien diminué sa couardise. Étrange phénomène : moins il nous reste d’années à vivre, plus on a peur de les perdre. Peut-être qu’on reçoit à la naissance une quantité limitée de courage qui s’use à chaque écorchure.

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Il a dû se faire violence pour ne rien trahir de sa crispation intérieure lorsque le Dalatien a tenté de le retenir. Ne pas lui signifier d’un regard polaire qu’une telle proximité est exclue, ne pas se dégager sèchement de son emprise. Il est assurément ironique et navrant pour un esclave – une chose dont on peut disposer à loisir – d’avoir horreur qu’on le touche et d’entendre les sirènes de l’indignation déchirer son silence intérieur au seul aspect d’une écaille de crasse dans son entourage immédiat. Dramatique, lui ? Si peu. Il doit pourtant reconnaître que l’Elfe a des gestes de dentelle et que sa main – il se concentre sur elle à présent, comme il aurait stoïquement regardé une araignée lui courir dessus – est particulièrement délicate. Il se fait la réflexion que les princes en ont de moins belles, avant de remonter du bout des yeux le long de son bras, retraçant la ligne de sa gorge puis celle de sa mâchoire, jusqu’à confronter à nouveau les vacillements de son regard. Les titres humains lui paraissent inappropriés, ose-t-il admettre. C’est pourtant une mascarade qui lui convient. Contrairement à lui, il ne se retient pas de lui demander sans détour, quoique sa voix demeure aussi veloutée qu’une braise tout juste éteinte : « Comment dois-je vous appeler, alors ? »

Il éprouve un secret soulagement lorsque le Dalatien le lâche enfin – en a-t-il oublié de respirer ? Il ne sait déjà plus. Il peut désormais contempler à son aise la réaction que lui arrache la découverte de son présent et se livre sans répugnance à son examen quand il semble comprendre pour de bon tout ce qui les sépare. Il pose une question pertinente, dévoile par là même une méfiance bien légitime. Taenar se montre patient. « Je vous l’ai déjà dit : il ne s’agit pas de charité. Je m’acquitte simplement d’une dette que j’estime avoir envers vous. » Doit-il s’en expliquer plus avant ? Il se compose un sourire modeste, presque pudique, comme pour ne pas embarrasser davantage l’Elfe qui lui fait face : « Vous n’auriez pas donné dans un bourgeois acariâtre si je n’avais pas été là pour vous distraire, à ce qu’il me semble. » Ah, au fond, peut-être s’amuse-t-il tout de même un peu – un tout petit peu, avec un plaisir imperceptible – en remarquant si ouvertement l’attention que le Dalatien lui a portée ; néanmoins il n’est pas cruel au point d’en faire une farce, à plus forte raison maintenant qu’on daigne enfin s’approcher pour accepter le flacon d’encre. Il regarde silencieusement la main gracile se refermer dessus à la façon d’un piège. C’est bien. Il ne bouge pas, comme s’il risquait toujours de le faire fuir par un mouvement trop brusque. Il sent encore le poids du flacon au creux de sa paume. Rien n’est joué pour le moment. « Vous prêtez donc foi aux histoires ? » a-t-il la malice de rétorquer lorsque le Dalatien se réfugie derrière la sempiternelle diabolisation des Tévintides. Et les langues de vipères qui les colportent sont probablement celles-là mêmes qui vous ont laissé tomber dans une si cruelle indigence, alors pourquoi les croire sans réserve ? Il n’en dit rien, évidemment, s’abstenant par ailleurs de lui demander, avec une curiosité presque perverse, une restitution en détail de tout ce qu’il a pu entendre à leur sujet. Il le regarde à présent au fond des yeux. « Bien sûr, je ne prétends pas que les représentations que vous vous faites des magisters sont absolument fausses – nous parlons après tout d’individus sévères et implacables ; mais enfin mon maître s’est toujours montré généreux avec moi. À cet égard, et je l’affirme au risque de me rendre plus désagréable encore à vos yeux – il réprime une fois de plus un sourire narquois –, j’ai été insolemment chanceux. » Il ne lui fait pas l’offense, quant à lui, de le dénuder du regard pour signifier de toute évidence, à chacun sa façon de survivre. Il aurait tout aussi bien pu dire : à chacun sa façon de s’humilier, et la mienne est sans conteste plus douce que la vôtre. Sa bouche se froisse en une moue pensive : « Vous vous en étonnez, mais la misère n’est pas non plus la parure que l’on imaginerait à un Elfe tel que vous – et pourtant vous voici. » Il cille avec austérité. « Vous me permettrez, j’espère, de ne pas vous juger à l’aune des histoires que l’on peut entendre sur les Dalatiens. Je n’écouterai que la vôtre, et de votre propre bouche, si vous daignez un jour me faire le plaisir de me la raconter. En attendant, cessez de me craindre, s’il vous plaît : je ne vous tends qu’une main, pas un piège, et vous êtes toujours libre de la refuser. » Nul poignard au fond de ses yeux, nul croc derrière la mince ligne de son sourire, nulle griffe au bout de ses doigts. N’est-ce pas ?

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Origine : Dalatien, même s'il aimerait le cacher un peu plus habilement : ses yeux brillent du sang de la forêt et ses lèvres connaissent leurs us et coutumes mieux que quiconque.
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Localisation : Entre le bascloître et le thaig Kavish : la route est longue, et il peut passer des journées entière d'un côté ou de l'autre sans bouger, mais on le verra rarement ailleurs. Il n'aime pas traîner là où il ne doit pas.
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À l’encre de leurs yeux

« Comment dois-je vous appeler, alors ? »

Un tressaillement remonta du bas de son dos et se perdit à la pointe de sa nuque : l’orageuse Voiréale continuait de menacer toute vie en Starkhaven, et peut-être que ce frisson n’était qu’un nouveau signe prémonitoire d’un tonnerre prochain – ou celui d’un simple éclair, dont on ne connaîtrait pas la cible, et puis oublié dès lors que l’œil simplement curieux en aurait vu de nouveaux. Rien qui ne changerait grand-chose à des vies suivant leur banal cours.

Question banale ; et, pourtant, cela faisait si longtemps que le faussaire ne l’avait pas entendue : du moins, pas prononcée ainsi. Avec ce qu’il comprenait de déférence, de politesse, bien loin d’être jetée comme une formalité dont on ne prenait même pas la peine de cacher le désintérêt. De surprise en décontenance, le pauvre garçon ne savait plus où en donner de la tête : à ses entrailles qui, comme de coutume, lui ordonnaient de fuir ; ou à son cœur que les attentions successives, jusqu’à cette apparence si agréable, réussissaient à amadouer avec une subtilité ne lui provoquant pas de peur…

Oh, il lui suffisait de refuser l’aide et l’encre et de simplement repartir, de retourner à cette porcherie et à l’espoir d’un quignon restant de pain ; d’oublier cette image fugace de cet autre Elfe aux multiples couleurs et aux nombreuses attentions. Oh, il lui suffisait de prendre cette décision simple pour que cet étrange après-midi ne devienne qu’un souvenir de couleurs bigarrées et de murmures intrigants…

Perdre une nouvelle fois sa chance… ?

« Linnarel », lâcha-t-il avec cette habituelle fragilité.

Ne pas trahir sa peur, son aversion pour ce que ce nom charriait ; il rencontrait bien des difficultés à poser son regard sur cet autre, devinait ses prunelles sombres sur lui, ne comprenait pas pourquoi cet intérêt ; et préférait se concentrer sur cette longue et large ceinture de soie. Examen de réconfort : elle était un peu froissée par la journée de labeur, sans doute, et peut-être par ce besoin régulier et irrépressible de Linnarel de l’attraper. Pour ne pas fuir. Pour ne pas se retrouver seul. Comme un enfant. Quelle honte.

Pourtant, qui aurait cru qu’un Dalatien baisserait ainsi les yeux devant un esclave ? Ce serait sûrement son Archiviste qui aurait honte, mais celui-ci était absent – de l’histoire ancienne, oubliée, perdue… Alors que le Tévintide, lui, se trouvait bien présent là, devant lui, et continuait de parler.

« Je vous l’ai déjà dit : il ne s’agit pas de charité. Je m’acquitte simplement d’une dette que j’estime avoir envers vous. Vous n’auriez pas donné dans un bourgeois acariâtre si je n’avais pas été là pour vous distraire, à ce qu’il me semble. »

Comment ça ? Il m’a vu ? Oh non, ce n’est pas possible… quelle honte… Linnarel ne vit pas le sourire, non : son visage blanc s’empourpra d’avoir été pris sur le fait de ce regard qu’il n’assumait pas – n’avait jamais pu assumer.

L’envie de se terrer dans un trou lui aurait repris, vite et bien ; dans le creux froid de ce porche, quitté pour rejoindre cet autre, toujours ; de faire taire dans les ombres dures et froides ces inconforts terribles, cette honte consumante… Et pourtant, il rebondit, encore une fois, lui balançant sur son doux visage sa condition que l’on méprisait par défaut, et la haine que l’on portait à ses maîtres. Tévinter… de quoi enorgueillir n’importe quel miséreux, certain de valoir au moins mieux que ceux qui avaient précipité le monde à sa perte, détruit des civilisations. Non ?

Ces mêmes miséreux qu’on était sur le point d’acheter d’un flacon d’encre, sur lequel une main fébrile demeurait posée – avec cette peur qu’on la lui retire, finalement, avec insatisfaction…

« Vous prêtez donc foi aux histoires ?, rétorqua l’esclave avec malice, presque du défi, auquel fut répondu avec tout le sérieux que pouvaient porter auxdites histoires ces peuples de voyages et d’héritages détruits :
- Ne le faut-il pas toujours ?, et le Dalatien essayait de se rattraper, par les mots : de retirer ce rouge ridicule à ses joues en rebondissant sur ce qui lui parlait tant. Les histoires portent la sagesse des anciens, des ancêtres – de ceux avant nous dont on a détruit tout le reste de l’héritage. »

Sauf celui porté par les cœurs et les corps, que l’Impérium n’aura pas sus mater. En tout cas, le vôtre peut-être, je ne sais pas, mais pas le mien.

Du défi, lui aussi ? Linnarel n’arrivait pas à se rendre compte que ses paroles s’emballaient, et qu’il s’en retrouvait même à ne plus tant bégayer. Oh, il n’arrivait pourtant que difficilement à regarder cet autre Elfe, et ne tardait pas à baisser les yeux dès qu’il croisait ses pupilles sombres, le cœur battant.

« Bien sûr, je ne prétends pas que les représentations que vous vous faites des magisters sont absolument fausses – nous parlons après tout d’individus sévères et implacables ; mais enfin mon maître s’est toujours montré généreux avec moi. À cet égard, et je l’affirme au risque de me rendre plus désagréable encore à vos yeux, j’ai été insolemment chanceux. »

Le visage inexorablement empourpré se leva : non, définitivement, il ne le trouvait pas le moins du monde désagréable. Au contraire : à chaque fois qu’il ouvrait sa fine bouche pour parler, cet autre Elfe, cet esclave, cet homme dont Linnarel désirait toujours plus connaître le monde, se paraît d’une couche supplémentaire de mystère : celui-ci s’avérait aussi irisé que la soie et aussi coloré que le velours. À chaque fois qu’il parlait, le petit Dalatien voulait le regarder ; puis, se rendant compte de sa propre petitesse, retournait à sa place.

Celui-ci garda sa remarque pour lui, mais il ne tenait sûrement pas cette toilette envoûtante de cette chance dont il se vantait tant : non, plutôt de ce fameux mystère aux milles serpents de fils… Il ne tenait sûrement pas sa place de la bonté d’un maître, non ; sûrement de sa voix douce et de cette aura envoûtante…

« Vous vous en étonnez, mais la misère n’est pas non plus la parure que l’on imaginerait à un Elfe tel que vous – et pourtant vous voici.
- Quelle autre parure verriez-vous alors pour un misérable du bascloître… ? », souffla doucement le faussaire au regard fuyant, toujours perdu entre défi et honte.

Geste inconscient, gêne de moins en moins cachée : ses doigts fins débouchaient et rebouchaient délicatement le flacon de verre. Rien que le contenant avait une valeur qu’un pauvre – non, misérable ! – Elfe pouvait difficilement estimer, d’autant plus toucher. Et Créateurs, qu’il était agréable dans sa main, et que l’encre avait une teinte et une texture attrayantes…

« Vous me permettrez, j’espère, conclut finalement l’autre, de ne pas vous juger à l’aune des histoires que l’on peut entendre sur les Dalatiens. Je n’écouterai que la vôtre, et de votre propre bouche, si vous daignez un jour me faire le plaisir de me la raconter. En attendant, cessez de me craindre, s’il vous plaît : je ne vous tends qu’une main, pas un piège, et vous êtes toujours libre de la refuser. »

Linnarel était-il encore réellement libre de refuser ? Bien difficile à croire. En tout cas, avec cette nouvelle – et peut-être dernière ? l’idée l’effraya un court instant – proposition, le temps ne se trouva plus à l’hésitation, non. Le faussaire accepta, et commença avec prudence à récupérer l’objet, l’enroulant dans sa petite couverture de laine pour cette fois-ci la sécuriser.

Une chance qu’il n’avait pas manquée… quoique… à combien d’occasions une chance se répétait-elle avec insistance ?

« Je… Ma serannas... merci… »

Le Dalatien ne comprenait pas réellement ce que cet autre Elfe pouvait trouver à ce geste : ce qu’il cherchait, ce qu’il souhaitait, ce qu’il voyait. Ecouter son histoire ? Tout paraissait tellement insensé… Avait-il aussi un jour rêvé la vie des Dalatiens, dans son quotidien servile dont, pourtant, il s’était accommodé ? Tous les enfants rêvaient d’un jour meilleur, même les plus choyés ; et nombreux n’oubliaient pas ces rêves, adultes. Peut-être que cet esclave se cachait sous ses parures ; peut-être avait-il senti qu’à propos d’histoires, il était tombé sur le bon pourvoyeur…

Cette issue s’avéra la plus satisfaisante à son esprit embrouillé, et le faussaire s’y accrocha tandis qu’il enroulait soigneusement le flacon ; lorsqu’enfin, il répondit :

« Vous pourriez pourtant me juger au travers de ces histoires sur les Dalatiens : si ce sont les mêmes que j’entends dans le th… dans les tavernes, vous ne tomberiez pas loin de la vérité, je crois. Même si… je n’ai jamais été très habile avec un arc, au grand damne de mon père… et j’arrivais avec peine à préparer les herbes dans le feu, ne cessait de se plaindre ma mère… Oubliez alors ce que je viens de dire : à part mes vallaslins, je ne dois pas beaucoup ressembler aux Dalatiens de vos histoires… »

Car les Dalatiens étaient bien connus pour être des chasseurs sauvages, des ombres féroces dans les forêts : ils se battaient pour une liberté qu’on n’avait jamais cessé de leur retirer par le passé, et se distinguait par une fierté apportant de l’espoir dans les cœurs de la plupart des Elfes citadins… ceux qui ne les avaient jamais côtoyés, sûrement, et qui croyaient que la vie hors des villes humaines devait être l’exact inverse de leurs existences.

Et moi qui me tais devant eux…

« Quant à la mienne, d’histoire, elle est à mon image, je crois… Vous perdriez moins de temps avec les légendes de mon peuple, que je saurais bien mieux vous raconter… »

Et pourtant, il douta un instant que cet autre Elfe en avait quelque chose à faire, des fables anciennes et cet héritage perdu. N’était-ce pas ce que son attitude disait ? Ce qu’il avait sous-entendu sur les Dalatiens, parallèle douteux aux magisters – car les uns n’avaient sûrement pas causé autant de malheurs sur les autres ? Pourtant, pourtant, il était inconcevable pour Linnarel qu’aucun Elfe n’ait jamais voulu connaître ses racines… enfin, inacceptable, surtout, car inconcevable, ce n’était pas vrai : combien d’oreilles plates lui avaient prouvé l’inverse, dans leurs vies ordinaires et leur mépris affichés ?

Mais cet autre Elfe à l’aura mystérieuse ne comptait pas parmi eux, non ? Pourquoi était-il si compliqué à discerner, à comprendre ? Comme un spectacle irisé changeant de couleur selon l’angle sous lequel on l’observait ? Il devait peut-être en savoir plus sur lui, le faire parler.

« Et vous…, hasarda alors le Dalatien, quel est votre nom ? Je vous en prie. »

Quand il avait parlé de son maître, bien des minutes plus tôt, Linnarel n’avait pas un instant réellement cru qu’il s’était retrouvé en face d’un esclave – plutôt d’un Elfe employé pour une misère auprès d’un quelconque notable de la ville, comme Starkhaven pouvait en compter beaucoup. Mais un véritable Tévintide…

Et pourtant, la curiosité demeure…

« Il y a forcément une histoire que vous aimez, que vous portez dans votre cœur : celle d’un héros oublié, d’un parent protecteur d’une rencontre fortuite, ou la sienne que l’on s’est forgée. Peut-être est-ce le Créateur lui-même, non ? Je sais que vous y croyez aussi en Tévinter. »

Moi aussi, j’y crois, en ce Créateur, n’est-ce pas ?, mantra répété avec insistance.

Car oui, le Dalatien se retrouvait pris dans la douce écharpe de velours de cet autre Elfe : c’était doux, quoique certainement inquiétant, mais bien trop doux. Et comme toutes ces choses douces sur lesquelles on croyait avoir posé sa main, par hasard, ses doigts refusaient de s’en détricoter. Ne pas perdre ce que la chance avait amené… non ? Difficile de répondre, difficile pour cette douce âme perdue dont la méfiance se tarissait ; laissant place Or, sa méfiance maintenant étouffée, de l’intérêt se ravivait au fond de sa poitrine ; de drôles de braises dont le feu cherchait à être nourri, et la soif ne demandait qu’à être étanchée.

« On porte tous en nous au moins une histoire que l’on aime croire, à laquelle on aime prêter sa foi : sinon l’on n’avance pas. Vous ne devez pas y faire exception. »




Il ne s’était jamais prétendu courageux et l’âge n’avait en rien diminué sa couardise. Étrange phénomène : moins il nous reste d’années à vivre, plus on a peur de les perdre. Peut-être qu’on reçoit à la naissance une quantité limitée de courage qui s’use à chaque écorchure.

Joe Abercrombie.

Linnarel s'exprime en commun en Peru (#CD853F), et en elfique en Tan (#D2B48C).

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Il perçoit ce moment d’hésitation qui suggère une perle de rosée sur le point de se détacher de son bourgeon vernissé – pour s’écraser aussitôt dans un lit de feuilles mortes. Linnarel, laisse-t-il échapper comme un dernier soupir, comme une gorge offerte, et la vulnérabilité qu’il démasque un peu plus alors ne fait qu’en accentuer la sonorité cristalline, aussi délicate qu’un baiser d’oiseau.  « Linnarel. » répète-t-il avec une suavité qui déguise toute promesse de souillure, et s’il ne s’agit pas de son véritable nom, peu lui importe pour l’heure, tant qu’il croit lui confier le soin de l’appeler comme il l’entend. Au reste, son regard fuyant l’avertit qu’il ne doit pas se hasarder à lui en demander la signification – qu’il se fera un plaisir de chercher lui-même.

Lorsque Linnarel rougit comme le ciel des feux du couchant, Taenar le dévisage presque impudiquement. C’est son méfait. C’est son méfait et, pendant une longue seconde, il éprouve une curieuse impatience – celle de lui apprendre à ne plus avoir honte. Puis il se demande à nouveau, et de plus en plus en vérité, ce qui peut bien se cacher derrière tant de fragilité. Ce n’est pas tout, pourtant. Le Dalatien relève le menton dans un soubresaut de candeur et de sérieux, prêt à défendre la légitimité des récits qui ont dû lui étourdir les oreilles des années durant. Taenar a déjà entendu parler de ces grands rassemblements – Arlathvhen, si sa mémoire ne lui fait pas défaut –, mais il ne croit pas vraiment à la perpétuation d’un quelconque héritage par le trompeur médium de la voix. Il croit en revanche à la déformation du temps, de la haine, de la vanité. Les histoires portent la sagesse de ceux qui ont survécu, rectifie-t-il intérieurement, et il n’existe rien de plus suspect qu’un survivant.

Il ne le dit pas, évidemment. Même les morts, ceux que les plus téméraires cherchent jusque dans l’Immatériel, peuvent s’offrir le luxe de mentir. C’est après tout le seul amusement qu’il leur reste. « Je n’écoute les histoires qu’avec prudence. » finit-il par admettre, soutenant le regard qu’on pose enfin sur lui plus franchement. Le Dalatien manifeste une assurance nouvelle, comme rasséréné par ses propres mots. De fait, il semble doué d’une certaine éloquence quand il ne tremble ou ne rougit pas – quand il s’oublie, en somme. Mais le voilà qui se relègue au Bascloître plutôt que de se réclamer d’un clan, tout en paraissant tenir à une forme d’héritage, et le paradoxe a de quoi faire sourire. Je pense que vous porteriez mon manteau bien mieux que moi, s’abstient-il de répondre en manière de plaisanterie, craignant qu’il n’en goûte pas la dangereuse ambiguïté. Son manteau, quoique somptueux, n’en est pas moins celui de la servitude, et il y a d’autres façons de lui signifier qu’il l’imagine endosser une liberté plus propre que celle qu’il paie de son intolérable misère. Il ne dit rien, pourtant, se contente de l’observer comme s’il pouvait le dénuder et le vêtir tour à tour d’un simple regard.

Linnarel, à présent, s’approprie le flacon. Le remerciement est d’abord soufflé dans une langue elfique à laquelle il feint de ne pas réagir, de même qu’il paraît ne pas relever le mot auquel il substitue in extremis de douteuses tavernes. Il fait son propre portrait avec une humilité qui ne correspond effectivement pas à l’imaginaire dalatien avant de se retrancher, une fois encore, derrière des légendes mille fois racontées, mille fois déformées. Un tempérament charmeur se serait sans doute réjoui avec un air entendu de ce que l’histoire de cet elfe puisse être à son image – jolie, énigmatique et émouvante – mais il n’en est pas encore réduit à ces comédies-là. Ce qu’il entend, lui, c’est qu’il possède le pouvoir captivant et mensonger des conteurs – ainsi que leur encre, désormais. Il débrouillera ce mystère.

On le prie enfin de se présenter, et il y consent de bonne grâce – car à quoi bon dissimuler son nom ? Il y a six ans qu’on peut le connaître, cet esclave insolent, et s’il est aujourd’hui venu en aide à la mauvaise personne, il ne s’agira que d’un grief de plus parmi tant d’autres : « Taenar. » Plus rugueux, moins poétique. Il n’y avait décidément pas de quoi prier, s’amuse-t-il secrètement. Il n’ajoute rien de plus, car le Dalatien s’emploie rapidement à projeter sur lui ses fantasmes de cœur naïf. Il existe ainsi « forcément » une histoire qui aurait trouvé grâce à ses oreilles, et il croit y entendre une discrète imploration, comme s’il devait absolument lui fournir une sensibilité à laquelle s’agripper – un besoin invincible de faire de lui un être intelligible, pénétrable par de mièvres idées sentimentales. Il commet l’erreur de songer à Rauros, et chasse aussitôt ce mauvais présage, car il ne serait bon pour personne d’exhumer ce mort-là. « Je n’écoute les histoires qu’avec prudence, répète-t-il tranquillement, mais je les aime toutes. » Il consent même à lui confirmer sa foi – que veut-il ? se rassurer ? – d’un hochement de tête, comme disposé à se laisser cerner, à devenir le réceptacle de ses projections. Il prend complaisamment les contours qu’il lui dicte avec tant d’ingénuité, sans oublier combien l’innocence peut être un puissant leurre. Il s’approche d’un pas. Linnarel semble avoir l’âme d’un poète. Comme ils diffèreraient alors… ! Lui n’aime les histoires que pour le pouvoir qu’elles sont susceptibles de lui apporter. Alors une histoire en guise de flambeau dans la nuit du monde ? Une histoire comme ressort capable de le faire subsister dans la tourmente ? Quelle enfance ! Mais voilà : Linnarel fait de lui son personnage, Linnarel le raconte et déclare péremptoirement : Vous ne devez pas y faire exception. Soit. Taenar lui oppose un cillement vaporeux, comme s’il n’osait pas tout à fait s’épancher à ce sujet. Il va jusqu’à détourner les yeux, pour une pudique seconde, l’air de signifier « Vous promettez de ne pas m’en faire honte, n’est-ce pas ? », avant de s’éloigner lentement pour s’enfoncer dans l’une des venelles désertes qui jouxtent leur rue. Le suivra-t-il ? Il ne va pas loin, se réfugie dans l’embrasure d’une porte cochère à la peinture écaillée. Il n’est pas obligé de l’y rejoindre, car là, dans l’ombre de ce renfoncement à l’abri des oreilles et des regards indiscrets, il lui faudra lutter contre l’envie pernicieuse d’évoquer la cité perdue de Barindur, de chuchoter à ce cœur en apparence trop pur combien la folie d’Andruil et son armure de néant l’ont fasciné et le fascinent encore, à quel point il aurait aimé écouter les choses oubliées qu’elle a pu entendre dans un murmure dément, et reconnaître ouvertement ce qu’il peut y avoir de séduisant, d’infiniment reposant à ne plus avoir de visage pour la mémoire des hommes. Il s’imagine lui susurrer tout cela à l’oreille, avec la méticulosité d’un orfèvre…

Mais enfin, il faut pour l’heure être niais et réclamer quelque chose de plus convenu : « Il y en a bien une qui m’a été d’un certain réconfort. » se confie-t-il pour finir – et c’est à peine mentir, au fond. Il tue Rauros une millième fois. « Le dit de Mythal au doux toucher, révèle-t-il avec l’ombre d’un sourire où entre presque du désagrément contre lui-même. Vous le connaissez sans doute… ? N’étant pour ma part qu’un fort mauvais conteur, je gage que vous saurez bien mieux lui rendre justice que moi. »

Linnarel
Linnarel
Faussaire du Carta
Faussaire du Carta
Linnarel
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Illustration : À l'encre de leurs yeux - ft. Taenar 80iw

Peuple : Elfe
Âge : 26 ans
Pronom.s personnage : Il
Origine : Dalatien, même s'il aimerait le cacher un peu plus habilement : ses yeux brillent du sang de la forêt et ses lèvres connaissent leurs us et coutumes mieux que quiconque.
Occupation : Faussaire pour le Carta : il n'y a pas de quoi en être fier, surtout quand c'est la seule chose que vous avez trouvée pour survivre. Quant à savoir ce qu'il fait de son temps libre, c'est assez mystérieux et sûrement peu intéressant.
Localisation : Entre le bascloître et le thaig Kavish : la route est longue, et il peut passer des journées entière d'un côté ou de l'autre sans bouger, mais on le verra rarement ailleurs. Il n'aime pas traîner là où il ne doit pas.
Pseudo : Kietah
Pronom.s joueur.euse : Elle
Crédits : Maglor, by Miyota (VK)
Date d'inscription : 28/08/2021
Messages : 1139
Autres personnages : Fionnuala Vaël - Nucci Mansilla - Khaiki Keltarr.
Attributs : Capacité de combat : 10.
Capacité de tir : 10
Endurance : 8.
Force : 8.
Perception : 18.
Agilité : 16.
Volonté : 18.
Chance : 18.

Classe : Civil
Sorts : /
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À l’encre de leurs yeux

Les yeux sombres possédaient le mystère : celui de voir tout en se cachant derrière un écran de fumée qu’on ne rêverait que de percer. Linnarel n’avait pas la prétention de ce désir-là, non : quand il livra son nom, dévoila son amour des histoires et des légendes, se saisit du chéri flacon d’encre, se risqua à lui demander son nom, il aurait tout de même aimé pouvoir mieux comprendre. Quelles pensées animaient l’esprit d’un Elfe se méfiant des histoires ? Quels secrets ses cils papillonnant éventaient avec une légèreté distrayante ? Quels rêves berçaient les paupières closes d’un esclave satisfait de ses journées ?

Non, pitié, qu’il ne ferme pas les yeux : Linnarel désirait finalement percer leur mystère…

« Taenar. »

Les pensées du Dalatien s’affolèrent : il chercha dans ce nom une signification particulière. La langue elfique n'en connaissait pourtant rien : ni racine, ni préfixe, ni sonorité. Mais cette dénomination était perdue pour les Elfes nomades : peut-être les bibliothèques disparues d’Arlathan pouvaient y répondre ; ou bien l’arrogance des Tévintides ne possédait-elle aucune limite, au point d’effacer même la mémoire des patronyme… Un frisson conclut laquelle des deux hypothèses lui paraissait la plus vraisemblable.

Taenar. Non, Linnarel n’aimait pas ce nom, et un rictus sur son visage trahit son dégoût : il trouvait que cet autre Elfe aux milles couleurs était terriblement mal nommé, et constatait avec amertume ce blasphème. De nombreux patronyme commencèrent à fleurir dans son esprit, bourgeonnant dans cette terre qu’on avait laissée tranquille trop longtemps – mais tous charriaient des histoires comme ce Taenar n’en aimait pas, et son interlocuteur les garda alors pour lui.

« Je n’écoute les histoires qu’avec prudence, mais je les aime toutes, répéta l’esclave, comme un rappel subtil à sa condition.
- Quel monde triste dans lequel les choses chéries doivent être vécues avec prudence… », renchérit le faussaire, comme un rappel à sa condition.

Oui : il vaut mieux se méfier de ce que les noms et les histoires racontaient.

Le mystère cilla soudain et, dans un ballet de tissus – l’un des pans de soi caressant délicatement la main de Linnarel –, l’autre Elfe s’était retourné et s’enfonçait encore plus profond dans les ombres. Mais pourquoi fuyait-il sans fin, Taenar ? Était-ce à cause du rictus du Dalatien lorsqu’il avait annoncé son nom ? Mais quel imbécile : ne pouvait-il pas se taire, pourquoi ne pouvait-il jamais se retenir ? Pourquoi cet esclave que rien n’attachait ne cessait de partir et d’aller où bon lui semblait ?

Oh, non, il ne pouvait pas le quitter sans recevoir des excuses, n’est-ce pas ? Alors il se reprit à trottiner derrière lui, serrant si fort le beau flacon contre son cœur.

« Arrêtez de partir comme cela, je vous en prie », et Linnarel ne perdit pas tant son souffle à cause de la course que de ce regard plus éclatant dans l’obscurité de la venelle.

Que cherche-t-il, Taenar, à m’entraîner comme cela partout ?

« Il y en a bien une qui m’a été d’un certain réconfort, et si son sourire devait être une ombre, il éclairait pourtant le cœur rêveur du petit Elfe. Le dit de Mythal au doux toucher. Vous le connaissez sans doute… ? N’étant pour ma part qu’un fort mauvais conteur, je gage que vous saurez bien mieux lui rendre justice que moi. »

Mythal ?

Non pas que le Dalatien ne connaissait pas la Mère des Elvens, la plus essentielle de leurs déesses, non – mais il fut surpris de la compter parmi les références de cet esclave. Le mystère, les murmures, les secrets, les regards sombres… Ses longs cheveux d’un noir si profond que, détachés, nul doute qu’ils devaient flotter comme le ramage des corbeaux… sans pour autant qu’il ne chante peur et tromperie.

Dirthamen.

Taenar serait plutôt pareil au dieu des songes et des rêves. Il avait cependant demandé la caresse de Mythal, l’histoire d’un pardon éternel à qui se révélerait toujours juste – et qui était Linnarel pour l’en lui priver ? Il ne le désirait pas.

« C’est une histoire d’amour et de rédemption, oui… », commença le conteur.

Linnarel posa le flacon soigneusement emmailloté sur le pas d’une porte abandonnée, essuyant une potentielle saleté ou poussière du bout des doigts. Dans les ombres, il n’était pas un fantôme – un esprit, peut-être, de murmures encore abstraits.

« … de force dans le silence, de douceur dans la démence, d’un doigt qui caresse un esprit fou de vengeance pour lui insuffler de la sérénité et ramener la vie. »

Le Dalatien, redressé, avait commencé à déambuler dans la venelle : autour de lui, tant de silhouettes bougeaient, comme si ses mots arrivaient à animer leurs désirs. Ses mains avaient commencé à bouger, écartant les danseurs qui ne lui plaisaient pas, faisant languir ceux qui ne désiraient que se mêler à cette parade. La légèreté de ses pieds aux souliers propres offrait une résonance particulière à ces cailloux qu’il tapait : celle des souvenirs au coin du feu, et des vibrations vénérables de l’ancien…

« Quand Elgar’nan avait vaincu le soleil destructeur, et que le monde était devenu sombre… il comprit qu’il ne pourrait jamais consoler la terre privée de son amour et de ses enfants. Et ses supplications ne suffirent pas à taire le brasier du dieu vengeur, car la vengeance jamais ne peut être repue – elle ne cherche que d’autres mets, comme le soleil lui-même, dans une course effroyable et éternelle. »

Des virevoltes, dans sa voix et dans ses gestes : il contait et dansait sans voir Taenar, sachant pourtant parfaitement qu’il se trouvait là, et où. Cela tenait peut-être du miracle qu’il ne passa jamais en elfique, mais resta en commun, tant Linnarel paraissait habité par son histoire : et il lui arrivait parfois de tendre les mains vers le ciel, prison des Evanuris, dans une prière silencieuse. Peut-être viendrait-on l’arracher à cette cage terrestre ?

« La mer est nourricière des larmes de la terre : c’est pour cela, je crois, que nos aravels sont semblables à des bateaux. Mythal entendit l’appel du cœur d’Elgar’nan, que celui-là-même refusait d’écouter, et émergea des eaux : et elle posa son doigt sur l’arcade du Vengeur. Et il comprit l’Amour. Alors Elgar’nan libéra son père le soleil, lui faisant promettre de revenir à la terre chaque nuit pour reposer le monde – et le soleil, puni et vaincu, accepta. Mythal et Elgar’nan rapportèrent la vie, et notre Mère forma le monde, de ses doigts miraculeux. Ses mains qui accueillent les elvens qui ont besoin d’une caresse pour apaiser leur colère, d’une étreinte pour éloigner leur tristesse, d’une gifle pour trouver la justice. Voici ce que raconte le Dit de Mythal au doux toucher. »

Et Linnarel se planta au milieu de la venelle, sur la pointe de ses pieds : assez loin de son auditoire pour, peut-être, paraître plus grand que lui ? Ses yeux se tournèrent vers Taenar, arrondis, brillants : son sourire ne pouvait pas briller sur son visage, car l’histoire sonnait avec tendresse ; mais, enfin, il transpirait de tous les pores du conteur. Et à lui de poser une question silencieuse :

Pourquoi ?




Il ne s’était jamais prétendu courageux et l’âge n’avait en rien diminué sa couardise. Étrange phénomène : moins il nous reste d’années à vivre, plus on a peur de les perdre. Peut-être qu’on reçoit à la naissance une quantité limitée de courage qui s’use à chaque écorchure.

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Au moment de dévoiler son prénom, rien ne lui échappe : ni le frisson qui en prolonge la consonne finale comme le plaintif tremblement d’une corde tout juste pincée, ni la répugnance qui froisse trop sensiblement ses traits délicats. Décidément, songe-t-il avec une secrète ironie, en voilà un qui se montre d’une expressivité sans indulgence. Par bonheur, il n’est pas vraiment susceptible, aussi suggère-t-il sans chercher à dissimuler son amusement – pas tout à fait dénué de sarcasme toutefois : « Si mon prénom vous déplaît tant, sentez-vous libre de m’appeler autrement. J’en prends le risque avec plaisir. » Quel risque ? Celui d’une mièvre poétisation, évidemment.

À cet instant, tous deux font une légère entorse à leur principe de prudence, et Taenar doit bien admettre qu’il y trouve presque, désormais, une façon de joindre l’agréable à l’utile. On ne veut pas qu’il parte, en dépit de tout ce qu’il peut avoir de déplaisant, et il y a quelque chose de fascinant, vraiment, dans cette façon d’ouvrir soi-même la gueule du loup pour se mirer dans le reflet de ses crocs. Lorsque le Dalatien consent à lui raconter l’histoire de Mythal, il devine au silence pensif qu’il a observé d’abord ce que son choix peut avoir de surprenant, et sans doute soupçonne-t-il ce que l’on aurait normalement attendu de lui : après tout, il a eu le temps d’apprendre ce que le commun croit pouvoir présumer d’un esclave tévintide.

Il observe chacun de ses gestes avec une attention d’esthète : sa manière précautionneuse de déposer le flacon d’encre sur le seuil d’une porte que nul n’ouvrira, la virevolte élégante de son corps pour s’approprier l’espace, se faire plus grand qu’il ne paraît, à la façon d’une ombre ; l’animation déliée de ses mains qui semblent composer et lire tout à la fois une invisible partition, l’auréole éclatante d’une assurance qu’il ne donne soudainement plus l’impression d’avoir usurpée, au point que Taenar se demande, sans dépit, s’il n’a pas tout simplement été joué jusqu’à maintenant. Il contemple religieusement la danse singulière comme on se repaît d’un moment de grâce, d’un phénomène proprement magique où Linnarel papillonne plus qu’il ne marche à fleur de sol – dont on ne sait plus bien s’il est fait de terre ou d’une eau mystérieuse qui donnerait sur un tout autre univers. Il croit par moments entendre la voix d’un autre – ou plutôt entend-il la sienne pour la première fois.

Cependant il perçoit aussi toute la fragilité d’une telle beauté, cassante comme une fleur de verre. Il suffirait de l’interrompre avec la cruauté d’un geste de la main, d’un détournement du regard, d’une volte-face détachée. Il n’en fait rien, bien entendu, car le conteur le captive autant que son histoire. Il se laisse volontiers prendre dans ses rets, pour un court instant qui acquiert les contours nébuleux d’une éternité. Une gifle pour trouver la justice, se répète-t-il enfin avec un sourire fugace. Il n’aurait pu espérer de conclusion plus appropriée que celle-ci.

Il le regarde longuement, croit entendre dans son silence le lent flottement d’un flocon de neige sur le point de se déposer – et de se liquéfier – sur le cœur soyeux d’un pétale. Il n’applaudit pas. Ç‘aurait assurément été une façon trop vulgaire d’exprimer une quelconque admiration ; rien qui ne soit à la hauteur du petit prodige auquel il vient d’assister – celui d’une métamorphose opérée sur soi-même. Il saisit la muette interrogation du Dalatien mais préfère le laisser, non sans malice, s’enferrer dans sa curiosité. Il se contente de déclarer : « Vous possédez de toute évidence un grand pouvoir. » Avant de s’incliner doucement : « Je vous remercie. » Est-ce tout ? Oui. Il a un regard par-dessus son épaule. « Je passe régulièrement dans ce quartier. » Une façon d’indiquer qu’ils se reverront sans doute, et qu’il le souhaite, très probablement. Son regard trouve de nouveau le sien : « Peut-être aurai-je un jour l’occasion de vous dévoiler ce que le dit de Mythal au doux toucher a pu signifier pour moi. Si vous vous laissez approcher à nouveau… » Il ne manque pas d’enjamber lestement la distance – et tout le monde – qui les sépare. « Et si vous ne tombez pas encore dans le piège de vos charmantes étourderies. » Il s’approche, tout près, se penche sur lui de sorte qu’il n’y ait plus entre eux que la longueur de leurs cils, puis achève de se révéler dans un murmure : « Il n’est pas certain que j’aie un souverain à faire rouler entre les pieds d’un marchand haineux pour vous sortir d’affaire, la prochaine fois. »

Il se redresse enfin, s’écarte en inclinant la tête dans un salut respectueux : « Je vous souhaite de faire bon usage de votre encre, Linnarel. Soyez prudent. » Il réprime un sourire entendu, se détourne après un ultime regard pour le flacon, puis pour le Dalatien, sans paraître s’interroger plus avant sur ce qui ressortira de tout cela.

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À l'encre de leurs yeux - ft. Taenar