Type de RP Classique
Chapitre concerné Chapitre 3
Date du sujet 12 Réconfort 5:13
Participants Loina et @Marigold
TW Violence physique
Résumé Une soirée à l'auberge de l'épée qui se veut sommes toutes, classiques. Des combats sont à prévoir, Loina espère appâter Marigold, d'une façon ou d'une autre.
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>12 Réconfort 5:13</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1912-le-seul-combat-perdu-d-avance-est-celui-qu-on-ne-livre-pas#23072">Le seul combat perdu d'avance est celui qu'on ne livre pas...</a></li></ul><p><u>Loina et Marigold</u> Une soirée à l'auberge de l'épée qui se veut sommes toutes, classiques. Des combats sont à prévoir, Loina espère appâter Marigold, d'une façon ou d'une autre. </p>[/code]

Le bruit des pintes qui s’entrechoquent. Les rires qui s’élèvent parmi les discussions animées. Derrière son comptoir, la naine a un mince sourire de contentement. Les affaires vont bon train ce soir et elle aime à sentir la bourse bien garnie qui tinte contre sa hanche. Ce poids la rassure et l’aide à dormir aussi bien que possible la nuit. Parce qu’elle n’oubliera pas. Jamais. Le spectre de la faim qui continue de rôder, malgré les années. Et elle sait qu’elle ne peut compte que sur elle-même pour remplir son assiette. Ô, des alliés, elle en a. Certains d’entre eux sont même devenus comme des amis avec le temps, même si elle les compte sur les doigts d’une main. Mais elle préfère … et bien, ne pas être déçue. C’est mieux pour tout le monde, elle en tête bien entendu.

Pour autant, les sourires qu’elle décoche à certains sont sincères et elle se fend même d’un rire la naine, quand elle entend certains habitués entonner une de leur chanson favorite. Possible même qu’elle se joigne à eux pour un couplet ou deux, avant de boire d’une traite la fin de la chopine qu’on lui a offerte. Le métal de la pinte claque contre le bois de ce comptoir qu’elle a rénové avec application et quelques gouttes volètent autour d’elle, alors que de son regard acéré, elle observe les quelques allées et venues derrière le rideau. Ils ne sont pas nombreux ce soir de ce côté-ci, mais suffisamment pour que les occupants de l’autre partie de son petit commerce puissent s’ébattre en toute tranquillité et sans risquer de voir débarquer les autorités.

Enfin, comme s’ils allaient perdre leur temps ici. Voilà qui serait bien inhabituel et ça, elle est prête à parier – et tout le monde sait à quel point elle aime ça – que jamais personne d’officiel ne passera la porte de son auberge. Son regard se lève quand une silhouette entre dans les lieux, sans y prêter plus d’attention que ça, alors que quelques pièces tintent sur le bois devant elle. A peine le temps d’aviser d’un coup d’œil si le compte y est, qu’elle doit frapper du plat de la spatule la petite main qui a tenté de chiper le magot. « Hep p’tiot ! Essaie encore et j’te garantis que tu perdras tes doigts à récurer mon plancher ! Et rentre chez toi, il fait nuit bon sang ! » Elle lui fait les gros yeux et le petit file en gloussant, à peine effrayé par le regard de la naine qui, au final, se contente de lever les yeux au ciel.

Finalement, c’est une autre silhouette familière qui attire son attention, alors qu’elle lance son torchon en direction de Mattie, la jeune femme qui la seconde depuis quelques mois. « J’te laisse gérer ici ! Crie si besoin. » Et voilà la blonde qui trottine entre les tables d’un pas assuré en direction de l’homme qu’elle connait assez bien maintenant pour dire qu’elle l’apprécie. « Marigold ! En v’là une bonne surprise qui va illuminer ma soirée. » Un coup d’œil à sa hanche, pour s’assurer qu’il ne vient pas les mains vides. « Enfin, j’espère bien. » Et, un mouvement de tête en direction de l’arrière-salle, alors qu’elle se fend d’un sourire complice. Après tout, la soirée ne fait que commencer.

La piaule craque : on s’agite à l’étage. Plancher qui grince, éclats de rire. Au loin, quelque part sur sa droite, au creux des entrailles fragiles du bouge, un nourrisson pleure. D’autres cris accompagnent les larmes, plus graves - un voisin fatigué ?

Avachi sur sa couche, épaules nues, Marigold grimace. D’une poussée, il se retourne, pivote sur son flanc, à la recherche d’un repos qui s’obstine à le fuir. Une heure de vagues somnolences ne sont pas parvenues à silencier le monstre qui gronde au fond de sa carcasse. Et les bruits ambiants, les hurlements, les gloussements, n’arrangent rien à la chose. Partout, l’irritation.

Un juron, tandis qu’il se redresse finalement sur la paillasse. Doigts qui glissent sur le visage fatigué alors que s’impose l’évidence : il ne dormira pas ce soir. Tant pis. Tant mieux. La défaite est consentie - Marigold n’est pas un guerrier très valeureux lorsque vient le manque. Reste toutefois à trouver, désormais, comment tromper l’ennui et la frustration.

L’aiguille, dans sa boîte, l’appelle de toutes ses forces.
Un gémissement.
Il a besoin de prendre l’air.

Est-ce l’habitude qui l’a conduit ici, ou le hasard ? Le plaisir, suspect, qu’il tire à la vue de l’enseigne trahit un semblant de préméditation : fripouille coupable, qui ne rougit pourtant pas de l’être. Voilà longtemps que le contrebandier a cessé de se prétendre différent de l’engeance qu’il fréquente. Même chair, même vices. Une autre forme de Chantrie.

L’auberge l’accueille par un puissant rugissement, alors que la porte se referme derrière ses talons. Et les muscles, déjà, se décrispent, comme la boule au fond de sa gorge. L’auberge vrombit autour de lui, véritable pandémonium pour les sens : l’odeur de l’alcool, les rires gras, la touffeur des corps qui se tendent, se gonflent, ploient, transpirent, éructent, chantent... Un spectacle familier, éprouvé au fil des mois, sinon des années, au gré des contrats et des rendez-vous. Il n’a pas planifié celui de ce soir, mais n’est-ce pas là tout le charme de la chose ? Ses démons ont l’avantage de l’imprévisibilité.

« Marigold ! » Une voix familière : Loina surgit de la foule d’ivrognes pour se hisser tout proche. Marigold lui rend son salut d’un sourire. « En v’là une bonne surprise qui va illuminer ma soirée. Enfin, j’espère bien.
― Je m’en voudrais de te décevoir. Marigold lui rend son salut d’un sourire. En vérité, je comptais sur toi pour illuminer la mienne. »

A-t-il besoin d’en dire davantage ? Gageant que non, Marigold retire la dague - et son fourreau - de sa ceinture et la tend à la naine. Elle sait.

« Il y a du monde, ce soir ? » glisse le contrebandier sans s’émouvoir du tapage de la foule voisine. Ce n’est pas cette faune qui l’intéresse. Celle qu’il convoite est ailleurs, dissimulée derrière les rideaux, qu’il caresse du regard. Et puis, reportant son attention sur la tenancière : « C’est bon de te voir, Loina. »

Il lui taperait bien dans le dos s’il ne craignait pas d’y laisser sa main.

Au début, elle n’y avait pas cru. Elle ne pensait vraiment pas que son idée tiendrait la route, qu’elle aurait du soutien. Elle se souvient encore de la première pinte qu’elle a servie, du premier bol de ragoût qu’elle a vendu. De ce sentiment de fierté à entendre les premières pièces tinter sur ce comptoir qu’elle n’avait pas encore retapé à l’époque. Et maintenant ? Elle peut se tenir la tête haute Loina. A voir ses habitués, à plaisanter avec eux. Sans compter cette petite arrière-salle qui emplit son cœur, bien qu’elle se refuse à admettre qu’elle en ait, d’une joie incommensurable. Parce que ça, c’est à elle. Elle ne le doit à personne. Mais elle n’oublie pas les ami.e.s. C’est aussi ce qui la fait sourire, qui la porte, cet entourage qu’elle s’est choisi et qui est bien loin de ceux auprès de qui elle a grandi. Et qui lui donnent envie de continuer. Pour eux. Avec eux. Malgré son caractère que certain qualifieraient de difficile.

Pourtant, il y a bien pire que Loina, à n’en pas douter. En tout cas, elle en est suffisamment persuadée pour ne pas avoir la moindre envie de changer quoi que ce soit à son comportement. Il faut dire que c’est aussi une nécessité. Pour assoir sa position et ne pas se laisser marcher sur les pieds, au sens propre comme au sens figuré.

Et, si elle est déjà de bonne humeur, apercevoir la silhouette familière de Marigold ne fait qu’accentuer cette impression que, ce soir, tout se passera bien. Son sourire se fait plus large à la réplique du contrebandier, alors que son regard se fait pétillant. « Oh j’vois ! Tu sais qu’j’aime les défis mon ami. » Elle récupère sans se faire prier son arme, mimant une révérence à peine exagérée et qui la fait paraitre encore plus menue que d’ordinaire. Ce qui l’amuse passablement, parce qu’elle sait que les gens se font toujours avoir par sa petite taille et sa bouille encore bien jeune. Elle parait souvent inoffensive et ils ne se rendent compte du piège que trop tard.

Ce n’est bien évidemment plus le cas de Marigold depuis longtemps. Il la connait bien et la naine a largement appris à l’apprécier. Même si, comme à son habitude, elle se refusera à l’admettre aussi clairement. On ne sait jamais ce qui pourrait arriver. La dague glissée à sa propre ceinture, elle aime à prendre soin des affaires des gens qu’elle apprécie et ne s’en cache pas, Loina souffle, non sans malice. « On dirait qu’t’as du nez. La salle est comble ce soir. Et ils ont les poches beaucoup trop pleines pour qu’on ne puisse pas rester ici sans rien faire. » Œillade complice, alors qu’elle désigne le rideau d’un mouvement du poignet.

Mais, aux paroles qu’il laisse échapper, la blonde a tout de même un temps d’arrêt et le fixe, avec un sérieux inhabituel, surtout en de telles circonstances, alors que la soirée bat son plein et que ses poches vont finir bien remplies. « … mmmmh t’as bu quoi avant d’venir ? Parce qu’on dirait que ça t’tape bien sur le système déjà ! » Réponse lâchée plus par réflexe qu’autre chose, alors qu’elle pose une main sur l’avant-bras de l’homme, ajoutant, d’un ton audible juste de celui à qui elle s’adresse. « T’sais bien que j’suis toujours heureuse de t’voir. Et qu’j’suis pas là juste pour te vider les poches. » Ce n’est pas son genre d’en dire plus, mais son regard parle pour elle. En tout cas, elle espère que c’est le cas, mais elle suppose que Marigold la connait assez pour comprendre autant les silences que les mots qu’elle a soufflés. « Alors… prêt à t’amuser un peu ? »

Et à passer le rideau. Celui où tout bascule. Où ils semblent passer d’un monde à l’autre, en quelques pas à peine. Son monde. A elle.

Une pression sur son avant-bras, comme un ressouvenir, le rappel palpable de la réalité de son corps ; Loina comme une ancre. La tempête hurle un peu moins, prise dans la chaleur de la naine, dans le bruit de l’auberge, l’énergie des corps qui l’entourent. Pas suffisant mais appréciable. Nécessaire. Comme les coups qu’il est venu chercher, ou le poison dans ses veines. « Merci. » lui brûle les lèvres, mais il se contente d’un sourire. Rassurant. Fatigué. Réel. « Bon. Et si on allait te rendre riche, hein ? »

L’épaule se dérobe sous son assaut, le buste se plie et c’est son monde qui change : un choc dans l’estomac - reflux dans la gorge -, un second dans les côtes - grimace. D’un grognement, ses muscles se chargent de la fureur épargnée - fort peu, le combat s’éternise et la fébrilité le guette - et c’est le coude qui fend désormais l’air. Omoplate, puis nuque, jusqu’à ce que la prise se relâche ; pas grand chose, quelques pouces, la latitude suffisante pour qu’un genou se libère… dans la mâchoire de son adversaire. Crac. L’homme s’effondre sous lui.

À bout de souffle, Marigold gémit, jambes flageolantes, alors qu’on porte assistance au malheureux qu’il vient de projeter à terre. Pas trop durement, il l’espère puis le constate, lorsque l’autre finit par se redresser, tout chancelant, pour rejoindre les bras secourables de quelque connaissance. Un dernier regard échangé : respect mutuel. Ils sont quittes.

On s’agite autour de lui, qui satisfait, qui défait, ronronnant ou désemparé, alors qu’il s’éloigne lentement de l’arène improvisée. Sans tout à fait réaliser comment, voilà qu’il se retrouve une bouteille d’eau-de-vie à la main, les fesses posées sur un banc voisin, à ravaler le goût du sang à grandes lampées d’ivrogne. De sang aussi, ses phalanges et son nez, copieusement rudoyé par les paluches adverses. Du dos de sa main, il éponge maladroitement la narine incriminée et, relevant le museau en direction d’une Loina qui s’approche : « Tu fais ta fortune sur le dos d’un vieillard. J’espère que tu as honte. »

Un clin d'œil, une nouvelle gorgée. Et une grimace. « Tu ne connaîtrais pas un bon rebouteux, par hasard ? J'ai peut-être perdu une ou deux côtes dans l'affaire. »

Il y a quelque chose d’improbable dans cette amitié qui lie Loina à Marigold. Des années les séparent, des chemins de vie totalement différents et pourtant qui ont fini par les amener au même endroit. Parfois – souvent – elle se demande ce qu’il a en tête, ce qu’il espère réellement en venant ici. Est-ce qu’il a vraiment envie de jouer des poings ? A son âge ? C’est surprenant. Mais ça fait aussi partie du jeu pour Loina, celui de ne pas demander aux gens le pourquoi ils font telle ou telle chose. Elle attend de voir qu’ils le fassent d’eux-mêmes lorsqu’ils le souhaitent. Par respect pour eux mais aussi pour éviter qu’on lui renvoie ses propres questions. Parler d’elle n’est pas en option, jamais. Ou alors, avec quelques rares personne qui savent comment naviguer dans les méandres de l’esprit de la naine.

Dans l’immédiat, elle préfère se concentrer sur Marigold et sur sa venue ici. Laisser de côté ces considérations qui, dans le fond, n’auront pas vraiment de réponse, pas ce soir en tout cas. Et elle se fend d’un large sourire. « J’compte sur toi ! »

Et les minutes s’égrènent. Les voix s’échauffent, les paris vont bon train. Les bourses vont se vider ce soir et ça, ça lui plait. Il n’y a rien qu’elle n’apprécie plus que d’entendre le bruit des pièces sonnantes et trébuchantes claquer sur le bois un peu collant des tables de son auberge. Mais là, elle est surtout occupée à voir Marigold en jeu. Et elle réprime une grimace, essayant de garder tant bien que mal une mine stoïque. Il ne faudrait pas qu’elle monte clairement qu’elle a une préférence pour l’un des participants, on pourrait lui reprocher de truquer la partie. Ce qui serait parfaitement son genre, ne nous leurrons pas. Mais pas comme ça, elle sait être plus subtile tout de même. Question de réputation.

Mais elle laisse filer un juron alors qu’elle a le sentiment, l’espace d’un instant, que l’adversaire de son camarade va perdre. Un soupir silencieux, soulagé, quand elle entend le craquement de … à dire vrai, elle s’en moque. Marigold l’a emporté et elle a un sourire satisfait. Evidemment lié aux pièces qu’elle récupère sans même laisser à ses interlocuteurs le temps de réfléchir. Chassant les importuns qui entourent l’homme d’un revers de la main, elle se rapproche de lui, le regard pétillant. « Viens là. » Index agité vers lui, alors que certains tapent dans l’épaule du receleur, visiblement impressionnés par le spectacle qu’il leur a offert. « Tu m’as épatée. Et c’pas souvent que ça arrive mon cher. » Autant le reconnaitre. « Assieds-toi. » Elle désigne un tabouret, plus pour qu’il soit à la bonne hauteur et qu’elle puisse aviser de son état qu’autre chose. « J’suis pas rebouteuse, mais j’suis à peu près sûre que j’peux t’arranger. J’te dois bien ça, j’ai ma bourse bien remplie grâce à toi ce soir. » Son sourire s’est fait plus large, alors qu’elle fait signe de loin à Mattie. Cette dernière disparait pour revenir aussi sec avec un petit baquet rempli d’eau et un morceau de tissu. « Promis, j’t’abimerais pas plus. Mais si tu continues, tu vas foutre du sang partout. »

Et, alors qu’elle attrape le tissu qu’elle imbibe d’eau, elle reprend, d’une voix plus douce et bien loin de son ton habituel. « Ca va ? Tu survivras ? » Tête penchée sur le côté, alors qu’elle avise tout de même son ami avec une lueur d’inquiétude qu’elle n’essaie même pas de cacher. « J’suis sûre que tes côtes sont toujours là par contre. Sans trop m’avancer évidemment. » Soufflé d’un ton plus malicieux, comme pour compenser le reste. Là aussi, c’est une question de réputation.

Le linge caresse sa peau, morsure humide et fraîche contre sa pommette, puis le profil du nez - déjà compromis, en témoigne l’angle particulier du tarin, auquel Loina, hélas, ne pourra rien faire. Marigold grimace sous la friction : le textile l’écorche, à la manière des phalanges de cet autre fraîchement envoyé au tapis. Du coin de l'œil, il le cherche, tandis que la naine le couve, rafistole la chair abîmée. Corps qui fout le camp, comme les années devant lui, et la viande humaine qui, déjà, se presse à nouveau au milieu de l’arène. Son sang n’a pas encore séché sur les dalles de l’arrière salle que de jeunes coqs entendent faire couler le leur, pour le plaisir d’un instant de gloire ou le tintement réconfortant d’une bourse pleine. Il ne les juge pas, serait d’ailleurs bien mal-avisé de le faire, tout cabossé qu’il est d’avoir trop vécu, trop ri, trop pleuré, trop trompé. « Ce n’est plus de ton âge. » Il se l’est maintes fois répété, la gueule burinée par des poings trop forts, avachi dans d’éternelles ruelles anonymes. Mais les gerbes de sanquette, les os brisés, les muscles mâchés n’ont jamais découragé cette pulsion malade, ce besoin stupide de se heurter, encore et encore, pour se rappeler au monde. Se rappeler son corps. Se rappeler aux autres. Exister au milieu de la tempête.

« ― Ça va ? Tu survivras ?
   ― Je crois bien. »

Loina se tient à ses côtés, la mine froncée, l'œil brillant. Inquiétudes et malice. Marigold y répond par un sourire fatigué, tandis qu’il cherche à redresser son buste, torse bombé pour en éprouver les recoins malmenés. La douleur qui lui vrille le flanc droit avorte rapidement son numéro de gros dur. Un grognement, et les épaules s’affaissent.

« Bon, qu’est-ce qu’on se dit ? Cinquante, cinquante ? Non ? Trente, soixante-dix ? Allez, quoi. J’ai sué sec pour le spectacle, ça mérite bien quelques pièces, non ?

À son tour de sourire, pour l’envie réelle de badiner plutôt que celle, absente ici, de négocier son salaire. L’argent ne le préoccupe pas ce soir : il est venu prendre des coups et voir une amie. La première affaire étant réglée, reste désormais la seconde.

« Au moins une pinte ? »

Il n’a jamais espéré davantage, et laisserait de toute façon son pactole à la naine si elle devait se laisser convaincre - quoi qu'il en doute franchement, cette pince. L’Enclin, après tout, n’est jamais loin, comme ses hordes de réfugiés et cette maudite Corneille, morte mais agitatrice. Marigold n’a pas besoin de coup de pouce pour faire tourner son commerce : l’archidémon et le Prince sont de redoutables promoteurs. Pour l’auberge de l’épée, en revanche…

« Comment vont les affaires ? Il y a eu une drôle d’agitation, ces dernières semaines… »

Un doux euphémisme, trahi par sa voix soudain plus sérieuse.

Elle peut le voir grimacer alors que c’est à peine si elle l’effleure. Et puis, il devrait être reconnaissant, elle est loin d’être aussi douce avec qui que ce soit en temps normal. De là à dire qu’il est une personne d’importance pour la naine, il n’y a qu’un pas qu’elle ne franchira pas. Elle n’a juste pas envie de le voir repartir dans un sale état et que ce soit trop visible. Certains dehors pourraient en profiter et Loina ne veut pas avoir ça sur la conscience. C’est d’ailleurs ce qu’elle dira aux quelques impudents qui oseraient l’interroger. Mais vu le regard qu’elle pourrait leur lancer, elle est à peu près certaine que personne n’osera trop s’approcher.

Un froncement de sourcils à la réponse du contrebandier alors que – peut-être – elle appuie un peu plus fort sur le linge l’espace d’un instant. « T’as intérêt. J’ai pas envie d’avoir d’problèmes si tu t’écroules dans mon auberge. Et encore mois envie d’trainer ton cadavre hors d’ici. » Non mais. Et puis quoi encore ? Du reste, elle réprime tout de même un sourire quand il tente de négocier sa part des gains. « Ah, t’as pris un coup sur l’râble on dirait ! J’ai b’soin de remplir mes caisses, j’suis qu’une pauvre naine moi môssieur ! » Soufflé d’un ton amusé qu’elle ne cherche pas à cacher avant de lever les yeux au ciel quand il continue. « Humpf… tu m’as quand même bien rapporté. J’peux te faire couler un peu d’mousse va. » Elle laisse tomber le tissu sur les genoux de son ainé avant de se glisser derrière le comptoir pour remplir deux pintes.

Si ce n’est pas dans ses habitudes de boire avec ses clients, Marigold fait office, une fois de plus, d’exception. Et il doit le savoir le sacripant. Le liquide ambré est poussé sous le nez du contrebandier alors que la mousse coule déjà le long du récipient en bois. La naine fait descendre un bon tiers de sa propre pinte avant de fixer son camarade, la mine songeuse. « Mmmmh… pourquoi cte question ? T’as peur que j’crève de faim en cours de route ? » Oh, ça pourrait après tout, mais Loina a plus d’un tour dans son sac et a toujours su quoi faire pour pallier aux désagréments qu’elle ne peut contrôler. « Vrai que tu saurais plus où trouver d’la bière et du ragoût d’première qualité si j’dois fermer boutique. » Hé, il y a des vrais morceaux de viande et des légumes presque de première fraicheur dans son ragoût, ses clients peuvent s’estimer heureux.

Mais au final, après avoir tourné autour du pot avec une subtilité digne d’un ours mal-léché, elle finit par laisser échapper un bref soupir. « Y a des jours plus faciles que d’autres. Mais t’sais que j’me débrouille toujours pour avoir c’qu’il faut et survivre. C’est pas tant pour moi que j’m’inquiète. » Elle se sait capable de survivre au pire. Elle l’a déjà fait après tout. « Et puis, les gens ont plus que jamais b’soin de boire pour oublier. Ou d’se battre pour s’prouver qu’ils sont vivants. » Ou de dépenser les quelques pièces qui trainent dans leurs poches dans ces petits jeux qu’elle aime à mettre en place. Elle y est toujours gagnante, même si parfois c’est juste un petit peu. Pour autant, elle reste songeuse, finissant par fixer longuement son ami. « Tu penses quoi d’tout ça ? » La question est vaste mais elle connait assez Marigold pour savoir que si elle est trop précise, il risquerait de passer sous silence certaines choses.