Type de RP Classique
Chapitre concerné Chapitre 3
Date du sujet 3 Réconfort 5:13
Participants Aethra et @Loina
TW Aucun
Résumé  Aethra se rend à l’auberge de l’épée où elle se rapproche de Loina, la tenancière, pour lui relater les derniers événements.
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>3 Réconfort 5:13</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1873-donner-des-ailes"> Aethra se rend à l’auberge de l’épée où elle se rapproche de Loina, la tenancière, pour lui relater les derniers événements.</p>[/code]

La soirée précédente avait été calme, et s’était même terminée sur une note légère. qui avait presque réussi à me donner espoir pour les prochains jours qui s’annonçaient pourtant bien lugubres. J’avais dormi assez peu, mes songes hantés par la malédiction proférée à l’encontre de tout Starkhaven. Pourtant, mes économies n’avaient jamais été mieux garnies. J’avais profité du chaos comme jamais, mais quelque chose me disait que la roue n’allait pas tarder à tourner. Les templiers étaient peut-être déjà lancés à notre poursuite. Je fis tourner l’anneau aux gravures étranges entre mes mains, quelque peu songeuse. La solution était-elle vraiment de s’isoler ? De rester terrés dans notre trou jusqu’à ce que les rats en soient dénichés ? L’expérience nous avait appris que ce n’était pas toujours la meilleure réaction à avoir. Parfois, l’entraide pouvait nous permettre de nous sortir d’un bien mauvais pas également.

J’avais eu envie d’aller voir ce matin-là comment Elendîs allait, sous couvert de ma forme féline, mais tous les regards étaient braqués sur le Laurier Carmin, si bien que l’approcher était forcément dangereux pour moi. Je m’étais résignée à retourner dans les bas-fonds de Clayrak, où je pourrais sans doute me payer le luxe d’un repas bien chaud ce midi, à l’auberge de l’épée. Loina, sa tenancière, s’était toujours montrée prévenante envers les chats errants comme moi. Et peut-être que je pourrais mettre la main sur Karl pour m’assurer qu’il allait bien ? Il traînait ses guêtres en permanence dans son établissement, là où il pouvait ressortir en ayant rapporté gros, et pas souvent de façon honnête.

L’ambiance était calme et détendue ce midi, rien à voir avec l’effervescence qui pouvait animer cette auberge à la nuit tombée. Mon regard balaya bien vite la salle principale sans voir mon ami de toujours. Peut-être était-il dans l’arrière-salle ? Il y avait plus de chance qu’elle soit fermée à l’heure actuelle. Je soupirai, résignée. Au moins, les quelques badauds présents pour le repas, ou attablés face à un jeu de carte, n’accordaient aucune importance à ma venue. Ils s’étaient tous habitués à ma présence, ma tignasse rousse n’attirait pas l’attention ici.

Je m’approchai de Loina qui essuyait des verres derrière le comptoir, lui avançant quelques pièces pour payer ma pitance, celles-là même que j’avais dérobé quelques jours plus tôt à une audience médusée devant un bûcher dont je ne pourrais jamais plus oublier l’odeur. « C’est suffisant pour un repas chaud et une bière ? » Lui soufflai-je, consciente que ça l’était à peine. « Les temps sont durs… » Me justifiai-je, comme à chaque fois. « Tu aurais vu Karl, hier ou aujourd’hui ? » Je voulais m’assurer qu’il allait bien. Parfois, il me fallait plusieurs jours avant d’obtenir des nouvelles de lui, et ça me rassurerait d’apprendre qu’il n’avait pas été mêlé aux derniers événements. « Tu as eu vent des dernières nouvelles ? »

La naine secoue la tête, repoussant son tabouret pour se relever et laisse filer un rire alors qu’elle ramasse les quelques pièces. « Vous êtes toujours aussi mauvais. Continuez comme ça, c’est bon pour mon commerce. » C’est de bonne guerre et les hommes lui rendent son rire, certains poussant même l’audace jusqu’à lui asséner une tape amicale sur l’épaule.  Geste rapidement freiné au regard de la blonde, alors que l’audacieux baisse les yeux. « Une pièce de plus pour la peine. Et sois content d’garder ta main mon gars. » Ladite pièce vole dans l’air et elle joue avec, laissant les clients reprendre leur partie de cartes alors qu’elle se glisse derrière le comptoir, non sans avoir récupérer plusieurs verres et chopes à nettoyer.

L’ambiance est bon enfant et Loina apprécie ces moments-là, bien loin de l’agitation lorsque la nuit est tombée et que les esprits s’échauffent. En journée, l’alcool ne coule pas autant à flot et les gens se sentent moins le besoin de se prouver qu’ils sont vivants ou capables de tout. Comme s’ils étaient plus capables de profiter du moment présent sans en chercher les limites. Et, si l’esprit joueur de Loina se délecte de ces soirées et de ce qu’elles peuvent lui apporter, ces moments de calme relatif sont loin de lui déplaire. Surtout quand elle récupère quelques pièces en passant. Tant qu’à faire, autant en profiter un peu non ?

C’est à peine si elle relève la tête quand la porte s’ouvre une nouvelle fois. Si le soir, elle est plus attentive, c’est surtout parce que l’arrière-salle est ouverte. Ce qui n’est pas le cas en pleine journée. Elle sait qu’elle ne doit pas pousser sa chance. Pas à ce point-là en tout cas, même si parfois, le frisson de l’interdit la prend. Et lui fait oublier ce qui se passe au-delà des murs rassurants de son auberge, de ce cocon qu’elle se plait à créer depuis quelques années. Elle est bien consciente que tout pourrait s’effondrer en un battement de cils et que la sécurité n’est qu’illusoire. Mais parfois, y croire un peu, ça ne fait pas de mal. C’est quand elle entend quelques pièces glisser sur le comptoir qu’elle remarque enfin la présence d’Aethra. Toujours aussi discrète, c’est à peine si elle a fait du bruit en s’installant devant elle. Ou alors, elle était bien trop plongée dans ses pensées, ce qui n’est pas totalement à exclure. « T’as une p’tite mine. » Lâché de but en blanc, sans même y réfléchir, alors qu’elle arque un sourcil en regardant les quelques pièces devant elle. « Aethra… » Soufflé à mi-voix, avant de reprendre, d’une voix plus douce. « On dirait qu’effectivement, c’est pas la joie. Tsais que je peux t’embaucher pour faire un peu d’ménager si t’as b’soin. » Et elle repousse les pièces en direction de la rouquine, levant les yeux avant de descendre de son petit tabouret, passant la porte de la cuisine pour revenir avec un bol de ragoût fumant qu’elle dépose devant la jeune femme. « J’préfère quand on m’paie en informations qu’en piécettes. » Tout en parlant, elle remplit une chope qu’elle lui tend, avant de hausser une épaule à sa question. « Karl ? Pas d’puis deux jours non. Mais tu l’connais, il réapparait toujours quand on s’y attend pas. Tu vas voir qu’il va débarquer tout crotté, pile poil quand j’aurais fini d’récurer mon sol. Il fait ça à chaque fois. J’suis sûre que c’est un talent caché. » Pour la peine, elle se sert aussi et fixe la rouquine un instant. « Les dernières nouvelles ? Tu pourrais être plus précise ? » Parce qu’il se passe toujours beaucoup de choses. Trop parfois.

La naine ne me remarqua pas immédiatement. Il lui fallut entendre le doux son des piécettes retentirent sur le comptoir – un son sans doute reconnaissable entre mille pour elle – pour que j’eus soudainement toute son attention. Je lui offris un sourire qui peinait à percer, quand elle constata les poches sous mes yeux et mon teint blafard… même si celui-ci avait toujours été là. Je n’avais jamais réussi à avoir ce teint hâlé des travailleurs acharnés de la cité… certainement pas sans raison étant donné mes activités nocturnes. Les premières heures de la journée étaient là pour se reposer, après une nuit à crapahuter à la recherche d’une fenêtre ouverte, ou d’un imprudent trop saoul pour se rendre compte qu’il lui manquait quelque chose sur le trajet du retour.

Pourtant, sa façon de murmurer mon nom fit naître l’ombre d’une hésitation dans mon regard. La somme avancée ne suffisait pas, c’était une certitude. J’espérais ne pas avoir eu à payer plus cher, en lui faisant le numéro habituel du chat errant, mais force était de constater que cette stratégie ne fonctionnait plus vraiment avec elle. J’eus une moue déconfite quand la tenancière me proposa de m’embaucher pour faire un peu de ménage. Mon regard s’échappa discrètement à la table des badauds occupés à jouer aux cartes, dont les rires goguenards nous parvenaient d’ici. L’un d’eux avait justement le regard braqué sur mon dos, d’ailleurs. « Ça dépend… à quel moment de la journée exactement ? » Soupirai-je, presque désemparée. Je n’étais pas contre un peu d’argent propre, contre quelques heures de dur labeur… mais ça m’arrangeait quand je pouvais me tenir à l’écart de la foule et me faire de l’argent facile sans attirer les soupçons. Ce qui m’arrangeait avant tout, dans l’immédiat, était de me retrouver sous la houlette de Loina qui me couvrirait si des chantristes tentaient de me mettre la main dessus. Nous n’étions à l’abri de rien, n’est-ce pas ? Je m’étais malheureusement faite remarquée, de la pire des façons. Et puis, m’occuper de quelques tâches ménagères me rappelleraient mon enfance au bordel de ma mère…

Mes yeux s’arrondirent sous le coup de la surprise quand Loina repoussa les pièces dans ma direction, avant de se lever pour me ramener un bol de ragoût encore bien chaud. Je ne me fis pas prier, récupérant le tout dans ma bourse, avant de me jeter sur le repas servi. Il ne faudrait pas non plus qu’il refroidisse !

J’en étais déjà à la moitié de mon repas quand une chope se rajouta à l’équation, me faisant lever la tête. J’haussai un sourcil dubitatif, mais sans bouder mon plaisir, en prenant de grandes gorgées avant de faire face de nouveau à Loina. « Si ce sont des informations qui t’intéressent… » Moi, ça m’allait. Je n’aurais pas à faire le ménage. Mieux encore, je pourrais garder mes pièces de bronze et me racheter de nouvelles bottines en meilleur état avec.

Ironiquement, ce fut la tenancière qui m’informa en première. Karl n’était pas passé depuis deux jours chez elle. C’était ennuyeux… où pouvait-il bien être ? J’espérais qu’il ne se soit pas fourré dans les ennuis en notre absence, même s’il était sans doute mieux qu’il se tienne un peu loin de nous. Qui sait ? Aiden et moi finirions peut-être bientôt avec nos deux têtes griffonnées sur un avis de recherche, mentionnant le nom de la Corneille… Le souvenir de la guerre des Rats n’était pas encore si loin. Nous savions très bien comment ce type de vendetta commençait : avec des innocents mis aux piloris. « Tu n’étais pas là quand la Chantrie a brûlé leur Corneille ? » Visiblement pas. « Ils étaient si persuadés de tenir la responsable… et elle était si terrifiée. » Je me replongeai dans ces souvenirs, plein d’une cruauté sans égale à mes yeux envers ceux de mon espèce. Les mages.

Je tus cet élan de compassion envers la Corneille, sachant très bien qu’il ne serait pas partagé par Loina, ni par d’autres. Ils seraient nombreux à se dire qu’elle l’avait cherché, que c’était bien fait pour elle… et que si ce n’était pas la Corneille, au moins, ce serait une mage de moins sur ces terres. « Au moment de mourir, au lieu d’entendre ses cris d’agonie s’élever, c’est une malédiction qu’elle a proférée à l’encontre de Starkhaven toute entière. En quatre étapes. » Je marquai un silence, tentant de me remémorer. « La pestilence qui jettera Starkhaven à genoux. La destruction de nos murs pour laisser entrer le chaos et la mort. La destruction du Cercle qui répandra magie et démons. Et puis… La chute des Princes Vaël. » Je tremblai encore sous ces menaces, comme bien d’autres au moment où elles avaient été prononcées. « Peu de temps après, on apprenait que l’eau avait été contaminée par la Souillure. Des symboles de Corneille étaient gravés sur le Laurier Carmin, des plumes laissées un peu partout… et les responsables impossibles à trouver. » Je marquai un silence, assez grave. « Aiden pense qu’il s’agit d’une secte, moi d’un démon. Il y en a un qui est apparu sur la grande place après le décès de la soi-disante Corneille. La vérité se situe peut-être à mi-chemin entre les deux, avec une secte qui œuvre pour le compte d’une entité démoniaque. »

Loina n’aime guère donner le sentiment qu’elle se soucie trop des gens qui l’entourent. Qu’elle s’inquiète quand ils ne passent pas durant plusieurs jours, quand ils débarquent le visage amaigri ou le regard voilé par des inquiétudes toutes légitimes dans un monde parfois bien trop cruel pour ceux qui ont le malheur de s’y perdre. Pour autant, elle sait qu’elle ne fait guère illusion. Que ce soit la poignée de garnements qu’elle traine toujours avec elle, faisant mine d’être agacée par leur simple présence, ou ces bols de soupe qu’elle remplit un peu trop, contre trop peu de pièces. Peu importe dans le fond. Elle affirme qu’elle y trouve son compte et tout le monde fait mine de la croire.

Le principal, c’est que son commerce tourne et qu’elle soit capable de ce genre de petites choses. Elle est bien consciente que ce n’est qu’une goutte d’eau dans un océan beaucoup trop vaste. Mais chaque petit geste, chaque attention à son importance. A ses yeux en tout cas. Alors, quand elle voit ces pièces de cuivre trainer sur le comptoir, elle a du mal à réprimer un soupir. Mieux vaut se cacher derrière son allant habituel alors qu’elle cherche le regard de la rouquine. « Ca dépend. A quelle heure tu peux être dispo ? Si c’est pour l’heure d’bouffer, j’ai déjà Mattie qui dort trop longtemps à mon goût, j’passe mon tour. » Elle se retient de souffler un mon petit, bien consciente que la demoiselle n’est plus jeune qu’elle que d’une paire d’années. A peine plus en tout cas.

Et puis, de toute façon, même un coup de balai ne l’intéresse pas vraiment. Elle préfère quelque chose qu’elle pourra troquer. Et elle pourra toujours exploiter un ou deux soulards qui n’aura pas eu de quoi payer la note si elle n’a pas la foi de le faire elle-même. Réprimant un sourire en coin à la vitesse à laquelle Aethra range les pièces, elle ne peut s’empêcher de rétorquer, d’un ton amusé. « T’es douée pour faire disparaitre la m’nue monnaie dis donc. J’pourrais même t’embaucher pour ça. » Parce que les regards se perdent souvent ailleurs lorsqu’ils jouent. Et que peut-elle y faire s’ils ne font pas attention à leur tas de pièces ? « Mange plus doucement, tu vas être malade. Promis, l’bol va pas disparaitre d’sous ton nez. »

Croisant les bras et observant la jeune femme avec attention, elle lui lâche une bribe d’information sur Karl. A dire vrai, elle n’en sait guère plus le concernant, mais elle ne s’en inquiète pas outre mesure. Ce n’est ni la première, ni la dernière fois qu’elle ne le voit pas pendant plusieurs jours d’affilée. « J’ai entendu que ça s’agitait dans tous les sens, mais j’suis pas allée voir d’moi-même non. Pas qu’ça à faire. » Secouant la tête pour ponctuer ses propos, la naine se contente d’un grognement à la description de la Corneille. Elle n’a pas particulièrement envie de plaindre celle qui a visiblement mal fini, sa compassion envers les mages étant plutôt limitée. Elle n’ira pas jusqu’à dire qu’elle est inexistante, juste se moque-t-elle bien de leur sort en tant que Mage. Mais s’il s’agit de quelqu’un qu’elle connait, qu’elle apprécie, peut-être changera-t-elle d’avis.

Du reste, elle laisse échapper un hoquet, son regard s’écarquillant à mesure qu’Aethra liste les quatre malédictions proférées par celle qu’ils ont exécutée. Nouveau grognement, alors qu’elle attrape la chope vidée de la rousse et qu’elle la remplit de nouveau, avant de faire de même pour elle. Ce n’est pas dans ses habitudes, pas aussi tôt dans la soirée mais là, c’est du lourd. Et elle dépose une tranche de pain sans faire de commentaires avant de laisser filer un profond soupir. « J’ai entendu des rumeurs sur les malédictions. Mais personne a trop osé les énoncer à haute voix. Comme si ça portait malheur. » Une vague grimace pour ponctuer ses propos, alors qu’elle ajoute, non sans loucher sur sa chope. « Maintenant que j’les entends, j’peux comprendre qu’ils avaient pas envie d’en parler. » L’incident au Laurier Carmin est gravé dans un coin de son esprit, alors qu’elle note d’aller rendre visite à Vera pour s’assurer qu’elle va bien. Pour la pérennité de leur alliance commerciale, bien évidemment. « Tu dis la soi-disante Corneille… tu penses que c’était pas le cas ? Vu c’qu’elle a balancé, tu crois que c’était qui au juste ? Ou quoi ? » Forcément, elle est curieuse Loina, surtout qu’elle n’a pas particulièrement envie de voir Starkhaven à genoux. Etonnant, n’est-ce pas ? « Et… ça impliquerait quoi alors ? Une secte qui bosse avec un… ton truc démoniaque là. » Un frisson lui parcourt l’échine et elle inspire longuement, pas vraiment jouasse à l’idée de ce qui pourra leur tomber dessus.

« Tôt. » Lâchai-je sans détour. « Très tôt, même. » Loina ne serait pas déçue, je ne risquais pas encore de dormir à une heure si avancée de la journée. Je finirais à peine mes petites rondes de la nuit, sous forme féline ou non, avant de rentrer avec mon butin en main. Si je pouvais passer par chez elle pour me faire oublier un peu, c’était encore mieux. Et surtout, je ne croiserais pas ses invités bien trop alcoolisés à mon goût, à une heure tardive de la soirée. A cinq heures du matin, tout le monde dormait, mais c’était l’heure de sortie pour tout félin qui se respectait. Je n’aurais plus ensuite qu’à dormir le reste de la journée, c’était un rythme parfait. J’aurais même quelques pains chauds venant à peine de sortir du four pour le trajet du retour. « Je passais mon temps à faire le ménage au bordel où ma mère travaillait autrefois. Tu n’auras pas besoin de me montrer comment faire non plus. » L’échange devrait être plutôt satisfaisant pour les deux parties. C’était également le moment de la journée où son auberge avait besoin d’un bon coup de balai, après une soirée arrosée la veille.

Mon expression se fit cependant plus grimaçante quand elle me proposa un travail bien moins honorable, en remarquant ma facilité à faire disparaître très rapidement toute monnaie de sa vue. Je partageais déjà mes gains avec Aiden… et je n’avais pas vraiment envie de mettre un pied dans le Carta. Son patron n’avait pas les mages à la bonne, ce qui me rendait immédiatement méfiante dès qu’il était dans les parages. Et Loina non plus d’ailleurs… son grognement réprobateur à la mention de la mage lancée sur le bûcher de leurs convictions ne m’avait pas échappé. Je n’en montrais pourtant rien, me faisant discrète sur le sujet.

Je tentais de ralentir le rythme sur la nourriture, comme elle me le demandait, mais c’était peine perdue. J’avais été élevée avec ce sentiment persistant qu’on allait me retirer ma pitance dès que je ne la guettais plus. Un sourire ravi vint illuminer mon visage quand Loina me récompensa de mes informations par une belle tranche de pain, accompagné d’une autre pinte de bière. Je repartirais de son établissement le ventre bien plein.

« Pour moi, ce n’était qu’un bouc émissaire… la Chantrie a simplement pris la première mage apostate qui leur venait sous la main, comme pour exorciser un mauvais sort. » Je fronçai le nez, pesant soigneusement mes mots pour ne pas attirer l’attention sur moi. « Et si c’était une engeance démoniaque qui aurait pris le contrôle de son corps ? Elle avait l’air bien trop terrifié pour subitement prendre la parole avec assurance et maudire toute une assistance médusée. On a bien vu un démon en jaillir ensuite… » Je marquai un silence. « Ils sont forcément plusieurs, pour en avoir profité pour empoisonner l’eau et laissé leur trace sur les murs du Laurier Carmin. Il n’y a pas qu’une responsable. Et ça risque de sentir mauvais pour les affaires de tout le monde, pas seulement celle du Laurier Carmin. » On devrait certainement se serrer les coudes. Les ennuis ne faisaient que commencer.

Peut-être que, pour une fois, elle peut se permettre d’être moins subtile. En soit, elle n’a pas vraiment besoin de l’aide d’Aethra. Mais si ça peut permettre à Mattie de dormir quelques heures de plus le matin et à la rouquine d’avoir un estomac bien rempli, tout le monde y gagne non ? Après tout, la seule qui pourrait se prévaloir d’un préjudice, ce serait la naine. Et dans la mesure où il s’agit de son idée, elle ne peut guère s’en plaindre. Bon, évidemment, elle le fera tôt ou tard, grommelant que ce serait plus rentable pour elle de tout faire elle-même. Question de réputation, même si personne ne la croira.

C’est pourquoi elle rend un sourire satisfait à Aethra quand elle lui parle d’être disponible très tôt. Sans parler du reste. « Parfait. Tu m’passes un coup d’balai l’matin, après qu’tout le monde soit parti et avant qu’Mattie descende. En échange, t’auras droit à du pain et un bon bol d’ragoût tous les jours. T’en dis quoi ? » Que c’est trop cher payé ? Probablement que oui. Mais c’est elle qui propose l’échange, alors aucune raison que qui que ce soit s’en plaigne. Elle se rend bien compte que c’est pousser la confiance envers la rouquine jusqu’à lui donner des clés et un accès total à son auberge, sans personne pour la surveiller. Mais ça fait aussi partie des risques que Loina est prête à prendre. L’essentiel restera inaccessible de toute façon.

Elle ne manque pas de remarquer la remarque et surtout l’absence de réponse quand elle lui propose autre chose de moins recommandable. Soit, elle ne préfère pas insister à ce sujet. Un pas à la fois comme elle aime à le dire. Et peut-être que de voir quelqu’un œuvre de façon totalement licite dans son auberge pourrait inspirer ses garnements. Tout peut arriver après tout. D’autant que, dans l’immédiat, toutes les informations que lui donne Aethra l’importent bien plus que le reste. Elle écoute, fronçant parfois les sourcils, essayant – sans toutefois y arriver suffisamment à son goût – de comprendre toutes les implications de cette histoire, notamment pour sa propre existence et celle de ses proches.

Un temps, alors qu’elle boit quelques gorgées de la bière qu’elle s’est elle-même servie. « J’veux bien croire que la Chantrie ait fait ça, surtout pour nous faire croire qu’ils ont arrêté la bonne personne. » Ce ne serait clairement pas une surprise. « Mais tu crois qu’ils ont arrêté d’chercher ? Ou qu’ils espèrent juste que… ça a dissuadé l’coupable ? » C’est bien évidemment le reste qui l’effraie, même si elle préfèrerait qu’on lui arrache la langue plutôt que d’être obligée de le reconnaitre. Tout comme d’être obligée de reconnaitre ses lacunes cuisantes en matière de magie. « Et… imaginons qu’t’as raison ma grande. S’passe quoi avec ce démon maintenant ? Y s’balade où ? Et il fait quoi ? » Un frisson lui parcourt l’échine, alors qu’elle l’imagine sautant d’une personne à l’autre, obligeant les habitants de la ville à la défiance la plus complète ne serait-ce que pour éviter le pire. Et une nouvelle grimace, alors qu’elle pose une autre tranche de pain devant l’assiette de la rouquine sans même s’en rendre réellement compte. « Mmmh… plusieurs ? Tu penses à combien d’personnes ? » Et que ça sente mauvais pour les affaires fait bien évidemment tiquer la naine. « … mauvais à quel point ? » Un silence, alors qu’elle observe la jeune femme avec une attention accrue. « Tu penses qu’on pourrait faire quoi ? » Elle ne laissera clairement pas tomber Vera et pas uniquement au nom de ce soutien mutuel qu’elles ont eu au moment où elles ont monté leur commerce. Cette amitié un peu atypique et peu connue est quelque chose d’important pour elle. Alors, si elle peut aider, à sa façon, elle n’hésitera pas.

« Une bière en plus, et c’est parfait. » Est-ce que j’abusais un peu ? Peut-être, mais on n’obtenait rien sans chercher à négocier. Ça valait le coup de tenter. La proposition de Loina était intéressante. Je risquais d’être plus fatiguée qu’à l’accoutumée en rentrant le matin, mais je serais au moins assurée d’avoir le ventre plein une fois par jour. Je prendrais certainement moins de risques dans mes vols nocturnes avec cette assurance-là.

J’avais conscience de m’engager auprès de Loina me mettait un pied dans le Carta, même si la naine gérait son établissement comme elle l’entendait. Je me poserais des questions plus tard à ce sujet, faisant l’impasse sur l’argent sale qu’elle me proposait également de me faire. Je n’étais pas certaine de vouloir intégrer les rouages d’une organisation qui avait autant les mages en horreur. Je ne voulais pas être la prochaine Corneille que certains chercheraient à brûler sur la place publique.

« La Chantrie doit s’inquiéter également de cette prophétie. Elle a sûrement conscience que la mage que les templiers ont brûlé ne pouvait pas être responsable de tout ce qui a pu se produire en ville simultanément. La traque doit continuer, sans qu’on le sache. » C’était bien ce qui m’inquiétait, précisément. Et si j’étais la prochaine ? Un frisson me parcourut l’échine rien qu’à cette idée. « Je ne veux pas risquer une nouvelle Guerre des Rats, et toi ? » Après les elfes, les mages… dès que quelque chose de grave se produisait, toujours les mêmes se retrouvaient accusés.

Loina s’inquiétait davantage d’un démon qui pourrait se promener librement dans la nature et provoquer d’autres problèmes. Je me retenais fortement de trop en dire, pour ne pas donner l’impression que j’en savais plus que le commun des mortels. « J’imagine qu’il va trouver quelqu’un d’autres à corrompre et à posséder ? Ou qu’il se contente de prêcher sa parole auprès de son culte ? Je n’en ai aucune idée, en vérité. » Les démons étaient une menace intangible, la plupart du temps. Si on avait vraiment affaire à l’un d’entre eux, l’affaire se révélerait bien plus corsée. Mais on ne pouvait pas vraiment ignorer les ravages qu’il risquait de causer, car nous serions les premiers à trinquer. « Ils sont peut-être des dizaines. Il y avait des plumes partout autour du Laurier Carmin, comme si quelqu’un les avait posés là, après avoir dessiné la Corneille sur ses murs… » Je croquai dans la nouvelle tranche de pain qu’elle venait de me remettre, avant que Loina ne change d’avis et ne me la reprenne. « Et comment on contamine l’eau, d’après toi ? »

Je marquai une pause, avec un silence grave. Loina me demandait comment nous pourrions agir, comme si on avis avait réellement de l’importance et pouvait faire pencher la balance pour elle. Je n’avais pas pris le temps de bien y réfléchir, concentrée sur le fait de me faire le plus discrète possible après avoir mené l’enquête… en vain. « Il faut trouver la Corneille avant la Chantrie pour pouvoir la cuisiner. Il s’agit d’un vaste réseau qui agit dans les mêmes franges de la société que nous, non ? Et puis… il faudra peut-être se prévoir un point de repli, juste si la situation dégénère en ville, tu vois ? Avec l’Enclin, la Souillure… » Et cette nouvelle Guerre des Rats qui nous pendait au nez.

Elle se fend d’un rire quand Aethra tente de rajouter une bière à la proposition déjà plutôt généreuse qu’elle vient de lui faire. « T’as d’la chance, j’aime les gens culottés. On va tester quelques jours comme ça et, si tu fais bien l’boulot, t’auras ta bière. » Ca lui parait être un échange tout à fait équitable et qui ne lui coûtera pas grand-chose de plus. Surtout qu’elle n’est clairement pas à une pinte près dans son auberge et que la rouquine la chance de faire partie de ces quelques personnes que Loina apprécie. Sans même chercher à s’en cacher, ce qui joue d’autant plus en sa faveur vu qu’elle n’abuse pas. Pas trop en tout cas.

Sans compter qu’elle est une véritable mine d’informations. Si Loina entend bien souvent des rumeurs quand elle est campée derrière son comptoir ou qu’elle déambule entre les tables de ses habitués, bien souvent, il n’y a là que parole d’ivrogne et il est parfois compliqué de démêler le vrai du faux. Et elle n’imagine pas Aethra lui raconter n’importe quoi, juste pour le plaisir. Elles ont toutes les deux mieux à faire, sans compter qu’elle se doute que l’aubergiste n’apprécierait pas d’apprendre qu’elle l’a menée en bateau.

Toujours est-il que les paroles de la jeune femme la laissent passablement songeuse. « Ils ont toujours quelqu’un à traquer d’façon. Mais j’suis d’accord avec toi sur un point. Elle peut pas avoir fait ça toute seule. J’ai entendu les gens. T’en as un paquet qui sont contents d’voir qu’elle a cramé, persuadés que ça suffira. » Mais ça ne suffit jamais avec ces satanés mages. Une grimace à cette pensée, qui se fait plus prononcée aux paroles d’Aethra. « La guerre, c’pas bon pour le commerce. Même si les gens viennent se saouler davantage, c’est surtout un coup à c’que la ville soit encore en ruines. Et qu’il y ait toujours plus d’orphelins dont personne s’occupe. » Cette pensée lui arrache un froncement de sourcils. La rouquine a pu voir les chenapans trainer plus d’une fois autour de l’auberge. Et Loina ne se cache pas vraiment du fait qu’elle les héberge depuis trop longtemps pour continuer de faire croire que c’est temporaire. Sans compter qu’elle songe réellement à faire plus. Sans se mêler de la vie politique de la ville, ce n’est clairement pas sa tasse de thé – ou sa pinte de bière plutôt. Mais leur offrir un toit sûr, où ils n’auraient pas à s’inquiéter de savoir s’ils peuvent ou non fermer l’œil, leur rappeler qu’il y a au moins un endroit où ils n’ont pas à craindre de qui que ce soit.

A cette pensée, elle laisse filer un soupir silencieux, avant de se concentrer sur le reste, le plus grave à ses yeux. L’idée qu’un démon puisse prendre possession du corps et de l’esprit de quelqu’un lui déplait fortement, quand bien même il s’agirait d’un mage. « Dis-moi… ils s’en prennent qu’aux adultes hein. Enfin aux mages aguerris ou un truc du genre… » Elle fronce les sourcils, espérant que son inquiétude sera vite étouffée dans l’œuf. Jusqu’à présent, elle ne s’était guère souciée de ça, laissant les problèmes des mages… aux mages justement. Tant pis pour eux si l’un des risques à pratiquer leur magie était de se faire posséder. « Tu m’rassures pas vraiment hein, tu l’sais ! » Soufflé d’un ton bourru avant qu’elle ne grimace de plus belle au reste. « Ca fait beaucoup quand même. » Un grognement en réponse quand elle lui demande comment on contamine l’eau. « Ca m’plait pas du tout cte chose, j’te le dis tout net. » Parce que sa bière, elle se fait aussi à base d’eau.

Mais elle voit qu’Aethra semble vraiment réfléchir à ce qui peut être fait. Ca la rassure. Un peu. Ca lui rappelle aussi qu’il y a des gens plein de bonne volonté et qui ne cherchent pas juste à semer le chaos autour d’eux. « Mmmmh… c’pas une mauvaise idée c’que tu dis ma grande. Tu saurais comment la r’trouver ? J’peux t’aider si t’as des pistes ou des idées. » Du reste, elle se fait à son tour plus songeuse. « Tu voudrais quitter Starkhaven ? T’es du coin toi ou pas ? » Parce qu’elle connait le monde en dehors de ces murs et, dans l’immédiat, elle se demande s’il y a un endroit où elle aurait envie de se réfugier.

« Qui ne tente rien n’a rien. » Soufflai-je dans un sourire. J’arriverais à me faire offrir cette bière d’une manière ou d’une autre, mais je préférais qu’elle vienne de Loina plutôt que d’un client trop entrepreneur. Le risque encouru que la situation dérape était moins grand. Je ne voudrais pas tâcher de sang le parquet que je viendrais de laver avec grand soin…

Enfin, bière ou pas, ce repas en paiement restait un bonus. Travailler à la taverne de Loina me permettrait avant tout de me faire discrète quelque temps, de ne pas attirer davantage l’attention sur moi. C’était la raison principale pour laquelle je n’acceptais pas de lui rendre plus de services. Plonger à nouveau dans l’illégalité en menant quelques vols, en apparence faciles et peu risqués, risquait d’attirer l’attention sur moi. Je ne pouvais plus me permettre la moindre erreur. « Tiens-moi au courant si tu en apprends plus sur Karl. » Lui rappelai-je, mon inquiétude pour mon ami apostat toujours bien présente. J’étais avant tout venue pour échanger quelques informations avec elle. Et la naine me retenait un peu plus longtemps en espérant en obtenir un certain nombre de moi en échange également. Cette relation donnante-donnante avait encore de beau jour devant elle.

J’eus une moue grimaçante au rappel cuisant de la Corneille brûlant vive sur la grande place publique. Le peuple était toujours soulagé de voir partir en fumée ce qu’ils ne parvenaient pas à comprendre… et la Corneille représentait tout ce qu’on leur avait appris à craindre et mépriser. A mes yeux, elle ne restait qu’un bouc émissaire de plus, bien vite trouvé par la Chantrie. S’ils avaient attiré à eux le courroux de démons ou d’adorateurs… peut-être ferais-je simplement mieux de ne pas me tenir en travers de leur route ? Pourtant, ces promesses de mort nous concernaient tous. Je ne pouvais pas vraiment les ignorer. Et Loina non plus. « Les mages sont plus sensibles à la possession démoniaque, mais une fois qu’ils seront à nos portes… » Je ne poursuivis pas cette phrase. Je ne voulais pas risquer de trop en dire, d’étaler une connaissance trop poussée concernant les engeances démoniaques. Je savais les risques encourus, mais ce n’était pas toujours évident de les communiquer autour de moi sans éveiller la méfiance de ceux que je cherchais pourtant à mettre en garde. « Je ne veux pas t’inquiéter, Loina, mais on dit que les mages les plus dangereux sont ceux qui révèlent leur magie à l’adolescence, car ils ne contrôlent rien du tout. Si l’un de tes orphelins a des prédispositions, le Cercle saura le détecter. » Les inquiétudes de Loina étaient davantage alimentées par le sort des orphelins. La naine bourrue était touchante par bien des aspects. Je ne pus m’empêcher de lui sourire avec un peu de tendresse retrouvée. J’avais été orpheline, moi aussi. Et… la magie avait tout emportée. Si Aiden ne m’avait pas tendu la main, puis les Corbeaux ensuite, que serais-je réellement devenue ? « Tu n’as jamais songé à financer la construction d’un orphelinat ? »

J’avais visiblement réussi à l’inquiéter assez pour qu’elle me propose son aide pour retrouver cette satanée Corneille. Malheureusement, j’étais à court d’idées pertinentes. « Demande à tes orphelins d’ouvrir l’œil. Ils doivent chercher des dessins de Corneille sur les murs, des plumes noires répandues comme une traînée… ou des mots laissés. Peut-être que mis bout à bout, toutes ces pistes nous conduiront au même endroit. » Je la fixai avec sérieux. « Mais surtout, mets-les en garde de ne pas s’aventurer trop loin seul. Viens plutôt me chercher. »

On aurait pu s’en tenir là, mais la discussion dériva sur mes origines. Je n’avais jamais songé à quitter Starkhaven, mais nous n’aurions peut-être plus le choix sous peu. J’enserrai dans le creux de ma main le pendentif en forme de dragon, subitement pensive. « J’ai passé plus de la moitié de ma vie ici. Je ne me verrais pas retourner à Tévintide. Et toi non plus, n’est-ce pas ? Même si l’Enclin est à nos portes, l’idée même de retourner auprès des tiens est exclue non ? »

Le coin de ses lèvres se soulève de nouveau à la remarque de la rouquine. Encore une fois, Aethra fait preuve de cet aplomb que la naine apprécie. Qui l’amuse même. Alors, sans un mot de plus, elle fait glisser une tranche de pain en direction d’Aethra. Elle a plus besoin de manger que de bière malgré tout. « T’as bien raison. Sur un malentendu, tu peux même avoir bien plus que c’que tu imaginais. » Mais au moins, elles ont un arrangement qui semble leur convenir à toutes les deux. Peut-être un peu plus à Aethra qu’à Loina mais qu’importe. Le travail sera fait et probablement trop payé, mais c’est le problème de la naine ça.

Un bref hochement de tête à l’évocation de Karl. « Tu l’connais. Il va revenir la bouche en cœur, me balancer des fadaises sur ses dernières aventures et j’vais encore m’laisser avoir. » Parce qu’il sait comment lui parler, qu’elle soit la patronne ou non. Et qu’ils savent tous les deux qu’une soirée où Karl joue est une soirée où les pièces rentrent dans les caisses de l’auberge. Ce qu’elle ne peut pas négliger. Même si l’envie de lui coller un coup de pied aux miches grandit à chaque jour sans nouvelles.

Et si elle fait mine de ne pas vraiment s’y intéresser, l’aubergiste écoute chacune des paroles d’Aethra avec attention. Pas pour elle en vérité, mais parce que ça l’inquiète. Et si un des petits développait des dons magiques ? Comment ferait-elle pour gérer tout ce fatras ? S’il y a bien quelque chose qu’elle ne connait pas et qui l’effraie, c’est cette satanée magie. Et là, la rouquine arrive à mettre des mots sur une source d’angoisse qu’elle aurait préféré ignorer. Un grognement en réponse, alors qu’elle finit par bougonner, essuyant un des brocs de bois avec trop d’application pour que ce soit totalement anodin. « Imaginons qu’ça arrive. Pour un des petiots. Faudra forcément l’remettre au Cercle ? » L’idée lui déplait fortement, évidemment. Mais elle préfère anticiper avant que le problème lui tombe sur le coin du museau sans qu’elle puisse y faire quoi que ce soit.

« Un orphelinat ? » A cette question, elle bat des cils, oubliant même ses efforts pour paraitre revêche en toutes circonstances. Et elle hésite, laissant filer un silence, avant de souffler, d’un ton bourru. « J’ai autre chose à faire que d’m’occuper des orphelins. J’en ai assez dans les pattes. Mais ptet que j’me disais que d’retaper quelques maisons et les laisser les occuper, pour qu’ils aient un toit sur la tête, ce serait une bonne idée. » Ce n’est pas une idée d’orphelinat, qu’on se le dise. Elle veut que ces gamins soient indépendants. Et peut-être ouvrir ces deux maisons qu’elle veut retaper à d’autres. Tous ceux qui en auraient besoin dans le quartier. Et ils sont passablement nombreux. Assez pour que Loina s’en inquiète, assez pour qu’elle se rappelle ses propres difficultés une fois loin de l’obscurité des Taudis d’Orzammar et livrée à elle-même.

C’est une nouvelle grimace qui répond à Aethra quand cette dernière lui parle de ce qu’ils peuvent faire pour retrouver la Corneille. « J’leur dirai. J’ouvrirai l’œil aussi. » Quant à les mettre en garde, c’est une toute autre histoire. Ils ont envie de se rendre utiles, auprès de la naine qui veille sur eux. Alors, si elle leur demande quelque chose, elle sait qu’ils iront bien plus loin, trop même. Et elle réprime un soupir. « J’vais les avertir, mais ils en font qu’à leur tête ces sales gosses. » Les yeux levés au ciel alors qu’elle secoue la tête, dépitée. Tout ça ne fait que l’inquiéter un peu plus, mais loin d’elle l’envie de le dire à haute voix. Déjà qu’elle en a beaucoup trop dit à la rouquine. Le pire ? C’est qu’elle continue.

Mais elle est curieuse à propos d’Aethra. Et l’observe longuement. Avant de souffler, d’une voix bien plus douce que d’ordinaire. « Les miens sont ici. Et nulle part ailleurs. » Dix ans qu’elle est là. Bien plus qu’elle a quitté sa mère sans avoir la moindre idée de son devenir. Et qu’elle refuse de regarder par-dessus son épaule. Ca n’apporte jamais rien de bon de toute façon.

Ce que Loina venait de me glisser sur le comptoir n’avait rien d’une bonne bière, mais je ne boudais pas pour autant mon plaisir. Ces derniers jours avaient été particulièrement éreintants. J’avais besoin de me remplir la panse, après le puissant stress que nous avions enduré. Au moins, la naine me promettait un peu de stabilité en attendant le retour de jours meilleurs. Je préférais me terrer chez elle que dans notre planque miteuse au bascloître, ou encore au sein du Thaig. Ici, on avait au moins l’impression de respirer un peu autre chose que de l’humidité et de la moisissure.

Je m’en faisais toujours pour Karl que je n’avais pas revu depuis que les templiers avaient brûlé leur fausse Corneille. Loina tentait de me rassurer sur son sort, à sa manière, ce qui m’arracha une moue. « Tu as sans doute raison. » Il avait toujours fini par s’en sortir jusqu’à maintenant, non ? Et il n’avait pas été au cœur de la tourmente comme nous. Tout irait bien pour lui… normalement.

Parler magie avec un non-pratiquant m’amenait toujours à mesurer mes paroles. J’avais l’impression de marcher sur des œufs avec Loina, sans bien savoir ce que je devais lui dire ou non. Elle avait les accents d’une mère inquiète pour ses enfants. « Si la magie s’éveille chez l’un de tes orphelins, tu devras le remettre au Cercle ou… le dissimuler aux yeux des templiers, en lui cherchant quelqu’un qui saura le guider sur cette voie périlleuse. Mais sache qu’il ne sera jamais en sécurité. » J’hésitais à en dire plus. Peut-être que les Corbeaux trouveraient un intérêt certain à prendre sous leurs ailes de jeunes apostats. N’avaient-ils pas descellé mon potentiel à la puberté également ? « Si ça arrive, et si tu choisis la voie de l’illégalité, préviens-moi. Je te mettrais en relation avec les bonnes personnes. » La naine ne connaissait pas mon affiliation aux Corbeaux, mais elle savait pertinemment que nous évoluions dans les mêmes sphères souterraines. Et, ici-bas, les apostats n’étaient qu’une frange de la population. Des marginaux comme bien d’autres.

Cette promesse d’entraide en fit naître une autre. Si je pouvais la rassurer quant au sort de ses orphelins, Loina était prête à les mettre à contribution pour traquer tout indice faisant état de la présence de la Corneille. J’eus un mince sourire quand elle maugréa à leur encontre, les jugeant peu dociles. « Présente-leur comme un jeu de piste. » Ça les amuserait, non ?

J’eus une nouvelle moue ensuite. « Avec tous les réfugiés qui se pressent à nos portes, la citoyenneté a un coût. Si tu as les moyens de retaper quelques maisons, elles risqueront d’être réquisitionnées bien vite… tes orphelins ne seront à l’abri nulle part, sauf à tes côtés. » Et, à mon image, Loina ne se voyait pas être expulsée de la ville où elle avait constitué toute sa vie. « Je me dis juste… qu’on devrait s’assurer un plan de secours, au cas où l’Enclin arrive jusqu’à nos portes. Un endroit où on pourrait se réfugier, en cas de problèmes. »

Souvent, Loina se demande ce qu’aurait été sa vie si elle n’avait pas tenté sa chance à Starkhaven. Si elle n’avait pas ouvert cette petite auberge dans laquelle elle s’est plongée corps et âme. Elle est bien consciente que ce qu’elle peut faire n’est qu’une goutte d’eau face à l’immensité des malheurs qu’elle peut côtoyer chaque jour. Mais, au moins, elle ne reste pas les bras croisés. Et elle se dit que c’est pour ça qu’elle a fui les Taudis d’Orzammar. Pas juste pour sa propre survie.

Un nouveau regard attentif en direction de la rouquine qui fait part de son inquiétude concernant Karl. Evidemment qu’elle aussi s’inquiète, mais ça ne sert à rien d’attiser les propres tourments d’Aethra. Qui a déjà visiblement bien assez à gérer. « Bien sûr qu’j’ai raison ! Et tu pourras lui mettre un taquet d’ma part dès qu’on le recroisera ! » Et, même si Aethra n’en est peut-être pas consciente, ce qu’elle raconte sur la magie ne fait qu’inquiéter d’avantage la naine. Parce qu’elle ne saurait pas comment gérer tout ça.

Un temps, alors qu’elle frotte plus que de raison la pinte en bois qu’elle a entre ses mains et elle finit par souffler, bien plus hésitante que d’ordinaire. « Tu f’rais quoi à ma place ? Si ça arrivait à un d’tes p’tiots ? » Elle ne songe même pas à masquer cette affection qu’elle a pour eux, comme elle tente vaguement de le faire en temps normal. La question la ronge de plus en plus, surtout avec Iva qui grandit beaucoup trop vite à son goût. Et la naine a tout de même un sourire sans joie au reste de ses paroles. « Parce qu’ici, dans c’coin d’la ville, tu penses qu’on est vraiment en sécurité ? » Mais elle note tout de même que la rouquine a des relations qui touchent visiblement à la magie. Sans trop savoir quoi faire de cette information dans l’immédiat, elle la range dans un coin de son esprit alors que la conversation s’enchaine.

Et elle rend un sourire à la jeune femme. « J’vais surtout leur dire que ça peut t’filer un coup d’main. Ils aiment plus rendre service qu’obéir. » Difficile de leur en tenir vraiment rigueur. Elle n’essaie même pas de toute façon. Un soupir lui échappe au reste. « J’l’avais pas vu comme ça. » Quelques jurons marmonnés entre ses dents alors qu’elle fronce les sourcils, laissant filer un silence. « Sauf qu’il y a pas qu’mes orphelins qui sont pas à l’abri. » Oh, bien sûr, elle pense à Aethra qui semble avoir déjà du mal à aligner deux pièces pour avoir un vrai repas. Et aux autres aussi. Autant dire que le problème semble particulièrement insoluble, surtout avec la menace de l’Enclin s’ajoutant au reste. « Tsais que j’ai vécu à Perivantium pendant des années ? J’me demande à quoi ça ressemble aujourd’hui. » Enfin, ça reste trop loin pour un refuge en cas de souci. Elle ne sait même pas pourquoi elle y pense, là, de suite. Probablement parce que l’auberge a été son premier vrai refuge justement, le premier endroit où elle s’est sentie bien après avoir fui Orzammar. « Mais ce serait bien. Un plan d’secours. » Une œillade en direction d’Aethra, alors qu’elle se demande si elle a déjà une vraie idée en tête. Plus que des taudis retapés en tout cas.

Je relevai le regard vers Loina à sa question, en faisant tourner ma chope de bière entre mes mains. « Je n’ai pas de… » Je ne finis pas ma phrase, bien consciente que ce n’était pas la réponse qu’elle attendait. Mais c’était difficile de me mettre à sa place. Je n’avais pris personne sous mon aile, à ma charge. Je n’étais pas une mère non plus. S’occuper juste de moi-même me suffisait amplement, car vu tous ceux qui pouvaient vouloir ma peau, c’était déjà bien assez compliqué. Alors, forcément, ça n’aidait pas à entrevoir un avenir radieux pour ceux qui me côtoyaient de près. Ma mauvaise décision face à ce templier avait compromis Aiden et moi. Et maintenant, la disparition de Karl… « Je pense que tu devrais les remettre à quelqu’un en qui tu as pleinement confiance pour veiller sur eux et les éduquer en mage, que ce soit un mage du Cercle ou un Apostat. » Arrivai-je à dire, en faisant preuve d’une rare objectivité. « Si c’est ton intuition, alors ce sera le bon choix. »

Je secouai négativement la tête quand elle me demanda si nous étions vraiment en sécurité ici. « On n’est plus en sécurité nulle part, on ne l’a jamais été en vérité. » J’étais bien placée pour le savoir. Même si ma mère avait fui Tévinter, les ennuis nous avaient poursuivis jusqu’à Hasmal, puis à Starkhaven. J’avais arrêté de vouloir fuir ensuite. Et si l’Enclin était à nos portes, alors je préférais le combattre que d’être de nouveau déracinée. Ici, c’était mon foyer. Mais les hors-la-loi avaient toujours un plan en réserve, n’est-ce pas ?

Je lui offris un sourire entendu quand elle accepta de m’aider à enquêter sur la Corneille avec ses petits. « Merci. » Ils auraient des oreilles partout, là où je ne pourrais pas tout suivre, même avec l’ensemble des Corbeaux sur le coup. La plupart d’entre nous ne pouvions pas se vanter de paraître inoffensifs, insignifiants même, comme les orphelins de Loina l’étaient. Et surtout, les oiseaux de mauvais augure avaient bien d’autres tâches à mener de front de leurs côtés.

« Tu devrais retaper ses maisons et les revendre à prix d’or, tu trouveras forcément preneur… et cet argent, tu pourras bien l’investir ailleurs. » Lui conseillai-je. Si mes conseils pouvaient me faire passer pour quelqu’un de savant, elle me prit de cours à me parler de… « Perivantium ? » Loina avait dû traîner ses guêtres dans bien plus d’endroits que moi au bout du compte. « J’avais pensé plutôt à quelque chose de bien plus proche. » Mes connaissances se limitaient bien davantage aux murs de Starkhaven. « Une issue par les souterrains, par exemple. Ou même une planque provisoire là-dessous… ça mériterait de creuser la question, tu ne penses pas ? » Tous les hors-la-loi y verraient probablement un avantage.