« Ça va ?
-Oui et toi ?
-Oui.
-Les cours ça va ?
-Oui. Et toi tes affaires ?
-Oui. »

Un résumé bien navrant de la discussion qu’elle a eue avec Lann. Voilà qu’ils se mettent à échanger des banalités comme s’ils ne sont que de banales connaissances. Ailis rumine difficilement sa colère et les myriades de questions qui tournent dans sa tête.
Voilà à quoi son aveu a servi ? A rien, enfin si. Rit-elle amère. A les éloigner encore plus. Ou bien est-ce la m-... la mort de Varina ? Une mort qu’il avait pourtant juré impossible. On ne les envoie pas trop jeune. Son regard se relève de sa tasse de thé et tombe dans celui de son père adoptif, muet, le regard impénétrable. Il cache quelque chose ? Ou bien fuit-il encore la confrontation ? Ou bien n’en a-t-il jamais rien eu à faire ?

Ces questions le Créateur sait à quel point elle voudrait les poser, mais elle sait aussi qu’il ne répondrait pas. Il s’est simplement inquiété de son état quand la nouvelle fut tombée, elle en a fait de même. L’enchanteur y a répondu, mais même si sa voix ne trahissait rien comme à son habitude, elle a un sentiment de vide, quelque chose de désagréable. Personne ne l’a autorisée à se recueillir auprès de son corps, le Cercle est si punitif qu’on interdit même un dernier au revoir ?

Ça l’a rendu amère, ça et le mutisme constant dans lequel semble se complaire l’enchanteur face à elle, parce que dès qu’elle aborde le sujet il choisit la fuite.

Ailis allait vite voir qu’aujourd’hui ne ferait pas exception.

Trois coups francs donnés sur la porte du bureau la font sursauter, trop prise dans ses réflexions. La porte s’ouvre après autorisation accordée et son visage se fige quand elle reconnaît la personne. Rita, la nouvelle, enfin une des nouvelles templières du Cercle. Comment avait-elle pu oublier son rendez-vous avec elle ?

« Bonjour Messerah ! Je- Toutes mes excuses j’ai mal géré mon temps ce matin. J’espère ne pas avoir bousculé vos plans pour la journée. » Ailis s’est levée précipitamment pour faire face à la templière toujours à l’entrée du bureau, s’excusant comme elle pouvait franchement embarrassée. « Si vous préférez reporter je comprendrai. »

Les gestes d’Ailis manquent d'assurance mais ses pensées, plus l’effet de surprise ne lui ont pas permis de garder son masque professionnel, dont elle sait que Lann n’en manque pas une miette, ni la dame en armure en face d’elle.

Le papillon au bord de la fenêtre était bien joli. Petit et blanc, très simple, ses ailes comme deux lunes pâlottes contre le ciel bleu… Il faudrait qu’il regarde la lune ce soir, d’ailleurs. Peut-être était-elle déjà présente ? Il ne pouvait se lever pour vérifier, qu’importe la longueur du silence – il avait trop répété les règles de politesse à Ailis pour y déroger maintenant, même si son mutisme rebelle ne méritait pas tant d’égards.

Pourquoi était-elle ici, si c’était pour se taire ? Certes, il n’avait pas engagé de conversation non plus – comme depuis des semaines, à de rares exceptions – mais ce n’était pas une raison. Les jeunes filles sont bavardes, qu’on disait : et bien, pas la sienne… Voilà qui ne lui avait pas manqué, et qui n’était pas près de se répéter.

« Bon – »

Je suis occupé et ta présence actuelle est une perte de temps, s’apprêtait-il à dire (en omettant peut-être la fin) quand la porte l’interrompit. Merveilleux ! Le temps les avait rattrapés. Il eut tout de même celui d’inviter le visiteur à entrer, peut-être parce qu’il avait entamé son « entrez » avant que le troisième coup ait retenti, avant que la templière n’entre. Un salut muet fut tout ce qu’il put caser avant la litanie d’Ailis – non qu’il ait eu envie de bavarder de toute façon, notez…

Le regard glacé passa de l’antivane à l’apprentie, surpris. Elles avaient rendez-vous ? Il hésitait à attribuer l’oubli d’Ailis à une preuve d’affection – le voir, plutôt que la templière, ne ressemblait pas à un choix… – mais il se retint de la jeter dehors et dans les bras armés malgré tout, pris d’un (léger) instinct de protection. Keith était le seul à la réquisitionner ainsi d’ordinaire, et d’ordinaire ça ne laissait pas la paysanne de bonne humeur… enfin, pour peu qu’elle connaisse le concept de bonne humeur. Et si c’était Ailis qui avait demandé cet entretien, il n’en était encore plus curieux.

« Faites comme si je n’étais pas là, » haussa-t-il seulement les épaules, légèrement ironique.

Que voulait-elle ? Pourquoi était-elle dans son bureau ? Il comptait bien attendre quelques réponses avant de retourner à son adorable pile de papiers et la douce attente du crépuscule.

Rita, donc… Était-il plus rassuré parce qu’elle se montrait accessible ? Non point – au contraire même, tant de familiarité alors qu’elle venait d’arrivait sonnait comme un avertissement. L’étiquette existait pour une raison, et cette raison n’était-elle pas d’apprivoiser son interlocuteur en paix ?

Il fallait pourtant avouer qu’elle n’avait pas l’air menaçante. Ni le prénom, ni l’absence de grade – il ne connaissait pas tous les nouveaux, mais avait au moins regardé ceux avec de l’importance – ne jouaient en sa faveur, mais elle paraissait de bonne foi.

« Enchanteur Vaël. Rita Aelesia, anciennement du Cercle d'Antiva. »

Il acquiesça, ni surpris ni particulièrement intéressé ; les noms des templiers étaient comme ces listes de courses essentielles à connaître, mais rarement passionnantes. Un « supérieur » lui piqua la langue, mais peut-être n’était-ce pas totalement nécessaire face à cette personne, et il réussit même à créer une trace de sourire sur son visage – un semblant de chaleur sans aller jusqu’à une véritable expression.

« Pas du tout, répondit-il quand elle a fini de parler. Je ne peux juste pas vous garantir d’y répondre tout de suite. J’allais justement retourner à mon travail. »

Il fit un geste vers son bureau avec l’air d’un homme intéressé par ses propres affaires et absolument rien d’autre, se disant qu’elle avait l’air très à l’aise, malgré l’expression parfaitement neutre de Lachlann – ce qui, encore une fois, ne voulait rien dire.

« Je peux en revanche vous prêter mes fauteuils pour cet entretien-ci – il n’y a aucun autre bureau de libre. » Sauf celui de Sivoneii ; mais celui de Sivoneii était vide, pas libre. « Il doit y avoir des salles de classe, mais je n’ai aucune idée de celles qui sont occupées ou le seront le temps que vous descendiez… »

Que voulait-elle ? Oh, combien il espérait qu’elle accepterait, pour le bien de tous – Rita aurait son entretien, Lachlann pourrait écouter en discrétion et en paix, et Ailis… n’aurait pas à affronter d’escalier ?

Ne vous en faites pas, elle me racontera de toute façon, autant que je l’entende de votre bouche ! L’idée faillit le faire sourire, avant de se souvenir que vu l’ambiance ce n’était pas forcément vrai – et de se retenir de ricaner, à une idée moins joyeuse. À moins que tu ne sois pas à l’aise ici, chère Ailis ?

Son visage aurait pu se fendre d’un sourire à la vue de Lann outré par les manières de la nouvelle venue, si la tension ne lui pesait autant.

« Faites comme si je n’étais pas là, »

Elle note la pointe d’ironie dans la voix et se replie sur elle-même, bien plus atteinte par la pique que d’ordinaire.

Si la pièce paraît bien froide, Rita rayonne de bonne humeur, ironique quand on sait que c’est elle qui vient d’une terre rasée par l’Enclin.

Elle suit la discussion de loin, spectatrice fantôme. Elle remercie intérieurement Rita d’avoir pris la décision à sa place, entre rejet et curiosité de la part de Lann, elle est perdue, et ne sait pas quoi faire.
Il veut la dégager de son bureau, devenue de trop, mais curieux de leur entretien, ça il n’avait pas réussi à lui cacher (ou pas voulu).  Elle veut croire que leur discussion de quelques jours avant, était réelle, un peu comme un serment entre eux, mais plus le temps passe et plus elle se rend compte de la distance qui s'agrandit de jour en jour.
Le travail devient prétexte, le silence remplace les sourires et les rires, l’affection devient affliction.

Son cœur peine à encaisser chaque jour le constat, l’aura froide dès qu’elle tente quelque chose bravant ses propres appréhensions, le mur d’indifférence dans lequel elle se heurte à chaque fois qu’elle essaie et qui ne cesse de grandir.

A-t-il déjà jeté l’éponge sur elle, la voit-il déjà morte ? Condamnée ? On s’éloigne pour ne plus souffrir.
Etait-elle qu’un jouet, une expérience ratée ? Toutes ces questions qu’elle ne pensait jamais se poser, et qui s'imposent maintenant à son esprit.

Elle ne veut pas y croire mais la distance qui semble s’installer est juste insupportable. Elle n’arrive plus à encaisser toutes ces interrogations, ses insécurités qui n’arrêtent pas de tourmenter son esprit.

La bienséance et le tourbillon de questions que ça soulèverait l’en empêchent, mais qu’est-ce qu’elle aimerait juste s’écrouler par terre et pleurer, qu’on la laisse tranquille dans son coin, puisqu’elle n’est pas digne d’aider, pas digne d’écouter, ni de parler.

« Ailis, je te laisse me rejoindre quand tu aura fini ? » Elle acquiesce et aussitôt la porte refermée, se retourne vers Lann.


Je suis en train de le perdre, lui aussi. Ailis le regarde masquant au mieux son trouble, mais toujours sincère heureusement.

« Je ne te dérange pas plus, bon courage. » elle hésite à rajouter Lann et finalement comme c’est trop tard se ravise.

« Très bien. Toi aussi. »

Elle ne sut pas déchiffrer son ton et son expression, et elle ne s’attarde pas plus, ne voulant pas faire attendre encore plus la te- Rita qui l’attend dehors.

La brise fraîche qui lui caresse les pommettes à au moins le mérite de desserrer l’étau autour de sa poitrine. Et pour se préserver, elle fait comme souvent ses derniers jours, appel au bon vieux déni, chasse ses pensées de sa tête, les inquiétudes qui vont avec- et se concentre sur la personne devant elle, toujours souriante.

« Les visites au Cercle sont annulées compte tenu des récents évènements. » Elle ne parle pas de l’Enclin mais bien de cette apostate qui occupe toutes les pensées. « Nous trouverons donc certainement une de ses salles libres, à moins qu'elles n'aient été réquisitionnées pour l’accueil » des réfugiés… se retient-elle d’ajouter, de peur de faire ressurgir de mauvais souvenirs à son interlocutrice.

Elle reprend son souffle, manifestement plus fatiguée qu’elle ne le pense, « Nous pouvons demander en chemin également. » propose-t-elle avant de prendre appui sur sa canne pour commencer à marcher.

Elle accepte avec l’aide proposée avec son état de fatigue on n’est jamais trop prudent.

Finalement, elles trouvent sans mal une salle dans laquelle s’entretenir.
Elle voit alors la templière faire d’énormes efforts pour leur créer un petit espace, la culpabilisant un peu, c’est elle la rescapée qui a vécu l'enfer, mais devant un tel enthousiasme venant d’elle, elle n’eut pas le courage de lui dire que ce n’était pas nécessaire. Bien que la nouvelle déco de la pièce ne plairait pas à tout le monde.

Elle accepta poliment le siège mis à sa disposition et attendit que son interlocutrice de ce matin soit également prête avant de s'installer.

« Et ben, ça n'avait pas l'air facile avec Vaël, »

Elle rit un peu à l’appellation, heureusement qu’il n’est pas là, puis affiche une moue navrée « ça l’est rarement avec lui, surtout ces derniers temps. » Elle aurait aimé ne pas en reparler, la colère et la tristesse commençaient à faire des ravages, mais la personne en face d’elle fait tout pour la mettre à l’aise et elle lui doit un minimum d’explications. Elle pourrait dire plus, mais pas sans sollicitations et pas sans avoir pu lui être un peu utile.

« Ça va quand même ? »

Cette question l’a mit mal à l’aise parce que c’est elle qui aurait dû dire ça; c’est elle qui devrait soutenir et pas l’inverse, mais elle ne sait pas si sa question serait bien reçue. On ne va jamais bien quand on perd un foyer.

« Ces derniers temps ont été un peu difficiles, » Un peu est un doux euphémisme, mais elle ne va pas tout déballer d’un coup, l'enclin, les morts, l'abandon...« ça crée invariablement des tensions. »

« Et vous Mess- Rita » se reprend-elle, décidément ça veut pas, « avez-vous pu vous installer correctement ? Avez-vous besoin de quelque chose ? » Et par quelque chose elle entend aussi bien des choses matérielles, que des informations sur le fonctionnement du Cercle.

« Probablement pas ma meilleure question, désolée. Je n'ai pas encore croisé quelqu'un ici qui n'avait pas l'air d'en avoir plein la tête.

-J’espère que vous n'êtes pas pressée dans ce cas. » sourire triste mais sourire quand même, Ailis lève les yeux vers la dame en armure.

« si tu t'es pas à l'aise, tu peux m'appeler Messerah, même si j'aurai l'impression d'avoir pris dix ans de plus.

-Va pour Rita dans ce cas je m’en voudrais de vous mettre mal à l’aise. »

Le regard souriant, la voix douce, toutes les tentatives de la templière pour mettre à l’aise Ailis ont finalement réussi, malgré la journée mal commencée, ça eut le mérite de lui rendre une partie de son sourire et sa bonne humeur. Elle a accepté la veille son rendez-vous, d’une part parce qu’elle se voyait mal refuser, et d’autre part parce que la templière semblait vraiment vouloir apprendre à les connaître, un peu comme un certain jeune templier. Autant faire bonne figure, et leur semblant de conversation dans le bureau de Lann l’a rassuré, elle semble vraiment vouloir faire amie amie. Un entretien est donc parfaitement envisageable.

« Bien sûr, j'ai conscience du fait que je suis autant ta geôlière que ta protectrice. Donc le rapport qu'on aura toutes les deux reste à ta gouverne.  »

Elle est donc une de ses templières qui prennent autant leur devoir de les protéger que de protéger le monde extérieur d’eux, c’est toujours bon à prendre, pour ceux qui ne peuvent entrapercevoir du monde extérieur que les nuages et oiseaux qui veulent bien les survoler.

« Donc le rapport qu'on aura toutes les deux reste à ta gouverne.

-Je l’espère amicale M- hum » elle pouffe malgré elle « il va me falloir un peu de temps je crois. Et si vous comptez qu’on apprenne à se connaître. » Et elle insiste sur le “on”, sinon ce ne serait pas équitable. « Je vous laisse mener la discussion, il y a si peu et tant à raconter que je ne saurai par où commencer. »  

Rita poursuit ses explications les mains légèrement agitées, visiblement gênée.

« Et si tu as accepté cet entretien par peur, ou pour tout autre raison, on peut l'interrompre dès maintenant et je ne t'en reparlerai plus jamais. »

Elle mentirait si elle n’a pas eu un peu peur au début, le souvenir de ce Chercheur de Vérité en quête d’informations, qui se servait d’elle en faisant pression sur ses proches. Elle se mordit nerveusement la lèvre à se souvenir, faisant remonter l’angoisse mêlée à la colère qu’elle avait ressentie à l’époque.

« Rassurez-vous la peur ce n’est pas le premier sentiment que vous m’avez inspiré, et il n’était pas négatif » la rassure-t-elle. « Mais je vous mentirai si je vous dis que je n’étais pas nerveuse. Il est courant qu’on nous rappelle à l’ordre sur notre condition. »

Elle soulage enfin son dos qu’elle ne pensait pas si crispé, l’appuyant sur le dossier de la chaise, prenant une position plus confortable pour la suite.

« Alors par quoi voulez-vous commencer Rita ? »

Bien qu’encore un peu sur la réserve, elle n’est pas encore sûre de pouvoir lui faire confiance, mais au moins elle peut se permettre de se détendre et de discuter poliment. La templière à l’air d’être du genre à plutôt les comprendre que les réprimer et c’est agréable.

« Je m'appelle Rita, j'ai 31 ans, je suis templière depuis mes 17 ans. »

Le même âge qu’Ailis à son entrée au Cercle, elle a donc consacré sa vie jusqu’à présent à servir la Chantrie.
Plus Rita avance dans son récit et plus elle comprend sa singularité, peu de templiers affirment avec autant d'assurance ce genre de choses.
Tous ne sont pas des murs qui ne font que donner des ordres et surveiller, et savent faire preuve d'empathie, mais peu l'affirment aussi ouvertement, de peur d'être réprimandé par la hiérarchie.

Son attrait pour la magie serait presque dérangeant, mais elle n'a pas l'air de vouloir manigancer quelque chose, mais l'habitude force Ailis à rester prudente.

« Est-ce que tu as des questions, déjà ? Il n'y en a aucune trop indiscrète ou trop sérieuse. »

Une question… oui elle en aurait bien une pour commencer,

« Comment vous en êtes arrivée à vouloir faire ça de votre vie ? Parce que si j'ai bien compris vous aviez déjà envie d'apporter  » elle ne sait pas trop comment le dire, « votre soutien aux mages ? Ce n'est pas commun mais pas non plus impossible, mais peu de templiers se montrent aussi amicaux avec les mages. »

Rita est toujours souriante, Ailis aussi, malgré la prudence qu'elle s'impose, elle est détendue et contente d'être là. Ces derniers temps le nombre de personnes avec qui elle peut tranquillement discuter ne cessent de diminuer, alors elle en profite.

« Je suis aussi entrée au Cercle à 17 ans, mais plus par obligation, » plaisante-t-elle. Elle regarde avec curiosité la templière en face d'elle, allait-elle remarquer l'âge un peu tardif ? Ça lui avait valu des chuchotements et des regards en coin à son arrivée au Cercle.

La tristesse s’entendait dans sa voix ou plutôt ses mots, voici pourquoi elle les comprenait si bien. Elle voudrait lui demander ce que ça fait, ce que ça lui a fait d’apprendre la nouvelle. Ailis elle n’a pas vraiment eu le temps de voir la réaction de sa famille et de ses proches, entre surprise et déception… Enfin pour son oncle Copper, elle l’a vite constaté l’effet qu’elle a fait même si récemment les choses semblent s’être améliorées. Du côté du reste de sa famille, à en croire Niklaus, ils ne la détestent pas, mais comme elle ne pourra sans doute jamais le constater de ses propres yeux, peut-être cherche-t-il juste à lui épargner la triste vérité.

Elle aimerait aussi demander ce qui est advenu de ce membre de sa famille, mais même si Rita a évoqué plus tôt qu’il n’y a pas de questions indiscrètes, elle sait que ça en est une et s’abstient.

Rita évoque une fois de plus son désaccord avec la façon dont les templiers ont de traiter les mages, elle a l’air sincère mais elle devrait faire attention, ses supérieurs ne seraient pas tous ravis d’entendre cela.

« J'imagine que tu t'en doutes, mais si tu me cites à un collègue plus haut gradé que moi, j'aurai des ennuis, » comme si elle lisait dans ses pensées, Rita dit tout haut ce qu’elle pense tout bas.

« Ne vous inquiétez pas je ne dirai rien, et puis il ne me croirait sûrement pas. »

Les templiers préfèrent toujours croire leur semblable plutôt que les mages, mais sans doute enquêteraient-ils discrètement sur Rita, et peut-être même sur Ailis, alors très peu pour elle, elle se sent déjà suffisamment surveillée comme ça.

« Disons que je ne suis pas franchement amie avec les escaliers et le sol irréguliers de certaines zones du Cercle, » sourit-elle « mais le quotidien au Cercle à mon arrivée, si on omet la surveillance constante, ne m’a pas spécialement dépaysé. »

Un avantage compte tenu de son rang social, elle n’a pas souffert de l’austérité du Cercle, contrairement aux Nobles. Cependant, sa maladie aura effacé son avantage.

« Je me sens mieux qu’à mon arrivée c’est une évidence, apprendre à connaître les autres, se faire des amis, apprendre de nouvelles choses. Tout cela arrive à rendre supportable l’enfermement et notre condition. »

Enfin plutôt l'acceptation de la vue des autres sur sa condition.

« J’espère que vous arriverez à vous faire à la vie ici, » en espérant que la vie dure ici. « Vous verrez que le climat n’y est pas toujours des plus plaisant. »

Ailis sourit à la réplique de Rita, elle prenait toujours les choses du bon côté, hein ? Ne dit-on pas que les gens qui sourient le plus sont les plus malheureux ? Est-ce sa façon de faire face aux évènements ? Elle l’observe songeuse, se demandant ce qui se cache sous cette armure de templière,

« Est-ce que… tu sais s'il y aurait quelque chose qui rendrait cet enfermement plus supportable ? »

la question la prend de court laissant en suspens ses réflexions et son corps se fige, sa main se crispe sur le tissu rêche de sa robe. Elle dévisage son vis-à-vis. Ce qu’elle voudrait. Il n’y a qu’une chose qu’elle voudrait en ce moment, une chose qui s’est imposée à son esprit sans qu’elle réfléchisse.

« Ma famille. » devant le regard gêné de la templière qui ne peut pas faire grand-chose, elle rajoute « Je sais bien que je ne pourrai pas les revoir mais j’aimerai au moins m’assurer qu’ils vont bien, qu’ils n’ont besoin de rien. »

En plus du deuil et des problèmes relationnels qu’elle semble avoir avec toutes les personnes qui lui sont proches au Cercle, c’est ce qui la ronge ces dernières semaines. Est-ce que ses proches vont bien malgré l’Enclin, seront-ils en mesure de fuir lorsque la situation l’exigera ?
Elle aimerait tellement demander à Copper de les aider puisqu’elle ne peut pas le faire.
Elle ne se penche même pas sur son propre sort si l’Enclin venait à frapper ici, elle n’a que peu d' espoir pour une paysanne mage handicapée, ce serait se faire du mal pour rien.

Elle sous-entend évidemment à la templière de l’aider. Si elle ne veut/peut le faire elle-même, Lann a peut-être encore assez d’affection pour elle pour lui accorder ça ?

Elle ne sait pas quoi ajouter de plus, repenser à ça, lui renvoie son impuissance en pleine figure, et le résultat de son enfermement ici.

« Je sais que je n’ai pas vraiment répondu à votre question, mais je ne suis hélas pas sûre que vous puissiez faire grand-chose pour moi. » Aller chercher des informations que même le Chevalier-Commandant et le Premier Enchanteur cachent aux yeux et oreilles de tous, semble impossible pour une templière fraîchement débarquée. Et en plus elle vient juste de la rencontrer, ça fait trop. Et pour ce qui est d’Isbeil et de Lann, elle ne voit pas trop ce qu’elle pourrait faire. « Alors au moins j’aimerais m’assurer que mes proches vont bien. »

Les larmes montent à ses yeux et elle se sent un peu fébrile -ne pas manger n’aide pas généralement-, mais elle ne fait pas d’efforts pour les cacher. Si Lann ne veut plus parler, elle n’en oubliera pas cependant ses enseignements. Parfois, il faut laisser filtrer une partie de ses émotions pour éviter que ça déborde de façon incontrôlée.
Et même si sa partenaire de discussion est une nouvelle connaissance, elle sait au moins qu’elle ne portera pas de jugement.

« Est-ce que je dois en déduire que tu n'as pas réussi à obtenir de visite ou de correspondance ? »

« J’ai reçu régulièrement la visite de Frère Niklaus, c’est lui qui m’a soutenu quand les templiers m’ont emmené au Cercle et c’est un bon ami de la famille. Il nous a beaucoup aidés. » Et ce serait un euphémisme. « C’est lui qui me donne des nouvelles de ma famille, mais depuis que le Cercle est fermé aux visites je n’ai plus de nouvelles. » Elle tourne la tête et fixe un point imaginaire, repensant à la visite de Copper.  « Mon oncle est venu aussi, une première en 6 ans. » Sourit-elle tristement.

« Ma famille jamais, en même temps ce n’est pas comme s'ils avaient beaucoup de temps, d'énergie et d’argent à gaspiller là-dedans. » reprend-elle. « La dernière fois que je l’ai vu, ça sonnait plus comme des adieux qu’un au revoir. »

« As-tu déjà essayé de le faire avec une membre de l'Ordre à tes côtés ? »

Elle replonge son regard dans celui de la templière et la dévisage. Elle est sérieuse ? Une pointe d’espoir renaît dans ses tripes -et sûrement dans ses yeux aussi, mais elle l’éteint aussitôt, c’est douloureux, mais depuis le temps elle a appris à le faire.

Elle soupire.

« Honnêtement, je ne crois pas que ce soit possible, j’ai pu sortir du Cercle en de rares occasions, mais c’était toujours pour des événements spéciaux. » Elle se souvient encore de sa première sortie. « Si on le fait pour moi, alors il faudra le faire pour tous, et ça ils veulent l’éviter. »

Son ton gagne en piquant quand elle continue. « A l’exception des nobles qui ont un passe-droit évidemment, comme quoi même ici sous les yeux de la Chantrie, l'inégalité persiste. » Au début, elle a même détesté Lann pour ça, lui qui sort presque plus que les templiers du Cercle, et qui a l’arrogance de vous regarder de haut quand vous trouvez votre quotidien au Cercle difficile. Bon ce n’est pas le pire noble dans ce cas de figure il faut l’avouer, là il a de la concurrence. Après, elle s'est dit que si elle aussi avait la chance de pouvoir sortir régulièrement elle la saisirait surement.

« Les visites sont déjà presque interdites alors les sorties, je suis désolée de briser votre enthousiasme mais ça me semble difficile. Si ma sortie avait une autre raison, comme les mages de Création qui assistent les soins par exemple, mais je ne suis qu’une apprentie. » Il fallait rester lucide, c'était peine perdu.

Et pour la raison la moins agréable…

« Et puis si mes parents ne sont jamais venus, il y a peut-être une raison. Ils ont plutôt bien accepté les choses, ne m’ont pas détesté quand on s’est quitté, mais peut-être seulement parce qu’ils savaient que je serais et resterais ici. »

D’une certaine façon, la peur de savoir la vérité l’empêchait d’avoir une telle envie de sortir que ça en deviendrait supportable. On se cache derrière la lâcheté pour accepter ses choix et son sort.

« Ma curiosité me pousse quand même à vous demander, pourquoi vous pensez cela possible ? »

« Comme tu l'as compris, les choses comme le statut et les faveurs ont vite fait de tordre les règles dans un Cercle. Il faudrait qu'on obtienne le plus de soutient possible de personnes influentes. »

Elle est d’accord avec la logique de son raisonnement, mais doute encore de sa faisabilité.
Au moins à un stade ou vous vous parlez. Cela veut tout dire sur leur relation actuelle. Et si à une époque elle aurait sans doute affirmé qu’il l’aiderait, aujourd’hui elle en est plus aussi sûre. Lui qui s’obstine à l’éloigner et elle qui abandonne sans combattre.

« Tu verrais quelqu'un d'autre ? Une autre enchantrice qui t'apprécie ? Un caporal avec lequel ça se passe bien ? Un professeur chez lequel tu as de bons résultats ? »

« Il y a d’autres personnes effectivement, mais aucune qui aurait l’envie ou la possibilité de faire ce que vous souhaiteriez. » Elle pense notamment à Cordélia, qui de par son statut ne pourrait rien faire, trop exposée. « Au mieux, les personnes que je connais pourraient m’obtenir des nouvelles, au pire rien. »

Elle rajuste sa position sur la chaise qui devient inconfortable.

« Vous pouvez essayer avec Lachlann, mais je vous préviens il risque de ne pas vous simplifier la tâche. Je peux d’ailleurs le lui demander moi-même, » même si actuellement elle préférerait sûrement se défiler. « ou alors je peux toujours vous accompagner, mais je doute qu’on obtienne pleine satisfaction. »

« Si vous me laissez partir à cause de mes douleurs, je vous préviens vous passerez votre vie à le faire. » Sourit-elle. « Ne vous sentez pas obligé d'écourter à cause de moi. J'ai autre chose à vous demander, effectivement, mais si vous me le permettez je vais continuer debout. »

La station debout soulagea ses articulations engourdies, comme en témoigne son léger soupir de soulagement.

« J'aurais souhaité que vous surveilliez une apprentie. »

Elle poursuit rapidement, consciente qu'on puisse mal interpréter ses paroles.

« C'est une bonne amie à moi, plus jeune et qui a du mal à accepter sa condition. Elle ne va pas bien, mais refuse de me parler et aujourd’hui elle est à l'infirmerie. Personne ne me laisse le droit de la voir, je ne sais pas à quel point c'est grave ou non. Je ne vous demande pas de l'espionner, mais si vous le pouvez, de veiller sur elle. Et sans rien me dire de confidentiel, juste me dire comment elle va, je suis très inquiète. »

Ce n'est jamais facile de s'ouvrir et de dévoiler ses faiblesses, ses échecs, mais Ailis se devait de faire quelque chose même indirectement. Elle voulait juste qu'Isbeil aille mieux, tant pis si elle n'y était pour rien. Tout son poids pèse sur sa canne -reflétant parfaitement le poids immatériel qu’elle ressent sur sa poitrine- alors qu’elle fixe la templière, attendant sa réponse. Accepterait-elle ?

« J’ai peur qu’on ne me donne pas plus d’accès que toi. Mais je jure devant le Créateur de faire tout mon possible pour obtenir des informations, et te les communiquer rapidement. »

Un petit rire discret échappa à Ailis faisant s’envoler tous les doutes qui pesaient sur ses épaules, lorsqu’elle vit l’ardeur que mit la templière dans sa réponse.

« Je v- te remercie Rita. » sourit chaleureusement l’apprentie, même si ses craintes n’étaient pas écartées, Ailis pouvait au moins se réjouir d’avoir une nouvelle.
Peut-être une parfaite inconnue qu’Isbeil ne connaît pas sera plus à même de la faire parler. Qui sait.

Oh.. fait..

« L’apprentie en question s’appelle Isbeil, je m’excuse j’ai oublié de te le dire. » Elle sembla juste confirmer les soupçons de son interlocutrice.

Sa chaise racla le sol, signe que l’entretien touchait à sa fin. L’allégresse d’Ailis retomba aussitôt, que la vie reprenait son cours, toujours aussi dure et impartiale.
Vivement cet après-midi, qu’elle souffle un peu.

« Ta demande et ta confession m’honorent, Ailis. Merci.
- Merci à vous de prendre le temps de nous écouter, de nous aider, Rita.
- Je vais regarder ça juste après avoir rendu visite à Vaël. »
Son visage se para d’un sourire mutin l’espace d’une seconde. « Bon courage. »

Avant de redevenir ce sourire triste et résigné, qu’elle arborait pour paraître le plus neutre possible et éviter les questions indiscrètes.