Sertoria devait arriver dans précisément quinze minutes, ce qui lui laissait entre dix et trente minutes pour finir son chapitre – pas énormément, donc, mais il ne perdait pas espoir. Ce n’était pas parce que l’Enclin (et peut-être certains regards assassins) rendait ses visites plus rares qu’il devait les attendre sans rien faire !

Toc. Toc.

Il soupira théâtralement, sa bonne humeur interrompue. Pas cinq minutes tranquilles dans cette tour… Par chance, il avait oublié de verrouiller la porte après le départ d’Ailis, alors il n’avait pas à se lever – même pas à poser son ouvrage.

« Entrez. »

Aelesia ne lui avait pas plu, mais pas assez pour rester dans sa mémoire plus de quelques minutes, alors sa présence, une fois sur le pas de sa chambre, venait avec une légère surprise… déplaisante, naturellement.

« Qu’y a-t-il ? »

L’interruption, passe encore, il attend pires faux-pas de sa part et il ne s’en formalise même pas. Et puis elle utilise le titre correct, c’est un bon point pour elle ! Sauf qu’évidemment, l’acceptable ne dure pas.

– Bonjour, Ailis. Malheureusement, ta famille a disparu.
Abomination.

– Bonjour, Ailis. Au revoir, Ailis.
Abomination.

– Bonjour, Ailis. Reste, veux-tu ? Nous t’aimons tant, nous serions dévastés de te voir repartir.
– Vous avez raison, j’ai appris tout ce que j’avais besoin de savoir !
Abomination, morts et scandale.

Rationnellement, et même personnellement, il sait que rien de tout cela ne se passerait – les Treglown assureraient leur fille qu’ils vont bien, lui serviraient le goûter et elle rentrerait sagement au Cercle, il en est certain ; mais les différentes scènes ne sont pas impossibles et leur possibilité le rassure. Non, il n’a pas perdu la tête, il n’a pas imaginé les dangers de la magie ; oui, il y a une raison à ne laisser sortir aucun apprenti. Il vit encore dans le monde où le Cercle est justifié, quoi qu’en pense Aelesia !

« Aucun mage ne sort avant sa Confrontation. »

Sinon, où vont-ils ? Surtout avec une templière débarquée la veille… Sa dernière promesse ne fait que confirmer qu’elle ne comprend rien au monde qui l’entoure. Inconsciente qui le propose…

L’horloge sur l’armoire est silencieuse, mais inéluctable.

La femme est comme tous les antivans – facile à deviner, difficile à voir. Évidemment que, mage ou templier, le même masque règne, n’arborant qu’une politesse qu’elle ne doit pas ressentir (quoiqu’elle soit moins taquine que ses compatriotes) – rien de gênant à ça, il est habitué à bien plus… agaçant.

« Bon nombre d’apprentis meurent à leur Confrontation.
– En effet. »

Un excellent argument pour ne pas les laisser sortir, tout comme le suivant… et celui encore après. Pourquoi sortir une fille malade ? Pourquoi sortir une fille qui marche à peine ? Créateur, a-t-elle d’autres raisons que la pitié ?

« Chacun de nous peut mourir demain, sans avertissement. Une maladie inconnue ne sera pas cause de favoritisme. »

Oui, personne ne sait combien de temps il lui reste… On peut glisser dans les escaliers. Se faire aveugler par un oiseau. Tomber malade, tout simplement ; ou s’endormir dans la neige. Et il faudrait ignorer ceux qui n’ont pas la chance de recevoir des rappels constants que leur corps est mortel, qui croient devoir vivre éternellement – qu’ils le veuillent ou non ? Non.

Ce n’est pas comme s’il ne comprenait pas, ni qu’il aime priver les apprentis d’espoir – encore que, voir le monde aussi dur que lui l’a vécu est parfois satisfaisant, mais il préfère croire que c’est l’avis des voix –, seulement c’est ça, être adulte : forcer les autres à respecter les règles. Elles sont là pour une raison.

« Cette sortie se passera bien, parce qu’elle n’aura pas lieu. Si c’est tout… » Vous savez où est la porte. « J’attends quelqu’un. »