Type de RP Classique/Flashback
Date du sujet 13 Voiréale, 5:07 des Exaltés
Participants  @Aethra  et @Elendîs
TW Violences, blessures et désespoir profond
Résumé Aethra retrouve Elendîs alors que celle-ci a été laissée pour morte par les opposants de son père dans une ruelle du Bascloître.
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>13 Voiréale, 5:07 des Exaltés</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1851-providence-ou-bienheureux-hasard">Providence ou bienheureux hasard ?</a></li></ul><p><u>@"Aethra" et @"Elendîs"</u>Aethra retrouve Elendîs alors que celle-ci a été laissée pour morte par les opposants de son père dans une ruelle du Bascloître.</p>[/code]

Elendîs aurait dû écouter sa voisine, quand celle-ci lui avait dit qu’elle était en danger, que des rumeurs circulaient dans le quartier sur des personnes mal intentionnées qui cherchaient la fille de Taralen. Mais la jeune Elfe n’avait pas vraiment compris ce que la vieille dame voulait dire par là. Elle était restée dans leur maison, abattue par la mort de son père qui la laissait irrémédiablement seule dans ce monde qu’elle avait l’impression de ne plus connaître.

La suite, alors qu’une bande s’introduisait dans leur demeure et la tirait dans une ruelle sombre du Bascloître, Dîs essayait de ne pas y penser: ni aux visages connus et inconnus, ni à l’insoutenable douleur ou à la peur débilitante.

Ils l’avaient laissée pour morte, dans cette rue lugubre, et pendant plusieurs heures, elle avait espéré que la mort vienne la soulager de cette réalité qu’elle ne supportait plus. Recroquevillée contre un mur, berçant ses blessures qu’elle savait graves, la jeune Elfe passa la nuit en murmurant sans relâche le nom de son frère, sa conscience vacillante cherchant en vain à l’appeler par le lien maintenant flétri qui les unissait autrefois.

Au petit matin toutefois, il fallut se rendre à l’évidence. Elle n’était pas morte, et Ithildir n’était pas venu. Elle ne pouvait pas rester là, amas informe à même le sol, beaucoup plus longtemps. Elle avait besoin d’aide, de soins surtout. Mais qui voudrait encore l’aider, après toutes les horreurs que ces gens lui avaient dites sur son père la veille? Qui tendrait encore la main à la fille du Hahren qui avait condamné tant des siens en laissant la vermine ramper dans le Bascloître?

Il n’y avait pas un seul endroit de son corps qui ne la faisait pas souffrir mais Elendîs tenta de se relever, un pitoyable gémissement lui échappant. Même ses mains, qu’elle avait dressées en défense, étaient déformées, brisées, et ne lui offraient aucun support alors qu’elle essayait de se redresser, au moins en position assise.

Peut-être que ça ne servait à rien… Peut-être que si elle attendait encore un peu, la mort finirait par venir quand même… Enfin.

La peur me tenait parfois éveillée jusqu’aux heures les plus tardives de la nuit. Je ne pouvais m’empêcher de vérifier de temps à autres la ruelle en contrebas, comme si des gardes de la cité risquaient de débouler à n’importe quelle heure pour m’enlever Aiden, soi-disant pour le juger, avant qu’on en fasse de même pour moi quand mon apostasie serait révélée au grand jour. Je ne pourrais pas supporter de perdre à nouveau un de mes proches. J’avais déjà assez d’amis, elfes ou humains, qui comptaient parmi les disparus de cette guerre abominable se livrant dans nos rues. Je n’avais pas été là pour leur porter secours, mais l’aurais-je réellement voulu ? Ma magie avait beau être puissante, elle était avant tout destructrice. Le cuisant rappel de sa maturité était là pour me le certifier. Est-ce que je risquais à nouveau de perdre le contrôle et de tout ravager sur mon passage si quelqu’un s’en prenait à Aiden ? Sûrement, oui. La plus grande crainte que je nourrisse n’était finalement pas pour moi-même, mais pour lui.

Un nouveau regard entre les deux planches de bois qui scellait la fenêtre me fit rapidement prendre conscience que la situation en contrebas avait évolué. Des hommes se déplaçaient en meute, une nouvelle victime entre leurs serres avides, extirpée de force de chez elle. Mon cœur battait la chamade en vérifiant si je la connaissais, mais sa mignonne frimousse ne me disait heureusement rien. Je rentrai ma tête dans mes épaules, fermant les yeux avec force, avec le vain espoir de les rouvrir et que le cauchemar serait enfin fini.

Les cris et les pleurs laissèrent bientôt place à des gémissements tenus, une fois leur œuvre macabre achevée. J’avais la cruelle impression qu’ils avaient pris leur temps cette fois, au point qu’une éternité aurait pu s’être écoulée. Je n’osais relever la tête, pour regarder par l’interstice, qu’une fois certaine qu’ils n’étaient plus là. Brisée, malmenée, l’elfe ne ressemblait désormais plus qu’à une poupée désarticulée à qui on aurait coupé les fils. J’étais même surprise qu’elle soit encore en vie, après un tel déchaînement de violence à son encontre. Qu’avait-elle fait pour mériter un tel traitement ? Certainement rien, comme bon nombre des rats qu’ils se félicitaient d’avoir nettoyé de la ville.

J’étais prise d’un vif élan de culpabilité à la voir dans cet état, aussi vif que le sentiment de soulagement que j’avais ressenti plus tôt en ne la reconnaissant pas. J’étais cruelle. Pas autant qu’eux, sûrement, mais je n’aurais souhaité à personne de se retrouver battu à mort dans une ruelle sombre et miteuse de Starkhaven. J’avais l’impression, indirectement, d’y avoir consenti en restant le témoin silencieux de son malheur. C’était sûrement ce qui me poussa à quitter lentement mon couvert pour me rapprocher d’elle. Je lançai des regards nerveux à droite à gauche, de peur qu’ils ne reviennent pour terminer le travail, ou se satisfassent qu’un autre rat aurait mordu à l’hameçon. Mais… rien. Nous n’étions que toutes les deux.

« Hey… » Soufflai-je dans un soupir, pour attirer son attention. Elle devait terriblement souffrir. La position étrange qu’elle tentait de prendre me laissa comprendre à quel point elle était brisée. Dans son état, elle serait même incapable de se tenir debout seule. « Je ne vais pas te faire de mal… » Lui murmurai-je en me rapprochant lentement d’elle. Je l’attrapai sous le dessous du bras pour l’aider à se redresser en position assise. J’aurais donné cher pour qu’Aiden soit avec moi ce soir-là, il m’aurait certainement dissuadé de l’aider en me rappelant que notre survie primait. Mais il n’était pas là, parti chercher de quoi nous nourrir avant de retourner nous planquer, alors l’elfe n’avait pas son mot à dire. Et puis, si nous ne nous entraidions pas, qu’adviendrait-il de nous après cette guerre sanglante ?

Mon regard capta le sien. « Comment tu t’appelles ? Moi, c’est Aethra. » J’aurais tellement souhaité que ma magie soit capable de ressouder des os et guérir des blessures aussi graves que les siennes, mais elle était uniquement capable de prendre, jamais de donner. Je ne voulais pas l’inquiéter, alors qu’elle souffrait déjà tellement, mais je ne lui donnais pas plus de la nuit pour survivre. Il fallait impérativement que je trouve quelqu’un qui serait prêt à lui venir en aide, ou sinon, autant finir le travail débuté par ces lâches qui s’étaient acharnés sur elle. « Qu’est-ce qu’ils te voulaient ? » J’essayais de la garder consciente en lui parlant, sans bien savoir si elle était capable de me répondre. « Je vais t’emmener voir quelqu’un qui pourra t’aider mais… il va falloir que tu sois courageuse, d’accord ? Je n’arriverais pas à te porter… » Elle était si frêle, mais moi aussi je l’étais. La porter sur plusieurs rues me paraissait insurmontable. Si elle n’était pas capable de se lever, je serais contrainte de la traîner au sol, en espérant ne pas faire pire encore. « On va s’en sortir. Tu vas t’en sortir… » Cette promesse, je ne savais pas à qui je la murmurais réellement : elle, ou moi ?

Une silhouette s’avança dans la ruelle, sombre et inquiétante sous les premières lueurs de l’aube. La mort était-elle enfin venue l’enlever à toutes ces horreurs? La conscience vacillante, ses sens lui répondant à peine, Elendîs tenta de distinguer les détails de la forme humanoïde, sans pour autant y parvenir. C’était exactement comme cela qu’elle s’était représentée l’arrivée de la mort. Une ombre sans visage et sans contours, silencieuse et vaporeuse.

Mais la voix qui s’éleva en un salut, puis en une présentation, était tout ce qu’il y avait de plus réel. Quelles étaient les chances pour que la mort se… présente? Alors, la jeune Elfe se fit à nouveau violence. Pour forcer ses yeux à voir, pour obliger sa voix à lui répondre. Pour mettre un visage sur un nom et une voix. Sa vision retrouva un peu de sa stabilité et Dîs observa la frêle et jeune Humaine avec précaution. Était-elle là pour l’achever? Ou pour l’aider? Pour mettre fin à son calvaire? Ou le prolonger et lui donner une seconde chance? Que méritait-elle? Quelles étaient ses fautes, au juste? Mais l’attitude d’Aethra, douce et aidante, était une réponse en soit. L’Humaine allait essayer de l’aider.

Elendîs envisagea brièvement la possibilité… d’abandonner. Encore se battre? Pour quoi? Pour qui? Se relever de l’abandon d’Ithildir avait déjà été une épreuve innommable. Mais elle l’avait fait. Pour leur père et ses suppliques. Seulement, elle était seule maintenant. Est-ce que toutes ces souffrances en valaient la peine? Endurer tout cela, pourquoi? Faire face au rejet des siens et à la solitude? Dîs n’était pas née pour être seule, non… Que du contraire.

Il y avait toutefois quelque chose dans le regard d’Aethra posé sur elle qui fit taire ses réflexions. De la peur. Une sorte de compassion aussi. Et surtout, de la combativité. L’Humaine avait pris la décision de l’aider, de la sauver même. Qui était-elle pour le lui refuser?

« Elendîs. », parvint-elle juste à prononcer. Les sons étaient déformés par la langue mordue et gonflée, par les lèvres fendues et la mâchoire douloureuse. Mais si elle devait mourir dans les bras d’Aethra, au moins celle-ci connaîtrait-elle son nom. C’était pourtant tout ce qu’elle pouvait se permettre de dire pour le moment alors que le simple fait de s’asseoir avec l’aide de l’Humaine avait de nouveau envoyé son esprit à la limite de la conscience.

Vertiges et nausées s’ajoutaient aux tourments mais l’Elfe s’accrocha aux mots qui dévalaient des lèvres de sa sauveuse en une cascade saisissante. Touchante presque. Aider…Courageuse… S’en sortir…

Dîs le savait, le plus difficile serait de se relever. Elle n’était pas certaine de ce qui n’allait pas chez elle, exactement. Des choses étaient brisées, c’était évident. Dans ses jambes? Dans son bassin? Pourrait-elle seulement tenir debout? Mais tout ce qu’il lui fallait, c’était une bonne jambe et un bon soutien, pas vrai?

Les mains d’Aethra étaient toujours là, après l’avoir aidée à s’asseoir, promettant support et guidance. Alors Elendîs jeta ses dernières forces dans la bataille, s’agrippant pour se hisser vers le haut dans un pleur poignant.

L’effort, la souffrance et l’angoisse rampante la firent trembler des pieds à la tête mais… La gauche! La jambe gauche tenait! Lourdement appuyée sur l’Humaine, Dîs prit cette petite victoire et s’y emmitoufla comme dans une couverture moelleuse pour tenter de garder le supplice à quai.  

Et maintenant? En avant?

Il fallait qu’elle se batte. Elle devait le faire, car je ne pourrais pas mener ce combat entièrement à sa place. « Allez… » Je la tirai un peu par le bras, en espérant ne pas lui faire davantage de mal. Je recommençai jusqu’à la voir bouger un peu par elle-même. Un instant, j’avais bien cru qu’elle était morte et ne me répondrait jamais. Cette idée même me terrifia, car je n’avais aucun mal à m’imaginer à sa place : seule, condamnée à une mort violente, jetée dans une ruelle sordide comme une moins-que-rien. Je ne lui souhaitais pas cette fin, pas plus qu’à moi.

Puis son regard se posa enfin sur moi. Elle y capta quelque chose qui lui redonna un peu d’ardeur. Entendre le doux son de sa voix fit taire momentanément la peur qui germait lentement dans mon esprit, pour la supplanter par une lueur d’espoir, ténue mais réelle. « Elendîs… » Répétai-je, comme pour l’ancrer davantage en ce monde, donner consistance à cette identité sur le point de s’effacer. Une part moi de réalisa également que j’aurais un nom à écrire sur une tombe, si je ne parvenais pas à la sauver. Mon sourire, tout d’abord encourageant, se teinta de tristesse à cette pensée.

Mais je refusais d’abandonner sans avoir au moins essayé. « Un pas après l’autre… » Lui soufflai-je, en la voyant tenter de se relever. Je la soutenais du mieux que je le pouvais, bientôt en mesure de l’entourer de mes bras pour lui donner davantage de force. Certains de ses membres et articulations étaient tournés dans un angle étrange qui me donnait la nausée rien que de les fixer trop longtemps, alors je fis abstraction autant que possible. Si elle tenait debout, on pouvait y arriver.

Ses sanglots me firent frémir, mais je ne lâchais pas pour autant son bras, le passant derrière ma nuque dès qu’elle fut à ma hauteur. Ma seconde main vint aussitôt se presser à sa taille pour soutenir sa jambe droite sur laquelle elle ne semblait pas pouvoir s’appuyer. Elle en avait au moins une de fonctionnelle, je pourrais sans mal être celle qui lui manquait. « C’est très bien, on va y arriver. » Maintenant, il allait falloir clopiner jusqu’à un rebouteux. Je n’avais pas la moindre idée encore de comment on allait pouvoir le payer mais… chaque chose en son temps.

L’effort était réel, pour elle comme pour moi. Nous marchions tous les deux à une allure affreusement lente, nous épuisant rapidement à mesure. Les rues étaient heureusement désertes, personne n’essaya de nous arrêter. Je vis même avec stupeur et tristesse quelques-uns se réfugier chez eux ou nous épier depuis les fenêtres, comme si nous risquions de leur porter malheur.

Parvenues difficilement dans la bonne rue, je constatais avec soulagement que l’échoppe n’avait pas encore fermé pour la nuit. Une faible lueur éclairait encore une fenêtre de l’habitacle. « On y est presque… » Il fallait qu’elle tienne encore un peu. Les derniers mètres parcourus furent les pires. Je m’effondrai presque sur le bois de la porte en cognant celle-ci, d’un geste désespéré. « S’il vous plaît… ouvrez-nous ! » Allait-il seulement consentir à m’écouter ? « J’ai… J’ai de l’argent ! » C’était un pieux mensonge, pour espérer que le battant cède sous mes suppliques.

Tout n’était que douleur et effort titanesques. Son être tout entier la faisait horriblement souffrir et chaque pas supplémentaire vers une aide potentielle envoyait d'atroces décharges dans son corps déjà brisé.

Mais Dîs tenta de se déconnecter de ses sensations. Avancer… Il fallait continuer à avancer…

L’Elfe se laissa donc guider par l’Humaine, incapable de se repérer, même de voir à certains moments, l’endroit où elles se trouvaient. Sa vue vacillait constamment, de même que sa conscience, et elle se rendait bien compte qu’elle pesait très lourdement sur la figure à ses côtés, pourtant pas beaucoup plus grande ou forte qu’elle.

Dîs était toutefois bien trop absente que pour s’en vouloir tout de suite du poids physique mais aussi mental qu’elle portait sur une parfaite inconnue. Ce n'était pas juste pour sa sauveuse... Mais quel autre choix avait-elle, de toutes façons? C’était ça ou crever dans cette ruelle sombre. Et Dîs devrait une bien lourde dette après cette journée.

L'Elfe s’ancrait donc aux prises d’Aethra sur sa personne, aux encouragements qu’elle murmurait au fur et à mesure de leur laborieuse avancée, ses notions d'espace et de temps s'évaporant. Depuis combien de temps Aethra l'avait-elle relevée? Cinq minutes? Une heure? Elle n'en savait plus rien et remarqua à peine qu’elles s’étaient arrêtées, tanguant sur sa seule jambe à peu près en état tandis que l’Humaine se battait avec… une porte close.

Elendîs essaya donc de se concentrer, sur les bruits, sur les sons. Malgré le sang qui battait sans cesse, ses oreilles sensibles captèrent tout de même du mouvement derrière la porte et les signes d’une ouverture imminente: pas lourds et pesants, borborygmes d’un homme dérangé, loquet que l’on soulève. La porte s’ouvrit enfin, lentement, sur la silhouette du rebouteux encore en train de mâcher la dernière bouchée de son repas.

« Quoi encore, à une pareille?! », maugréa-t-il avant que ses yeux ne s’habituent à la pénombre et qu’il puisse distinguer les deux formes face à lui.

L’Elfe n’essaya même pas de parler. Elle ne s’en sentait plus capable et la peur la taraudait toujours. Et s’il savait qui elle était et refusait de la soigner pour cette raison?

Il grommela toutefois, son regard sombre soupesant les blessures d’Elendîs.

« Entrez… Posez-la là… », fit-il, en montrant une couchette dans le fond de la pièce principale de l’échoppe.

Dîs laissa échapper un long souffle, qu’elle ne s’était pas rendue compte d’avoir retenu.

« Vous n’avez rien, vous? », demanda-t-il ensuite à Aethra en s’écartant de la porte qu’il avait fermée derrière les deux jeunes femmes pour aller rassembler du matériel dans des rangements disposés aux quatre coins de la pièce.

Le battant s’ouvrit presque trop violemment. Je manquai de tomber à la renverse, en entraînant Elendîs dans mon sillage. Sous le regard réprobateur du guérisseur et son ton inquisiteur, je me recroquevillai un peu, comme un animal craindrait d’être chassé à coup de bâton. Mais, contre toute attente, il accepta d’examiner l’elfe. C’était probablement la mention d’un paiement à venir qui fit pencher la balance en notre faveur. J’allais devoir me pencher sérieusement sur la question, mais chaque chose en son temps…

Il ne me demandait pas de régler immédiatement, ce qui m’arrangeait assez. J’obtempérai aussitôt quand le rebouteux m’indiqua de déposer l’elfe sur une couchette au fond de la pièce, avant qu’il ne se décide à changer subitement d’avis. Je faillis presque basculer en même temps qu’elle, tremblant sous le coup de l’effort. L’épuisement me guettait. « Ça va ? » Lui soufflai-je, comme de maigres excuses, face au traitement un peu brutal que je venais de lui imposer.

« Vous n’avez rien, vous ? » Mes yeux s’arrondirent sous le coup de la surprise. « N-non… Je vais bien, merci. » Je n’aurais pas pensé qu’il s’inquiète de la sorte, étant donné l’accueil qui nous avait été réservé. Je baissai de nouveau le regard sur Elendîs, qui semblait être soulagée de pouvoir enfin se reposer un peu. Mon sourire pour elle était un peu incertain. J’imaginais qu’elle était entre de bonnes mains maintenant… Je ferais sans doute mieux d’y aller, en espérant qu’il ne la mette pas dehors quand il découvrirait qu’elle n’avait probablement rien pour le payer.

Je serrai doucement sa main, en signe de soutien muet, avant de me redresser lentement. Je guettais désormais une occasion de m’éclipser discrètement sans qu’il ne le remarque, avant que son pragmatisme ne le rattrape. « Elle s’appelle Elendîs. Ils… ils l’ont roué de coups, je ne sais même pas pourquoi. » J’espérais qu’il aurait davantage pitié d’elle en connaissant les circonstances. L’entraide devrait être de mise dans le Bascloître, non ? « Vous pouvez faire quelque chose ? » Lui demandai-je, en observant rapidement la pièce pour en chercher les portes de sortie. Il me suffisait probablement d’attendre qu’il ne l’examine pour qu’une échappatoire se dessine pour moi. J’étais un peu désolée pour elle, mais j’avais déjà fait mon possible pour lui laisser ses chances. Maintenant le tout était de ne pas m’attirer plus d’ennuis que je n’en avais déjà.

La voix lui manquait et Elendîs ne put qu’acquiescer très vaguement à la question d’Aethra alors qu’elle s’échouait sur la couchette et se laissait tomber sur la surface étonnamment confortable. Puis elle rendit la pression sur sa main autant qu’elle le pouvait, mais ses doigts ne lui répondaient plus vraiment.

Les larmes aux yeux, elle observa le rebouteux s’approcher.

« Elendîs… », murmura-t-il simplement avant de l’aider à s’installer un peu mieux sur la couchette, supportant partiellement son poids et replaçant l’un ou l’autre membre qui n’arrivait pas à suivre. Il n’en demanda pas plus, comme s’il avait déjà compris que sa nouvelle patiente serait bien incapable de lui répondre.

L’attitude fuyante de sa sauveuse n’échappa pas à Dîs malgré son état. L’Elfe n’avait pas de quoi payer, comprit-elle, et c’était aussi bien. Dîs n’aurait pas aimé ajouter une dette financière à celle de vie qu’elle devait déjà à Aethra.

Par dessus l’épaule massive du rebouteux qui s’était agenouillé pour examiner ses blessures, l’Elfe capta le regard de l’Humaine et pointa discrètement vers la sortie. Elle se débrouillerait. Elle imaginait bien que leur maison avait déjà dû être pillée, qu’elle n’avait probablement plus aucune ressource, mais elle trouverait un arrangement. Elle travaillerait pour le rebouteux s’il le fallait. Elle trouverait quelque chose. Il allait bien falloir qu’elle apprenne à s’en sortir. Seule.

De son côté, l’homme marmonnait toujours dans sa barbe et avait commencé à écarter les lambeaux de vêtements qui cachaient encore à peine les lésions qu’il souhaitait mieux voir.

« Ça va prendre du temps, mais oui. », finit-il par répondre à Aethra. « C’est mon boulot après tout. Revenez demain, ça ne sert à rien de rester. Le traitement ne sera pas joli à voir, beaucoup de choses à remettre à place.»

Dîs retint un gémissement à l’idée tout en cherchant à nouveau le regard de l’Humaine. Elle savait qu’Aethra ne reviendrait pas. Elle n’avait pas de raison de le faire. L’avoir sauvée dans cette ruelle, c’était déjà bien suffisant. Ses yeux verts laissèrent transparaître toute sa reconnaissance, et comme un au revoir, avant de pointer à nouveau vers la porte. Puis son attention fut de nouveau attirée sur le rebouteux qui avait ouvert un petit flacon et l’amenait presque délicatement pour un homme de cette taille à ses lèvres.

« Une décoction de pavot… Il vaut mieux que vous ne soyez pas des nôtres pour ce qui va suivre… Dormez. »

Elendîs ne résista pas. Elle n’en avait ni la force, ni l’énergie, maintenant que l’élan qui lui avait permis d’arriver jusqu’ici s’estompait. Elle but le liquide amer sans une arrière pensée. Peut-être même était-il en train de l’empoisonner, pour ce qu’elle en savait, mais tant pis. Trop tard. Elle avait bu et en quelques instants à peine, la douleur, la fatigue, le chagrin et le pavot eurent raison d’elle.

Je reculai de quelques pas, tout en silence. Je craignais presque de respirer trop fort en cet instant précis. Le rebouteux s’était penché sur elle pour étudier plus en avant ses blessures. C’était ma chance de m’échapper. Je restais pourtant figée dans cet entre-deux difficile, avant que mon regard n’accroche celui de l’elfe, réduite en mille morceaux. Un échange muet s’établit entre nous. Elle avait sans doute compris que je ne pouvais pas m’occuper davantage d’elle, et qu’il lui faudrait se débrouiller toute seule à partir de maintenant. Et… elle l’acceptait. Ce simple coup d’œil en direction de la porte signa son assentiment. Je lui rendis un regard peiné. Je ne reviendrais pas demain pour régler cette dette qui n’était pas la mienne, elle le savait. Du bout des lèvres, je lui souhaitais bonne chance, avant de m’en retourner à la nuit noire. Je devais retrouver Aiden avant qu’il ne s’inquiète de ma disparition. La Guerre des Rats faisait bien des victimes collatérales.

Mes pupilles dorées fixaient avec insistance ce qui se cachait derrière les rideaux tirés du Laurier Carmin ce matin-là. En temps normal, je ne m’approchais pas des lieux. Les autres chats n’appréciaient pas vraiment ma compagnie, et ceux du Laurier Carmin étaient… particuliers. J’en soupçonnais particulièrement un d’être incroyablement territorial, à me chasser sans arrêt des lieux. Fort heureusement, il n’était pas là aujourd’hui, ce qui me laissait l’occasion de satisfaire un peu plus ma curiosité féline.

Je l’avais déjà surprise à plusieurs reprises, sans vraiment être certaine de ce que j’avais réellement vu. C’était difficile d’imaginer ce brin d’elfe tuméfié, au seuil de la mort, être la même personne que cette femme délicate dans ces voiles de soie aux couleurs pastel. Je grattai doucement à la vitre de sa chambre, me demandant si elle serait prête à m’ouvrir. Sous cette forme, il était impossible de me reconnaître. Je n’étais pas Aethra, mais seulement un chat errant, au pelage de noir et de flammes, qui n’aurait peut-être pas son attention. J’aurais voulu simplement la voir de plus près, pour m’assurer que c’était bien elle. C’était sûrement un besoin égoïste de me rassurer. Après tout ce que nous avions vécu durant la Guerre des Rats, une part de moi voulait encore croire que certains avaient pu s’en sortir. Si Elendîs était encore en vie, alors cet élan de courage cette nuit-là n’aurait pas été vain.

En ce début d’après-midi, le dortoir était plutôt calme. Dîs s’était levée très tôt, et avait donc déjeuné bien avant les autres occupants de la maison, ce qui lui laissait l’endroit pour être seule. Pour quelques temps. C’était une de ses techniques, pour avoir un peu de temps à elle sans que ses collègues ne lui tournent autour, plus ou moins intéressées par ce qu’elle faisait alors qu’elle gribouillait dans son petit carnet.

La petite Elfe était donc repliée sur son lit appuyé sous l’une des fenêtres de la pièce, le carnet ouvert sur ses genoux et une pointe de fusain dans l’autre, à essayer de coucher sur le pied des vers qui n’avaient de sens que pour elle.

Un grattement commença peu à peu à gêner sa concentration, s’infiltrant dans ses pensées et lui faisant perdre le rythme.

D’où pouvait bien venir ce son?

Jetant d’abord un coup dans la pièces toujours aussi vide à la recherche de la source, son regard se porta enfin sur la fenêtre juste au-dessus d’elle.

Mais comment ce chat était-il arrivé sur l’appui de fenêtre du premier étage?!

Prise d’un élan de panique à l’idée que la boule de poils ne tombe, Dîs lâcha le carnet et ouvrit rapidement la fenêtre qui surplombait son lit. Elle s’écarta ensuite de l’ouverture pour laisser la possibilité à l’animal de passer. Il aurait tout aussi bien pu faire demi-tour, les chats sont bizarres comme ça, mais celui-ci avait eu l’air de vouloir… entrer.

« Bonjour toi… Qu’est-ce que tu fais là? C’est dangereux là, dis donc, pourquoi ne pas venir te mettre au chaud? », fit-elle de sa voix douce et engageante pour encourager le chat à se mettre en sécurité. En soit, une chute du premier étage n’aurait peut-être pas été si tragique pour un chat, censé pouvoir toujours retomber sur ses pattes, mais ne tentons pas le malheur…

J’avais fini par gratter la fenêtre de mes deux pattes d’avant, en voyant l’elfe relever la tête de ses dessins. Elendîs… ? Elendîs ! Enfin, mes grands yeux dorés croisèrent les siens, d’un vert si reconnaissable. Je me figeai un peu, le souffle court. C’était bien elle. Elle avait toujours ce regard un peu triste, si expressif. C’était ce que je reconnus en premier, car il était difficile de la relier sinon à cette elfe crasseuse au visage tuméfié, entrevue lors d’une nuit si terrifiante…

Elle se précipita pour ouvrir la fenêtre, m’arrachant à ces souvenirs bien cruels. Assise sur le rebord de la fenêtre sous ma forme féline, je la détaillai longuement sans bien comprendre l’urgence de la situation. Il me fallut un temps infini pour me décider à pénétrer les lieux, descendant d’un bond souple dans sa chambre. L’air me paraissait surchargé de parfum sous cette forme… mais la chaleur de l’habitacle me fit aussitôt ronronner de contentement. C’était bien au-dessus du confort que je pouvais espérer dans mes planques miteuses, entre Clayrak et le bascloître de Starkhaven.

Je me frottai doucement contre le pied du lit, avant de lui lancer un regard par en-dessous. Sous cette forme, elle ne pouvait évidemment pas me reconnaître. Ce n’était peut-être pas plus mal… aurait-elle réellement cherché à me revoir, après que je l’ai délaissée aux mains de cet homme ? Que lui avait-il demandé exactement en retour, pour qu’elle se retrouve dans une maison de plaisir ? Même si cette couche semblait douillette et accueillante, je n’étais pas naïve. Sans doute que l’elfe avait dû vendre le peu de choses qui lui appartenait encore pour se sortir de cette impasse… comme ma mère avait dû le faire bien avant elle, afin d’élever une enfant.

Je m’assis à même le sol en lâchant un miaulement sonore pour toute réponse. Elle ne croyait pas si bien dire en parlant des dangers du dehors… les autres chats qui traînaient autour du Laurier Carmin étaient agressifs avec moi, particulièrement celui au pelage noir de jais. Mais elle ne devait pas songer à ce type de danger, n’est-ce pas ?

Mon regard doré se posa sur son carnet, tombé au sol. Les pages en étaient noircies au fusain. Je l’observai avec curiosité. Dessinait-elle ? Je ne pensais pas que nous aurions ce point commun. J’en tournai les pages avec quelques mouvements de pattes peu soigneux pour en feuilleter le contenu. Souvent, les dessins révélaient l’état d’esprit actuel de l’artiste... mais il n'était question finalement que d'écriture, et donc d'un charabia sans fin à mes yeux, même si c'était joliment aligné. Je finis par arrêter, dépitée. Je n'étais pas capable d'en comprendre le sens caché.

Je ne pouvais pas lui demander comment elle allait, mais je pouvais explorer son quotidien pour m’en assurer. Je commençais à faire le tour de la pièce. Reprendre forme humaine maintenant risquerait de la faire crier d’effroi. Personne n’aimait les mages, encore moins par les temps qui courraient.

Le chat hésitait sur le bord de la fenêtre avec cet air si caractéristique des félins qui n’arrivent pas à se décider. Une oscillation en avant, une oscillation en arrière, une oreille qui bouge, le regard qui balaie ses options, et Elendîs resta la plus immobile possible en tenant la fenêtre ouverte.

Puis l’animal se décida, fit les derniers pas qui le séparaient de la sécurité de l’intérieur. Il bondit sur le lit, puis le sol, et alla ensuite se frotter au pied du meuble pendant que l’Elfe refermait partiellement la fenêtre, laissant un espace qui permettrait au chat de prendre rapidement la poudre d’escampette s’il le souhaitait.

Elle grimaça en voyant le félin marquer l’endroit.

« Trufle et Tartuffe vont m’en vouloir, tu sais… Je pense qu’elles n’aimeraient pas beaucoup savoir que j’ai laissé entrer un nouvel invité… »

Elendîs se pencha un peu sur le côté.

« Désolée, une nouvelle invitée plutôt. »

Le miaulement, presque comme une réponse à sa salutation, la fit sourire tendrement. C’était très mignon.

Puis le chat eut un comportement très étrange qui laissa Elendîs perplexe. Il s’approcha de son carnet de chansons tombé au sol et se mit… à tourner les pages.

Du bout de sa patte de velours, le félin balayait les pages du livret et observait ses gribouillis comme s’il pouvait y décoder quelque chose…

L’incrédulité devait se lire sur les traits de la jeune Elfe qui le regarda faire avec une perplexité grandissante.

Elle en avait côtoyé pourtant, des chats. Encore plus ici, au Laurier, où il ne s’agissait pas de chats errants en perpétuelle balade mais bien de chats de maison, qui se complaisaient sur les lits et les appuies de fenêtre. Et elle ne les avait jamais vu marquer le moindre intérêt pour un livre, à part quand la couverture sentait bizarre. Et encore moins tourner les pages. C’était très… humain.

« Lu quelque chose d’intéressant? », demanda-t-elle alors, un brin d’amusement dans la voix. Au pire, elle serait une autre de ces demoiselles qui parlent à leurs chats comme s’ils allaient leur répondre. Au mieux… Elle ne voulait pas vraiment y penser en fait.

L’animal se mit alors à se balader dans la pièce, avec une capacité d’observation bien particulière. Et Elendîs resta assise sur son lit à le suivre du regard. Elle ramassa également son carnet et le rangea dans sa cachette, entre le sommier et le matelas, le long du mur. Sans jamais quitter le chat des yeux.

« Tu cherches quelque chose? »

Truffle et Tartuffe ? Qui était-ce ? Probablement les deux rejetons du mal que j’avais pu apercevoir à plusieurs reprises sur le toit… les autres chats ne m’appréciaient pas vraiment. Pour eux, j’étais une bizarrerie qui tentait de les imiter avec plus ou moins de succès. Et, à la longue, l’illusion s’effritait suffisamment pour les rendre plus agressifs envers moi. Le pire était ce chat noir qui rôdait dans le secteur… ses yeux me faisaient froid dans le dos. J’avais l’impression que celui-ci voyait clair dans mon jeu. D’ailleurs, il ne se privait pas de me chasser dans un grognement mauvais, ses crocs et griffes d’un blanc pur se détachant à merveille sur son pelage abyssal.

Mais je fis semblant de ne pas comprendre en me roulant sur le dos dans un ronronnement sonore, maculant les draps propres de quelques poils roux et noir qui ne leur appartenaient pas. J’aurais bien voulu voir leur tête quand ils découvriraient qu’un intrus s’était introduit sur leur territoire… Je m’installai sur le ventre, dans un miaulement sonore, comme pour lui confirmer que j’étais bien une petite femelle. Enfin… une femme, en réalité, mais il était sans doute préférable qu’Elendîs n’en sache rien. Qu’en dirait-elle, si elle savait pour ma magie ?

J’explorais ensuite son environnement, comme j’aurais pu prendre des nouvelles de l’elfe, après tout ce temps, éloignées l’une de l’autre. Je ne pus m’empêcher de feuilleter ce carnet de chanson, même si les mots peinaient à être assimilés. Je devais m’être concentrée un peu trop longuement sur la dernière feuille, car en relevant le regard pour croiser à nouveau celui d’Elendîs, je compris rapidement que mon comportement n’avait rien de normal pour un chat.

Je me figeai avec stupeur, à l’entendre me demander sans détour si j’avais lu quelque chose d’intéressant. Elle avait compris ? Non, impossible. J’agitai lentement la queue en ronronnant, avant de commencer à me lécher une patte et la passer à plusieurs reprises derrière mon oreille pour la nettoyer. Les chats faisaient toujours semblant de faire leur toilette quand ils étaient pris en faute, alors c’était la meilleure parade à adopter, non ?

Je fis le tour de la pièce comme si de rien n’était, avant de m’arrêter plus longuement derrière la porte de sa chambre pour en renifler quelques odeurs qui m’interpellaient. Sous les fragrances de parfum, il y en avait évidemment d’autres qui inspiraient la luxure… et évidemment une pointe féline attestant du passage de ces fameux Truffle et Tartuffe peu de temps auparavant.

Mes poils de mon pelage roux se dressèrent sur ma nuque et mon dos en entendant des pas se rapprocher du seuil de la porte. La peur faillit me faire une erreur regrettable, ma magie s’emballant aussi vite que mon cœur. Je me contentais de filer aussitôt dans les pattes d’Elendîs, sans demander mon reste, me dissimulant derrière la courtisane pour observer la porte d’un air tendu. J’avais peut-être encore le temps de rejoindre la fenêtre laissée entrouverte… mais la curiosité faisait partie de mes vilains défauts.

Pas de pause conviviale, ce midi. Tant pis pour le déjeuner. Flynn a un bien meilleur plan : mettre son persona, Rivière, au placard, et passer un moment dans un dortoir vide, seul, sans avoir de rôle à jouer. Avec des clients ou des collègues. Parce que non, personne ne savait encore, tout le monde l’appelait Rivière, tout le monde l’appelait « elle ». Et c’était très bien comme ça, pour le moment. Supportable. Mais fatigant. Il s’agissait donc d’utiliser son énergie avec pragmatisme.

Sans doute que cela le faisait passer pour quelqu’un de peu sociable. Il n’en était rien, bien sûr, moyennant que l’on propose un sujet qui l’intéresse. Tant pis. Ce qui sécurise sa place ici, c’est la clientèle fétichiste qu’il amène, que lui seul amène et sait fidéliser en sécurité. Clientèle qui donne des pourboires généreux, quand on savait appuyer sur leurs points sensibles.
Tout cela semblait suffire à Vera. Alors, ce midi, Flynn se reposait sur son lit, en dissociation, écoutant les esprits et les démons qui lui susurraient divers petits chants à l’oreille.

Et puis… un mouvement du Voile. Où ça ? Par qui ?

Il bondit de son lit quand il comprit que cela venait de l’intérieur du bâtiment.

Merde, merde, merde. De la magie, au Laurier ? Quel vermine osait attirer l’attention sur elle, osait faire de l’établissement une cible ? Ça ne devait pas arriver. Pourtant, ça venait de l’autre dortoir. Qui, comment ?!

Une aiguille à la main, prêt à en découdre, jusqu’au pire si besoin, Flynn ouvrit la porte avec fracas.

Avant de se sentir ô combien stupide.
Un chat. Vraiment, un chat ?!

« Toi, la prochaine fois que tu viens ici, tu as intérêt à t’annoncer, » lança-t-il furieusement à la boule de poils cachée derrière Elendîs. Se rendait-iel seulement compte ?

Ce que Flynn mit un instant à réaliser, lui, était qu’il venait de débouler devant Elendîs, la mort aux yeux, sans raison apparente, pour insulter un chat qui devait sembler tout ce qu’il y a de plus normal.

La porte du dortoir se referma d’elle-même avec un petit claquement, comme pour souligner la situation dans laquelle il se trouvait.

Urgh. Comment allait-il pouvoir expliquer ça.

Je sursautai ostensiblement quand la porte s’ouvrit avec fracas, sur le visage de… qui était cette personne au juste ? Je la voyais pour la première fois. Et pourtant, elle m’adressait directement la parole comme si elle savait très bien que je n’étais pas un vrai chat. Je pointai les oreilles en avant, les yeux grands écarquillés. Non, non… ce n’était sûrement pas un mage – ou une – mais simplement quelqu’un qui s’adressait aux chats comme si nous pouvions comprendre le langage humain, n’est-ce pas ?

J’avais beau renifler l’air, je ne sentais aucune trace de magie. Et puis, ce n’était pas cette aiguille ridicule qui représentait une menace réelle. Mais le ton furieux que l’intrus employa pour s’adresser à moi m’hérissa le poil. Je ne me sentais subitement plus légitime à demeurer dans la chambre d’Elendîs. Peut-être que je devrais simplement partir… J’avais trouvé ce que j’étais venue chercher ici. Elendîs allait plus que bien. Elle avait su s’entourer. Elle mangeait à sa faim, toutes traces de ses terribles blessures évanouies avec le temps. Et elle avait même le temps d’écrire, comme si elle avait pu retrouver un semblant de normalité au sein du Laurier Carmin. J’étais heureuse pour elle. Il me suffirait de garder un œil sur elle, à distance, comme je l’avais toujours fait jusque-là.

Je ne restais pas pour les entendre s’expliquer entre eux. Je profitais de la confusion passagère du nouvel intrus pour obéir aussitôt et m’évader par la fenêtre encore laissée ouverte par Elendîs. Un simple regard en arrière pour elle, et je bondis sur le toit d’en face sans tarder. Si je n’avais pas la certitude de ne pas avoir été percée à jour… je me méfierais à l’avenir. Il ne manquerait plus que je me fasse chasser à coup d’aiguille !