Si Hareas se sentait obligé de justifier sa maladresse pour éviter le ridicule, la réponse de Zaena le surprit. Il avait un peu de mal avec le second degré et l'ironie. Il s'apprêtait à répondre très sérieusement qu'il n'était pas tombé - pas cette fois - quand elle ajouta qu'il se faisait peut-être un peu vieux. Cette fois, le chasseur réalisa qu'elle plaisantait. Elle avait lâché ça comme ça, avant de se détourner, et il afficha quelques secondes une expression à mi-chemin entre l'amusement et la surprise, avant de lui emboîter le pas avec un sourire incrédule.

Pff, il n'était pas si vieux !
... pas vrai ?

Son genou lui intimait le contraire, mais c'était surtout la soirée un peu décousue de la veille qu'il lui rappelait, et Hareas était passé à autre chose. Apprendre que Zaena avait perdu ses amis avait été un retour à la réalité brutal, mais pas inédit. Il ne pouvait que repenser à toutes ces fois où il pensait être tranquille avant de devoir affronter une nouvelle catastrophe... La vie était comme ça, après tout. La sienne, en tout cas, était une suite de mauvais sorts entrecoupés de répits. Si elle lui avait enseigné une bonne chose, c'était de profiter de sa tranquillité tant qu'il le pouvait.

Zaena semblait prête à appliquer ce principe elle aussi. À la question d'Hareas, elle s'allongea, et il fut tenté de faire comme elle. Il s'était couché trop tard - ou trop tôt, selon le point de vue - pour cumuler assez d'heures de sommeil. Une petite sieste ne lui ferait pas de mal... Mais alors il n'aurait plus envie de se relever. Il s'assit en tailleur pour résister à la tentation de dormir, mais ferma quand même quelques minutes les yeux. La forêt enveloppa son ouïe et son odorat.

De petites pattes tapotèrent l'herbe près d'eux. Lorsqu'il rouvrit les yeux, Hareas vit qu'un écureuil curieux reniflait dans leur direction. Peut-être avait-il des miettes de pain ou de fromage à lui donner ? Les écureuils aimaient-ils le fromage ? Il chercha dans ses poches, sans faire de geste brusque. Ce fut à ce moment que Zaena demanda pourquoi ils avaient quitté leurs forêts. Hareas, qui s'apprêtait à tendre un reste de fromage au petit animal, suspendit son geste pour fixer son amie. Il se demandait si la question s'adressait à lui ou au ciel qu'elle fixait. Il déposa le fromage devant eux, à bonne distance de l'écureuil, et le regarda approcher en réfléchissant à la question. Il ne semblait pas effrayé, peut-être avait-il l'habitude de côtoyer les Dalatiens qui vivaient un peu plus loin ?

Hareas savait pourquoi il était parti, mais il voyait bien que cela ne faisait aucun sens. Un Dalatien dans une ville. Les cités étaient pour les hommes. Mêmes leurs cousins qui avaient quitté les bois des générations auparavant ne s'étaient jamais vraiment intégrés. Ils connaissaient les us et coutumes des shemlens mais ils ne vivaient pas comme eux. Ils n'étaient pas traités en égaux. Pourquoi, en effet, avaient-ils quitté leurs forêts ?

Elgar'nan avait une réponse toute prête à ces questions, mais Hareas n'aimait pas s'attarder sur les guerres et les injustices qui frappaient leur peuple. Il avait ses propres conflits à régler en venant ici et le sort de ses cousins, aussi triste soit-il, l'atteignait moins que celui de ses proches. Alors il préféra ne pas répondre à haute voix, faire comme si la question s'adressait aux autres plutôt qu'à lui, s'accrocher aux odeurs et aux sons de la forêt qui malgré tout, accueillait toujours le retour des elfes avec plaisir. L'écureuil s'empara du fromage et s'enfuit.

Des champignons ? répéta Hareas, amusé par l'idée. Oui, on devrait pouvoir trouver déjà quelques morilles ou des mousserons. Tu aimes ça ?

Il se sentit tout de suite porté par l'enthousiasme. Il était tellement rare qu'il cueille des champignons avec quelqu'un... ou qu'il fasse un geste si simple ayant appartenu au passé. Il avait presque l'impression d'être de retour dans le clan. Oui, pendant quelques instants, un tableau vivace et coloré s'imposa à son esprit : Zaena et Hareas étaient deux amis qui avaient décidé de se promener dans les bois pour passer l'après-midi de manière agréable entre deux obligations, deux jeunes elfes qui pensaient ramener de quoi faire de la soupe pour ce soir, et le clan serait ravi. L'idée était presque un souvenir, familier, et pas si irréaliste. Hareas pouvait imaginer que Zaena était une Virnehn, ses vallaslin ne lui étaient d'ailleurs pas inconnus ; c'était ceux que portait son frère, apparemment Dirthamen aimait les mages. Et tout aussi soudainement, l'image disparut.

Non, il n'était pas dans le clan, et souhaitait-il vraiment y retourner ? L'image était agréable, parce qu'elle n'était pas réelle. Elle ne pouvait pas l'être. Zaena et lui étaient amis, ici et maintenant, parce qu'ils avaient tous deux quitté leur clan. Pendant quelques secondes, Hareas se demandait s'ils se seraient rencontrés un jour, sans cela. Peut-être lors de la réunion entre clans qui avait lieu tous les dix ans, l'Arlathvhen, même s'il imaginait mal celui de Zaena se mêler aux autres... Non, cela ne servait à rien de s'attarder sur ce qui avait été et sur ce qui ne serait jamais. Le passé le ramenait aux épreuves, le présent était son moment de tranquillité, c'était sur lui qu'il devait se concentrer. Il se releva et désigna l'arbre dans lequel leur ami l'écureuil avait disparu :

M'est d'avis qu'on trouvera des noix aussi, pour ta soupe.

Quant aux champignons, il ne s'inquiétait pas. Il venait souvent dans ces bois. La plupart du temps pour chasser, mais à présent que le printemps était revenu, il pourrait repartir plus régulièrement à la cueillette. Il reprit un air pensif, avant de sourire :

Des morilles et des noix... Oh, c'est malin, tu m'as donné faim !

Elle acquiesça.

« Oui, eux ou d'autres ça serait bien. »

Elle se releva, faisant quelques pas au milieu des herbes pour chercher quelques premières récoltes pour ce repas à venir. Calmée par l'environnement dans lequel ils évoluaient maintenant, elle repensait encore à sa propre question. Elle se souvenait pourquoi elle avait quitté son clan, mais pourquoi ne pas choisir de rester dans une forêt, à profiter du calme et de la nature, pourquoi choisir cette ville plutôt qu'autre chose. Les mots et rires des amis défunts étaient sa réponse, rester seule longtemps n'avait jamais été dans ses intentions, malgré tout ce qu'elle peut détester sur cette ville, quelques choses méritent un peu d'être rappelées. Son regard se détourna un instant, se posant sur son amis tandis qu'il désignait l'arbre qui abritait il y a peu le petit mammifère.

« Parfait alors ! Les noix se marient parfaitement avec ! »

Elle s'accroupit alors, au pied d'un arbre proche pour y saisir quelques champignons ici. Son arrivée en ville fut un nouveau départ, malgré tout ce qu'elle avait du perdre dans ce changement. Aujourd'hui, c'était encore un nouveau départ qu'elle devait prendre, aussi difficile puisse-t-il être. Au moins pour celui-ci, connaissait-elle encore quelques personnes avec qui partager des choses aussi simple qu'une soupe aux champignons.

« Désolée, pour me faire pardonner je peux te laisser en prendre un peu ! »

Pas trop non plus, c'était peut-être le repas favori de la jeune Dalatienne, alors il fallait bien en profiter. Les premiers champignons qu'elle ramassait annonçait un bon repas à venir pour le soir, meilleur que les précédents en tout cas, voilà là une certitude. Son regard se perdait à observer les arbres autour, cherchant peut-être un autre signe d'un animal comme le précédent. Ne serait-ce que pouvoir observer un peu plus ces êtres fascinant dans leur environnement.

« Dis-moi Hareas, comment tu m'as trouvé tout à l'heure ? »

Elle s'arrêta un instant, ramassant un champignon pour laisser son regard dessus quelques instants.

« Quand... Comment as-tu entendu parler de... Tu sais. »

Leur départ ? Leur fin ? Le drame ? Les mots étaient plusieurs à pouvoir remplacer le silence qui suivit ses mots, pourtant elle n'en laissa aucun sortir. Elle restait immobile à fixer le petit champignon dans sa main, plusieurs questions se bousculant dans son esprit. Elle se redressa après quelques instants, rangeant le champignon dans sa sacoche, cherchant à replonger son esprit dans cette cueillette.

« Sinon, quoi de neuf pour toi en ce moment ? »

Tandis que Zaena cherchait des champignons au sol, Hareas levait la tête en direction des arbres pour identifier des noyers ou des noisetiers. Il posa ses mains au-dessus de ses yeux pour se protéger un peu de la lumière vive qui perçait à travers les frondaisons. Etait-ce son imagination, ou le soleil brillait-il plus fort dans la forêt que dans la cité ?

Silencieusement, Hareas adressa une petite prière de remerciement à Elgar'nan.

Ce n'était pas souvent qu'il s'adressait à la divinité du soleil pour exprimer sa reconnaissance, en général il l'incluait plutôt dans ses prières désespérées, quand il ne savait plus pourquoi il faisait ce qu'il faisait. Mais à cet instant, en ayant laissé la ville maudite dans son dos, Hareas était capable de ne penser qu'au soleil. Et à la soupe de champignons aux noix qui se préparait.

Un peu ? répéta-t-il, presque vexé. Eh, il contribuait à ce repas ! D'ailleurs, il venait de repérer un arbre prometteur. Ta soupe a intérêt à être excellente, alors !

Il contourna le noyer pour trouver une bonne prise où grimper. Il se hissa sur l'arbre, plus prudemment que lorsqu'il avait escaladé le toit de la planque un peu plus tôt. C'était quand même plus facile et plus naturel comme ça... Il repéra une bonne branche à mi-hauteur, assez épaisse pour soutenir son poids, et tendit le bras pour l'atteindre. Il n'était pas tout à fait dessus quand Zaena lui demanda comment il l'avait retrouvé tout à l'heure, alors il se laissa le temps de finir son ascension pour réfléchir à sa réponse.

J'étais dans une taverne de Chowconer hier soir, expliqua-t-il en s'asseyant sur la branche. Tu sais comment c'est...

La taverne était remplie d'étrangers, beaucoup d'elfes citadins normalement. C'était dans ce genre d'endroits qu'on entendait le plus souvent parler de ce qui arrivait aux étrangers. À ceux qui étaient de passage, aux brigands ou simplement aux elfes que le bon peuple de Starkhaven n'aimait pas évoquer. Hareas avait déjà entendu des rumeurs, mais les bavards de comptoirs étaient particulièrement volubiles la veille et il avait fini par comprendre ce qui était réellement arrivé. Quand il avait réalisé que son ancienne amie avait perdu ses deux compagnons dans ce qui ressemblait à un grave accident... Il n'avait pas pu fermer les yeux.

J'ai pensé que tu étais peut-être dans une de ces cachettes qu'on connaissait tous les deux. Je ne savais pas si j'allais te trouver, mais j'étais obligé d'essayer...

Il avait visité plusieurs endroits avant de tomber sur le bon. Il était content de ne pas avoir abandonné ses recherches, malgré la pluie et son genou blessé. Il était vraiment content.

Il se détourna de Zaena le temps de cueillir quelques noix. Il sortit son couteau de chasse pour décrocher une coque particulièrement énorme, aussi concentré sur sa cueillette que sur ce que lui disait son amie :

Oh, elle est belle, celle-là ! Eh bien... J'ai un ami qui va se marier.

Ils avaient globalement beaucoup de choses à rattraper, mais Hareas ne voulait pas revenir sur la récente opération des Corbeaux dans le Clattercraft, parce que ça les ramenait à leurs activités illégales et que Zaena n'avait pas besoin de ça en cet instant. Il n'osait pas trop mentionner son frère non plus, ou son ancien ami Linnarel, parce que les histoires de son clan risquaient là encore de faire remonter de mauvais souvenirs (Zaena et lui avaient décidément quelques points en commun). Mais parler d'un événement heureux, c'était parfait, et ça lui faisait plaisir de partager la joie d'un ami, même si ce dernier allait bientôt quitter la cité.

Tu ne vas peut-être pas le croire, mais j'ai rencontré un ambassadeur il y a quelques temps, et on est devenu amis. Il va se marier dans trois jours, avant de repartir dans son pays, et il m'a invité ! Tu imagines ? Un Dalatien dans une chapelle shemlen...

Hareas souriait jusque là, mais son expression se figea un peu en imaginant toutes les erreurs diplomatiques qu'il était capable de commettre sans le vouloir... Mythal me protège. Il redescendit de son arbre, quelques noix dans les plis de sa tunique.

En-enfin bref. Je lui ai fait un cadeau, tu veux le voir ?

Il fit glisser les fruits à coque dans son sac pour chercher les bracelets qu'il avait commencé à sculpter pour son ami Arnth et sa fiancée. Il les avait faits assez larges pour qu'ils puissent être portés, mais comme ils s'emboîtaient parfaitement, les mariés pouvaient aussi les poser quelque part en guise de décoration. C'était un peu délicat à offrir, sans connaître les coutumes du Nevarra, mais Hareas était très content de son travail et cela se voyait sur son visage.

Elle sourit. Il cherchait dans les arbres quelques champignons et visiblement n'était pas très satisfait du paiement promit par la dalatienne. Un petit peu de soupe semblait un peu léger. Oui en effet, non seulement il venait lui offrir son aide dans cette cueillette, mais avoir quelqu'un à ses côtés en cet instant ne pouvait qu'être apprécié par Zaena. Elle mimait un air peu satisfait lorsqu'il demandait à ce que la soupe soit bonne.

« Pourquoi, tu crois que je ne suis pas très douée en soupes ? »

Elle posa les poings sur ses hanches, tenant quelques instants avant de rire.

« Tu pourras en avoir un peu plus alors,je ne peux te promettre qu'elle soit si bonne. Je n'en ai pas fais depuis longtemps. »

Ses amis n'étaient pas très contents de sa soupe d'habitude, eux qui étaient nés en ville n'avaient pas autant d'amour qu'elle pour les champignons. Lui se lançait à la conquête d'un arbre pendant qu'elle trouvait quelques spécimens intéressants au pied d'un autre. Qu'ils continuent à ce rythme là et ils auront de toute manière peut-être trop de champignon pour qu'elle puisse tout prendre seule. Poussée par sa curiosité elle lui demanda comment il avait su. Les explications furent à peu près ce qu'elle espérait quelques rumeurs dans des tavernes, puis il avait cherché. Il n'était pas certain, mais avait senti l'obligation d'essayer.

Accroupie devant son arbre elle esquissa un sourire franc, retenant quelques larmes. Il était obligé d'essayer... Non, loin de là, rien ne l’avait forcé si ce n'est une vieille amitié qui avait semblé disparue avec le temps. Il restait alors encore assez entre eux pour qu'il s'inquiète et cherche à la retrouver.

« Et je suis contente que tu aies essayé ! Tu as fouillé où avant de me trouver ? »

Peut-être autant pour faire la discussion que par curiosité cette fois-ci, car cela importait bien peu. Elle était contente qu'il ait cherché, qu'il ait trouvé et qu'ils soient maintenant ici. Raviver une vieille amitié était quelque chose qu'elle n'attendait pas de cette journée, mais c'était un peu de joie en ces temps qu'il avait tant de mal à vivre. La discussion continuait, s'éloignant doucement des sombres évènements passés. Il avait quelques nouvelles en effet, un mariage à venir, celui d'un ambassadeur ! La dalatienne se releva, étonnée en entendant les mots de son amis. Elle tenait en main son champignon, lui allait chercher quelques ingrédients. En même temps il lui parlait d'un mariage à venir, dans une chapelle, avec un ambassadeur. Elle rigola.

« Ca sera probablement un drôle de spectacle ! Je suis certaine que tu te fondras dans le paysage avec une élégance parfaite ! »

Elle rigola à nouveau, n'arrivant finalement pas à garder son sérieux. Quelques secondes après elle reprit.

« Tu me raconteras ? »

Il avait fait un cadeau, proposant à Zaena de lui montrer. Elle acquiesça sans hésitant, s'approchant de lui tandis qu'il sortait le cadeau. Des objets sculptés avec talent, elle posa son regard dessus, puis approcha ses yeux de l'objet, passant sa main dessus pour sentir un peu les reliefs en même temps qu'elle laissait ses yeux ses balader sur les objets.

« Ils sont magnifiques. Ils seront contents, je n'en doute pas ! »

La promesse d’une soupe, même d’une qualité discutable, était suffisante pour Hareas, aussi ne se risqua-t-il pas à sous-entendre que Zaena pouvait être une piètre cuisinière. Des fois qu’elle changeait d’avis et refusait de partager le fruit de leur cueillette avec lui. Il affirma même, sur un ton à la fois sincère et amusé :

Je suis sûr qu’elle sera très bonne.

Et puis, ça le changerait de sa propre cuisine. Et s’il lui arrivait de partager son repas avec d’autres, c’était rarement un plat qui le ramenait à ses années dans le clan. Ah, s’il ne faisait pas attention, il allait se laisser happer par la nostalgie… Heureusement pour lui, le sujet dévia sur sa quête matinale pour trouver Zaena, et c’est un peu gêné qu’il avoua :

J’ai cherché un peu partout… Les planques que tu connaissais, celles que je t’avais montrées, celles qu’on avait découvert par hasard…

Il grimaça légèrement au souvenir. Passé la soirée mouvementée et la gueule de bois qui avait suivi, il n’avait pas réussi à cesser de penser à son amie et aux endroits où elle pouvait se cacher. Il s’était mis à sa recherche dès que possible ; ça avait été une courte nuit.

Comme celle durant laquelle il peaufinerait son cadeau de mariage à Arnth, probablement. Il était très fier de le montrer à Zaena, et un peu rassuré qu’elle plaisante sur sa présence aux noces shemlens. Un rire nerveux lui échappa :

Ne te moque pas ! Et si je fais une faute diplomatique ?

Il savait que la cérémonie aurait lieu dans la chapelle de Cairnayr. Pour se rassurer, il avait fait un détour en rentrant au thaig et avait constaté que le bâtiment était tout à fait charmant, mais pas très grand. Il s’imaginait quelque chose de prestigieux, comme la cathédrale, pour un ambassadeur et sa future femme. Y aurait-il assez de place pour tous leurs invités ? Voilà un problème que l’on ne rencontrait pas aux mariages dalatiens, au moins. Il secoua la tête pour chasser le souvenir de son esprit. Il y avait longtemps qu’il n’avait pas assisté à des noces. Il se demanda brièvement si Zaena avait été fiancée dans son ancien clan, ou si elle avait eu la chance d’échapper à cette tradition, contrairement à lui.

Evidemment, je te raconterai. Surtout si je mets les pieds dans le plat ! Enfin, je dois avouer que je suis intrigué. Je me demande à quel point c’est différent d’un mariage dalatien.

Peut-être pas, espérait-il, au point que son cadeau soit totalement vide de sens. Il était rassuré par le compliment de son amie, et cela s’afficha sur son visage lorsqu’il répondit :

Oh, bon… ce n’est pas fini, tu sais ! Il me manque quelques gravures. Et j’aurais bien aimé utiliser un bois plus raffiné mais… bon. Ce n'est pas important.

Il n’avait pas eu le courage d’aller quémander de l’écorce de fer dans le clan le plus proche. C’était un matériau rare et précieux. Et les Dalatiens sans clan, quelle que soit la raison de leur solitude, n’étaient pas toujours bien vus.

Tu t'es déjà approchée du clan Tanassavir ? questionna Hareas par simple curiosité.

Un sourire vint se poser sur les lèvres de la dalatienne. Très bonne, peut-être, peut-être pas. Seul l'avenir le dira. Elle acquiesça, plus ou moins humblement. En toute honnêteté, elle pourrait payer cher pour goûter à nouveau à celle de son clan, certains étaient bien plus doués qu'elle dans cet exercice. Puis le sujet dévia, sans que plus de soupe aux champignons ne soit évoqué. La question pouvait paraître un peu inutile, mais la réponse déposa un petit air heureux sur le visage de la dalatienne. Il avait fouillé un maximum de planques, jusqu'à trouver la bonne. Elle ne donna pas d'autre mot, gardant simplement cela comme un signe assez sincère qu'elle avait encore des amis.

Son ami semblait inquiet pour une réception, Zaena trouvait cela particulièrement amusant, d'autant plus lorsqu'il mettait en avant des doutes diplomatiques. Un peu rassurante elle répondit un sourire ancré aux lèvres.

« Ca ira ! C'est un mariage, soit toi-même et je suis certaine que tout se passera bien ! »

Après tout, on attendait pas tant que ça des invités dans ces mariages n'est-ce pas ?

« Évite juste de leur renverser des trucs dessus je pense. Ou alors juste de l'eau. J'ai entendu dire que ça portait bonheur chez eux. »

Elle se mordit la lèvre, comme pour retenir un petit rire. Dans tous les cas, elle aura un retour après le mariage, voilà quelque chose qu'elle avait hâte d'entendre. Malgré ses appréhensions, le jeune dalatien était tout de même curieux, intrigué selon ses mots. C'était simple à comprendre, elle qui était très curieuse pouvait bien reconnaître un très fort intérêt de voir ça de loin. Encore plus en imaginant Hareas perdu au milieu de la réception. La pensée lui arracha un petit rictus. Mais tout ira bien. Le cadeau qu'il lui présentait était beau, même pas fini pourtant. Il affichait quelques regrets sur son œuvre, mais il n'y avait pas de raisons.

Peut-être oui, un bois plus raffiné aurait été mieux. Peut-être oui, l'objet peut encore être plus réussi après d'autres gravures, mais qu'importe.

« Il sera parfait ! On sent déjà que c'est ton âme que tu as mis dedans et il n'y a pas plus beau cadeau ! Surtout pour un mariage. »

Elle resta les yeux figés sur l'objet lorsqu'il lui posa une question à laquelle elle n'avait pas de réponse facile. Elle s'éloigna un peu, visiblement un peu gênée. Elle ne savait pas trop quoi répondre. Ni comment le dire. Elle secoua faiblement la tête de gauche à droite.

« Jamais non... Mon clan n'est... Pas très bien vu... Et puis je... Ils auraient sans doute voulu que j'apprenne aussi à utiliser mes... Dons ? Et ça... Ça non. »

Non pas que le clan Tanassavir soit mauvais, mais elle n'était pas mage et ne voulait surtout pas le devenir, alors autant éviter de se mettre dans une situation où elle devrait encore fuir. Assez comme ça.

« Et toi ? Tu les connais ? »

Hareas repensait au mariage de son ami, et à ce qu'on attendait de lui. Il espérait qu'il pourrait se mettre dans un coin et n'être pas trop jugé par les autres invités. Il n'avait pas envie d'être vu sous un mauvais jour, mais c'était moins pour lui que pour Arnth que cela le gênait. Quand Zaena lui parla de la tradition avec l'eau, il réalisa qu'il ne savait vraiment rien de ces coutumes.

C'est vrai ? Je ne savais pas, merci du conseil, répondit-il très sérieusement.

Il devrait probablement se renseigner davantage avant d'y aller. Il y avait peut-être un code vestimentaire ou autre chose... En tous cas, il ne pouvait pas débarquer là-bas avec son arc et toute sa panoplie de chasseur, ça, c'était certain ! Quoi qu'il arrive, Hareas aurait sûrement une histoire intéressante à raconter à Zaena à son retour.

Cette simple pensée lui réchauffa un peu le coeur. L'ancien chasseur n'avait pas beaucoup d'amis à qui raconter ses aventures. Parfois, le simple fait de rentrer chez soi le soir et d'avoir des personnes à qui parler de sa journée lui manquait. Il faisait souvent le parallèle entre la ville et son ancien clan, mais la véritable différence n'était pas le lieu où il habitait, mais les gens avec qui il vivait. Voilà le désavantage de grandir avec le même groupe de personnes... La solitude pesait plus durement lorsqu'on était habitué à être constamment entouré de ses pairs, pour le meilleur comme pour le pire. Tout cela l'amena naturellement à penser aux autres Dalatiens qui vivaient non loin, mais en voyant la gêne de Zaena, Hareas regretta un peu d'avoir abordé le sujet. Il hocha la tête, comprenant un peu le problème. Les Tanassavir auraient peut-être été ravis d'accueillir une mage, ou peut-être pas... Le nombre d'apprentis était limité à deux, peut-être quatre puisqu'ils avaient deux Archivistes ? Et ils étaient connus dans les autres clans pour être particulièrement prudents avec ceci. Mais Zaena n'aurait pas souhaité vivre en tant que mage dalatienne, ou mage tout court, d'après ce qu'Hareas avait compris. Alors tout cela n'aurait pu que mal finir. Il chercha distaitement un gros caillou sur le sol en répondant :

Mon clan les connaît parce qu'ils font du commerce ensemble. Je crois qu'ils s'entendent bien, mais je ne les avais jamais vus de près en-dehors du dernier Arlathvhen, expliqua Hareas.

Il hésita. Il se doutait que le clan de Zaena ne participait pas forcément aux réunions tous les dix ans ; chez les Virnehn, on parlait mal d'eux et leurs pratiques étaient vues comme contre-nature. Lui n'avait aucun souvenir de les avoir croisés à l'Arlathvhen. Il n'avait aucun souvenir d'avoir rencontré un Tanassavir non plus, cela dit, ni un de ses deux clans originels. Leur histoire dramatique avec la magie était une des raisons qui avait empêché l'ancien chasseur de les trouver dès qu'il était arrivé à Starkhaven, mais pas seulement. Il finit par avouer :

Quand je suis arrivé ici, je cherchais mon frère. Alors lorsque j'ai appris que les Tanassavir s'étaient installés non loin, j'ai pensé que je pourrais leur demander s'ils l'avaient vu, mais... c'était une idée stupide.

Hareas secoua la tête, le ton plus dur, pragmatique :

Les Dalatiens qui ont choisi de quitter leur clan, comme nous, ne se cachent pas chez les autres. Et puis... il aurait été trop étrange de se mêler à eux. Le simple fait de voir d'autres Dalatiens dans un clan, cela te rappelle seulement ce que tu as laissé derrière toi, tu vois ? C'est trop – il secoua la tête – bizarre. Non, je n'ai pas envie de me mêler à eux... mais parfois, je me demande pourquoi ils restent là et ce qu'ils font.

Son regard se tourna quelques instants en direction des murailles de Starkhaven, invisibles d'ici. Que cherchait le clan Tanassavir en s'installant sur les terres des shemlens ? Il se détourna rapidement, chassant la morosité qui tentait de l'envahir. Ici, la forêt les dissimulait aux regards de la ville et Hareas pouvait encore faire semblant de croire qu'il n'aurait pas besoin d'y retourner le soir venu. L'ancien chasseur se redressa vivement en montrant à son amie le fruit de sa cueillette :

J'ai trouvé tout ça. Est-ce que ça te semble bien pour une soupe ?

Ses yeux se posèrent enfin sur un caillou assez gros pour ouvrir les noix et il sourit, satisfait. Chasser ou cueillir lui ouvrait toujours l'appétit, parce qu'il pensait à ce qu'il allait manger ensuite. Il espérait que Zaena avait faim elle aussi.