Type de RP Classique
Chapitre concerné Chapitre 3
Date du sujet 9 Longnuage
Participants @Zaena & Hareas Virnehn
TW Deuil
Résumé Hareas retrouve Zaena après que celle-ci a perdu ses camarades lors d'une opération qui a mal tourné. Bien que les deux Dalatiens ne se soient pas quittés en bons termes par le passé, Hareas cherche à l'aider.
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>9 Longnuage</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1467-ceux-qui-restent-zaena-hareas">Ceux qui restent</a></li></ul><p><u>Zaena, Hareas Virnehn</u> Hareas retrouve Zaena après que celle-ci a perdu ses camarades lors d'une opération qui a mal tourné. Bien que les deux Dalatiens ne se soient pas quittés en bons termes par le passé, Hareas cherche à l'aider.</p>[/code]

Hareas grimpait. Il venait de pleuvoir et la pierre était humide, glissante sous les doigts. Il retira ses gants pour sentir un peu mieux sa prise et repris son ascension en retenant un grognement. La nuit d'Hareas avait été longue - et le sommeil court. Le chasseur était fatigué et se déplaçait plus lentement que d'habitude. Il avait des courbatures, et un genou endolori en raison d'une mauvaise chute la veille. Ce qui ne lui arrivait pas souvent, sauf s'il était éméché. Il se tapait donc un mal de crâne conséquent depuis qu'il était réveillé et dire qu'il n'était pas au mieux de sa forme était un euphémisme.

La planque se situait au-dessus d'une porcherie abandonnée. Personne n'avait jugé utile de la nettoyer après le départ de ses occupants et elle sentait le renfermé et la vieille odeur de purin. Les pigeons avaient élu domicile sur des poutres recouvertes de fientes. L'échelle qui menait au grenier avait cassé depuis longtemps, mais l'accès au toit était toujours praticable. Hareas prit une grande inspiration et s'y engouffra prestement. Elle était là.

Au milieu de ses affaires et de celles de ses amis. Cette vision, aussi triste soit-elle, s'accompagna d'un mélange étrange de soulagement et de gêne. Hareas n'avait rien à faire ici et il le ressentait comme si la cape humide qu'il portait sur ses épaules était lourde de malaise, lui enjoignant à s'enterrer dans le sol ou se cacher dans l'ombre pour disparaître. Il aurait pu ne pas venir, d'ailleurs, s'il n'avait écouté que sa fierté, il ne serait pas venu. Mais lorsqu'il avait appris ce qui était arrivé à Albam et sa bande, il avait été surpris de ressentir de l'inquiétude quant au sort de Zaena. Puis de la culpabilité. Alors il était venu.

Je me doutais que je te trouverais ici.

(Il n'était pas prêt à avouer qu'il avait visité toutes les autres planques possibles avant ça.)

Pendant longtemps, Zaena avait été la seule personne de Starkhaven avec laquelle il avait pu parler dalatien. Il pensait que leurs origines communes et leur sort inattendu, tous deux perdus dans l'immense ville, était ce qui les avait rapprochés. C'était probablement de sa faute si leur relation avait porté trop d'attentes à ses yeux. Zaena ne lui devait pas son amitié, ou quoi que ce soit. Il pensait lui faire confiance, et que le sentiment était réciproque, mais ni l'un ni l'autre n'était vrai puisqu'elle lui avait caché ses origines et qu'il l'avait laissée tomber sans dire un mot. Ce n'était même pas une question d'ego ou de fierté blessée. C'était plus profond que ça et Hareas ne savait pas comment l'exprimer. À présent il ne ressentait que de la culpabilité.

Il hésita.

Il considéra l'endroit, qu'il n'avait pas visité depuis longtemps. Il savait grossièrement ce qui était arrivé à deux de ses récents occupants, ce qui ne rendait pas la pièce moins lugubre. Il baissa les yeux.

Ir abelas.

Je suis désolé. Ces mots semblaient appropriés. Ils ne rendaient pas le moment moins inconfortable, mais ils étaient sincères. Hareas était bien placé pour savoir ce que l'on pouvait ressentir à la perte brutale d'un ou deux de ses proches.

Derrière elle planait l'ombre d'un crime toujours trop récent. Cette nuit fatidique remontait à quelques jours maintenant, depuis elle avait séché ses larmes, sans pour autant parvenir à faire son deuil. Pendant quelques jours la dalatienne n'avait guère fait plus que penser, réfléchir, chercher un moyen d'enlever de sa tête les images sanglantes qui semblaient maintenant gravées sur ses paupières. Elle avait besoin de faire son deuil, d'honorer les morts, de s'excuse auprès d'eux. Car après la peur et la tristesse, la honte était venue. La honte de ne rien avoir fait, la culpabilité de ne pas avoir vu le mal avant qu'il n'arrive. Elle revivait les jours précédents cette nuit mortelle, en pensant à chaque instant où elle aurait put éviter cet incident. Aujourd'hui elle avait décidé de tout faire pour en terminer avec ces souvenis qu'elle craignait. Partie tôt de son refuge du moment, la dalatienne avait été cherché quelques branches de cèdres,  beaucoup d'efforts pour trouver ce symbole auquel elle tenait. Aucun de ses amis n'avait la culture qu'elle chérissait dans le sang, mais pour elle, ce rite était nécessaire. Si elle ne pouvait pas enterrer les corps, elle ferait ce qu'elle pouvait.

Le pas triste et lent la jeune elfe se rendit au pied de leur ancienne planque, celle depuis laquelle ils avaient planifié cet ultime échec. Perchée au-dessus d'une vieille demeure de porc abandonnée, cette demeure de fortune culminait comme l'ultime épreuve du jour, à franchir pour laisser le passé derrière. Ces derniers jours aucun sommeil ne fut réparateur pour la jeune elfe, alors les mouvements lui était difficile. Cet exercice qui lui semblait facile une semaine auparavant, lui demanda bien trop d'efforts. De longues minutes furent consommées pour lui permettre d'atteindre ce sommet de fortune. Lorsqu'elle plongea son regard dans la pièce, elle esquissa un sourire joyeux, pour une maigre seconde. Une partie d'elle imaginait y voir ses deux amis, l'attendant avant leur prochain vol. Mais rien, dedans elle ne pouvait y distinguer de silhouette, seul un oiseau, appeuré par sa venue, se revela. Il quitta prestement les lieux alors qu'elle retrouvait la dure réalité : ceux qui l'avaient accompagnés pendant ces années à Starkhaven étaient bien morts. Elle fit quelques pas dans la vieille planque. D'abord elle récupera un vieux livre, dedans Albam aimait y consigner ses succès. Sur la dernière page écrite, il évoque ce vol à venir, le meilleur de sa carrière.

Il n'avait jamais dis où il avait appris à écrire. Un peu plus loin Zaena récupéra un chapeau de fortune, elle l'avait fabriqué un an auparavant, avec Enia, pour l'offrir à leur camarade. Celui-ci ne l'avait jamais porté, il l'avait toujours trouvé ignoble, malgré toutes les tentatives des deux elfes. Encore un peu plus, ce fut une vieille veste, frappée par le temps. Sa camarrade l'aimait de tout son cœur, visiblement un vestige d'un passé lointain. Portée par cette mélancolie maladive, elle s'agenouilla au sol, faisant rapidement un petit totem avec les objets des défunts. De chaque côté elle déposa les branches de cèdre. Ce n'était pas les corps, ni des funérailles dignes, mais c'était ce qu'elle pouvait faire.

« Falon’Din enasal enaste »

Puissent-ils reposer en paix, de nombreuses fois elle avait prié le gardien des secrets pour qu'il les guide, sans jamais avoir de réponse sur leur voyage. Les yeux fermées, elle pensait et priait, jusqu'à ce qu'une voix la tire de sa réflexion. Il était venu sans qu'elle ne l'entende arriver, perdue dans une ode qu'elle pensait de tout son être. Surprise elle se retourna pour voir Hareas. Un ami, aurait-elle dit quelques temps auparavant. Lorsque Zaena arriva à Starkhaven, il fut l'un des premiers qu'elle vit, l'un des premiers avec qui elle parla. Tout comme elle il venait de la culture dalatienne, il parlait leur langue, connaissait leurs dieux, alors ils avaient pu compter un peu l'un sur l'autre, jusqu'à ce qu'il ne vienne plus. Jamais n'avait-il trop expliqué ses raisons et jamais n'avait-elle trop compris pourquoi il avait cessé de lui parler. Zaena se releva en silence, il se souvenait de cette planque et l'avait visiblement cherché. La dalatienne ne savait trop que dire, pourquoi était-il là, que voulait-il ? Elle doutait, ne comprenait pas. Après avoir passé tant de temps sans avoir de nouvelle, il venait demandait quelque chose ? Pourquoi aujourd’hui de tous les jours ? Ce n'était pas le moment.

Elle se détendit lorsqu'il reprit la parole. Il semblait désolé et le disait. Alors il savait ? Il n'était guère ici pour quelque requête, ou quelconque autre raison ? Elle soupira brièvement, soulagée d'entendre une voix lui parler dans cette langue natale qu'elle appréciait.

« Ma serannas. »

Merci, par politesse, mais aussi était-elle sans-doute un peu contente que quelqu'un d'autre soit désolé du sort de ses deux compagnons. Fatiguée et soulagée, elle retomba assise, à côté de l'autel de fortune qu'elle batissait. Son visage vint se caler dans ses mains, tandis qu'elle ne parvenait pas à retenir les émotions qui la submergeait toujours, de fines larmes débordèrent de ses doigts, ruisselant jusqu'à tomber sur le sol. Elle jeta un œil au totem à ses côtés, puis reporta son attention sur son ancien ami, elle ne savait toujours pas trop ce qu'il venait faire ici et une certaine méfiance restait présente. Aujourd'hui encore elle ignorait pourquoi avait-il disparu ainsi, durant ce temps elle avait pu imaginer beaucoup de raisons, sans qu'elle n'arrive à en trouver une véritable.

« Que veux-tu ? Que fais-tu ici, après tant de temps ? »

La méfiance dans ces mots, elle n'avait ni le cœur, ni la force la cacher. Elle était encore en deuil et son cœur peinait à comprendre tout. Ce lieu dans lequel les fantômes règnaient n'arrangeait pas la situation, elle craignait que le passé ne reviennen encore plus fort. Le crissement du bois et les bruits de la ville au loin étaient les même qu'avant, pourtant l'odeur était celle d'une tombe et non pas d'un refuge. Cette crypte de bois et de paille mettait à vif ses émotions, sans qu'elle n'ait de contrôle dessus.

« Hareas, pourquoi ? »

Alors que perlaient quelques larmes sur ses joues, elle parlait autant du passé que du présent, perdue autant dans le temps que dans l'espace.

Hareas redoutait la réaction de Zaena. Il s'était préparé à ce qu'elle rejette sa présence, ce qu'il aurait accepté sans broncher. Il était conscient que son apparition, en ce jour plutôt qu'un autre, avait quelque chose d'étrange, mais surtout qu'elle était en droit de vouloir rester seule en pareille circonstance. Son remerciement le rassura un peu, mais il n'osa pas bouger tout de suite. Immobile, les mains dans le dos comme un enfant qui se préparait à se faire gronder. Mais alors Zaena se rassit et il vit pourquoi elle avait rassemblé les affaires de ses amis. Devant ce rituel dalatien incomplet, le cœur d'Hareas se serra. Quelle que soit la façon dont les amis de Zaena étaient tombé, leurs corps étaient sûrement perdus pour toujours, enlevés par la garde de la ville, probablement pour terminer au fond d'une fosse commune. Les elfes citadins recevaient déjà peu de considération, mais les brigands ? Zaena n'avait aucune chance de retrouver les dépouilles de ses amis et faire son deuil en le sachant devait être très douloureux. Le chasseur dalatien eut beaucoup de mal à soutenir le regard embué de larmes de celle qui restait. Il préféra porter son attention sur l'autel qu'elle bâtissait afin de n'affronter qu'indirectement sa peine.

Je ne cherche pas à... je ne veux rien de particulier.

Il balbutiait et butait sur les mots dans sa langue natale, ce qui ne lui arrivait généralement qu'en Commun. Hareas n'était jamais à l'aise avec les grands discours, il parlait peu, réfléchissait toujours beaucoup avant de dire ce qu'il avait sur le coeur. L'étrangeté et la tristesse de la situation le perturbaient. Il  était conscient que les interrogations de Zaena étaient légitimes et qu'il lui devait une réponse claire, mais il ne savait pas comment s'exprimer. Avouer pourquoi il était revenu reviendrait à expliquer pourquoi il était parti... et dans ces circonstances cela ne semblait pas approprié. Cependant, il lui devait bien un peu de franchise, surtout en ces temps troublés. C'était le minimum qu'il puisse faire.

Quand j'ai appris ce qu'il s'était passé, j'ai supposé que tu aurais besoin de te cacher pendant un certain temps, dit-il doucement. Je suis venu te proposer mon aide. Je sais que c'est étrange, lui assura-t-il presque aussitôt, s'efforçant sans succès de retenir l'embarras dans sa voix.

Il baissa les yeux, avant de reporter son regard sur Zaena. Il n'osait pas avouer qu'il s'inquiétait, comme un ami l'aurait fait. Il avait renoncé à ce droit-là en s'effaçant de sa vie.

Je comprendrais que tu refuses et je m'en irais si tu le souhaites.

Ces derniers mots furent prononcés tout aussi doucement, mais plus franchement. Il n'avait pas l'intention de s'imposer. Si sa culpabilité parlait, c'était uniquement pour lui, car il n'y avait en réalité aucun devoir, aucune dette impayée entre les deux Dalatiens. Simplement de l'incompréhension, et probablement quelques regrets sur lesquels il préférait ne pas s'attarder.

Son ancien ami ne savait trop que répondre, il semblait un peu hésitant, Zaena ne le nota pas. Trop perdue dans ses pensées pour entendre plus que les mots du dalatien, il ne voulait rien, alors pourquoi ? Ses yeux posaient toujours la question sans qu'elle n'est à remettre d'autres mots dessus. Dans cet instant il était difficile de donner réellement ce qu'elle pensait, toujours méfiante son regard se bloquait sur celui qui fut son ami auparavant. Pourquoi ? Ce simple mot se perdait dans son esprit en le fixant. Elle n'avait jamais compris et au fond, ses raisons. Si une certaine déception était présente, elle n'avait jamais été cherché, abandonnant une amitié au premier signe de nuage sombre. Une décision qu'elle ne pouvait que regretter aujourd'hui, car elle ignorait quoi penser, quoi vouloir de cet ancien ami qui ressurgissait. Il n'avait rien fait ni dit de mal, alors elle ne bougeait pas, esquivant autant que possible les sanglots qui venaient des souvenirs remontant en ce sombre instant.

Sa voix retentit à nouveau, elle était douce, il ne savait trop quoi dire non plus, il n'était pas réellement à l'aise à cet instant. Mais il était venu, il offrait son aide à une voleuse perdue. Elle n'avait plus grand monde en ville, si quelques idées pouvaient venir dans son esprit sur la marche à suivre, elle ne pouvait s'empêcher de craindre demain plus que jamais. La jeune Dalatienne pleine d'espoir qui avait rejoint Starkhaven n'était plus, remplacée par une jeune voleuse qui voyait maintenant les conséquences de ses actions. Elle se sentait responsable, plus que jamais, car personne d'autre ne restait à blâmer pour le trépas des deux disparus. Lekka l'avait accueilli lorsqu'elle en avait eu besoin, pour autant elle se sentait fardeau pour le jeune homme, aujourd'hui elle n'avait plus contact ni argent pour lui donner de la valeur, il ne lui restait guère plus qu'une confiance brisée et quelques habilités dont elle avait honte. Ce qu'elle avait de plus que lors de sa première visite en ville, ce ne sont que des souvenirs douloureux.

Il partirait si elle le souhaitait, il était franc. Mais elle ne le voulait pas, elle cherchait encore des repères aujourd'hui et tout semblait lui échapper. Elle secoua la tête de gauche à droite, signifiant qu'elle ne voulait pas le voir partir. Son regard se posa sur le maigre totem à ses côtés et elle reprit la parole.

« Je... Je ne sais pas quoi faire d'autres... Je n'ai rien de plus à leur donner pour l'Après. »

Elle sera ses genoux de toutes forces, plissant le maigre tissu qui les couvrait, ne pouvait retenir plus de larmes. Elle trouvait injuste la mort de ses amis, elle savait que la voie qu'ils avaient empruntés était dangereuse, mais pourquoi le choix devait-il être entre une mauvaise vie et une pauvre ?

« Reste... S'il te plait. »

Pourquoi ? Peut-être car avoir quelqu'un d'autre qui partageait sa foi et sa culture l'aidait peut-être, ou bien avait-il peut-être une idée, quelque chose pour que les deux qui ne sont plus puissent trouver le chemin de l'Après, bien que ce rituel incomplet n'avait d'intérêt que pour elle, tant ils étaient loin de bénéficier des protections qu'elle souhaitait offrir. Demain s'annonçait difficile, il y avait tant de chose à faire et pourtant au milieu de ces voies elle ne savait pas quoi faire. Mais pour le moment, elle n'y pensait pas, elle cherchait à faire un deuil difficile avant de chercher un nouveau chemin pour elle.

« Merci. »

Il lui proposait son aide, elle ne savait pas quoi lui demander réellement, car elle ignorait ce qu'elle souhaitait. Au moins la présence rassurante d'une autre personne de son peuple ne pouvait qu'être bénéfique à ce simulacre de cérémonie. Elle ferma les yeux, priant à demi mot le gardien des secrets pour qu'il les guide dans l'Après. Quelques paroles de plus pour son dieu, espérant toujours qu'il écoute, malgré ses infidélités. Elle y passerait du temps, autant qu'il faudra, pour qu'il écoute.

« Je ne sais pas quoi te dire de plus, merci pour ton aide, mais que puis-je bien te demander ? Je ne sais plus où aller... »

Hareas s'était préparé à trouver Zaena dans une situation délicate, bien sûr, dès qu'il avait appris ce qui lui était arrivé. Il n'en fut pas moins touché par la douleur de son chagrin. Ce n'était pas une émotion que l'on pouvait aisément ignorer. Mais peut-être était-il trop sensible sur le sujet ; on pouvait être apprenti assassin et marqué par le deuil dans sa vie.

Les deux totems qu'elle avait érigé pour ses amis faisaient peine à voir car ils trahissaient la condition de ces deux êtres nés du mauvais côté de l'échelle sociale et qui avaient risqué leur vie pour l'escalader. Ils avaient échoué et maintenant l'elfe était peut-être la seule à les pleurer. Alors, lorsqu'entre deux sanglots il comprit que Zaena ne le chassait pas, il s'avança pour se mettre à sa hauteur. Il fixa les totems, pensif. Pouvait-il l'aider ? Que faire de plus, en effet...? Il ne connaissait pas ses amis. En quoi croyaient-ils ? Étaient-ils sensibles aux rites dalatiens ou convertis à la religion des shemlens ? Hareas se demanda ce qu'ils auraient voulu, comment le savoir, et à quel point cela importait en cet instant. Il repensa à ses parents et une pensée le traversa.

Nos rites honorent les morts mais ils apaisent aussi les vivants. Pense à ce qui t'aiderait, toi.

Le bâton était là pour guider les morts dans l'Après, mais l'arbre que les Dalatiens plantaient ? Celui-là étaient pour ceux qui restaient. Hareas ne savait pas comment Zaena honorait les morts dans son ancien clan, et d'après leur réputation, il préférait ne pas se l'imaginer. Alors il essaya de penser ce qu'il ferait, à sa place, et très vite son esprit l'emmena dans la forêt. Pas les bois qui entouraient la ville, mais ceux dans lesquels il avait enterré ses parents il y a longtemps. Il n'aimait pas y retourner, même en souvenirs. Ceux-là restaient dans la partie de son esprit qu'il ne sollicitait qu'en de rares cas, quand il oubliait pourquoi il était ici. Pourtant, à ce moment-là, la vision des deux jeunes arbres que le clan Virnehn avait plantés pour sa mère et pour son père lui inspirait un peu d'assurance et de sérénité.

Aimerais-tu planter quelque chose ? demanda-t-il après ce moment de réflexion.

Il n'avait pas de graines sous la main, encore moins en cette fin d'hiver, mais Longnuage semblait propice aux renouveaux. Ils pouvaient sûrement trouver quelque chose d'approchant. Il secoua légèrement la tête, embarrassé :

Ne me remercie pas, c'est normal...

Il était embêté qu'elle croit qu'il faisait cela par pure bonté d'âme après la façon dont il l'avait quittée. C'était aussi une façon de se rattraper et il n'en était pas fier. D'un autre côté, il ne pouvait ignorer qu'à sa place, il aurait aimé avoir quelqu'un à ses côtés. Il ne savait pas s'il pensait cela pour se rassurer.

Tu pourrais quitter la ville quelques temps. Si tu ne sais pas où aller... je pense que le Carta t'accueillerait provisoirement. Ils ne refuseraient pas quelqu'un qui possède tes capacités, et Brasir ne serait pas très regardant sur tes origines.

Il n'aimait pas les mages, mais cela, l'ex-chasseur dalatien n'avait aucune raison de le mentionner. Et, chose qu'il n'avait pas non plus précisée à Zaena, Hareas savait où se trouvait le repaire des malfrats.

Il était amical. Les attentions de celui fut son ami ne pouvait concrètement la laisser indifférente, il voulait aider, elle devait penser à ce qui pouvait l'aider à franchir le pas, à faire son deuil. Le regard de la dalatienne se perdit dehors, observant le ciel pendant de longues secondes. Ce qui lui fallait pour passer à la suite ? Elle l'ignorait. A cet instant elle voulait revoir ses amis, les honorer, ne pas les laisser n'être que deux autres elfes morts, mais pour elle, elle l'ignorait. Le visage de celui qu'elle avait tué ne pouvait pas quitter son imagination. Le moiteur du sang sur sa peau, l'odeur de la mort autour d'elle. Autant de souvenirs qui restaient gravés dans sa mémoire, de souvenirs qui seront une partie sombre de son âme jusqu'à ce qu'elle ne soit plus. Le silence plana de longues secondes de plus dans la pièce aujourd’hui presque crypte. Le dalatien finit par reprendre la parole, avec une proposition pour la mage. Planter un arbre, en mémorandum pour les morts, une façon de signifier que de l'espoir restait pour les vivants.

Elle acquiesça, l'idée était bonne.

« Oui, tu as raison. J'ai rien à planter pour l'instant... Mais je... Je trouverais quelque chose. »

Timidement, elle tenta un sourire, sans succès. Elle allait devoir passer outre cette nuit, mais pour le moment, elle n'y arrivait pas. Sur cet instant elle était heureuse d'avoir quelqu'un avec elle, quelqu'un pour connaître ses croyances et ses rites était un plus qu'elle appréciait tout autant. Les questions sur le jeune dalatien ne diminuaient pas, mais ses actes et ses mots en cet instant aidaient à passer ce moment. Pour autant elle n'avait toujours aucune idée de quoi faire. Fuir ? Se cacher ? Comment, pourquoi également, elle avait démarré deux vies différentes, avait fuit la première et avait perdu la seconde, rebâtir une troisième fois pour s'opposer à nouveau à une façon de voir les choses qu'elle craignait, se retrouver confronter à nouveau à ses démons, était-ce là une bonne solution ? L'idée que lui soumettait le jeune dalatien était proche de ce qu'elle pensait. Quitter la ville pour l'instant, en attendant que les choses se calme. Pour aller où ? Les temps dehors étaient compliqués, si le calme de sa forêt natale lui manquait, elle appréciait les jours qu'elle n'avait pas à passer seule, quand bien même ceux-ci aient des chances d'être de plus en plus rare maintenant.

« Le carta ? »

Elle ne savait trop que en penser, oui le carta. Des criminels, un monde qu'elle n'aimait guère et que pourtant elle avait cotoyé, vivre du crime, vivre contre l'ordre, elle l'avait fait pendant des années, après tout la différence était-elle si importante que cela ? Aucune réponse n'était réellement la bonne, mais oui, l'idée était là. Si la garde cherchait à la retrouver, alors ils étaient les mieux placer pour la cacher. Néanmoins elle grimaça, resserra ses bras autour de ses genoux et détourna le regard, cachant difficilement une honte qui lui collait à la peau.

« Mes capacités... Je... »

Elle les craignait, elle ne les aimait pas, elle voulait les oublier. Cette force, ce pouvoir fabriqué pour détruire pour tuer. Fallait-il maintenant qu'elle utilise ceci comme un atout pour avancer à nouveau ? Quel terrible coup du sort. Elle plissa les yeux un instant, un regard un peu interrogateur posé sur le jeune dalatien. Lui en avait-elle parler déjà ?

« Je n'aime pas utiliser ces dernières comme monnaie d'échange... Que demanderaient-ils en échange ? »

La question attendra, il voulait bien faire, elle n'avait pas vraiment le luxe de se permettre de douter. Mais l'idée était toujours douloureuse, ce n'était pas comme voleuse qu'elle irait les voir, mais comme mage, pour paiement ils demanderaient des vols à une voleuse, mais quelle tâche pour vivre sous le toit du Carta comme mage ? Pourtant le chemin évoqué par le dalatien paraissait être le seul.

Entre Dalatiens ils étaient bien placés pour comprendre l'importance de ce rite qui consistait à planter un arbre sur la tombe des êtres disparus. À force de vivre entre les quatre murs d'une cité, on pouvait l'oublier, et Hareas se félicitait d'y avoir pensé. La proposition semblait plaire à Zaena, bien que sa réalisation doive attendre des jours meilleurs peut-être. Il lui répondit par un bref sourire compatissant. Qu'y avait-il d'autre à dire ? L'apprenti assassin avait toujours été maladroit avec les mots. Même s'il n'avait pas de solution toute faite à proposer, il espérait que sa présence l'aiderait au moins à se sentir moins seule. Parfois, c'était tout ce dont vous aviez besoin dans ce genre de moments.

Il avait conscience que son idée n'était pas idéale, mais la situation était loin de l'être également. S'il avait bien compris ce qui était arrivé à Zaena et à ses deux amis, la garde avait de bonnes raisons de la chercher et le sort qu'elle lui réserverait serait des plus déplaisants. On savait comment les autorités traitaient les criminels et les elfes séparément, mais lorsque ces derniers étaient des malfrats ? Hareas ne savait pas si c'était plus par loyauté envers son ancienne amie ou les Dalatiens de manière générale, mais il ne pouvait pas simplement laisser faire. Sa conscience ne l'aurait pas laissé tranquille s'il n'avait pas au moins essayé d'aider sa camarade. Et s'il n'avait pas les ressources et les contacts nécessaires pour lui proposer solution moins extrême, celle-ci lui éviterait au moins d'errer de cache en cache le temps que la garde se calme.

Il comprenait que Zaena soit réticente à se lier, même provisoirement, au Carta. Brasir n'avait pas la réputation d'être un chef agréable mais il était efficace, ça oui, tant que vous pouviez lui être utile. Hareas ne doutait pas que Zaena puisse proposer ses services en échange d'un endroit où faire profil bas. Sa réaction le surpris et il fronça les sourcils, confus.

Eh bien... rien de plus que ce que tu n'as déjà fait, j'imagine. Le Carta a toujours besoin de mains habiles, et au vu des récents événements dans le Clattercraft, ça ne serait pas du tout bizarre qu'il attire de nouveaux adeptes.

L'avancée discrète mais décidée des hors-la-loi commençait à se remarquer, malgré le grabuge plus important que la Marche d'Andrasté avait causé dans son sillage. Le bruit courait, dans les tavernes mal famées et les ruelles sombres, que Brasir avait de grands projets pour Clattercraft. Quiconque cherchait à se faire une place tenait là sa chance. Cela ne signifiait pas que n'importe qui pourrait entrer dans le Carta, mais la situation était plutôt propice aux changements. Zaena pourrait être une volontaire parmi d'autres, et le fait qu'elle soit recherchée par la garde ne serait qu'une coïncidence… Hareas hésita, mais préféra la prévenir.

Malgré tout… j'éviterais de cacher les raisons qui t'amèneraient là-bas. Brasir a des yeux et des oreilles partout, il finirait par découvrir la vérité.

Donner cette information à Brasir comportait des risques également, mais d'un autre côté, le nain préférerait savoir à qui il avait affaire. Et si Zaena ne le lui disait pas, il trouverait d'autres moyens de le découvrir. Enfin, ce n'était que son point de vue et un simple conseil. Le choix final revenait à la voleuse.

Si tu le souhaites, je pourrais t'y conduire.

Rien de plus que ce qu'elle avait déjà fait? Le cœur de la voleuse ne fit qu'un tour, de quoi parlait-il ? Elle n'avait pas fait usage de cette malédiction depuis son arrivée à Starkhaven, ce qu'elle avait déjà fait ? La vision du sang lui revint, ce pouvoir maudit qui coule dans ses veines, ils demanderaient à tuer en échange ? Zaena ne put soutenir le regard du dalatien plus longtemps et s'en éloigna. Comment le savait-il ? Un autre membre de son clan était arrivé en ville ? Les possibilités commençaient à fuser dans son esprit, bientôt suivit par la peur. Rien de plus que ce qu'elle avait déjà fait. Prendre la vie d'un autre était quelque chose qu'elle haïssait du plus profond de son âme, le sentiment de détruire une existence, de souiller la sienne avec un tel acte, même nécessaire, était horrible pour elle. La confiance qu'elle avait semblait s'effriter petit à petit, l'attitude du Dalatien étant le dernier rempart la retenant. Il ne semblait pas lui vouloir du mal, mais elle ne comprenait pas. Ou les autres ne comprenaient pas, elle était enfermée dans un cercle de violence dont elle voulait s'échapper, sa seule chance se trouvait maintenant être de passer par certaines personnes dont elle appréciait que peu la compagnie et qui pouvait demander à ce qu'elle fasse usage de ce don maudit pour payer son accès. Alors elle n'avait pas encore touché le fond ? Cette simple pensée la terrifiait. Le dalatien semblait mieux les connaître, elle n'avait quelques vagues souvenirs de ses rencontres avec les membres du carta, certains qui, peut-être, pouvait lui être utile en cet instant.

« Je... Je n'ai pas trop le choix ? »

Elle soupira, tentant de calmer son cœur qui battait trop vite pour elle.

« Hareas je... »

De fines larmes commencèrent à couler sur ses joues alors qu'elle ne parvenait plus à retenir ses émotions. Faire face à ses échecs alors qu'elle ne parvenait pas encore à oublier les visages vide de ses amis, devoir employer ce pouvoir qu'elle maudissait de tout son cœur, ces faits étaient là, si elle voulait s'en sortir, il ne semblait y avoir aucun autre chemin. Son âme entière pourtant voulait rejeter cette voie sanglante.

« Je ne veux plus utiliser ces... Capacités... Cette... Malédiction. Je ne veux plus faire couler de sang je veux juste... »

Son ton qui avait graduellement monté tandis qu'elle parlait sembla se calmer sur cette dernière phrase.

« Je veux juste vivre avec un peu de joie, d'amour et de dignité... »

Quelques mots restés bloqués au  fond de son âme, un rêve idiot si loin pour ceux nés avec le sang elfique ou la malédiction du mage. Pour elle qui avait ces deux poids sur son être, c'était une pensée folle que de vouloir ceci. Elle avait connu ceci pendant quelques années, malgré une dignité si fébrile. Jusqu'à ce que le monde lui-même lui rappelle qu'une telle existence n'était qu'utopie pour les siens, de la plus brutale des manières. Elle se recroquevilla, comme cherchant à se cacher d'un monde qui la jugeait encore un peu plus maintenant qu'elle avait prononcé ces quelques mots.

Hareas ne s'attendait pas à ce que sa proposition soit accueillie à bras ouverts, aussi la réaction première de Zaena ne le surprit pas. Elle sembla se renfermer, et il n'insista pas, supposant qu'elle avait besoin de temps pour digérer la proposition. Après tout, elle venait de perdre ses amis. Hareas comprenait qu'elle n'ait pas envie de prendre une telle décision alors qu'elle était encore en deuil, le jugement peut-être brouillé par ses émotions. Il ne voulait pas la presser, de toute manière, elle ferait les choses à son rythme. Il tenait simplement à ce qu'elle sache que cette solution existait, si elle en voulait.

Pour autant, sa réponse ne le rassura pas. Les mots étaient résignés - je n'ai pas le choix - mais elle ne semblait pas y croire elle-même, ou du moins, elle ne semblait pas vouloir y croire. Hareas avait envie de lui dire qu'il y avait toujours le choix, mais il ignorait ce qui attendait réellement la Dalatienne en dehors des rues de Starkhaven. Combien de temps pourrait-elle se cacher ? Que se passerait-il si elle n'échappait pas à la garde ? Avait-elle un autre endroit où fuir ? Son clan... Hareas retint ses pensées à ce moment-là. Il ne savait rien de son clan, si ce n'était les rumeurs. Et sa relation à Zaena lui était inconnue. Il aurait bien fait de s'en rappeler au moment où il avait appris la vérité, mais il avait été trop prompt au jugement. Il pouvait le regretter autant qu'il le voulait, à présent. C'était trop tard, puisque le mal était fait.



Hareas je...

L'expression du Dalatien se figea dans un embarras mal dissimulé lorsqu'il réalisa qu'elle pleurait. Fenedhis. Mais quel idiot ! Pourquoi lui avait-il parlé de Brasir et du Carta et de l'avenir, alors qu'elle n'avait pas eu le temps de dire adieu au passé ?

Ir... ir abelas, balbutia-t-il, maudissant sa maladresse.

Il aurait dû faire preuve de tact. Il aurait dû savoir. Elle était endeuillée. Sans compter que son idée, à savoir s'allier au Carta le temps de se faire oublier, revenait à retourner à ces larcins dont elle vivait, ceux-là même qui lui avaient coûté la vie de ses amis. Hareas comprenait que ce soit difficile à appréhender. Il comprenait aussi qu'elle puisse laisser ses émotions s'exprimer. Enfin, c'était ce qu'il croyait.

En réalité, il n'avait rien compris du tout.

La réponse de Zaena le perturba un peu, mais ce fut un mot en particulier qui attira son attention. Malédiction. Un doute s'empara d'Hareas, car ce n'était pas ainsi qu'il aurait qualifié les capacités de voleuse de son ancienne amie, ni les siennes propres, d'ailleurs, alors même que les Stazzo lui apprenaient à s'en servir pour tuer. Mais Zaena ne tuait pas. Ce n'était pas la voie qu'elle avait choisie. Cela était clair pour l'ancien chasseur dalatien, mais alors... pourquoi semblait-elle dire le contraire ? Quelque chose ne collait pas entre ses propos et les siens. Et Hareas commença à comprendre... qu'il y avait probablement un malentendu. Un énorme malentendu. Il se tourna lentement vers elle, un peu secoué, autant par sa détresse que par ses paroles elles-mêmes :

Zaena... ce qui est arrivé à tes amis cette nuit-là était un accident.

Il aurait voulu ajouter ce n'est pas de ta faute mais s'interrompit, incertain. Il n'en savait rien. La Dalatienne faisait planer un horrible doute au-dessus de sa tête et Hareas n'était pas certain de saisir ce qu'elle voulait lui dire, il ne savait même pas s'il avait envie de le savoir, mais il ne pouvait pas faire semblant d'ignorer la question. Pas quand elle en parlait avec autant d'émotion. Il releva les yeux pour chercher son regard, en espérant que le sien trahissait sa sincérité.

De quoi parles-tu ?

Enfermée dans une idée qu'elle haïssait, Zaena ne parvenait pas à percevoir les nuances de discours entre les deux elfes, elle ne voulait pas faire usage de ce qu'elle considérait comme une malédiction, son ami semblait chercher une piste pour la soutenir dans cette épreuve encore si récente. Ses amis étaient partis, maintenant elle se trouvait à devoir choisir entre perdre leur mémoire à tout jamais, ou bien abandonner ses idées de nouvelle vie, sombrer à nouveau dans ce passé qu'elle craignait autant qu'elle souhaitait ignorer. Un accident... Le mot raisonnait dans l'esprit de la jeune apostate, était-ce seulement cela ? Le doute existait, était-ce un accident, ou bien une punition pour avoir abandonné son clan, puis cherché à se forger une nouvelle famille dans un endroit si lointain ? Cette question avait tourné dans les pensées de la dalatienne depuis maintenant de longs moments. Elle se refusait à l'accepter, mais quelque chose venait toujours lui murmurer cette possibilité.

Hareas semblait compatissant, le lien qu'elle pensait disparu depuis maintenant longtemps semblait malgré tout persistant. Les doux mots qu'il offrait pouvait aider à doucement soigner le mental fragilisé de la dalatienne. Les fantômes dans son esprit étaient en pleine lutte contre les ombres d'un futur plus inquiétant encore. Les mots d'Hareas vinrent la sortir de cette étrange torpeur, de l'étonnement fut visible sur son visage alors que son ami elfe semblait chercher à comprendre quelques mots de la dalatienne.

« Mes... Capacités ? Tu me parlais de.. Je... »

Surprise par la question du dalatien, elle balbutia quelques mots, puis comprit doucement. Hareas n'avait pas parlé de ce don pour la magie, mais plus des talents qu'elle avait apprit pour le vol. Elle baissa le regard, une brève étincelle de soulagement venait balayer son visage, elle ne serait pas obligée.

« Tu ne parlais pas de ça hein ? »

Elle secoua doucement la tête, le soulagement lui fit comprendre qu'elle allait devoir troquer des talents qu'elle haïssait pour une vie qu'elle avait choisi, avec des partenaires bien plus douteux. Elle se devait d'expliquer la situation, se trouvant un peu bête d'avoir penser à cela, bien sur, Hareas l'ignorait. Sa main vint éponger les quelques larmes sur ses joues, s'il elle était loin d'être heureuse, au moins n'avait-elle plus l'air de sombrer un peu plus dans la détresse.

« Je... Nous n'en avons jamais parlé, mais j'ai des... Capacités ? Depuis toujours, un talent triste pour la magie et j... J'ai bêtement pensé que... Enfin tu sais... Je ne veux pas m'en servir, je les hais, je... Je suis sotte d'avoir pensé que tu parlais de ça. »

Après tout elle lui avait caché ceci, ainsi qu'à pratiquement tout le monde, souhaitant éviter de vivre avec le regard de la mage, souhaitant simplement être une voleuse elfe de basse extraction, ni plus ni moins. Mais la voilà maintenant avec tant de vices, elfe, voleuse, meurtrière, mage... Tant de raisons de se cacher aux autorités qu'elle ignorait laquelle était la plus valable. Ses yeux glissèrent jusqu'à se poser sur l'ouverture la plus proche, elle se dressa et fit quelques pas, jusqu'à se poser et à observer le ciel.

« Je ne sais pas trop quoi faire d'autres... Mes capacités sont tout ce que j'ai eu depuis mon arrivée à Starkhaven, donc tu as sans doute raison... Ils auraient voulu qu'on continue... Ensemble... »

Mais à cet instant, ensemble était juste elle, elle ferma la bouche et laissa le silence regagner la pièce. Elle comprenait qu'ils n'avaient jamais même donné de dernière volonté.

La confusion de la Dalatienne était visible, mais, rapidement, ce fut une autre émotion qui prit le dessus sur ses traits. Hareas crut y lire du soulagement. Il secoua la tête pour l'encourager à continuer. C'était à son tour d'être perdu. De quoi parlait-elle exactement ? Il avait peur de faire une supposition qui ne lui plairait pas. Pourtant, le mot malédiction prêtait peu à confusion. Hareas se raccrochait à un espoir naïf, qui ne fit pas long feu.

Zaena parlait de magie.

Elle ne semblait pas enchantée par cette idée, et si Hareas comprenait fort bien ses réticences, il ne pouvait partager son soulagement. Lui-même n'avait pas une relation très entousiaste aux mages, bien qu'il soit conscient qu'ils ne choisissaient ni leurs dons, ni le danger qu'ils pouvaient représenter pour la société. Hareas ne savait des mages que ce que l'Archiviste du clan Virnehn disaient à leur sujet, et ce qu'il avait aperçu auprès de ses apprentis. Rien de tout cela ne lui avait donné une image glorieuse de leur statut, et il ne savait que penser d'une mage qui reniait ses capacités. Les maîtrisait-elle ? Ce n'était pas si important, au fond, puisque même les mages les plus sûrs d'eux pouvaient succomber aux pouvoirs des démons, cela, l'Archiviste l'avait bien expliqué. Hareas n'était pas rassuré.

Je ne peux pas dire que je sois, mmh... très à l'aise avec les mages, mais je te remercie de me l'avoir dit. Je ne trahirai pas ton secret.

Malgré ses réticences, il pouvait reconnaître que Zaena lui faisait confiance. C'était la deuxième fois qu'il apprenait des choses déplaisantes sur son passé, mais cette fois, il ne comptait pas fuir. D'après ce qu'il comprenait, elle ne tenait pas à se servir de ses capacités, ce qui signifiait qu'il ne risquait probablement rien. Tout ce qu'elle avait dit précédemment faisait sens à présent. Ses craintes vis-à-vis du Carta... Oui, Hareas pouvait comprendre qu'elle ne veuille pas mettre sa magie au service des malfrats. Elle se rapprocha de la fenêtre et Hareas fixa sa silhouette presque sans la voir, songeur.

On ne peut pas savoir précisément ce que nos proches disparus souhaiteraient nous voir faire, si ce n'est continuer.

Avaient-ils un autre choix ? Le sacrifice de ceux qui n'étaient plus là ne pouvait être vain. Il fallait s'accrocher, coûte que coûte, pour faire honneur à leur mémoire. Hareas se redressa à son tour. Il garda ses distances mais croisa les bras. Il n'avait pas prévu cela lorsqu'il était entré ici pour trouver Zaena, mais c'était somme toute la suite logique des événements ; il ne pouvait pas continuer dans cette direction tout en ignorant le passé :

Tu m'as parlé de ton secret, alors je dois moi aussi être honnête avec toi.

Il ne baissa pas les yeux, décidé à dire ce qu'il avait sur le coeur, quelles que soient les conséquences. Peut-être Zaena accepterait-elle son point vue, ou peut-être ne l'apprécierait-elle pas. L'un dans l'autre, elle saurait à qui elle avait affaire et elle pourrait accepter son aide, ou pas, en toute connaissance de cause.

Nous étions amis, mais j'ai disparu et je ne t'ai jamais expliqué pourquoi. Je m'excuse pour cela. J'ai su... Il leva brièvement les yeux au ciel, cherchant ses mots. Ton clan. Je savais quelle était sa réputation. Comme je te l'ai dit, je ne suis pas à l'aise avec la magie. Alors quand j'ai appris que tu venais du clan Galethis... Je ne voulais plus rien avoir à faire avec toi.  Je ne savais même pas quelle relation tu entretenais avec eux, mais je n'y ai pas réfléchi, je suis parti. Ce n'était pas honnête de ma part, j'aurais au moins dû te prévenir.

Il reprit la sa respiration, nerveux. Cela faisait longtemps qu'il n'avait pas aligné autant de mots à la suite, a fortiori en dalatien. Il n'en retirait aucune satisfaction, juste un léger soulagement à l'idée de mettre enfin des mots sur un comportement qui lui faisait honte. Il ne pouvait pas contrôler ses sentiments envers la magie, ou la méfiance qu'elle lui inspirait alors - et encore à ce moment-là. Mais il pouvait choisir de l'accepter, plutôt que de feindre la confiance et l'amitié aveugle. Il devait bien ça à Zaena.

Hareas avouait l'inconfort provoqué par la présence de mages. Mais Zaena lui faisait confiance malgré tout, elle avait confiance dans son honnêteté à ne pas trahir son plus grand secret. Zaena acquiesça, heureuse de l'entendre prononcer ces quelques mots. Le jeune elfe était d'un réconfort important, sur l'instant elle ne souhaitait plus rester seule avec ses songes plus que sombre ces derniers temps. Il parlait avec justesse, bien que la dalatienne peinait toujours à tirer de véritables leçons des quelques sagesses que son entourage lui prodiguait. Si le miracle attendu ne semblait pas venir, elle cherchait toujours une solution facile pour se tirer de cette situation dans laquelle elle était tombée. Cette vie qu'ils avaient choisi avait son lot de risques bien entendu, mais jamais elle n'avait imaginé un retournement de situation aussi drastique et aussi terrible. Continuer. Continuer à avancer, oui elle était certain que c'était la seule chose qu'elle pouvait encore faire pour eux, tout en gardant leurs âmes en son cœur, en préparant leur voyage dans l'au-delà de son mieux. Zaena quitta ses pensées lorsqu'Hareas avoua à son tour devoir être honnête. Intriguée elle se tourna, le dévisageant alors qu'il commençait à conter.

La raison pour laquelle il avait disparu du jour au lendemain. Parfois Zaena avait prit pour raison un voyage important, un problème de famille, ou bien tout autre histoire simple, mais la réalité était plus dangereuse. Il avait apprit ses origines, son clan, ou plutôt son ancien clan. Ses sentiments vis à vis de la magie avaient menés le dalatien à s'éloigner alors que la mage. Comprenant ce que cela signifiait la jeune elfe baissa le regard, incapable de réellement savoir comment digérer la nouvelle. Il semblait regretter et elle ignorait quoi faire des mots de son ami. A plusieurs reprises elle ouvrit la bouche, sans qu'aucun son ne quitte ses lèvres. Toujours brisée à l'intérieure elle n'avait ni la force, ni la connaissance pour rebondir rapidement. Le silence reste maître des lieux durant quelques longs instants, jusqu'à ce qu'elle reprenne la parole.

« Et maintenant ? Tu sais tout de moi, alors et maintenant ? »

Une légère pointe de colère paraissait dans les mots de la Dalatienne, touchée d'avoir perdue un ami. Les quelques secondes de tensions finirent par disparaître alors qu'elle reprenait la parole.

« Maintenant tu es là quand même... Je... Je ne peux pas dire que la nouvelle m'enchante mais malgré tout... Je comprends. »

Comment pouvait-elle ne pas comprendre ? Même avec les explications, la vision réelle de ce qu'était son ancien clan elle ne pouvait qu'être en désaccord avec les façons d'agir de ceux-ci, alors bien entendu que pour quelqu'un d'extérieur, la situation devait être bien plus étrange.

« Je les ai laissé pour les même raisons. Je veux que tu saches, depuis mon arrivée à Starkhaven, depuis notre rencontre, la personne que tu as connu est celle que je veux être. J'ai laissé mon clan derrière pour ces raisons, bien que l'appui d'une famille derrière soit manquante, je doute d'avoir fait un mauvais choix même si... »

Elle soupira et détourna le regard, posant les yeux sur le petit autel bâti à la hate.

« Même si peut-être que Dirthamen a choisi de me punir pour avoir laissé ma famille derrière moi... Je n'ai jamais vraiment pu être moi-même là-bas, je l'ai été seulement trois ans, ici, avec quelques pensées naïves sur ce que je pourrais faire ici en ville. »

Elle ferma les yeux, laissant la légère brise qui rentrait par la fenêtre s'élancer dans ses cheveux.

« Je n'ai que peu d'amis à Starkhaven et encore moins maintenant alors juste... Merci Hareas, malgré ce que tu peux penser de moi et mon sang. »

La réaction première de Zaena fut presque aussi brutale qu'Hareas l'avait imaginée. Elle avait le droit d'être en colère contre lui, de refuser ses excuses ou ses explications. Elle aurait pu le repousser, il ne lui en aurait pas tenu rigueur, aurait simplement accepté sa décision. Elle était la conséquence indirecte de ses actions et Hareas se devait de l'assumer. Alors, face à ce et maintenant ? l'ancien chasseur Dalatien resta silencieux. Il ne baissa pas les yeux, tout en étant conscient qu'il n'avait pas de réponse toute faite. Il n'était pas certain de savoir pourquoi, malgré tout cela, il était revenu vers Zaena aujourd'hui. Quelle était sa motivation profonde ? Le désir de réparer une erreur passée qui lui faisait honte ? La compassion face à une amie qui vivait un deuil, des émotions qui lui étaient familières, quoique douloureuses ? Pourquoi s'infliger un tel souvenir ? Qu'y gagnait-il en retour ?

Son ancienne amie le tira de ses pensées avant qu'il ne puisse parvenir à une conclusion, mais cette fois son ton était moins agressif, et le changement surprit Hareas. Il s'attendait à ce qu'elle se mette en colère contre lui, pas qu'elle le comprenne. Il se sentait soulagé, et quelque part, encore plus honteux : il l'avait bien mal jugée.

Il ne savait rien des raisons qui l'avaient poussée à quitter son clan, et il n'aurait pas osé le demander, ce n'était pas sa place, ni le moment. Cependant Zaena s'ouvrit à lui sur ce sujet, et Hareas écouta, immobile et silencieux. Ses épaules s'affaissèrent légèrement lorsqu'il comprit qu'un dialogue à coeur ouvert aurait suffi à estomper ses doutes, s'il avait pris la peine de la questionner avant de fuir lâchement. Ou peut-être pas. Le dieu des secrets seul savait ce qui aurait pu se passer avec des "et si" et des "peut-être que". Hareas hocha lentement la tête lorsque la Dalatienne évoqua le nom de Dirthamen, dont elle portait les vallaslins. Avait-il puni celle qui avait choisi de l'honorer en portant sa marque sur son visage ? En gardant précieusement le secret de son clan, et de sa magie, pendant trois ans ? Non, Dirthamen aurait été fière de sa fille. Elle avait suivi ses enseignements pour survivre. Hareas, aussi, suivait le dieu qu'il avait choisi d'honorer.

Les Evanuris seuls savent si nous suivons réellement le chemin qu'ils tracent pour nous…

Il se rapprocha à son tour de la fenêtre, et se pencha pour jeter un regard en bas. Les rues étaient plus animées qu'à son arrivée, mais il ne percevait qu'un léger brouhaha, étouffé par le petit vent qui s'était levé. Le regard du chasseur se perdit entre les passants sans les voir. Les paroles de Zaena le touchaient. Plus que ses remerciements, c'était l'aveu qui l'ébranlait au plus profond de son être. Comme lui, elle avait peu d'amis. Était-ce pour cela qu'elle acceptait ses mots d'excuses ? Hareas comprenait son deuil, mais plus encore, Hareas comprenait qu'elle redoute à présent d'être seule. Et quand il se penchait assez longuement sur cette question, il entrevoyait la vérité, la véritable raison de sa présence. Sa propre solitude le terrifiait.

Je te crois... Et je regrette de t'avoir jugée précipitamment.

Il releva le visage en direction du ciel et constata que les nuages gris étaient progressivement en train de se faire chasser par le vent grandissant. Tant mieux.

Si j'avais pris le temps de t'écouter, j'aurais compris ton point de vue. Je sais à quel point quitter son clan est une décision difficile, quelles que soient les raisons qui la motivent…

Il marqua une pause avant de regarder son amie dans les yeux, et sourit légèrement, un peu tristement :

Je ne crois pas que nous soyons assujettis à notre destin depuis notre naissance, tu sais ? Te détacher du chemin que d'autres avaient tracés pour toi était un acte courageux. Si les Evanuris ne reconnaissent pas cela, qu'attendent-ils de nous ?

Nous plier jusqu'à ce que nous mettions pied à terre ? Non, Hareas était trop fier d'être Dalatien pour s'imaginer que leurs dieux, aussi muets soient-ils, approuvaient le destin que les shemlens belliqueux avaient réservé aux elfes qui les avaient défiés. Hareas croyait que les Evanuris soutenaient en silence toute tentative d'émancipation. Lorsqu'assez d'entre eux ce seraient manifestés, peut-être reconnaîtraient-ils enfin que leurs enfants méritaient d'être aidés ? En attendant, ceux-ci n'avaient d'autre choix que de prendre leur propre destin en main.

Même si le cœur n'y était pas, Zaena esquissa un bref sourire. Seul les Evanuris savent. Hareas avait raison, malgré cela le doute restait pour la jeune elfe. De tels malheurs pouvaient-ils être l'action des hommes seuls, sans qu'une divinité derrière ne décide d'apporter le malheur ? Cette question naïve ne quittait pas les pensées de l'elfe, demain peut-être, mais pour le moment elle cherchait désespérément une explication, une réalité, une explication à ces instants sombres. Malgré le doute et les regrets, elle savait qu'avancer était le seul chemin à suivre, aussi difficile soit-il à arpenter. Le jeune elfe continua, il regretter d'avoir juger, il acceptait les explications de Zaena, il prenait sur lui le tord causé. Elle ne pouvait nier le voir, mais les regrets et les mots de son ami étaient sincère et pour ça, un sourire plus sincère, bien que timide, vint se loger sur ses lèvres. La dalatienne acquiesça doucement les mots de son comparse, avant de répondre à son tour.

« Je suis contente que tu le vois ainsi. Si cela était en mon pouvoir, je me débarrasserais de ces pouvoirs, hélas ce choix n'est pas possible. »

Elle baissa le regard, observant quelques secondes ses mains. Parfois elle y voyait encore le sang des victimes, amies comme ennemies.

« Je ne vois aucun bon futur à ce don. Alors je le cache, je le cache autant que je peux pour que, peut-être, un jour, il soit si bien cacher que je ne puisse puis le retrouver. Je viens d'un clan mauvais, je suis née avec ce mal en moi, je sais que ma route est vouée à être perturbée par cela, mais je me dis que... »

Elle releva les yeux, croisant le regard de son congénère avec un petit sourire naïf.

« Peut-être qu'on peut être quelqu'un d'autre par notre âme et non notre sang. »

Le dalatien continuait, il ne croyait pas à destin fixe, il voyait de la bravoure dans les actions passées de Zaena, pour lui elle avait bien fait d'agir ainsi. Pour la première fois qu'elle s'ouvrait réellement sur ce passé qu'elle voulait oublier, quelqu'un approuvait les actions dont elle doutait encore, quelqu'un qui connaissait sa culture et croyances. Le mince sourire grandit encore un peu et quelques larmes aussi heureuse que possible en cet instant commencèrent à couler sur ses joues. Sans contrôle réel sur ses émotions elle se lança en avant, de tout son poids, sur le dalatien. Elle passa ses bras autour de lui et se blottit contre, laissant quelques larmes couler encore. Elle baltbutia quelques mots, sans qu'une réelle phrase ne sorte, elle était contente que quelqu'un trouve du bon dans ce qu'elle fait, peut-être avait-elle eu raison finalement ? Malgré le mal qui arrivait aujourd'hui, peut-être avait-elle eu raison de quitter ceux avec qui elle n'avait pas de point commun autre que le sang. Après quelques instants elle décida à reculer, reprenant le contrôle de son cœur.

« Je... Désolée... Et... Merci encore. »

Elle se tourna vers le petit cairn bâti en l'honneur de ses compagnons tombés. Le sourire disparut légèrement, alors qu'elle reprenait la parole.

« J'honnorerais leur vie autant que je le peux. Si mes choix ne furent pas tous mauvais, malgré les malheurs, peut-être trouveront-ils leur repos ainsi. »

Autant qu'elle le peut, elle les aidera pour cet ultime voyage.

Hareas pouvait sentir, petit à petit, la tension qui s'était installée entre Zaena et lui se dissiper. Il n'aurait pas été jusqu'à dire que les choses étaient comme avant, et quoi qu'il arrive il avait l'impression qu'il sentirait toujours l'absence des deux amis de la Dalatienne planer au-dessus d'eux. Elle était la raison de leurs retrouvailles. Ce triste coup du sort lui rappelait alors combien les vivants ne maîtrisaient rien. Si c'était les Evanuris qui mettaient toutes ces épreuves sur leur route, ils devaient bien rire de pareille rencontre entre leurs deux enfants. Et si Zaena avait raison de dire qu'elle ne pouvait effacer la magie qui l'habitait, Hareas croyait aussi sincèrement qu'il était possible de vivre tout autrement. Penser que l'on pouvait s'écarter du chemin tracé à la naissance était peut-être naïf. Mais quel choix restait-il quand ce dernier était semé d'embûches ? Reculer n'était pas une possibilité. L'âme ou le sang. La liberté ou le destin. Les mots de Zaena rejoignirent les siens, et pendant quelques secondes où il croisa son regard ému, Hareas sentit les derniers signes du malaise se dissiper pour faire place à une compréhension mutuelle.

Ni lui ni elle n'avaient choisi cette vie, pourtant ils faisaient de leur mieux.

Cette pensée le toucha, brièvement, mais très fort, si bien que lorsque Zaena le prit dans ses bras, il fut trop surpris pour réagir immédiatement. Son amie murmura quelque chose, il ne le comprit pas, mais il était lui-même incapable de dire quoi que ce soit de censé. Il passa simplement un bras sur son épaule pour la serrer en retour contre lui, touché par l'émotion qu'elle lui transmettait.

Merci à toi, dit-il lorsqu'elle recula.

Hareas ne voyait aucune raison de s'excuser, mais il préféra ne pas insister sur ce point. Son regard suivit celui de son amie, vers le petit cairn de fortune. Il croisa inconsciemment les bras, non pour s'éloigner de Zaena, mais parce que ce qu'elle disait lui rappelait un souvenir douloureux, et une pensée qui l'accompagnait depuis.

Honorer tes amis de ta vie est la meilleure chose que tu puisses faire.

Vivre, afin de ne pas oublier.

Tant que nous vivrons, leur souvenir vivra aussi.

Hareas pensait aux amis de Zaena, qui avaient perdu la vie simplement parce qu'ils avaient tenté de s'élever plus haut que ce que leur condition de naissance permettait. Ils avaient été puni pour avoir défié le destin, et la Garde avait fait d'eux des victimes anonymes et oubliées. Seule restait Zaena comme témoin.

Hareas pensait à ses parents également, qui n'avaient que lui comme témoin. Oh, tout le monde au clan Virnehn savait quel malheur les avait frappé, mais qui d'autre que leur fils se rappelait encore les événements avec exactitude ?

Tout d'un coup, le poids de son deuil sembla trop lourd, et trop fort. Son mal de crâne, qu'il avait presque oublié, revint à la charge deux fois plus fort. Hareas retint une grimace.

Souhaites-tu que nous trouvions quelque chose à planter ? À moins que tu préfères rester seule, ou te changer les idées.

Il ne voulait pas s'imposer. Mais pendant qu'il laissait à Zaena le temps de réfléchir à son offre, il se remémora ce qu'elle avait dit au sujet de la magie. Quelque chose qui avait éveillé sa curiosité. Hareas évitait de s'apesantir sur le sujet en temps normal, mais là, c'était plus fort que lui :

Je me demandais... est-ce vraiment possible de cacher ta magie ? Ou... ou de te cacher d'elle pour qu'elle t'oublie ?

Il savait que la magie était comme un appel incessant du Voile aux oreilles des mages, mais il ignorait s'il était possible de lui échapper. Hareas avait connu peu de mages dans sa vie, mais aucun d'entre eux n'avait clairement exprimé son désarroi face à ses capacités, encore moins son désir de s'en débarrasser. La magie le perturbait trop personnellement ; il lui semblait que s'il avait été mage, il aurait été de ceux-là. C'était certainement ce qui le poussait à mieux comprendre Zaena.

Un sourire heureux se posa sur les lèvres de la dalatienne, malgré tout elle était contente de retrouver un ami en ces lieux, quand bien même leur passé fut marqué par quelques différences. Zaena ne put qu'être contente en sentant son ami lui rendre son étreinte. Il voulait la rassurer, l'inviter à continuer sa route et à persévérer en l'honneur de ceux disparus. Cette voie était sans aucun doutes la meilleure à emprunter, malgré quelques doutes qui subsistaient sur sa légitimité, elle ne se voyait pas abandonner. Sa route était peut-être loin d'être idéale, mais au moins elle serait la sienne, qu'importe ce que le monde souhaite pour une elfe maudite par la magie. Elle acquiesça alors.

« Ils vivront alors aussi longtemps que je le peux. »

Jamais elle ne les oubliera, sa vie avait changé à Starkhaven, d'abord en pire, puis en mieux, aujourd'hui elle était peut-être au point le plus bas de sa vie, mais au moins, l'espérait-elle, la mémoire des temps passés aiderait à éclaircir le lendemain. Tout ne peut être que mal, ou tout du moins l'espérait-elle. Elle observe un instant la pièce dans laquelle ils furent ensemble il n'y a pas si longtemps. Le petit sourire qu'elle arborait disparaît peu à peu alors que la douleur semble revenir. Un tel vide ne peut être comblé aussi vite, sa main vient se poser contre son cœur touché. Seul le temps permettra à la blessure de devenir une cicatrice, une qui hélas ne disparaitra jamais. Hareas reprend, Zaena l'écoute puis acquiesce.

« Je voudrai bien trouver quelque chose à planter. Descendons alors, il n'y pas grand chose ici. »

Elle pose son regard dehors, encore faudrait-il trouver quelque chose à planter dans ce lieu. Tandis qu'elle y réfléchissait et prenait le premier pas elle s'immobilisa aux mots de son ami. Se cacher de la magie ? Elle l'aimerait tant... Elle aime croire que cela est possible, mais quelque chose semble se tenir contre elle. Son regard se détourne tandis qu'elle saisit de sa main son bras droit, visiblement gênée.

« Je... Je ne sais pas. Je le pensais il y a peu mais... »

Mais aujourd'hui le doute revenait hanté son esprit.

« Je l'ai entendu, cette nuit. La voix du démon qui hante ceux habités par cette... Maladie... Dans mon clan ils disaient que c'était un conseillé qui aimait à soutenir les mages dans leur apprentissage... Une voix qui te pousse toujours à faire le pire, à être le pire. Les émotions semblent l'appeler et... Et il promet des choses qui semblent si aisé. »

Elle secoue la tête de gauche à droite.

« Je ne sais trop comment l'expliquer, les mots ne suffisent pas à expliquer le poids de cet ombre. Elle est si attrayante et terrible à la fois... Pendant des années elle resta tapie, sans jamais sortir et cette nuit là... Alors même que j'imaginais déjà être débarrassée de cela... Elle est sortie à nouveau apportant avec elle une solution baignée dans le sang. »

Un sang qui, sur les mains de la voleuse semblait appeler à pire, tant il reluisant de puissance à écouter les dires de cette étrange présence.

« C'est difficile à dire. Ce n'est pas comme une entité, c'est à la fois un reflet de soi et une conscience de nos émotions je... Je ne sais comment la combattre autrement qu'en l'enfouissant et priant pour qu'elle ne ressurgisse jamais. »

Les mots semblaient avoir bien du mal à sortir et elle frémissait en évoquant cette force qui nait du sang des mages, cette engeance qu'elle craint et hait ud plus profond de son être.

Hareas considéra l'ouverture par laquelle il était entré, celle qui menait au toit, en se massant la tempe. Il venait de se rappeler qu'en plus du mal de crâne, il avait aussi un genou douloureux. Enfin, c'était de sa faute... ça irait mieux une fois descendu. Il était content que Zaena accepte encore un peu sa présence et l'idée de planter quelque chose le mettait de meilleure humeur. Sa tête aurait préféré trouver un coin sombre où dormir le temps d'aller mieux, mais Hareas avait plutôt décidé d'écouter son coeur. Il se serrait lorsqu'il imaginait son amie affronter seule le deuil de ses proches et ne faisait que trop bien le parallèle avec ceux qu'il avait perdus. Dans son malheur, il avait eu la chance d'être entouré de son clan, contrairement à Zaena, et il savait que la présence  des siens avait grandement apaisé sa peine, alors. Ils avaient été comme des béquilles pour lui, l'aidant à marcher jusqu'à ce qu'il soit en mesure de se déplacer seul. Métaphoriquement, on pouvait dire qu'il continuait de boiter, mais c'était devenu tellement normal pour lui qu'il n'y prêtait pas attention. Cela ne l'empêchait pas de continuer sa route, vaille que vaille.

Le genou qui faisait moins métaphoriquement mal non plus, même si Hareas regrettait certains choix de la veille alors qu'il s'apprêtait à se glisser dehors. Sa question à Zaena lui amena bientôt une réponse, qu'il suivit, intrigué, pendant que son corps courbaturé essayait de le hisser à l'extérieur. Heureusement, il ne pleuvait plus. Hareas passa le haut de son corps à travers l'ouverture, s'assit au bord et se pencha pour observer la réaction de son amie. Elle semblait hésitante, et les mots qui suivirent lui apprirent pourquoi. Il redescendit prudemment, conscient qu'elle abordait un sujet dont il ne savait rien, ou seulement à travers les rumeurs qui circulaient sur la magie. Pas grand-chose, donc. L'Archiviste du clan Galethis, tout comme celui des Virnehn, avait dû mettre en garde chacun de ses apprentis sur les dangers qui régnaient de l'autre côté.

Tu... bafouilla Hareas, très vite à court de mots pour traduire l'horreur que Zaena esquissait dans son récit de cette nuit-là.

Il n'était pas mage, et les concepts qu'elle lui présentait, cette entité mauvaise qui parlait de l'autre côté, il ne pouvait que l'imaginer, sous la forme d'une voix malfaisante qui cherchait à tout prix à passer dans le monde des vivants ; car c'est de cela qu'il s'agissait toujours, n'est-ce pas ? C'était la raison pour laquelle les mages étaient si vulnérables. Comme le clan Shiralen, qui avait été attaqué par une Abomination. Tous les Dalatiens des Marches libres savaient quel genre d'horreur le clan Tanassavir avait subi. Hareas en avait entendu des bribes, plus jeune, mais tout cela était alors si lointain... Le récit de Zaena paraissait plus concret. Et plus terrible également. Un frisson parcourut l'échine du chasseur, le genre de sensation qui prévenait du danger avant qu'il n'arrive : cours, disait-elle. Il aurait eu toutes les raisons de l'écouter. Il osait à peine combler les blancs dans le discours de Zaena : quelle avait été la cible du massacre que cette ombre l'avait forcée à perpétrer ? Il refusait de penser que ses amis avaient été... Qu'elle avait pu elle-même les... Ce n'était pas elle, c'était l'entité de l'autre côté.

Il avait beaucoup de mal à accepter cette pensée, mais il devait s'y raccrocher. Il s'était promis de ne plus fuir son amie. Et il détestait la peur que la magie instillait en lui.

Hareas tendit la main à Zaena pour l'aider à monter sur le toit. Il n'était pas mage, alors il ne pouvait pas régler ce problème pour elle. Il savait qui pouvait l'aider, mais il n'était pas question qu'il l'emmène dans cette prison que les shem appelaient le Cercle, et il était possible que l'Archiviste du clan Tanassavir ne soit pas ravi d'accueillir une dalatienne en fuite parmi les siens, qui plus était une mage. Peut-être trouverait-il une autre solution, mais en attendant, il pouvait se contenter d'être simplement là.

Ce doit être difficile de ne pas savoir comment la contrôler. C'est comme essayer d'apprivoiser quelque chose que l'on ne veut pas utiliser. Un archer qui voudrait apprendre à tirer sans se servir de ses flèches, par exemple. C'est impossible.

Hareas leva les yeux vers la lucarne à travers laquelle il était passé. Les nuages enfuis, elle éclairait le sol de la planque miteuse dans un rectangle de lumière claire, presque aveuglante. Il cligna des yeux.

Pas avec un arc en tous cas. Mais peut-être qu'avec le temps, il comprendra qu'il peut utiliser une fronde, ou autre chose.

Il eut une pensée pour son amie Yara, et sourit. Ni mage ni dalatienne, pourtant elle se défendait bien avec ses cailloux.

Prendre de la hauteur aide, parfois.

Il aimait se promener sur les toits de Starkhaven, pas seulement parce qu'ils l'éloignaient du bruit et de la puanteur des rues de la ville, mais parce que d'ici, il voyait ses murs, et au-delà, l'horizon vert de la forêt et le bleu du ciel. Les shemlens étaient un peu bizarres avec leur religion du Créateur et leur feu purificateur, mais quelque part, ils étaient pareils ; Hareas aussi cherchait la lumière. Il préférait simplement celle d'Elgar'nan aux bûchers sacrificiels, mais ça, c'était encore autre chose.

Un mince sourire orna les lèvres de Zaena alors que son ami partageait à son tour. Non pas que l'histoire qu'il contait l'amusait, mais elle appréciait simplement entrevoir ici de la confiance. Elle avait eu un grand besoin de parler, d'essayer de tout son être de mettre des mots sur ses émotions, sur ses craintes. Elle ne savait trop comment faire, pour expliquer ce qui passer réellement au fond de son être, ni maintenant, ni lors de ces maudits moments ou son cœur s'emballe et ou ses pouvoirs tentent de tout leur être de quitter leur frêle prison. Les deux elfes quittaient doucement la planque perdue du groupe de voleurs, elle saisit la main tendue de son ami pour l'assister, tout en quittant doucement les lieux, elle prit la parole à nouveau.

« C'est toujours étrange... Je... Je connais ces choses depuis des années, pourtant je ne peux toujours pas l'expliquer... Je ne peux pas mettre de mots dessus. Dans mon clan, ils disaient que c'était un don qu'il fallait chérir... »

Elle secoua la tête, tentant de rejeter toutes les fois où ses mots furent prononcés.

« Si cela est vrai, je ne vois pas ce qu'il y a chérir, jamais encore je n'ai vu un lendemain clair par ces voix. Malgré toutes les promesses qui semblent s'ouvrir lorsque les temps sont au plus sombre, jamais cela n'est autre chose qu'un piège pour une âme. »

Elle parlait autant à elle-même qu'à son ami, la sensation de pouvoir, de facilité qu'elle haissait autant qu'elle aimait ne savait faire autre chose qu'accroitre sa culpabilité. Son ami reprit la parole, comparant les difficultés de la Dalatienne avec d'autres qu'elle ne connaissait pas. Un brin amusée elle répondit, tandis que ses yeux se perdaient à observer la ville qui se révélaient à eux depuis ce toit qu'elle ne connaissait que trop bien.

« Je ne pense pas que je serais plus efficace avec une fronde que cet arc, j'ai toujours été meilleure chapardeuse que chasseuse, que ce soit avec une fronde ou un arc. »

Le vol a fort contribué à la tragédie passée, pourtant sa vie à récupérer les richesses de quelques humains trop riches pour eux même lui avaient offerts quelques beaux moments qu'elle espérait conserver, une fois que tout irait mieux pour elle. Debout sur ce toit elle s'immobilisa, les choses semblaient presque calme, si on en oubliait la misère qui grouillait aux pieds du bâtiments. Au loin quelques arbres offraient la vue d'une forêt naissante, paysage si familier qu'elle ne pouvait s'empêcher de regretter.

« Je sais que je me répète mais... Merci d'être là Hareas, j'ignore si je serais sorti d'ici seule... »

Un instant elle vint s'assoir sur le bord du toit, laissant ses jambes battre dans l'air, un brin d'air vint se glisser sur son visage et ses yeux vinrent se clore un instant, profitant du frais sans se soucier de ce qui était autour.

Le genou d'Hareas geignit tandis qu'il se décalait pour faire de la place à Zaena sur cette partie du toit qui était praticable. Il se sentait un peu mieux à présent qu'ils étaient à l'air libre, même si le sujet de leur conversation n'était pas toujours facile. Il y avait quelque chose de rassurant à avoir le ciel au-dessus d'eux et voir que les nuages s'écartaient pour les laisser l'observer. Peut-être était-ce uniquement parce qu'il était Dalatien, mais Hareas se sentait toujours plus calme quand la nature l'était aussi. Les occasions de l'observer se faisaient rares dans cette ville, aussi en profitait-il pleinement.

Ce que Zaena lui révélait sur la magie dans son clan, et la vision que les siens en avaient, confirmait ses soupçons. Les rumeurs possédaient toujours un fond de vérité, disait-on, mais le chasseur se rendait compte que celle-ci était pire que ce qu'il avait imaginé. Il avait de la chance que son amie ne fasse pas partie de ceux qui pensaient que la magie était un don merveilleux et que l'on pouvait tout se permettre avec elle. L'expression d'Hareas trahissait probablement tout le dégoût que cela lui inspirait - il n'avait jamais été très doué pour masquer ses émotions - mais il préférait ne pas l'exprimer tout haut. Cette histoire était celle de Zaena, pas la sienne.

Son visage s'éclaira quand cette dernière rebondit sur sa comparaison (bancale) entre la magie et la fronde. Il esquissa un sourire amusé :

Pourtant, il est toujours utile de savoir se défendre à distance. Si tu as du temps à perdre un jour, viens t'entraîner avec moi ! Il paraît que je suis un très bon professeur.

Il disait cela en souriant, mais très sérieusement. Il était tellement patient qu'il avait la réputation de pouvoir apprendre n'importe quoi à n'importe qui dans le clan. Ce n'était pas vrai évidemment, il y avait beaucoup trop de domaines dans lesquels il était totalement ignorant, mais il avait bien réussi à enseigner la traque à Nin alors qu'elle avait deux pieds gauches et la lourdeur d'un druffle en forêt, donc... Tout était possible, et il ne doutait pas des capacités de Zaena. Qu'elles soient de l'ordre de la chasse ou... de la survie. Il était persuadé qu'elle serait sortie seule de cet endroit, s'il n'avait pas été là.

J'en suis certain.

Il hocha brièvement la tête, solennellement, avant de reporter son regard sur l'horizon. Peut-être aurait-elle mis plus de temps, mais elle l'aurait fait. Il sentait qu'elle avait en elle la force nécessaire pour remonter la pente, même seule. La magie lui avait pris beaucoup de choses, sa famille, son clan, maintenant ses amis, mais Zaena avait continué à avancer jusqu'ici. La spécialité des Dalatiens, songea presque amèrement Hareas, et des elfes en général. Malgré le destin cruel qui les frappait depuis la chute d'Halamshiral, ils continuaient de se relever.

L'arc ? Pourquoi pas. Un jour peut-être, même si la dalatienne n'avait jamais vraiment trouvé d'intérêt dans les arts guerriers, elle devait bien admettre que son ami disait vrai. Utile, ne serait-ce que pour chasser un peu, ou bien qui sait, un jour cela deviendra peut-être une obligation d'utiliser autre chose que la fuite pour se défendre. Elle haussa les épaules, accompagnant d'un maigre sourire son geste et ses paroles.

« Un jour peut-être. Pour l'instant je ne rêve pas vraiment d'autre moyen de heurter un autre. »

Elle laissa planer le silence un instant, puis reprit la parole comme pour rebondir sur l'air un peu amusé de son camarade.

« Je ne doute pas de tes talents de professeur bien entendu ! »

Un jour peut-être. Car aucun ne pouvait réellement donner la fin de leur chemin, les doutes pavaient cette voie, les ombres formaient une ligne difficile à suivre, tant et si bien que l'elfe avait songé à la fin il y a bien peu. Pourtant il n'est de devoir plus saint que celui d'avancer, ne serait-ce que pour offrir à ceux ne le pouvant plus un peu de respect. Cette résolution nouvellement prise, à peine plus stable que les quelques planches sur lesquels les elfes passaient, avait le goût amer des précédents décisions de la voleuse. Suivre son clan. Quitter son clan. Venir à Starkhaven. Rejoindre un groupe à Starkhaven. En y pensant bien, peu de choses avaient réellement connu le succès escompté pour elle, le mutisme dans lequel sa déité était enfermé depuis tout ce temps venait compléter ce noir tableau qu'elle dressait maintenant sur son passé. Après tout, celui à qui elle adressait ses prières depuis toujours enseignait la loyauté aux elfes, choses qu'elle avait laissé de côté en choisissant ses principes plutôt que son clan.

La chasse avait son utilité, pratiquée avec parcimonie et dans le respect de la vie d'autrui, comme on l'enseignait aux Dalatiens. Mais Hareas pouvait comprendre que son aspect le moins plaisant rebute certains, surtout quand il y avait déjà de la réticence à tuer pour des raisons personnelles. Il était normal que Zaena ne soit pas tentée par un cours d'archerie. Il préféra en sourire plutôt qu'insister :

Oh, je ne me vexe pas, ne t'en fais pas. À chacun ses préférences.

C'était non seulement une question de goût, mais aussi de talent et de pratique, puisqu'on formait les jeunes Dalatiens assez tôt au rôle qu'ils allaient remplir dans le clan. Parfois, Hareas se demandait ce qu'il aurait fait si son grand frère n'était pas devenu l'apprenti de l'Archiviste, et que lui-même n'avait pas pris sa place aux côtés de leur père. Drynne serait-il devenu Premier Chasseur ? Aurait-il réussi là où Hareas avait abandonné, lui ? Et Zaena ? Qu'aurait-elle été, si sa magie ne s'était pas déclarée dans un clan aussi enclin à la pratiquer ? Ces questions là pouvaient être intéressantes à se poser, mais y réfléchir trop longtemps n'apporterait que du regret, il le savait, alors il les garda pour lui.

Il s'approcha du rebord du toit pour laisser pendre ses jambes de l'autre côté, avant de jeter un oeil à la rue en dessous. Les nuages avaient filé, mais l'atmosphère se réchauffaient et en conséquence, la puanteur de Mudshelf n'était que plus présente. Hareas fronça le nez. Si seulement l'odeur était la seule chose qui le dérangeait par ici...

Sortons d'ici ?

Ils étaient déjà dehors, alors ce qu'Hareas voulait dire, c'était surtout : quittons cette ville.

Certains trouveraient étrange la décision de ne pas poursuivre d'art de défense pour la jeune voleuse, son ami n'était pas de ceux-là. Elle avait bien assez causé de souffrance dans sa vie ainsi, nul besoin d'en rajouter encore à ces malheurs. Ceux qui souffraient chaque jour devaient faire face au pire que le monde avait à offrir, l’apostate n'avait pas la prétention de pouvoir faire du monde un endroit meilleur, mais au moins pouvait-elle agir pour qu'il ne soit pas pire par sa faute. Si jamais danger il y avait, elle allait courir, y échapper, nul besoin d'acquérir plus de savoirs pouvant causer la douleur. Cette étrange attitude avait étonné dans son camp, eux qui apprécient avoir un pouvoir pouvant faire ployer le genou à ceux souhaitant éviter de souffrir. Après tout, pour sauvegarder leur existence et leur mode de vie, ils étaient déterminés à tout faire. Était-ce vraiment un mal ? Pour la jeune elfe, si l'objectif était bon, les méthodes bien moins. La fin ne justifiait pas les moyens, car ce qui est créé dans le sang ne saurait qu'attirer plus de douleur.

Elle n'était pas comme eux.

Hareas avait raison sur ce point, bien qu'il y avait encore trop en commun pour la jeune elfe. Toujours elle craignait de devenir comme eux. Il voyait en elle des traits qu'on lui reprochait chez elle, pour lui c'était une force. Elle sourit un peu naïvement, sans répondre. Acquiesçant doucement aux mots du chasseur elfe. Après tout, si elle avait prit la décision de fuir, c'est car elle le pensait également. Elle pensait également que la folie de se dévouer corps et âme à un art si dangereux ne pouvait qu’entraîner le chaos. Elle pensait que son clan ne saurait que rencontrer damnation pour toute récompense après une existence aussi sordide.



Les bâtiments tous plus sombres les uns que les autres formaient un ensemble austère, sombre et bien loin d'être attrayant. Le regard de l'elfe se posa sur un enfant, courant entre les passants, portant derrière lui un nuage d'insouciance qui lui serait bien utile à l'heure actuelle. Puisse-t-il garder ce doux sentiment autant que possible. Les mots de son ami derrière elle la tira de cette scène, lui proposant quelque chose qu'elle n'avait pas fait depuis maintenant trop longtemps.

« Avec joie ! Je ne suis pas sortie d'ici depuis... Trop longtemps... »

Depuis avant leur départ. Ils étaient citadins, alors lorsque la voleuse faisait de petites expéditions, ils ne la suivait pas. Cela faisait encore plus longtemps qu'elle n'avait pas quitté la ville avec quelqu'un. L'elfe jeta un dernier regard au cairn sommaire qu'elle avait bâtit, avant d'entamer la descente. Elle reviendrait ici, plus tard, pour essayer autant que possible d'arranger ce mémorial.

Le regard d'Hareas se ralluma lorsque Zaena accepta sa proposition. Il laissait volontiers derrière eux les souvenirs dérangeants que leur conversation faisait remonter, et après un dernier regard à son amie et au refuge à présent vide à l'exception du petit cairn en l'honneur des disparus, il se glissa le long du mur de la porcherie. Lorsqu'il voulut sauter sur un avant-toit voisin, il trébucha : complètement oublieux de sa blessure, il s'était élancé en avant comme d'habitude et sa mauvaise jambe manqua glisser sur une planche rendue glissante par la pluie. Hareas se rattrapa avec un petit aïe avant de ralentir la cadence. Arrivé sur le plancher des vaches avec la vitesse et la prudence d'un shemlen décrépit, il se redressa, grommelant contre son genou.

Je suis tombé hier soir, tu y crois, ça ?

Il se sentait presque forcé de se justifier, tant cela ne lui arrivait que rarement. Avait-on déjà vu un Dalatien trébucher sur un toit ? Bon, d'accord... la pluie rendait la ville plus dangereuse que d'ordinaire. Et Hareas ne savait pas combien de fois il avait pesté contre les pavés glissants et irréguliers. C'était probablement l'un de ceux-là qui avait causé sa chute la veille, d'ailleurs ! Mais il ne s'en rappelait pas précisément. Cela avait été une soirée pleine d'insouciance, qui lui paraissait bien loin à ce moment-là. S'il n'y avait pas eu son genou maladroit pour le rappeler à la réalité, il l'aurait complètement oubliée.

Il boitilla encore quelques mètres, le temps que son genou endolori se remette, puis accéléra un peu le pas. Il avait hâte de sortir de la cité. Ici, la pluie rendait le sol glissant ou boueux. Dans Mudshelf, l'humidité faisait remonter une vieille odeur de purin qui dérangeait même les shemlens, mais Hareas était d'avis qu'elle se ressentait partout dans la cité, elle était juste plus ténue dans les autres quartiers. Tandis que dans la forêt... Oh, l'odeur de la forêt après la pluie était peut-être sa préférée. Les branches de pin... la mousse... la terre elle-même. Tout était exacerbé, il était presque difficile de discerner chaque nuance. Difficile de ne pas s'y perdre joyeusement comme un enfant. Hareas s'arrêta en bordure des arbres, de l'herbe humide jusqu'aux chevilles, échangeant un regard avec son amie. Il était sûr qu'elle le sentait, elle aussi.

On respire enfin, ici ! s'exclama-t-il en prenant une grande inspiration.

Il ferma brièvement les yeux et sourit, juste ravi de sentir la terre humide sous ses pieds, l'herbe lui chatouiller les mollets et le vent frais sur son visage. La forêt lui manquait chaque jour, et pourtant lorsqu'il revenait, c'était presque comme s'il n'était jamais parti. Un couple de mésanges pépiaient non loin. C'était paisible. Hareas reprit une grande inspiration en ouvrant les yeux, et posa les mains sur ses hanches avec un air enthousiaste :

Alors ! Tu veux faire quoi ?

Même s'il passait le plus clair de son temps à chasser, il n'était pas contre une petite promenade, une cueillette de fleurs ou de champignons, ou même une course jusqu'au plus haut chêne du bois. Enfin non, pas une course. Il oubliait son genou...

Quitter l'endroit un instant, aussi long puisse-t-il être, en ce moment, elle voyait cela comme un soulagement. Elle suivit dans sa piste son amis, s'étonnant un instant en le voyant toucher le sol avec bien peu de grâce. Elle retint un bref rire moqueur, il expliqua. Une chute toute récente, dont il parvenait à peine à admettre l'existence. Elle répondit avec un petit air amusée, avant de laisser quelques mots sortir.

« Aujourd'hui aussi on dirait. »

Elle mima un instant l'observer un peu, peut-être pour vérifier qu'il ne soit pas blessé, ou simplement pour renforcer ses prochains mots.

« Peut-être te fais-tu un peu vieux ? »

Sans plus que cela, elle reprit le chemin vers les extérieurs de la ville. En toute honnêteté, avec le temps elle a apprit à apprécier certains endroits de la ville, malgré le bruit, malgré l'odeur, malgré la vue. Certains endroits avaient un charme difficile à décrire, quelque chose qui venait plus former un sentiment de communauté, celui d'appartenir à un tout. Mais ce sentiment, malgré le fait qu'elle le reconnaisse aujourd'hui, n'était que peu de chose à côté de l'appel à la liberté et au calme des forêts. Ces lieux avaient plus qu'un charme, c'était une aura de beauté et de liberté que la ville ne pouvait qu'espérer avoir. Plus ce chemin les amener vers la ville, plus les choses semblaient agréables. Elle sembla presque retrouver un sourire réel, non pas amené par quelques mots ou pensées, mais bien plus par un endroit qu'elle ne pouvait qu'aimer.

Les murs de la cité une fois passés, devant eux se trouvait le territoire des cerfs, celui des taupes, des oiseaux et des loups. L'endroit le plus dangereux pour certains, mais le plus beau pour eux qui avaient ici leurs racines, au cœur même des terriers. Elle fit quelques pas, tournant un peu sur elle-même au milieu des arbres pour observer quelques signes de vie. Des mésanges un peu plus loin, un écureuil perché sur son arbre, interloqué par la présence des deux elfes ici, un tout qui semblait si reposant à l'elfe. Son ami s'arrêta, l'air interrogateur et lui demanda son avis sur la suite des choses à faire. Elle sourit, avant de se laisser tomber en arrière, s'étalant de tout son corps sur l'herbe encore humide, avec quelques gouttes de la rosée matinale survivant ici. Elle ferma un instant les yeux, l'odeur, le toucher, il y avait tant ici qu'elle aimait.

« Tout de suite ? Je voudrais rester ici pendant des années. »

Elle rouvrit les yeux, pour fixer le ciel. Fut-il de nuit ou de jour, ce paysage céleste ne manquait jamais d'être le symbole absolu de liberté, celui que personne ne pouvait atteindre et qui pourtant continuer de trôner comme l'objectif.

« Pourquoi avons nous quittés nos forêts ? »

La question sembla adresser autant à elle-même qu'à Hareas, pensive elle ne bougea pas pendant quelques instants, emportée par cette réflexion. Beaucoup de choses auraient été plus simple si elle n'avait pas prit cette décision. Au fond, de ce qu'elle en savait, même si son clan aimait les pratiques malsaines qu'elle avait fuit, ils n'avaient pas causés de catastrophes, ils vivaient renfermés à espérer un rêve qui ne viendrait jamais. Mais ici elle avait abandonné beaucoup, pour trouver puis perdre des choses toutes aussi précieuses. Après de longs instants à penser, elle se redressa, assise sur l'herbe, se souvenant qu'elle n'était pas ici juste pour observer le ciel.

« J'ai envie d'une soupe de champignons... Ou dont bien trouver ce qu'il faut dans le coin ? Je ne suis pas sorti depuis quelques temps, mais si je ne m'abuse, il y en avait dans le coin... »

Elle se retourna, perdant son regard à travers les feuillages, cherchant de quoi préparer un repas un peu trop rare en ces temps ci, un qu'elle connaissait de chez elle.