Type de RP Classique
Date du sujet 8 Gardien 5:13 des Exaltés
Participants Isbeil Byrne et Nucci Mansilla
TW Angoisse, deuil/référence à la mort, douleur morale et physique
Résumé Alors que le cauchemar la poursuit dans l’éveil, le chemin d’Isbeil croise celui de Nucci Mansilla.
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>8 Gardien 5:13 des Exaltés</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1179-each-night-in-dreams-ft-nucci-mansilla">Each night in dreams</a></li></ul><p><u>Isbeil Byrne et Nucci Mansilla</u>Alors que le cauchemar la poursuit dans l’éveil, le chemin d’Isbeil croise celui de Nucci Mansilla. Depuis plusieurs années, le Premier Enchanteur semble nourrir un intérêt pour ses activités nocturnes, et c’est dans un lieu inattendu qu’il lui propose cette fois d’en discuter..</p>[/code]

Si, de jour, la morsure de l’hiver semblait lointaine, ce n’était pas le cas dans les couloirs peints d’obscurité. La peau d’Isbeil, encore tiédie par les couvertures dans lesquelles elle s’était tournée et retournée, se rafraîchissait. Elle accueillit toutefois le léger souffle d’air, infiniment plus agréable que ses draps moites et collants, souillés par sa sueur et sa peur. Chaque pas qui l’éloignait du dortoir des apprentis était un maigre soulagement. Ici, dans la lumière bleutée et le silence à peine troublé par les templiers de ronde, le vide du lit à quelques rangées du sien – physique, pesant et intolérable – l'oppressait un peu moins.

Si les premières escapades nocturnes d’Isbeil s’étaient faites dans le tâtonnement et les hésitations, la mécanique était à présent si bien huilée qu’elle n’avait plus besoin de réfléchir à ses gestes. En vérité, elle aurait probablement pu faire tout le trajet jusqu’à la bibliothèque en dormant. Un bien lorsque ses yeux gonflés de sommeil peinaient à s’ouvrir ; un mal lorsque cela laissait, comme en cet instant, tout le loisir à ses peurs d’assaillir son esprit désœuvré. Lorsque l’apprentie pénétra dans la salle vide, les flaques de ténèbres paraissaient toujours aussi menaçantes que lorsqu’elle s’était réveillée.

Combattant un frisson, Isbeil se dirigea vers une étagère, ses doigts pâles frôlant les dos parfaitement alignés avant d’en saisir un. C’était toujours le plus difficile, cet interlude entre le rêve et le refuge, mais elle y était presque. Bientôt le défilement des pages serait une vague submergeant ses pensées ; les mots, une arme pourfendant les dernières brumes du cauchemar.

Mirani a lu l’un de ces livres avant de mourir.

Le cœur d’Isbeil rata un battement. Tout son corps se contracta comme s’il venait d’être frappé. Ses ongles s’enfoncèrent dans la couverture de cuir.

Son dernier, sans même s’en douter. Tu veux essayer de deviner lequel ?

Lourd, le bruit que fit le livre en lui échappant. Lourd, son corps qui s’affaissa contre l’étagère.

« Non. » gémit-elle. « Va-t’en. »

Elle ne voulait pas l’entendre, ne voulait pas jouer à son petit jeu morbide.

Pourquoi pas une prédiction, alors ? Celui de Varina ? Ou d’Ailis ?

Mains plaquées sur les oreilles, l’apprentie se replia sur elle-même. Un geste dérisoire, inutile, lorsque la source de votre détresse s’adressait directement à votre esprit.

Ou le tien ?

« Tais-toi. »

Sa supplique n’était à peine plus qu’un murmure. Venir ici était une erreur. Elle regrettait de ne pas s’être rendue à la chapelle, de ne pas avoir la figure rassurante d’Andrasté à ses côtés. Sa poitrine lui faisait mal. Son souffle lui échappait. C’était comme percuter les eaux glacées de la Minantre. La voix était partout, écorchant son âme alors qu’elle tentait de l’emporter. Il fallait qu’elle reprenne le contrôle. Il fallait qu’elle se lève. Mais ses tremblements étaient trop forts. Ses jambes ne répondaient plus.

« Tais-toi. »

De l’aide.

Une prière, seule à émerger des flots tumultueux de l’effroi.

Elle n’y arriverait pas. De l’aide. Quelqu’un.

Mais qui va t’aider, petite mage ? Il n’y a que toi et moi, ici. Même Ton Créateur t’a abandonné.

Lorsqu’une pression s’exerça sur ses mains, l’apprentie résista d’abord dans un gémissement, convaincue, dans toute sa terreur irraisonnée, que le démon venait de s’arracher à l’Immatériel pour l’y emporter. Mais les doigts insistèrent, s’entrelaçant aux siens avec une douceur qui lui fit ouvrir les yeux. Là, dans la pénombre brouillée, un éclat céruléen et un effluve acidulé vinrent pénétrer sa bulle de panique. Elle le reconnut : Nucci Mansilla.

« Isbeil, écoutez-moi, n'écoutez que moi : tout va bien. »

Secouée par ses convulsions, Isbeil tenta de prendre une inspiration, échoua. Son souffle refusait de descendre, bloqué par un poids écrasant. Sa poitrine s’agitait en soubresauts désespérés, le vacarme de son cœur entre ses côtes malmenées si assourdissant qu’il semblait impensable que chaque battement ne fût pas le dernier. Ses lèvres s’entrouvrirent en une nouvelle plainte inarticulée. Que cherchait-elle à lui dire ? Sûrement qu’elle ne voulait pas partir. Pas comme ça.

« Vous êtes en sécurité, ici. Je vous protège. »

Le Premier Enchanteur continuait de l’exhorter, ses mots tendus comme une ligne de vie, mais la Peur ne relâchait pas si facilement son étreinte.

Comme il a protégé Mirani ? Comme il a protégé tous les autres ? Ils emmèneront tes amies. Ils t’emmèneront aussi. Il ne les en empêchera pas. Ce n’est qu’un homme, aussi impuissant et faible que toi. Il sait ce qui vous attend : des lits froids et des coffres vidés, jusqu’à ce que vous soyez remplacées, comme si vous n’aviez jamais été là.

Dans un effort déchirant, les petites mains agrippèrent enfin celles de son aîné. Isbeil se focalisa sur leur chaleur, s’y accrochant comme à une ancre la reliant au réel. La Peur avait tort : quelqu’un était venu. Elle n’était pas seule.

Guide-moi à travers les nuits les plus noires.

La Peur avait raison. Elle redoutait cette mort qui effaçait les êtres et les conjuguait à l’imparfait dans le cœur des vivants ; craignait l’absence abyssale qu’elle laissait dans son sillage.

Endurcit mon cœur face aux tentations funestes.

Une seconde. Il n’avait fallu qu’une seconde pour que Mirani disparaisse. Une seconde qui était devenue fracture et éternité. La Peur avait raison, mais cette émotion était sienne. Elle lui appartenait, et elle seule en avait le contrôle.

Tu es le feu au cœur du monde.

La mort n’était pas la fin, et elle ne viendrait pas aujourd’hui.

Isbeil s’effondra en avant. Isbeil revint au monde. A présent que la lutte ne saturait plus ses sens, elle pouvait sentir l’odeur parcheminée des ouvrages et celle, plus tonique, des agrumes. Elle inspira, expira. Un goût de fer et de sel s’attardait dans sa bouche, signe qu’elle avait dû se mordre sans s’en rendre compte. Ses mèches sombres s’étalaient sur un tissu couleur de ciel, frais contre son front brûlant. Les doigts du Premier Enchanteur étaient toujours mêlés aux siens, et ce fût la bienveillance de ce contact qui réussit là où la Peur avait échoué. Une larme silencieuse roula sur sa joue, puis un sanglot enfla dans sa gorge :

« Je suis désolée. »

Elle ne savait pas de quoi elle s’excusait : de ses hoquets incontrôlables, de tremper la robe bleue ou de cet instant de faiblesse tout entier. Isbeil pleurait aussi bien d’épuisement que de soulagement.

Là où la voix était passée, ne régnait plus que le silence.

Les mains aussi frémissantes qu’un oisillon dans celles de son aîné, Isbeil était une naufragée dont le corps tardait à réaliser qu’il avait touché terre. Ses larmes n’étaient pas celles, dignes et silencieuses, des héroïnes de romans. Elles n’étincelaient pas, ne se cueillaient pas du bout des doigts comme des perles de rosée, mais inondaient ses joues d’un flot cuisant, secouaient ses os de hoquets bruyants et piquaient ses yeux jusqu’à les laisser rouges et bouffis. C’étaient les pleurs d’une enfant perdue, épuisée, qui avait vu le monstre de ses cauchemars prendre vie pour ramper de sous son lit.

« De quoi êtes-vous désolée ? D'avoir mieux réussi à repousser un terrible démon de la peur que le Premier Enchanteur lui-même ? Des félicitations sont de mise, apprentie Byrne »

De la gorge et du nez encombrés ne sortit qu’un reniflement misérable, à moitié noyé par le ruissellement salé et le tissu humide. Nucci Mansilla avait beau parler de victoire, il était encore trop tôt pour que l’apprentie ne vit rien d’autre que sa faiblesse coupable. Celle qui écourtait trop souvent son sommeil. Celle qui la poussait, à la lueur des bougies, dans l’encre et la prière. Celle qui avait failli, enfin, la faire céder à l’emprise démoniaque. Failli. L’essentiel était là, mais en cet instant, l’abomination qu’elle aurait pu devenir semblait plus palpable que la jeune femme qu’elle était toujours.

Impossible, donc, de voir dans cet éloge autre chose qu’une exagération destinée à la rassurer, mais la fluidité musicale de l’accent antivan contrastait toutefois tant avec le timbre désincarné de la Peur que les derniers tremblements refluèrent peu à peu, la chair cédant enfin face à l’esprit et se laissant convaincre que la tempête était effectivement passée.

« Reprenez votre respiration, doucement… »

Patiemment, Nucci la guidait loin de l’agitation du rivage et, docilement, elle le suivait, avant qu'une plainte ne lui fasse brusquement relever la tête :

« Messer Mansilla ? »

Si la raideur de cette étreinte à sens unique lui avait jusque-là échappé, Isbeil ne put rester aveugle à celle qui tendait maintenant jusqu’aux trempes grisonnantes des traits qui n’affichaient plus rien de leur malice habituelle. Pendant un instant terrible, le regard dilaté fouilla, en quête de réponse, la face crispée puis les ténèbres environnantes.

« L'entendez-vous enc- »

Ce n’est que lorsqu’elle avisa l’ombre esseulée et encore brouillée de la canne qui ne quittait d’ordinaire jamais la main baguée qu'Isbeil comprit que Nucci n’était pas la nouvelle victime de la Peur, mais seulement celle de son propre corps.  Ravalant sa question, puis essuyant sans douceur son visage maculé de chagrin avec le bord de sa manche, l'apprentie recula pour retrouver avec l’homme une distance aussi bien dictée par l’inquiétude que la bienséance. Comme souvent, une réalisation en avait amené une autre : elle n’était pas une petite fille pleurant dans le sein de son père, mais une apprentie, adulte, qui venait de s’abandonner sans aucune retenue contre les robes de la plus haute autorité de ce Cercle !

« Laissez-moi vous aider. »

Les mouvements de la jeune mage étaient à l’image de son ton : empressés, maladroits même, après l’engourdissement dans lequel la crise de panique avait plongé ses membres. Elle ne s’autorisa cependant pas plus qu’une grimace muette, consciente qu’il ne s’agissait là que d’une infime fraction de ce que l'antivan avait dû endurer alors qu’elle s’appuyait sur lui. Combien de temps avait-il souffert en silence cette position inconfortable ? Une pointe de culpabilité lui vrilla douloureusement le ventre alors qu’elle saisissait avec précaution le bâton. Elle espérait maintenant que Nucci ne prendrait pas ombrage de son initiative.

« Je suis désolée. » s’excusa-t-elle de nouveau en revenant à la hauteur de l’Enchanteur toujours agenouillé. « Je ne voulais pas vous faire mal. »

Le chien de laiton miroita en approchant des doigts ornés, comme impatient de retrouver un propriétaire qu’Isbeil n’alla pas jusqu’à toucher, se contentant de se tenir juste assez prêt pour lui laisser la possibilité de s’appuyer sur elle en cas de nécessité. En ce qui concernait le contact, elle avait déjà la sensation d’avoir outrepassé les limites du convenable.

Davantage fonction qu’homme, c’est ce que Nucci avait toujours été pour Isbeil. Premier Enchanteur devant sa communauté, guidant leur existence de concert avec l’épée flamboyante. Premier Enchanteur dans ses pouvoirs et devoirs, décidant du jour où le mage abandonnait la robe de l’apprentissage. Premier Enchanteur toujours souriant, toujours paisible, et que rien ne semblait pouvoir atteindre.

Et pourtant, à lui aussi la douleur pouvait arracher une plainte. Pourtant, il était au sol tandis qu’elle était debout. Pourtant, sa main tremblait, et Isbeil ne put soudain qu’espérer qu’il ne remarquerait pas comme cette vision la secouait. Détournant pudiquement le regard, effacée mais vigilante au cas où la jambe invalide céderait de nouveau, elle attendit. Les paroles rassurantes qu’il lui adressa en se redressant et le soulagement de le voir tenir bon n’empêchèrent pas les ombres environnantes de se tisser de remords, et c’est d’un simple hochement de tête qu’elle accueillit sa suggestion de se reposer quelques secondes.

La bibliothèque retrouva son calme habituel. Rappel de l’heure tardive, le sursaut d’énergie qui avait animé le corps d’Isbeil avait fini de se consumer, la laissant aussi lourde que fourbue. Ses bras n’aspiraient qu’à rejoindre le plateau frais de la table, sa tête à se nicher dans l'abri ainsi formé… Mais Nucci était là, compagnie intimidante, et l'apprentie ferma bientôt les yeux pour se soustraire à l'attention ainsi qu’à la honte qui l’accompagnait. Honte d’avoir été surprise. Honte de s’être dévoilée dans sa plus profonde vulnérabilité. Honte alors que qu’elle se demandait si le lien exacerbé du mage avec l’au-delà du Voile lui avait permis d’entendre les paroles empoisonnées…

… de savoir si, lorsque Peur l’avait traité de menteur, elle avait été tentée de la croire.

« Que diriez-vous d’un détour aux cuisines avant que je vous renvoie dans votre dortoir, avec toutes les semonces dues à une apprentie se promenant seule dans le cercle la nuit ? »

La voix de Nucci ramena brusquement Isbeil à l’instant présent. La proposition était troublante ; la dichotomie offerte par l’expression du mage franchement perturbante. Ce rapide clignement de la paupière signifiait-il qu'il n’était pas réellement en colère ? Isbeil n’avait jamais été très douée pour comprendre ce genre de facéties, mais préférait risquer un sermon que déjà réaffronter l’absence qui souillait le dortoir. Lâche. Si le Premier Enchanteur décidait de la punir, elle ne pouvait s'empêcher de penser qu'elle l'aurait bien mérité.

« Je ne dirais pas non à une tisane. » Raclement du bois contre la pierre alors que la jeune femme se relevait avec à peine plus de grâce que son aîné. « Je... Je pourrais vous en préparer une également... si vous le souhaitez. Ailis m’a montré comment faire. »

Des rares autres mots qu'Isbeil prononceraient cette nuit là, aucun ne seraient de ceux qui comptaient. Oh, des questions martèleraient bien son crâne jusqu’à la douleur : Mirani avait-elle eu peur ? Eu mal ? Pourquoi la magie, cette féroce gloutonne, ne faisait-elle que prendre – encore, encore et encore – jusqu'à les dévorer tout entier ? Tenaces, exigeantes, elles se bousculeraient dans sa gorge, se presseraient sur le bout de sa langue… Mais ses dents resteraient bien serrées. Elle noierait la peur et le doute dans l’infusion au goût d’épice et de sang, avalerait son deuil et sa peine avec le liquide brûlant.

Et c’est donc en silence qu’elle poursuivrait sa chute ; les mains lésées déjà trop loin pour être rattrapées.