Type de RP Classique
Date du sujet 28 Gardien 5:13
Participants @Drynne & Hareas Virnehn
TW Violence verbale et physique, mention de deuil
Résumé Hareas tombe (littéralement) sur Drynne après des années de recherche... il est un peu énervé.
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>28 Gardien 5:13</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1157-ceux-qui-errent-drynne-hareas#15041">Ceux qui errent</a></li></ul><p><u> Drynne & Hareas Virnehn</u> Hareas tombe (littéralement) sur Drynne après des années de recherche... il est un peu énervé.</p>[/code]

Hareas détendit et resserra les doigts de sa main libre, pour la troisième fois en cinq minutes. Le froid engourdissait ses articulations et menaçait de faire de même avec sa vigilance, mais il gardait les yeux bien ouverts, la respiration lente et contrôlée. Il frotta inconsciemment son menton, entre ses vallaslins, et cligna des yeux pour chasser les flocons qui s'accrochaient à ses cils. Suspendus dans les mèches brunes qui dépassaient de son capuchon, accrochés sur la pelisse en laine bon marché qu'il portait pour se protéger, ils recouvraient petit à petit le chasseur pour l'absorber dans le décor hivernal. Hormis le froid, cela ne le gênait pas. Il attendait.

Un peu plus tôt dans la soirée, il avait quitté le thaig, après avoir évité le repas aussi bien que ses camarades, sombrant dans un mutisme qui était somme toute habituel. Une bonne heure de route s'étalait entre Cairnayr et la capitale, mais Hareas ne comptait pas marcher de bout en bout. Il évita de déambuler en plein milieu du sentier, choisissant plutôt de longer la forêt de l'intérieur, l'oreille attentive aux moindres bruits de pas ou de voix qui indiqueraient une rencontre fortuite. Il dut s'immobiliser pendant quelques minutes lorsque des chants paillards rompirent le silence de la nuit, le temps de laisser passer deux marins qui rentraient joyeusement au port. Sur leur passage, des effluves d'alcool que même un nez shem aurait flairé des kilomètres à la ronde.

À peu près à mi-chemin, il marcha courbé en deux pour repérer l'arbre qu'il avait choisi, et marqué quelques jours plus tôt afin de le retrouver plus rapidement. Il fit passer son arc par-dessus son épaule pour faciliter son ascension et s'installa à quelques pieds du sol. De là, il pouvait scruter le chemin qui menait à Starkhaven tout en restant dissimulé par le feuillage. Et s'il s'avançait assez sur la branche sur laquelle il était assis, il avait même une vue plongeante sur tous ceux qui passeraient juste au-dessous de lui. Il avait longuement hésité à poser un piège, sous la forme d'un filin tendu en plein milieu du chemin, ce qui en l'absence d'un ciel dégagé serait difficile à repérer, et il se félicitait d'y avoir renoncé depuis qu'il avait croisé les deux ivrognes. Cela faisait des mois qu'Hareas préparait minutieusement son plan. Il n'avait plus de place pour les imprévus. Il s'était déjà montré assez imprudent comme cela.

Quelques temps avant Tollecourse et la fin du tournoi, une information a priori anodine était remontée aux oreilles elfiques du chasseur. Il y aurait un mage elfe parmi les Gardes des ombres récemment arrivés en ville. Rien d'exceptionnel, peut-être, mais Hareas explorait toutes les pistes, méthodiquement, sans y croire vraiment. Jusqu'au jour où il l'avait aperçu au loin, sur cette même route, alors que lui-même posait quelques pièges à lapin dans les bois. Il avait été saisi d'une émotion incontrôlable qu'il avait par la suite eu du mal à identifier, mais qui avait bien failli tout faire rater. Il avait de la poudreuse plein les chevilles et, si ce n'était pas suffisant pour le décourager, une ombre immense avait crevé le ciel au-dessus d'eux : un griffon. Hareas avait renoncé à prendre son frère en filature. Il ignorait ce qu'il aurait fait s'il l'avait menée jusqu'au bout. Une chose était certaine : il ne pouvait pas le prendre par surprise. Pas de cette façon-là en tout cas. Hareas avait besoin de voir son visage, pour être certain qu'il ne rêvait pas, et il avait besoin que cette reconnaissance soit réciproque.

Cela n'expliquait pas entièrement pourquoi il avait choisi de se poster en embuscade sur un arbre, mais l'idée semblait en tout cas assez séduisante pour qu'il veuille bien braver la neige qui tombait en petits flocons au gré d'un vent mordant. Hareas renifla et fit craquer les doigts de sa main libre. Il en mettait, du temps... Il était certain qu'il passerait par là, il l'avait assez observé pour avoir une idée très précise de sa routine, et ces derniers temps son frère semblait particulièrement attiré par Cairnayr, le cadet n'aurait su dire pourquoi. Une autre question à ajouter à la longue liste des interrogations qui entouraient l'aîné de sa famille. Si tant est qu'Hareas trouve la force de les lui poser. Plus le temps passait et plus il en doutait. Son frère méritait-il vraiment sa patience ? Peut-être aurait-il dû installer ce piège, finalement... Soudain, le silence de la forêt laissa place à un bruit de pas, plus léger que ceux des deux ivrognes de tout à l'heure, quoique légèrement alourdi par un son cliquetant ; peut-être une cotte de mailles, peut-être une arme, Hareas n'y prêta pas autant d'attention qu'il l'aurait dû car ses yeux avaient percé la silhouette qui s'avançait en direction de sa cachette et il reconnut les traits familiers qu'il avait longtemps cherchés sans oser l'aborder.

Toi.

Hareas retint son souffle, moins pour contrôler sa respiration que pour retenir la violence de ses émotions. La simple vue de son frère, marchant là, au milieu des bois, la simple vue de cet elfe qu'il croyait ne jamais revoir dix ans plus tôt, qui était à présent Garde des ombres et qu'Hareas ne pouvait pas – ne voulait pas – imaginer vivre sa vie paisiblement après qu'il l'avait lâchement abandonné, tout cela menaçait de le submerger avant même qu'il soit à sa portée. Sa main libre attrapa prestement une flèche dans le carquois qui pendait à sa ceinture et l'autre, qui serrait fermement le manche de son arc pendant tout ce temps, s'éleva à mi-hauteur, entre son frère et lui.

La flèche qu'il décocha se planta juste devant ses pieds.

Assez précise pour ne pas le toucher, assez rapide pour laisser à Hareas le temps de sauter de son perchoir, pour atterrir littéralement sur lui. Il attrapa le manche de son arc des deux mains pour donner un petit coup dans le torse de son aîné, juste assez bas pour ne pas lui dégommer la trachée, et s'en servit pour le maintenir au sol en appuyant tout son poids contre lui.

On dhea'lam, Drynne.

Hareas sourit à sa propre politesse, le souffle court, et secoua la tête pour chasser les flocons qui tombaient de ses cheveux, brouillant quelques secondes sa vue. Pourtant, à cette distance, il n'y avait plus aucun doute. Ses yeux, tout comme une colère qu'il pensait avoir enterrée, ne le trompaient pas.

J'espère que tu te souviens de moi.

Dalatien:

Ce fut une flèche sortie de vraisemblablement nulle part qui délogea le garde des ombres de ses pensées saugrenues : ni même les réflexes de dalatien furent suffisamment agiles pour éviter l’assaut qui lui vint du ciel, et qui s’accabla sur lui sans pitié.

Sa première pensée; allait-il devoir utiliser sa magie ce soir-là? Il n’aimait guère faire appel à ses pouvoirs  par réflexe, car puiser du mana était loin d’être agréable et sans conséquence. De plus, il avait promis qu’il le ferait face à ces ennemis putrides, promis qu’il le ferait à ses derniers instants…
Mais depuis quand les engeances portaient des arcs de chasse, ou des flèches?

Savoir tomber était une habilité impérative dans l’art du combat, et, fort heureusement pour lui, Drynne en fit usage à temps, malgré la désagréable surprise. Son armure avait claqué sous lui, absorbant la plupart du choc ; mais ses mains, elles, étaient bien trop loin des manches de ses haches pour bloquer davantage son assaillant. Lorsque Drynne se rendit compte de sa vulnérabilité, il dévoila ses dents en un grognement de déplaisir. Dire qu’il n’aimait pas être surpris de la sorte était peu dire.

Deuxième pensée : qui osait s’en prendre à un Garde des Ombres en pleine annonce d’Enclin?  Ce n’était pas un secret qu’ils avaient doublé les entraînements et qu’ils étaient aux aguets - alors cette hardiesse ne manquait pas d’être un peu suicidaire!

Gisant au sol, le dalatien essaya d’identifier son agresseur.
Des vallaslins plein le visage, des cheveux ébouriffés, se secouant de la neige tel un mabari sauvage. Reconnaissait-il quelqu'un? Non, du moins, il ne reconnaissait pas ce visage, de pair à ce dessin. Mais il reconnaissait ces fins traits délicats - ils honoraient le dieu Elgar’nan - ce qui n’était pas nécessairement une bonne nouvelle... Ni ce qui se suivit.

« On dhea'lam, Drynne. »

Son nom, sur ces lèvres? Tiens donc. Médusé, le mage plissa les yeux.
Et puis, cette voix... d'où pouvait-il bien la connaître? Le labyrinthe de ses pensées le menait à une seule conclusion.

Ce fut comme un coup de poing plein les tripes.

Qui aurait dit un jour que les fantômes du passé pourraient l’interpeller ici, dans ce chemin frileux qui menait à Cairnayr, en plein mois de Gardien? Ce sentier qu’il faisait si souvent, si rituellement. Cette envie invariable, de tréfonds et de monstres, qui le secouait hors de son lit.

Qui aurait deviné que, pris d’insomnies comme à son habitude, cette nuit viendrait chambouler toutes les soirées à suivre? Lui, dont toute la psyché se trouvait déjà bien trop fragile, ne tenant qu’à un fil - celui du Voile, et de monstres impalpables.
Qui aurait dit qu’on le retrouverait, ici, si loin de arla? Et pour cause! Les forêts natales et les monts du Nevarra ne voyaient plus Drynne depuis plus d’une décennie. Un lointain songe, dont il ne voulait plus rêver.

Qui aurait dit que ça aurait été isa'ma'lin à déferler sur lui? Sang de son sang. Celui qui enlève la peur.

Drynne n’était pas habitué à ce sentiment exact, et ce fut avec surprise qu’il sentit déferler en lui l’effroi d’avoir été découvert, d’avoir finalement été rattrapé par ce qu’il avait parvenu à tenir loin de lui.
Il avait échoué. Petit frère.

L’adrénaline qui l’envahit fut telle, que ses doigts commencèrent à titiller avec intention ; le mage ferma ses poings, ses ongles se plantant contre sa paume, protégée par ses mitaines de cuir (- elles auraient saigné autrement).
Non, il ne devait pas puiser du Voile, pas ici et pas contre lui.

En un souffle presque étranglé, le seul son qu’il réussit à produire...

” Hareas? “

Étais-ce vraiment possible?

Hareas, Hareas. Son prénom, qu'il n'avait pas entendu dans la bouche de son frère depuis des années, avec cette voix-là - il la reconnaissait, bien qu'elle lui semblât différente de ses souvenirs - Hareas n'arrivait pas à croire que ce soit la première chose qu'il prononçait devant lui. À quoi s'attendait-il ? Des excuses ? Des explications ? Des questions ? Certainement, mais pas avec cet air surpris, alors que son interlocuteur le reconnaissait pourtant, et que c'était la seule chose qu'il espérait vraiment. Hareas prit une brusque inspiration, conscient qu'il devait se calmer, mais poussa un peu plus son arc avec ses mains, et son poids contre Drynne.

Quoi, tu pensais que je resterais éternellement avec le clan ?

Son ton était tranchant, sa voix hachée mais les mots sortaient sans filtre, son seul impératif dans l'instant étant de ne se laisser submerger ni par la colère, ni par le froid. Il plia légèrement les bras pour se rapprocher de lui, qu'il le voit bien en face malgré l'obscurité, et constata que le visage de son aîné était plus pâle, cerné aussi, que dans ses souvenirs de jeunesse. Était-ce le sort réservé à tous les Gardes ? Hareas avait toujours peine à croire que son frère avait trouvé sa place parmi eux. L'elfe lâche et égoïste qu'il était à ses yeux ne reflétait pas les valeurs de courage, abnégation et sacrifice qu'il imaginait chez ceux qui vouaient leur vie aux ombres. Mais qu'en savait-il ? Il n'était lui-même qu'un petit chasseur dalatien au regard de son aîné, n'est-ce pas ?

Tu t'imaginais quoi, que j'attendais sagement que tu rentres à la maison ?

Il l'avait fait, un temps. Sage petit frère. Il avait mis le temps, mais il avait fini par comprendre que son aîné ne reviendrait pas. Qu'avait-il à affronter au clan, sinon le regard déçu et accusateur de son cadet ? Pourquoi es-tu parti ? Pourquoi m'as-tu abandonné ? Toutes les questions qu'Hareas avait élaborées en attendant son retour avaient tourné à l'amertume. Une rancoeur qu'il déversait enfin, sous forme d'interrogations, comme si ses propres hypothèses pouvaient refléter celles que son frère avait dû élaborer de son côté.

Une rancoeur qui l'empêchait d'imaginer plus de deux possibilités, bien qu'il en existât de multiples. Celle-ci était la pire, il avait du mal à la formuler sans trahir toute la force de son ressentiment :

Ou peut-être… Étais-tu assez stupide pour croire que je t'avais oublié ? Je n'ai pas oublié, Drynne.

Il existait une autre possibilité, bien sûr : Hareas aurait pu lui pardonner. Mais si Mythal s'indignait de ne pas le voir marcher dans ses pas miséricordieux, elle n'avait jamais jugé bon de l'en informer.

Et Elgar'nan lui en soit témoin, Drynne l'avait hanté à chaque jour de sa vie.

À présent Hareas possédait l'ascendant sur lui ; non pas physiquement, mais parce qu'il avait le pouvoir d'inverser les rôles. Parce que sa seule présence représentait tout ce que son frère avait essayé de fuir. Hareas était sa culpabilité, sa peur, ses échecs, sa lâcheté. Tant de sentiments que le jeune chasseur avait lui-même combattus, avant de les apprivoiser. À présent qu'ils ne lui faisaient plus peur, la compassion de la déesse mère n'avait aucun pouvoir au royaume du dieu vengeur.

D’abord Linnarel, et maintenant, c’était Hareas qui se trouvait là. Le passé avait-il décidé de le traquer une bonne fois pour toutes?
Grand comme s’il n’avait jamais été petit, les cheveux à présent courts et ébouriffés, comme à sa propre image. Les yeux profonds, vifs, dignes d’un des meilleurs chasseurs, et vierges de toute trace de souillure. Avait-il arboré lui-même ce regard preste, autrefois?
Non. Il n’a pas, n’a jamais eu ton talent pour la magie. Il te hais et t’haïra toujours pour ça.
Les ronces d’Elgar’nan ornaient maintenant son front, comme s’il n’avait jamais été autrement. Comme s’il avait toujours apprivoisé la vengeance en son cœur.  

” Quoi, tu pensais que je resterais éternellement avec le clan ? “

Oui, je le pensais.
Ces bougres! Drynne, -qui les avait quitté si abruptement, en partie pour les sauver, les sauver de ce qu’il était; de ce qu’il était devenu!- et les voilá qui s’en débarassaient ! Comme si quitter le clan avait été le choix à faire. Seul lui avait eu des raisons pour tel - pensait-il, choqué à l’idée des Virnehn, complètement égarés les uns des autres. Pourquoi s'éternisaient-ils à faire les mêmes erreurs que lui?

” Tu t'imaginais quoi, que j'attendais sagement que tu rentres à la maison ? “

Oui, et encore oui. Drynne pouvait observer de plus près les deux billes brillantes d’amertume. Combien de fois avait-il cauchemardé ça, avait-il prié pour qu’on lui épargne ce supplice? Celui de ne pas pouvoir éviter ce regard?
À présent, ici, il ne pouvait pas se résoudre à fermer les yeux, ou à le repousser - c’était trop tard. Il n’oublierait désormais plus jamais les fins traits entre son front, les yeux plein d’aversion, cette rancoeur palpable qui crispait les muscles de sa mâchoire, l’acrimonie de sa voix d’adulte.  

” Ou peut-être… Étais-tu assez stupide pour croire que je t'avais oublié ? Je n'ai pas oublié, Drynne. “

Il prononçait son nom - ce fichu nom - ton sacrifice est nécessaire. Seul lui et Linnarel, l’avaient si bien prononcé, depuis les années qu’il ne marchait plus pieds nus dans les bois parmi son peuple.
L’entendre ainsi articulé était comme un retour en arrière, un retour auquel il n’avait pas consenti. Cela l’étranglait plus que l’arc qu’il avait fixé au cou.

“ C’était peut-être ce que tu aurais dû faire. Attendre, oublier. Qu’importe. Mais tu n’as jamais su suivre des instructions simples, Hareas.” grogna Drynne dans l'impétuosité de ses pensées, le «S» du prénom de son frère sibilé. Parlait-il de Rasa? Parlait-il de la dernière fois où ils s’étaient vus?
Le Voile frétillait, et le démon titillait tous ses sens, il semblait tout juste là, à gronder tout près de ses deux tympans. Mais ses mains crispées ne bougèrent pas, et il ne se débattit point, même sous le poids chaque fois plus marqué que son frère exerçait sur sa trachée.    

“ Même pour me tuer… tu as bien pris ton temps. ”

Le masque de fureur contenue d'Hareas s'altéra sensiblement alors qu'il réalisait les mots que son frère avait osé prononcer. Tu n'as jamais su suivre des instructions simples.

Et toi, tu…!

Le début de sa phrase se perdit dans l'air froid, à moitié étouffée par l'indignation. Drynne savait exactement quoi dire pour l'agacer, évidemment, mais ça il l'avait oublié. Quiconque avait des frères ou des soeurs saurait vous dire que c'était extrêmement prévisible, et même parfaitement normal, voire bon enfant… et dans n'importe quelle autre famille cela aurait probablement été le cas. Pas chez les Virnehn, et encore moins entre ces deux frères là.

Hareas ne pouvait pas deviner le cheminement de ses pensées, et si ce n'était pas à Rasa que Drynne faisait référence, ce dernier n'y pouvait rien ; ses mots-là touchaient ce point précis chez le cadet, une blessure très ancienne et mal cicatrisée.

Il se revoyait petit, tremblant, balbutiant des explications terrifiées. Leur faute à tous les deux rejetée, dans des échanges déplaisants de culpabilité à base de mais c'est toi qui…! et de non, je t'avais dit de…! noyés dans les pleurs et la réalisation atroce de la réalité. Ses excuses étouffées par le remords, sa voix n'avait-elle pas été balayée par des adultes trop accablés par le deuil ? Puisque les excuses des deux garçons, l'accident, les causes de la tragédie pesaient bien peu en comparaison de la douleur qu'elle faisait peser sur les vivants. Et leurs parents, le souvenir d'Hareas était étrangement précis, leurs parents n'avaient jamais dit "tout est de ta faute." Ils n'avaient jamais dit "tout est de la faute de Drynne" non plus. Mais Hareas avait fini par le croire puisque l'autre vérité était trop effrayante à accepter.

Or il n'était plus petit, ni tremblant, ni terrifié. Il n'était plus étouffé par le remords et la culpabilité. Il voyait clair, à présent : la faute était partagée. Et c'était Drynne l'aîné. Il n'avait pas le droit de faire peser cette accusation sur ses épaules seules. Pas quand ils avaient été tous les deux si jeunes. Hareas prit une brève inspiration, qu'il relâcha lentement d'un air contrarié et légèrement consterné.

Toi, tu as toujours été incapable d'assumer tes responsabilités.

Mais majoritairement contrarié. Même pour me tuer… disait Drynne, même comme ça il trouvait le moyen de lui faire des reproches. À croire que les rôles étaient inversés. Hareas tendit les bras pour se redresser lentement, observer un peu plus son frère dans sa globalité. Il chercha le mensonge dans son regard, une grimace, un geste, une lueur de moquerie au moins… quelque chose qui contredirait ces mots qu'il ne s'attendait pas à entendre. N'importe quoi. Pourquoi ne bougeait-il pas ? Pourquoi ne se débattait-il pas ? S'il craignait vraiment le jugement de son petit frère, pourquoi ne se défendait-il pas ? À moins qu'il plaisante…

À moins qu'il ne plaisante vraiment pas.

À t'entendre, on croirait que tu m'attendais.

La réalisation avait du mal à s'imprimer concrètement dans l'esprit d'Hareas.

Pas après tout ce temps.



Or, il y avait une autre option, parmi toutes celles qu'il avait imaginées durant ces longues années sans réponse. Il s'était laissé aveugler par sa rancoeur et il ne l'avait même pas considérée, pourtant... pourtant Drynne était bien là. Devant lui. Il devait y avoir une raison. Et son uniforme, qui ne faisait aucun sens à première vue… Oui, peut-être Hareas pouvait-il envisager une autre possibilité. Une raison qui explique que Drynne se trouve devant lui. Et peut-être avait-il envie de la connaître.

Pourquoi ?

Le poids qu'il faisait peser sur le torse de son frère s'allégea sensiblement. Hareas serrait toujours fermement son arc entre ses mains, parce qu'il ne tenait pas à lui laisser une chance de fuir à nouveau, mais il ne cherchait plus à le maintenir résolument contre le sol. Il réfléchissait, très vite. Il avait trop de questions, il ne savait même pas s'il voulait comprendre une fois pour toutes les raisons qui l'avaient poussé à quitter le clan et à attaquer son frère ce soir, ou s'il cherchait simplement à savoir pourquoi Drynne le laissait faire. Ses sourcils étaient toujours froncés mais sa voix, plus basse, trahissait sa confusion.

” Toi, tu as toujours été incapable d'assumer tes responsabilités. “

Le garde des ombres grogna davantage sous le poids de ces mots, démangé par l’envie de surenchérir avec violence. Lui, parler de responsabilités? Autrefois, il l’aurait mordu pour bien moins de provocation. Aujourd’hui, il essayerait de le lui pardonner. Après tout, Hareas ne faisait aucune idée des responsabilités qu’exigeait le statut de Premier du clan ; et encore moins les implications d’un Garde des Ombres.
Drynne pouvait pourtant deviner cette pause… il ne comprenait pas. L’elfe aurait pu rire, s’il en avait le coeur.

” Pourquoi ? “

C’était une question parfaite. Pourquoi?
Pourquoi Drynne ne se débattait-il pas sous le poids écrasant de cet arc? Pourquoi les artères qui gonflaient sous sa peau palpitaient avec telle force? Après tout, Drynne aurait pu renverser Hareas avec aise, il en était sûr : son armure l’aurait aidé à plaquer et immobiliser son cadet au sol. Sous la lune étincelante, l’aîné réalisa à quel point il pourrait sembler étrange. Un dalatien dans une armure d’acier, ce n’était pas commun ; même pour les Virnehn, habitués au troc avec les humains.  

La question lui revenait encore. Encore et encore, elle faisait écho répétitivement dans son crâne. Pourquoi? Dit-lui pourquoi… ou plutôt, montre-lui.

Les mains fines de Drynne se refermèrent lentement. Le fourmillement qui s’y aglomérait était menaçant ; savait-il l’effort magistral qu’il exerçait pour ne pas déchaîner ce fichu démon? Ou l’ignorait-il intentionnellement?

“ Je te facilite la tâche. ”



L’idée était tellement insupportable, que toute cette envie bien dissimulée -et cet espoir- de lancer cet appel à l’aide à son frère, cette maigre possibilité de dialogue et d’ouverture entre frères de sang… échoua pour de bon.

Le sang dans ses veines s’accélera quelque peu : maintenant, tout ce qui lui restait était ce désir incontrolable de voir dans le regard de son frère, la haine desenfrenée. N'était-ce donc pas tout ce qu'il méritait?
Oui, il méritait bien plus qu’un arc à la trachée. Il méritait disparaître de ce monde, cette fois pour de bon. Alors il lui dit :

“ Tues-moi, c’est une bienveillance que tu feras au clan. Je ne saignerai pas longtemps, l’Union a rendu mon sang visqueux - c’est à peine s’il sauront ce qui m’a achevé. ” Drynne parlait tout à fait sérieusement, mais ce qui était le plus choquant, c’était le ton solemnel dans sa voix, presque calme.  Il avait fait rouler son cou sous l’arc pour mieux parvenir à parler. Et ce qui était aussi curieux de remarquer : le ton de "grand frère qui distribue des instructions" était de retour. “ Si tu choisis l'asphyxie, ne regarde pas. ” procéda-t-il.

“ Et si tu choisis de me faire brûler, fouille mes affaires d’abord, c'est tout ce que je te demande. ”

Qu'attendais-tu ? Hareas avait légèrement reculé, mais la vue d'ensemble ne lui apprenait rien, si ce n'était que ce frère qui se trouvait devant lui était bien différent de celui qui l'avait abandonné des années plus tôt. Ses traits étaient marqués, il lui semblait fatigué, comme s'il était plus âgé qu'il n'aurait dû l'être en réalité, et Hareas ignorait que c'était un effet de la souillure, mais... il pouvait sentir qu'il n'était pas exactement en bonne santé. Et puis il y avait l'armure. C'était très étrange, pour lui, de voir un elfe en armure, qui plus était son frère. Il avait toujours eu l'habitude de le voir en tenue d'apprenti, avec son bâton de magie. Ses deux haches étaient-elles plus efficaces pour tuer de l'engeance ? L'idée que Drynne puisse préférer se battre avec deux lames plutôt qu'avec sa magie ne traversa pas l'esprit de son cadet. S'il y avait une autre raison, Hareas avait encore du mal à la distinguer.

À quoi s'attendait-il, en effet ? À ce que son frère s'énerve de son insolence, et avoue enfin toutes les raisons qui l'avaient poussé à fuir ? À l'abandonner ? Il était prêt à les entendre, pensait-il, même s'il devait s'avérer qu'au final, Drynne avait seulement quitté le clan pour le fuir lui. Mythal savait que les deux frères n'avaient jamais eu une relation idéale. Pas depuis la disparition de Rasa. Et Hareas commençait à avoir l'habitude de voir les gens partir sans rien lui dire. Tu as été moins dur avec Linnarel, réalisa-t-il seulement maintenant. Oui, mais... c'était différent. Il appréciait moins la compagnie de son frère alors, et en même temps, il en avait plus besoin que de celle de leur ami d'enfance. Il aurait aimé que malgré tout, les différends, les épreuves traversées, son frère ne le laisse pas tomber.

Mais Drynne restait un mystère pour lui, encore maintenant, il était incapable de le comprendre vraiment. Incompréhension qui fit place à une colère renouvelée, car si l'elfe face à lui était différent du souvenir, il restait ce grand frère agaçant qui lui parlait comme s'il savait mieux que lui, qui ne pouvait pas s'empêcher de lui donner des ordres, même pour...

Me... faciliter la... marmonna Hareas, perplexe.

En passant outre le fait que Drynne s'était persuadé tout seul qu'Hareas était venu le tuer - quelle incroyable relation fraternelle - oui, même s'il faisait mine d'ignorer ce fait, Hareas ne pouvait s'empêcher d'en conclure que Drynne le prenait pour un incapable.

Me faciliter la tâche ? répéta-t-il, plus fort cette fois, puisque clairement outré.

Non mais... C'était un comble ! S'il avait voulu, il l'aurait pu l'abattre d'une flèche entre les deux yeux, et sans poser de questions ! Il aurait même pu le viser dans le dos, quand il l'avait croisé plus tôt dans ces même bois, et Drynne n'aurait rien eu à y redire ! Et s'il l'avait fait, par Elgar'nan, il n'aurait certainement pas eu besoin de ses conseils à deux pièces d'argent, non mais, pour qui se prenait-il ? Hareas prit une grande inspiration pour se calmer, parce que ses mains avaient commencé à trembler, mais plus Drynne parlait, plus le plus jeune des frères essayait de comprendre pourquoi il se sentait obligé de lui dire tout cela... plutôt que de répondre à la seule vraie question qu'il lui avait posée - mais non, évidemment, il fallait qu'il demande de le tuer, quoi ? Il était malade, et il voulait se faire achever ? La colère, la frustration et l'incompréhension d'Hareas continuèrent de grandir, jusqu'à ce que quelque chose craque. Peut-être le bois de son arc dans son poing, peut-être sa nuque lorsqu'il secoua violemment la tête dans un mouvement incontrôlé :

FERME-LA !

Il ne pouvait pas en supporter davantage. Une seule question. Il lui avait posé une seule question. Drynne avait un seul putain de job, c'était de répondre à la seule putain de question qu'Hareas avait bien voulu poser, parmi toutes les interrogations que son départ avait suscité, et dans tous ces moments d'incompréhension, de doute, de haine, il n'avait eu besoin que d'une seule chose. Il voulait savoir pourquoi. Mais non. Non, Drynne, il voulait qu'il le tue.

Espèce de...! Pour qui te prends-tu ? Alors c'est ça... C'est vraiment la seule chose que tu aies à me dire ? Bordel j'attendais rien de toi et je suis quand même déçu ! Fen'Harel ma halam, Drynne !

Sois maudit cent fois, toi qui ne comprend jamais rien. Était-ce si difficile d'être un frère décent, pour lui ? Hareas était-il à ce point un gamin insupportable pour que même des années plus tard, Drynne soit incapable de comprendre ce qu'il lui demandait ? La haine qu'Hareas ressentait, cette haine qui n'avait jamais été complètement tournée vers Drynne, mais qui émanait de lui depuis la mort de leur petite soeur, cette haine affluait et refluait comme une vague qui le laissait à peine s'exprimer, entre chaque moment de lucidité.

Je vois que tu y as bien pensé ! Ça fait longtemps que tu y réfléchis ? À comment en finir ?

C'était craché comme une insulte presque, avec un soupçon de sarcasme et de dégoût, et sans laisser le temps à son frère d'en placer une. Non, Drynne avait eu sa chance de s'exprimer, mais il l'avait laissée passer.  De toute manière, Hareas était trop loin pour s'arrêter. Dans sa colère, il n'avait même pas réalisé qu'il avait lâché l'arc, et que ses deux mains s'étaient accrochées au col de son frère.

C'est pour ça que tu es devenu Garde des ombres ? Je croyais que tu te cachais, mais... en fait tu, tu t'es dit que tu finirais ta vie à... à combattre des monstres dans les Tréfonds ? Et puis finalement, une mort héroïque, c'est trop effrayant pour toi, tu préfères que ton petit frère fasse le sale travail ? Ça te rendrait service, c'est ça ? Tu veux que je T'AIDE ? Après TOUT ce que tu M'AS FAIT, tu as LE CRAN de ME demander de T'ACHEVER ? Tu es encore plus LÂCHE que je le pensais, tu ME DÉGOÛTES, et si tu crois que JE VAIS... que je vais...

À ce moment-là, il n'avait plus de souffle, alors il se redressa, reprit sa respiration, et réalisa le ridicule complet de la situation. Ça ne le calmait pas pour autant, il était juste un peu plus conscient de ce qu'il venait de dire, de la réaction que Drynne avait provoquée et, malheureusement, du fait qu'il n'avait pas envie de s'arrêter. Il continua de crier ; s'il y avait d'autres Gardes dans les environs, nul doute qu'il les attirerait, mais l'instinct de survie d'Hareas ne valait pas grand-chose face à une colère longuement refoulée.

Peut-être que tu as raison ! Peut-être que tu mérites de mourir !

En fait, comprit-il, Drynne ne méritait même pas sa pitié. Un sourire incontrôlé déforma brièvement ses traits. Il avait envie de rire, presque, comme s'il ne faisait qu'assister à cette débâcle, qu'il observait, spectateur amusé, à quel point tout cela n'avait plus aucun sens. Oui, il avait presque envie de rire, et aussi de pleurer. Il ne savait pas ce qui se passerait s'il s'arrêtait assez longtemps pour prendre du recul sur la situation, l'effet qu'elle avait eu sur ses émotions. Il lâcha le col de Drynne en le repoussant vers le sol, et posa ses deux mains de chaque côté de son visage, avant de siffler :

Y'a un Enclin qui approche, tu sais ? Alors peut-être que tu mourras en guerrier, si c'est ce dont tu as toujours rêvé. Ou peut-être que tu te feras dévorer par un archidémon, après avoir été torturé par ses engances, qui sait ? Et si par miracle... si par miracle on survit tous les deux à ce bordel, t'en fais pas... Je te retrouverai. J'exaucerai ton souhait. Mais si ça doit en arriver là, crois-moi, isa'ma'lin, tu regretteras que les engeances t'aient pas emmené dans les Tréfonds.