Type de RP Classique
Chapitre concerné Chapitre 4
Date du sujet 3 Auguste, 5:13 des Exaltés
Participants  @Isbeil Byrne et @Katriel de Palia
TW Cauchemars, mention de mouvement de foule (à compléter si besoin).
Résumé Isbeil et Katriel se retrouvent par hasard à la bibliothèque, une nuit. Pour l'apprentie et l'enchanteresse, c'est l'occasion de revenir sur les événements survenus quelques semaines plus tôt, devant le Laurier Carmin. C'est le moment, aussi, d'entamer une conversation sur le rapport qu'entretient Isbeil avec sa magie.
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>3 Auguste, 5:13 des Exaltés</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t2124-ou-s-use-le-papier-et-se-consument-les-bougies#25949"> Où s'use le papier et se consument les bougies</a></li></ul><p><u>Isbeil Byrne et Katriel de Palia.</u> Isbeil et Katriel se retrouvent par hasard à la bibliothèque, une nuit. Pour l'apprentie et l'enchanteresse, c'est l'occasion de revenir sur les événements survenus quelques semaines plus tôt, devant le Laurier Carmin. C'est le moment, aussi, d'entamer une conversation sur le rapport qu'entretient Isbeil avec sa magie.</p>[/code]

La porte de sa chambre est entrouverte…

… un oiseau de malheur a été peint sur son mur…

… le Corbeau s'envole à la fenêtre.

Cendres. Cendres sur les paupières, aveuglant le ciel. Cendres sur le cœur, comprimant la poitrine. Cendres sur les lèvres, suffoquant le cri. Cendres sur le soleil, appelant la nuit.

« QUATRE ! Quatre fois votre Créateur vous punira ! La pestilence jettera Starkhaven sur ses genoux et personne ne pourra se cacher ! »

Cela pèse sur les poumons. L’immonde fumée. Le sang grésille. La peau une brûlure. La gorge un supplice. Un feu dans la chair jusqu’aux os, jusqu’aux cendres où la mage se consume.

« TROIS ! Trois fois votre Créateur vous abandonnera ! La destruction frappera vos murs fragiles comme du papier pour qu'inondent le chaos et la mort ! »

Plumes. Plumes sur le sol, au-devant de la peur. Plumes sur la porte, au-devant du malheur.

« DEUX ! Deux fois votre Créateur rira, et rira le dernier ! Votre artifice de Cercle sera détruit et ses ruines répandront magie et démons et vengeance ! »

Cela pèse sur la conscience. L’immonde sanglot. Le sang désigne. L’erreur une brûlure. La mémoire un supplice. Un feu dans la folie jusqu’aux horreurs, jusqu’aux plumes où la foule se brise.

« UN ! Les Princes Vaël tomberont tous, et avec eux ceux qui les adorent, car jamais votre Créateur ne reviendra ! »

Quelque part sur le chemin qui l’avait ramenée au Cercle – ou bien avant, alors que sa magie puis ses mains s’affairaient auprès des blessés – l'émotion d’Isbeil avait séché. Ravalée en même temps qu’une part de sa conscience, elle n’avait plus débordé ni pendant son rapport et les questions qui avaient suivi, ni lors d’une nuit étrangement dépourvue de tout songe. Non vaincue, seulement captive, ce n’était que le lendemain – sous la forme de rémiges noires retrouvées au fond d’une poche – qu'elle avait de nouveau frappé. La détresse coulait enfin, irrépressible, et, un mouchoir plaqué sur la bouche pour ne pas alerter, étouffant aussi bien sous sa pression que sous celle de la culpabilité, Isbeil s’y était enfoncée avec l’impression de devoir s’y noyer.

Mais plus depuis.

Les larmes étaient inutiles. Dangereuses. Elles ne ramenaient pas les morts à la vie ; ne sortaient pas les garçons de prison. Elles ne faisaient que tout troubler quand vous deviez y voir clair ; vous vider de votre énergie quand celle-ci était mieux employée ailleurs.

A étudier, par exemple.

Parfois, quand le calme feutré de la bibliothèque ou le bruissement occasionnel du papier l’emportaient sur la rumeur et les pleurs, la douleur et les terreurs d’un autre jour, d’un autre lieu ; quand les nuits sans sommeil s’accumulaient telle la poussière sur les reliures, le poids des ouvrages sur ses bras peu à peu effacé par celui de la fatigue, Isbeil se surprenait presque à le croire. Que ce nouveau cauchemar n’en était qu’un. Qu’elle n’aurait qu’à se retourner, là – vers ce templier dont elle devinait l’attention sur sa nuque ployée – pour le prouver.

Presque.

En l’idée même reposait toute sa sottise. Jamais l’impertinent ne se serait tenu si loin ni n’aurait autorisé le silence à s’installer. L’azur aurait surplombé son épaule, chassant les ombres et réchauffant sa nuque comme un rayon estival au lieu de la laisser si froide. En ce désir même reposait tous ses remords. Il l’aurait comprise, et dans son absence résidait le terrible rappel, insensible même au rêve. Celui des multiples égarements, des trop nombreux échecs.

De leur prix surtout, payés dans le sang d’une dizaine d’innocents.

Alors, dans la pénombre d’une unique bougie, l’apprentie appuya les paumes contre ses paupières avant de presser, fort. Je suis Isbeil Byrne. Immobile, le souffle suspendu, elle laissa le grincement discret et distant du métal égrener les secondes. Ma nièce est ma lueur, ma foi mon flambeau. Elles me guident chaque jour pour devenir meilleure. Une étincelle s’éveilla à l’arrière de ses yeux, entre ses côtes inertes, mais ce ne fut que lorsque l’inconfort l’emporta, enfin, sur le picotement qu’elle inspira :

Je ne laisserai plus le mal et la Peur gagner.

Isbeil reprit sa lecture, les pages leur chuchotement, la plume son grattement consciencieux sur le papier. Une mélodie bien ancrée…

Jusqu’à ce sursaut dans son rythme :

« Enchanteresse Supérieure de Palia ! » Grimaçant aussi bien à cause du grincement discordant de sa chaise que de l’éclat puissant de sa voix, Isbeil s’inclina brièvement face à la nouvelle venue. « Veuillez m'excusez, je ne vous ai pas entendue arriver. »

Pour une fois, ce n’était pas la crainte qui dictait sa politesse réservée, mais bel et bien la plus pure admiration ; elle-même renouvelée lors du jour maudit.

L'odeur cuivrée. Les doigts poisseux. Le murmure ininterrompu de l'Immatériel...

Les souvenirs affluèrent sans prévenir. Il fallut quelques secondes à l’apprentie pour s’en extraire, puis comprendre ce qu’on lui disait :

« … une histoire de procession qui aurait mal tourné à cause d'un lacet défait. Le livre en soi n'a pas grand intérêt, mais il a laissé à disposition une retranscription des témoignages dans ses annexes. Je suis certaine que vous y trouverez matière à étudier.
— Eugène de Beaumont vous dites ? » Son regard revint aux livres sortis, puis dériva vers leurs comparses endormis tandis qu'elle réfléchissait. « Je ne crois pas l’avoir vu sur les étagères. »

Le classement du Cercle souffrait cependant de limites en ce qui concernait les double sujets, aussi reposait-il sûrement ailleurs que là où ses recherches l'avaient déjà poussée. La section réservée à l'histoire Orlésienne peut-être, vers laquelle son corps se tournait instinctivement ? Si l'Enchanteresse Supérieure elle-même le lui recommandait, sa lecture devenait une priorité.

Malgré sa voix demeurée égale, la mention d'Antiva valut à l’Enchanteresse Supérieure de Palia un regard dérobé de la part de l’apprentie, brièvement refrénée dans son élan studieux. Celui-ci ne lui révéla rien d’autre qu’une concentration entièrement acquise à sa recherche, si bien que n’importe qui d’autre aurait été en peine de la deviner : cette fuite dans l’étude qu’elle-même connaissait intimement pour l’avoir trop souvent pratiquée.

Isbeil n’ignorait plus que son interlocutrice souffrait elle aussi de nuits agitées. Cependant, si douleur il y avait – et elle ne doutait pas qu’elle fût – Katriel la maîtrisait – ou la dissimulait ? – bien mieux qu’elle.

« Tenez. »

Ses mains aux ongles encore difficilement réguliers attrapèrent presque avec révérence le livre qu’on lui tendait. Les compliments qui l’accompagnaient avaient amené quelques couleurs sur ses joues d’ordinaires si pâles, ainsi qu’un sourire timide qui frissonna avant de s’éteindre aux propos suivants.

« Cela ira. Je… »

Elle aurait voulu pouvoir affirmer avec assurance que cette lecture ne serait pas plus difficile que ses cauchemars, mais la vérité était qu’elle l’ignorait. Elle n’était sûre que de son désir de s'y confronter quoi qu’il en coûte car, depuis ce jour-là, lutter contre ses démons l’effrayait moins que de s'en cacher.

« Si je compte persévérer sur la voie de la Création, je devrais être en mesure de garder mon calme même face aux pires souffrances. Je ne progresserai jamais si je laisse leur simple description m’impressionner. »

Par ces mots, ce n’était pas seulement l’autre qu'Isbeil cherchait à convaincre. Au fond, elle ne souhaitait qu’être courageuse comme Katriel. Katriel qui avait perdu sa patrie et ne dormait pas. Katriel qui restait gentille et forte, qui utilisait sa magie pour aider les gens et offrait ces doux sourires qu’elle doutait parfois de mériter. Dans la lueur chaude des bougies, dans l’horreur d’une rue meurtrie, dans la solitude confuse d’une salle de soin, et où ils avaient chaque fois apaisé un peu du tourment et de la honte.

De la peur aussi.

Mais je ne la laisserai plus gagner, n’est-ce pas ?

Alors pourquoi ne lisait-elle pas ? Pourquoi attendre que le soleil ne réchauffe les pages pour s’y plonger ne semblait soudain pas une mauvaise idée ?

« Puis-je ? »

Parce qu’elle avait senti son indécision ? Katriel saisit une chaise et, pour faciliter son installation, Isbeil s’empressa de déplacer ses affaires avec une pointe de soulagement. Voilà qui lui fournissait une excuse pour écarter l’ouvrage et revenir aux précédents :

« Tous ceux-là traitent du cerveau. » expliqua-t-elle en désignant la petite pile qu’elle venait de réunir. « Les enquêtes rapportent que la plupart des victimes de bousculade succombent à une asphyxie traumatique résultant d'une compression thoracique sévère, mais… » La poitrine violacée siffle et s'enfonce. Elle sent le pouls errant, fuyant sous sa paume. Prie qu’il ne s’arrête pas. « … celles-ci peuvent également subir des traumatismes crâniens à la suite d’une chute ou d’un choc. »

Après une hésitation, elle poussa vers l’Enchanteresse Supérieure un carnet aux nombreux signes d’usure, et où s’étalait en double page un schéma sommaire mais minutieusement reproduit. Signe d’une volonté de comprendre au mieux l’organe avant de s’intéresser à ses défaillances, le dessin ne rendait pas tout à fait justice à ce qu’il lui inspirait. Le siège de la pensée était une fascinante prouesse du Créateur sur laquelle il restait tant à découvrir, et que tous les écrits s'accordaient à qualifier d'aussi remarquable que délicate : une erreur, et vous pouviez priver une personne de sa capacité à parler, à marcher, voire de tout ce qu’elle était…

Isbeil louait Andrasté de ne jamais s'être retrouvée face à pareille blessure tant cette simple idée la terrifiait. Seulement, elle se rappelait aussi l'Antivane devant le Laurier Carmin, mains apposées sur un front ensanglanté. Un souvenir qui, au delà de la crainte, l'interrogeait :

Katriel de Palia avait-elle déjà connu une telle angoisse ?

Et si oui, comment l’avait-elle dépassée ?