Lorsqu’il s’était approché des templiers pour parler contrat, Blythe ne s’était pas vraiment attendu à ça. Non pas qu’il se fût attendu à quoi que ce soit de précis, d’ailleurs, mais qu’ils se décident à lui apprendre comment travailler n’avait pas été une surprise qui l’enchantait. Non pas qu’il aimait beaucoup les surprises non plus d’ailleurs, étant donné son train de vie elles signifiait habituellement des problèmes à venir.
Mais il lui semblait être partit pour rester à Starkhaven un petit moment, du moins tant que ce serait le cas il lui fallait bien de quoi payer son logement ; et ce n’étaient pas les maigres économies avec lesquelles il était arrivé aux Marches Libres qui lui permettraient de le faire bien longtemps. Après une bonne décennie passée à débarrasser les territoires alamarris d’apostats, continuer cette œuvre au-delà de la mer d’écumes avait paru une évidence. Cependant les règles étaient différentes de ce côté du monde et il ne pouvait pas se contenter d’agir de son propre chef comme il l’avait fait jusqu’à présent. Et c’était sans compter sur le fait qu’il n’était pas exactement habitué à chasser seul.

Aux ordres temporaires de la Chantrie, donc. S’il ignorait si son offre avait pu être accueillie avec surprise, elle n’avait posé aucun problème pour autant –d’autant qu’il lui avait semblé comprendre ne pas être le seul mercenaire auquel ils fassent appel en cas de besoin. Mais c’était sous certaines conditions qu’elle avait été acceptée et peut-être que la réputation de son peuple le précédait dans celles-ci. Après tout les mages étaient traités avec bien plus de… complaisance ici, et c’étaient des coutumes qu’il devait encore apprendre. Bien sûr Blythe en connaissait déjà vaguement les préceptes, mais la simple existence des cercles n’avait toujours été que théorique pour lui et sa connaissance la magie purement expérimentale. Force était d’admettre que ça n’avait pas toujours tourné en sa faveur, même si la simple idée de le reconnaître ne lui plaisait guère.

C’était pourquoi il avait retrouvé une templière, dont il n’avait pas retenu le nom, à Downnoc afin qu’elle l’accompagne dans le cercle de magie local et lui présente son fonctionnement. Dire que la perspective ne le réjouissait pas serait un euphémisme. Sur ses gardes, comme s’il risquait de se faire attaquer à la moindre seconde d’inattention, le mercenaire l’avait suivie dans les jardins extérieurs où quelques personnes semblaient profiter des températures moins étouffantes que le mois passé et d’un répit entre deux orages pour prendre l’air.
Ici, sa guide lui avait demandé de patienter jusqu’à son retour –sa visite était prévue mais nécessitait visiblement quelques formalités supplémentaires avant qu’il puisse pénétrer dans l’enceinte. Il n’avait pas fallu beaucoup plus de temps au mercenaire pour déjà se sentir comme un animal en cage, arpentant les allées fleuries d’un air sévère sans en apprécier la beauté. Chaque âme présente était une raison de plus de se méfier (simple civil ou mage ?), les années passées à les traquer lui interdisant tout sentiment de sécurité alors qu’il se trouvait à proximité de bien trop d’entre eux. Il ne comprenait pas, et c’était peut-être bien là toute la raison de sa venue, comment la Chantrie pouvait les laisser réunis de la sorte, presque libres dans un lieu d’où il était visiblement trop simple de s’échapper. Oh, bien sûr, il savait que les templiers étaient présents pour les surveiller à toute heure du jour et de la nuit… Mais tout de même. Il connaissait le danger que pouvaient représenter des apostats solitaires, alors que dire de tant de mages ainsi regroupés ?

La templière avait pris son temps avant de revenir, assez pour que Blythe juge plus critiquement encore ce cercle et la multitude de perspectives d’évasions qu’il laissait à ses élèves. Comment pouvaient-ils ne pas avoir de nombreux fugueurs dans ces conditions ? Il ne s’était pas gêné pour le faire savoir une fois qu’elle fut de retour –Vous savez que depuis ce coin des jardins on peut être parfaitement caché de l’entrée ?– mais elle s’était contentée de feindre un intérêt à ses allégations pour qu’il la suive plus rapidement. Peut-être que la machine semblait bien huilée pour eux, mais de son côté ça ne l’inquiétait que plus sur la fiabilité de ces lieux.
Le passage par le registre, s’il n’avait pas fallu bien longtemps pour que le mercenaire écrive son nom en patte de mouches, les avait cependant retardé encore un peu. Pour des questions de sécurité, apparemment, on lui demandait de déposer son fauchon. Et Blythe se sentait bien plus en sécurité s’il pouvait le garder à la ceinture, merci bien, d’autant plus dans un lieu pareil. Finalement, non sans montrer les dents pour s’assurer qu’ils soient bien au courant de son mécontentement, il leur avait remis son arme. Enfin, ils pouvaient se rendre jusqu’au lieu de leur rendez-vous, ayant gagné un nouveau compagnon de route pour leur peine. Brad, apparemment.

Il n’avait pas plus prêté attention à la beauté de l’architecture à l’intérieur du bâtiment qu’il ne l’avait fait pour les jardins, tentant d’enregistrer les chemins qu’ils empruntaient et de commencer à mémoriser la topologie des lieux. Il ne leur fallut pas longtemps pour arriver au terrain où deux hommes les attendaient déjà.
Le chasseur avisa d’un air critique celui dont tout l’attirail hurlait au mage. C’était bien un des problèmes avec eux, impossible de savoir à quoi s’attendre précisément au premier coup d’œil.  Et le templier à ses côtés était-il… comment les appelaient-ils ? Son binôme ?

« Vous aviez besoin de conseils, Ser. Quelque chose de spécifique ? »

Air qui ne s’arrangea pas à ses mots. S’il se retint de montrer les crocs, ce fut seulement parce qu’il serrait les dents, même si sa réputation ne s’était certainement pas construite sur sa capacité à dissimuler ses émotions. Les templiers ne l’avaient-ils pas prévenu de la raison de sa présence ici ? Il trouvait déjà assez humiliant de devoir converser avec des mages et qu’ils ne s’en tiennent pas à son expérience passée avec les apostats… Il ferait beau voir qu’il leur demande des conseils maintenant. Comment seulement leur faire confiance ? Qu’est-ce qui pouvait bien l’assurer qu’ils ne cherchent pas à le tromper pour protéger les leurs ?

« Je suis ici parce que les templiers m'ont… fait comprendre que je n’pourrais pas travailler avec eux tant que ce n’serait pas fait. Ser. » Ajouta-t-il après une très courte pause, visiblement ni habitué à utiliser ces formules ni particulièrement concerné par celles-ci. « Maintenant, à savoir si j’ai droit à un traitement de faveur ou si c’est un passage obligatoire pour tous, on n’m’a pas mis dans la confidence. » Continua-t-il en croisant les bras tout en laissant son regard glisser sur le templier, George, positionné aux côtés dudit Vaël.

Tiens, Vaël ? Hum. Le nom lui semblait familier, sans qu’il parvienne à se souvenir d’où –ce serait une question pour plus tard. Il haussa les épaules, allez savoir le patronyme était peut-être courant dans la région.

« Mais je dois dire que je suis surpris, on n’m’avait pas prévenu que les cercles servent aussi de garde d’enfants. »

Finit-il avec un léger sourire mutin aux lèvres, avisant la réaction de l’enchanteur supérieur. Quelle valeur exacte avait son rang au sein du cercle, d’ailleurs ?

Blythe haussa une épaule lorsqu’il le corrigea sur son titre de civilité, l’air de dire « Si ça vous fait plaisir ». Il devait se plier aux règles du coin, ce n’était pas pour autant qu’il comptait faire des efforts, surtout lorsqu’il ne comprenait pas l’attachement que certains semblaient y porter.

Ses faiblesses ? Il fronça les sourcils. Ce n’était pas le meilleur pisteur qui soit, ça n’avait pas été son rôle dans leur petit groupe, et ses capacités à l’arbalète laissaient franchement à désirer, ce qui pouvait poser problème face à un mage qui l’empêcherait de l’approcher. Mais il ne voyait pas ce que ce Lachlann pourrait bien y faire, s’amusant de la simple idée de l’imaginer une arme à la main.
S’il était parfaitement honnête, ça lui avait bel et bien posé problème, et plus récemment qu’il ne lui plaisait mais… Non, mieux valait ne pas penser à ça maintenant. Pas ici.

Tout de même ses remarques l’avaient touché dans sa fierté. Il n’était peut-être pas fin diplomate mais il n’aimait pas qu’on remette en doute ses compétences de terrain.

« De ce que j’en vois pour l’instant, ce sont les faiblesses du cercle qui m’inquiètent plus que les miennes. » Il exposa rapidement plusieurs des évidentes lacunes de sécurité qu’il avait remarqué pendant son attente. La templière qui en avait déjà fait les frais roula des yeux à ses côtés, mais il était hors de question de perdre la face devant un mage. Et il n’avait même pas encore abordé ses réserves à l’idée que des pratiquants de la magie soient rassemblés au même endroit. « Même avec un templier sur le dos, qu’on n’me fasse pas croire qu’il est si difficile de s’échapper d’une surveillance. »

Il laissa son regard traîner sur le terrain d’entraînement où ils se trouvaient, plus un prétexte pour se donner du temps avant de savoir s’il allait poser la question qui lui brûlait les lèvres ou s’abstenir.

« Je n’comprends pas comment vous n’avez pas plus de fuites dans ces conditions. »

Admit-il finalement plus doucement –mais pas moins sèchement pour autant. Autant que l’idée de mages en liberté le répugnait, celle d’accepter paisiblement d’être enfermé entre quatre murs lui était parfaitement inconcevable, à lui qui n’avait toujours connu que l’indépendance lui permettant de sillonner le monde comme bon lui semblait. Inutile de préciser qu’on ne lui avait pas encore parlé des phylactères.

« Je sais déjà qu’elle arrive pendant l’adolescence. » Siffla-t-il, réalisant trop tard que sa remarque se retournait contre lui. « Ils avaient juste l’air… trop jeunes. » Cracha-t-il les dents serrées, détestant l’admission qu’il venait de faire. L’âge exact auquel la magie pouvait se révéler ne l’avait jamais inquiété, seule comptait la finalité : une personne de plus maîtrisait la magie.

L'exposé qui suivit le sien, s'il le rassurait modérément, ne l'agaça pas moins. Ce petit jeu auquel s'adonnait l'enchanteur derrière ses airs supérieurs l'ennuyait de plus en plus et, les si circonstances avaient été différentes, il lui aurait possiblement répondu avec autre chose que des mots. Malheureusement s'il souhaitait travailler avec les templiers, ni cette option ni s'en aller n'étaient des solutions envisageables.

« Je suis sûr qu’on a tous les deux mieux à faire de notre journée Messer. »

Il appuya la première syllabe du mot, mimique de l’intonation du mage lorsqu’il l’avait corrigé plut tôt, puis rouvrit la bouche avant de se raviser. Même si la proposition avait été sincère, il n’aurait certainement pas la patience nécessaire à l’écouter détailler les évolutions du cercle. Et il ne l’avait définitivement pas pour continuer sur ce sujet –ce qui n’était évidemment pas lié au fait qu’il ne savait de toute manière pas quoi ajouter.
Il ne savait ce qui l’agaçait le plus ; qu’il semble être de ceux qui ont toujours réponse à tout, qu’il balaie la moindre de ses inquiétudes comme si elles étaient toutes plus futiles les unes que les autres ou si c’était autre chose encore. A ce rythme, Lachlann pourrait bientôt lui indiquer les températures du jour qu’il s’en sentirait offusqué.

« J’en déduis que vous n’avez jamais eu affaire à un enfant déchainé ? »

La pique ne manqua pas le mercenaire, qui sortirait à n’en pas douter de cette entrevue avec des douleurs à la mâchoire de l’avoir tant serrée. En savoir plus précisément sur les âges auxquels la magie se révèle pourrait s’avérer utile mais il se garda bien de l’en remercier.

« Chez nous, quand les enfants se déclarent ils n'ont souvent pas le temps de s'enfuir, ou alors ils laissent une piste tellement évidente derrière eux que n'importe qui avec une bonne paire d'yeux est capable de les poursuivre facilement. On n's'est jamais trop occupé de ces affaires, habituellement les gens préfèrent garder ça en… famille. » Décrivit-il factuellement, son expression perdant enfin un peu de l'hostilité qu'il arborait jusque lors. Ce n'était ni bien, ni mal, un simple état de fait. Il en avait déjà été témoin, l'aurait sûrement été encore s’il était resté dans ses terres natales. C'était, tout simplement. Certains s'en sortaient bien sûr, mais Blythe doutait qu'ils soient légion.

Puis une ombre passa sur son visage, un souvenir malvenu s'invitant aux propos du mage.

« Mais y en a eu un, une fois. C'était son maître qui nous intéressait, un vieux rat qu'on a passé des semaines à traquer. Apparemment il s'était trouvé un apprenti, parce qu'une fois qu'on lui a mis la main dessus un gamin était avec lui. Il était plus vieux qu'ceux-là, mais avec à peine de quoi appeler une moustache. » Ce n'était pas un évènement qu'il aimait raconter, omettant que la vraie finalité de cette histoire était qu'il s'était agi de la première fois qu'il avait eu l'honneur d'observer une abomination de ses yeux propres. Il secoua la tête, comme pour chasser l'effroyable image de ses souvenirs. « C'était pas le gamin qu'était le plus à craindre dans cette affaire. » Semi réponse à sa crainte supposée des jeunes apostats.

« Tout dépend duquel vous parlez et de c’que vous entendez par ça. »

Il secoua la tête, se résignant à ce qu'il doive être plus précis que ça. Après tout c'était lui qui avait abordé le sujet, il savait parfaitement ce qu'il faisait en commençant.

« D'une certaine façon. » Leur définition de "l’avoir" différait simplement. « Après qu’on soit arrivés, le petit a voulu profiter que son maître accapare toute notre attention pour s'enfuir mais… » Il croisa de nouveau les bras sur son torse, sentant son cœur battre plus fort dans sa poitrine et se forçant à garder une expression sévère. George, le seul templier qu'il voyait autrement que par vision périphérique, lui renvoya un air similaire. Contrairement au mage, il semblait avoir une idée des déboires auxquels peuvent mener pareilles rencontres. « En toute honnête l’apostat s’est défendu avec la force du désespoir et nous a donné du fil à retordre. Heureusement que le bénéfice de la surprise nous donnait un bon avantage tactique parce qu’on aurait dit une vraie bête acculée. Au bout du compte il s’est épuisé jusqu’à se… transformer… devant nous, puis a commencé par s’en prendre au gamin qu’avait voulu filer en voyant ça. Ca nous a pris un peu plus de temps qu’prévu mais au final on l’a eu, oui. »

Termina-t-il sèchement en plantant son regard dans celui de Lachlann, le torse bombé, quelque peu provocateur peut-être. Une certaine fierté qui serait peut-être un jour sa perte, à oublier de ne jamais sous-estimer son adversaire –quel qu’il soit– et qu’il ne jouait plus selon les mêmes règles ici.

« Au final ça n’change pas du sort qui les aurait attendus. Ils se sont simplement infligé ça à eux-mêmes.
- Blythe vient des territoires alamarris Messer. » Souffla la templière à ses côtés pour apporter plus de lumière sur la fin de son récit. Un détail que le mercenaire aurait cru aisément devinable à son accent, mais après tout les mœurs avec lesquelles on a grandi nous semblent toujours d’une évidence telle qu’on n’a plus besoin de les dire.
« Je n’connais peut-être pas le fonctionnement de vos cercles mais j’n’en ai pas besoin pour me rendre compte de leur dangerosité potentielle. » Le ton était moins accusateur que les mots auraient pu le laisser supposer.

Blythe échappa un rire, si tant est que l’on puisse qualifier comme tel l’espèce d’aboiement dont il s’agissait.

« On m’en a prévenu oui. » Il grimaça brièvement, seul avis sur le sujet qu’il exprima. Sa position sur le sujet était déjà claire et il ne souhaitait pas raviver l’animosité de l’enchanteur supérieur. Sans dire que la conversation lui était agréable, il serait reconnaissant qu’elle ne dure pas indéfiniment sur le même ton, maintenant qu’elle s’était un peu apaisée. « N’vous en faites pas trop, je n’me serais pas proposé au service des templiers si c’n’était pas pour suivre vos règles. Chasser les apostats implique d’abord de les pister, cette partie reste la même quelle que soit la partie du monde où on s’trouve. »

Ou du moins officiellement. Il fallait encore qu’il voit où ce "partenariat" pourrait bien le mener et jusqu’à quel point il pouvait flirter avec les limites. Il verrait bien une fois sur le terrain, ce n’était certainement pas au sein du cercle qu’il allait en apprendre plus sur l’avis de certains templiers sur les apostats.

« En effet. Que suggérez-vous ? Un massacre général ?
- Si ça arrive un jour, je dirai qu’il s’agit de votre idée. »

Répondit-il avec un sourire en coin, se ravisant au dernier moment d’ajouter que cela rétablirait au moins un peu l’ordre naturel. Il n’attendait pas d’andrastiens qu’ils en comprennent les subtilités et il n’avait aucune envie de les expliquer en cet instant.
Mais son ton avait lui aussi perdu de son mordant, et il se contenta de hausser les épaules avant de répondre. A dire vrai, non, il n’avait pas d’autre suggestion que celle que venait de faire Lachlann, d’autant moins qu’il n’avait aucune idée de la façon dont le cercle appréhendait cette menace.

« Difficile à dire sans rien savoir de vos usages là-dessus… Est-ce que vous avez des manières particulières de vous protéger du risque de possession ? Ou des défenses spéciales contre les abominations ? »

La question était sincère cette fois, attentif à ce que l’enchanteur pourrait lui apprendre, n’y glissant pas un énième reproche comme il avait pu le faire jusque-là.

Si la réponse l’intéressait, elle ne l’en laissa pas moins sur sa fin pour autant. Peut-être se rendait-il compte qu’il s’agissait là d’une de ses rares opportunités pour en apprendre plus sur un des pans de la magie qu’une expérience de terrain ne suffirait jamais à mettre en lumière.
Il ne savait pas s’il aurait une autre opportunité de ce type –et si oui, quand ?– mais ce n’était pas pour autant qu’il allait prier Lachlann d’aller plus avant.

« Puisque vous le dites. J’aurais simplement cru que vous vouliez aussi que je vous les ramène toujours sous forme humaine. »

Comme à son habitude lorsqu’il se sentait acculé, le reproche attaquait un terrain qui n’avait pas directement été abordé ; plus facile à admettre qu’en demander plus.
Finalement, une voix qu’on n’avait pas encore entendu se dressa :

« Messer, puis-je vous proposer d’avancer le sujet et de passer à votre démonstration ? »

C’était George qui venait de parler, une interruption certainement bienvenue pour leur rappeler la raison du mercenaire en ces lieux –quoi qu’il n’était pas sûr qu’aucun des deux hommes veuille bien l’admettre. Peut-être avaient-ils finalement eu raison de sa patience ou alors avait-il simplement des affaires plus importantes à régler après cette visite ; non pas que Blythe se sentit particulièrement intéressé d’en savoir par la raison.

« Bonne idée, qu’on en finisse. »

La simple appréhension de magie à venir suffisait à le mettre sur le qui-vive, sa main se posant automatiquement sur sa ceinture là où devrait se tenir le fauchon. Il fallait admettre qu’en être simple spectateur sans que la présence d’un mage représente une menace pour sa vie était une première, si on lui avait raconté cela ne serait-ce qu’un an plus tôt… En tout cas, ça avait fait remonter son irritation en flèche.
Aussi tendu que la corde d’un arc, il décrocha avec difficulté son regard de l’enchanteur pour jeter un bref coup d’œil vers le terrain devant eux, attendant avec une certaine appréhension ce qui allait suivre.

« Alors ? Par quel tour de passe-passe vous comptez commencer ? »

Les sens en éveil comme s’il était à l’orée d’une bataille, le poing serré sur la garde absente de son arme, Blythe suivit le mouvement de Lachlann en grinçant des dents ; piqué à vif par l’idée qu’il puisse fuir. Oh comme il était tentant de saisir l’opportunité qu’il le frôle, comme s’il ne représentait pas la moindre menace, pour lui faire ravaler ses provocations et lui prouver qu’il mordait bien mieux qu’il n’aboyait.
Quel dommage qu’il doive se museler lui-même en présence des templiers, une frustration qu’il ne contenait qu’avec grande difficulté. Les poings lui démangeaient.

« Je n’fuis certainement pas devant des mages, » cracha-t-il le mot comme s’il s’agissait d’une insulte. « D’expérience ce sont plutôt eux les experts pour détaler comme des lapins. »

L’espace d’un instant, Blythe se figea, les muscles contractés prêts à réagir à la moindre attaque du mage, les flammes apparues le long de ses jambes le surprenant suffisamment pour lui ôter de la bouche la réponse qu’il était sur le point de rétorquer.
Heureusement, une fois la première surprise passée, il reprit sa contenance avant que l’enchanteur n’ait le temps d’indiquer aux templiers d’un signe discret que tout allait bien, touchant les langues de feu du bout des doigts. Absolument aucune chaleur. Intéressant.

Il se déplaça d’un pas ou deux, observant avec curiosité les flammes qui restaient jalousement accrochées à lui. En général il se débrouillait pour ne pas en arriver là, préférait de loin l’effet de surprise à laisser le temps aux mages de lancer un sort, mais ce n’était pas comme si tout allait toujours tel qu’il l’espérait. S’il lui avait été lancé sans altérer la chaleur, aucun doute que ça aurait signifié une très mauvaise journée.
Il se demanda un instant de quelle manière il aurait bien pu se dépêtrer de pareille emprise mais refusa obstinément de verbaliser ses pensées.

« Pas beaucoup plus qu’à vous de toute évidence. »

L’air agacé, l’alamarri dévisagea les templiers qui les entouraient et qui, bien que de nouveau silencieux, semblaient les observer avec un regain d’intérêt. Que diable pouvaient-ils bien vouloir, puisqu’eux seuls paraissaient être au courant de ce qui était réellement attendu de cette rencontre ? A défaut que tout lui soit révélé, Blythe s’était au moins attendu à ce que le Vaël en sache plus ; n’était-ce pas une procédure habituelle pour employer de nouveaux mercenaires ?

Ah. Ca semblait évident tout à coup. Leur partenariat, ou tout du moins ses termes exacts, n’était pas encore effectif car les templiers souhaitaient le tester en premier lieu. Après tout il n’avait pas grand-chose d’un nain pour justifier d’une quelconque résistance innée à la magie et ne s’aidait pas non plus du lyrium pour y parvenir. Pas plus qu’une quelconque réputation de fine lame ne le précédait aux Marches Libres.
Son égo n’appréciait pas être traité comme un vulgaire débutant, mais après tout cela avait du sens.

« Ah, je soupçonne qu’il va leur falloir plus que ça. » Reprit-il finalement en désignant les flammes qui le ceignaient d’un geste qu’il tenta de rendre le plus ennuyé possible. Il essayait de garder un semblant de calme mais elles commençaient à sérieusement l’incommoder. « Vous m’avez fait venir pour voir comment je me débrouille face à de la magie n’est-ce pas ? » Demanda-t-il aux templiers, ne cachant pas l’agacement qu’ils ne lui aient pas simplement dit ça dès le départ.
« En effet Ser, » répondit Brad sans la moindre hésitation. « Nous souhaitons d’abord jauger la manière dont vous y réagissez.
- Vous auriez simplement pu demander. » Grogna Blythe la mâchoire serrée, décidant que définitivement il aimait de moins en moins les manières de faire de ce pays. « Et je dois prétendre être en situation sans la moindre arme ? »

La templière attendit un signe de tête de ses compagnons avant de partir et revenir pour lui tendre une épée en bois. Pas très malin face à quelqu’un qui maîtrisait visiblement le feu mais plus adaptée à un entraînement –ou à quoi que pouvait bien être cette mascarade. Choisissez votre poison ; une garde en acier chauffé ou du bois brûlé. Au moins, dans la première situation, il pouvait attendre de ses gants qu’ils tempèrent quelque peu l’inconfort de la chaleur.

Blythe fit quelques passes rapides, jaugeant le poids du jouet et son équilibre, avant de se mettre en garde, attentif aux moindres gestes de l’enchanteur. A voir s’il se prêterait au jeu, mais si tel était le cas il ne comptait pas se laisser avoir par surprise et était prêt à lui sauter dessus au moindre geste hostile.
C’était exactement le genre de conditions qu’il détestait ; à découvert, seul et sans connaître les domaines de prédilection de son adversaire. Parfait.

Pour maigre réconfort que ce fut, au moins l’enchanteur supérieur semblait tout aussi agacé que lui des secrets du templier si l’on en croyait le ton qu’il avait employé pour s’adresser à Brad. Cela dissimulait-il quelques jeux de pouvoirs entre les deux ordres ou était-ce simplement une initiative malvenue d’un élément isolé ?
La question mériterait sans doute d’être creusée mais ce n’était ni le lieu ni le moment, comme le lui rappela rapidement la nouvelle raillerie du mage –à laquelle il répondit d’abord d’un claquement de langue toujours aussi agacé.

« Oh oui, ser Ward, pourriez-vous nous décrire vos réactions ? Ce sera tellement plus efficace que de tester nous-mêmes !
- Disons prévenir si ça vous importe tant ! » Se corrigea-t-il en roulant des yeux, maudissant tant l’attachement du Vaël à ses choix de mots que sa propre maladresse avec.
« L’épée vous va, j’espère ?
- Elle fera l’affaire. » Maugréa-t-il, ne cherchant même pas la trace du moindre intérêt qu’aurait pu feindre Lachlann avec sa question. Il avait décidé qu’il serait de mauvaise volonté quoi qu’il advienne, même s’il faisait subitement preuve d’une miraculeuse preuve de sympathie bon courage pour que le mercenaire change d’avis.

Les échanges qui suivirent avec la templière l’intéressent un peu plus ; enfin ils se décidaient à fournir une bribe d’explication. Si ce n’était que l’information apparemment centrale lui échappait, encore une spécificité du fonctionnement des cercles qu’on ne lui avait pas expliqué.
Il répondit d’un hochement de tête entendu à la demande de la jeune femme, se gardant d’une remarque comme quoi il savait quand même s’entraîner. Peut-être un peu plus docile avec elle, qui avait continué à se montrer compréhensive malgré son comportement depuis qu’il l’avait retrouvée.

« Qu’est-ce que la confrontation ? se contenta-t-il de demander à la place.
- Il s’agit simplement d’une épreuve que passent les apprentis pour pouvoir confirmer leur statut de mage lorsqu’ils en sont jugés prêts. Elle intervient habituellement autour de leurs vingt-cinq ans… Une sorte de rite de passage en somme. »

Si toutes les informations concernant l’épreuve lui avaient été données, Blythe aurait certainement apprécié que Lachlann lui en fasse part lorsqu’il l’avait questionné sur la façon dont les cercles se prémunissaient du risque de possession. En l’état, il analysa l’information pour la mettre en lien avec sa propre expérience des apostats afin de jauger au mieux des compétences auxquelles il pourrait s’attendre pour cet exercice –même s’il ne doutait pas qu’une formation rigoureuse porte plus rapidement ses fruits que des entraînements secrets. Dans le doute, il préféra placer sa jauge de danger un peu plus haute qu’il ne l’était peut-être vraiment nécessaire.
Si le but était de limiter les dégâts, la priorité était donc d’entraver au plus vite l’enchanteur ; pourquoi pas le bâillonner même, histoire d’être sûr qu’il ne lui réserve pas une quelconque surprise ? L’idée n’était pas pour lui déplaire.

« Faut-il que je me mette à courir ? »

Ignorant l’acerbe de la remarque, Blythe jeta un coup d’œil intéressé au terrain d’entraînement. Il fallait reconnaître qu’il était plutôt bien aménagé, et même s’il évoquait d’avantage un terrain d’archerie au mercenaire il ne manquait pas d’obstacles et quelques caches potentielles.

« Si le but est de simuler une fugue, peut-être vous cacher serait plus pertinent. Qu’en dites-vous ? »

Il adressa sa dernière question aux templiers qui, après un bref échange de regard, semblèrent approuver l’idée. La proposition était honnête et à l’avantage du mage, mais à la réflexion il était curieux de savoir ce que penserait un homme visiblement si imbu de sa personne à l’idée de se dissimuler.

« Et vous, que faîtes-vous pendant ce temps ?
- Nous regarderons pour commencer. Imaginez que nous sommes des civils au mauvais endroit au mauvais moment. » Lui répondit Brad, l’air légèrement morose –apparemment toujours fâché des remarques de Lachlann. Blythe y répondit d’un simple "mmh" avant de se retourner vers ledit enchanteur.
« Alors ? Dois-je me retourner ? Qu’on puisse commencer pour de bon. » Le pressa-t-il, démontrant son impatience grandissante.

« J’espère que nos mages sont assez sensés pour ne pas se cacher dans une prairie, mais qu’à cela ne tienne. Vous voir en action depuis la toute première étape ne sera pas de trop. »

Le mercenaire haussa les épaules, peu impressionné du commentaire qu’il qualifia aussitôt pour lui-même de novice.

« On ne sait jamais quand une menace peut nous tomber dessus, parfois on n’a simplement pas le luxe de choisir le terrain le plus approprié. »

Même s’il était vrai qu’une personne en cavale essayait au plus vite de trouver un terrain propice à se cacher ; le souvenir des longues journées de traque passées à fouiller chaque grotte des Collines Australes ne le lui rappelait que trop.

« Attendez, une dernière chose. Brad cacha mal un soupir exaspéré auquel Blythe ne prêta pas attention. Je n’partirais jamais en chasse sans liens, mais je n’pensais pas qu’il me faudrait de la corde pour une simple visite des lieux. Est-ce que vous en avez à me fournir ?
- Contentez-vous de l’attraper pour commencer, nous pourrons toujours nous enquérir de ce point plus tard. »

Le mercenaire répondit d’un hochement de tête à George, avant de finalement s’apprêter à se glisser derrière l’un des piliers soutenant le parvis près duquel ils s’étaient tenus jusque lors, suffisamment large pour permettre de dissimuler les prochaines actions du mages (hors de question après tout de véritablement tourner le dos à un "ennemi", entraînement ou pas) lorsque ce dernier profita d’un pan à nu de sa nuque pour appliquer un sort.
Une torpeur surnaturelle alourdit aussitôt ses muscles accompagnée d’une sensation de brume dans son esprit qu’il ne connaissait que trop bien. Les effets étaient moindres que ce qu’il avait déjà pu rencontrer, ses sens un peu moins engourdis que s’il avait été lancé à pleine puissance, mais bons dieux qu’il détestait ce sort. Par Hakkon, s’il voulait jouer à ça il allait lui faire ravaler toutes ses moqueries.

Sans tenter d’esquisser le moindre mouvement pour l’instant, Blythe se força à se détendre, mesurant ses respirations comme on le lui avait appris pour empêcher son corps de se laisser totalement aller à la somnolence, s’aidant pour rester ancré au monde éveillé de ce qu’il se focalisait sur les maigre sons émis par le crissement des graviers sous les bottes de l’enchanteur supérieur. Il était déjà parvenu à avoir une idée de la direction vers laquelle il s’en était allé, les choses s’annonçaient mieux que les circonstances auraient pu le laisser présager. Il comptait initialement se prêter suffisamment au jeu pour ne pas s’enquérir d’où partirait se cacher Lachlann de la sorte, mais après tout c’était lui qui l’avait cherché.

Dès que les bruits s’estompèrent et que le mercenaire estima satisfaisant le contrôle qu’il avait récupéré sur son corps, il termina son mouvement afin de se protéger derrière la colonne de pierre à proximité. Le mage ne devait pas savoir que son sort avait eu moins d’effets qu’escompté, ce qui lui procurait un avantage de surprise non négligeable, hors de question de le perdre en se montrant immédiatement trop sûr de lui.

D’abord : se préparer à tout danger. Ensuite… eh bien, que la chasse commence.

Redoublant de précaution, Blythe risqua un coup d’œil sur le terrain d’entraînement, avisant les chemins qu’il lui serait possible d’emprunter sans s’exposer trop longuement aux représailles de Lachlann, avant de s’intéresser au lieu d’où il avait entendu provenir les bruits.
Les piliers comme les arbres qu’y s’y trouvaient représentaient de bonnes manières de se cacher rapidement. A cette période de l’année, ces derniers étaient particulièrement feuillus, quoique pas complètement hermétiques… Au sommet de l’un d’entre eux peut-être ? Le chasseur plissa des yeux, essayant de discerner un quelconque pan de robe voletant dans l’un d’entre eux. Ah, là. Les beaux atours impressionnaient peut-être en société, mais pour ce qui était de se dissimuler ils représentaient un handicap que le chasseur ne tarda pas à mettre à son profit, repérant sans peine sa cache sur l’une des branches basses. Il était temps de sortir le grand jeu et de leur prouver ce que valaient véritablement des années passées à courir après le danger.

Précautionneusement, le mercenaire quitta son abri afin de rejoindre celui que lui proposait l’une des cibles d’entraînement : suffisamment large pour le protéger entièrement, il comptait surtout que sa position profite d’un point mort dans l’angle de vue qu’il supposait depuis l’arbre pour empêcher l’enchanteur de connaître sa prochaine destination.

Il n’avait pas la puissante carrure que les étrangers attendaient habituellement d’un alamarri, sa silhouette élancée et non pas solidement charpentée comme l’on aurait pu supposer d’une vie passée à louer son épée, les épaules pas assez larges –à peine plus que sa taille trop étroite. Il avait dû apprendre à force d’entraînement à maîtriser la précision de ses coups plutôt que compter sur des muscles que des années de travaux laborieux peinaient à élargir, à se fondre dans les ombres lorsque cela était nécessaire pour prendre un adversaire à revers au lieu de l’engager de front.

Cela le rendait légèrement différent, ce qui s’avérait souvent être un atout.

Comme lorsqu’il fallait, comme à présent, se déplacer silencieusement pour ne pas annoncer sa position à son ennemi. Passant aisément d’une cachette à une autre, Blythe atteignit finalement sa destination finale ; le pied de l’arbre, sur le versant opposé à celui où se tenait perché Lachlann, de sorte qu’il ne pouvait toujours pas savoir à quel point il s’était rapproché de sa cible. Si près du but… Ne restait plus qu’à grimper à son tour et la partie était jouée.
Impossible de déplacer ou d’utiliser l’échelle, il était impensable que le mage ne le remarque pas, mais l’écorce usée de l’arbre, certainement malmené depuis des années par des apprentis insouciants, présentait suffisamment d’aspérités et quelques protubérances en sus pour qu’il puisse prétendre y grimper.

Ses mains gantées se fixèrent sur une prise puis d’une impulsion il commença son ascension –impossible de rester parfaitement silencieux pour cette tâche, mais cela devrait bien faire l’affaire. Il grimpa un peu plus haut que la branche où se trouvait Lachlann, espérant qu’il n’ait pas l’idée de lever la tête pour le chercher, ne s’inquiétant finalement plus de la discrétion lorsqu’il put se pendre de sorte à retomber devant le mage (se laissant un court instant pour assurer son équilibre), duquel il profita de la surprise pour enserrer ses mains dans sa poigne, avant de recouvrir sa bouche également. Il n’avait tout même pas fait tout ça pour lui laisser le temps de préparer une incantation maintenant.
Même pas eu besoin de l’épée.

« J’espère que vous êtes plus efficace à donner des ordres qu’à jouer au fuyard. » Le provoqua-t-il, prêt à retirer sa main si Lachlann se montrait bon perdant… ce dont il doutait un peu.

Evidemment, Lachlann n’était pas homme à s’avouer vaincu à peine attrapé, comme George le leur avait précisé plus tôt. Qu’espérait-il réussir à faire, qu’ils chutent tous les deux ? C’aurait été dommage, surtout après qu’il ait fait l’effort de ne risquer de blesser personne. Heureusement, la tentative de fuite du mage ne fut pas très probante et, à part libérer une de ses mains à force de s’être tortillé (que, par réflexe, Blythe rattrapa rapidement de celle qui était posée sur bouche), ne le mena pas très loin.
Il roula ostensiblement des yeux lorsque le mage se démontra aussi mauvais perdant qu’il l’avait supposé, desserrant progressivement sa prise jusqu’à totalement relâcher les poignets qu’il enserrait lorsqu’il fut certain qu’il ne se débattrait pas plus.

« Pas plus que d’être sur vos gardes de toute évidence. Mais je prends note de votre incroyable bonté. »

Blythe jeta un coup d’œil vers le sol, estimant la distance qui l’en séparait. Leur perchoir ne lui avait pas semblé si haut que ça vu d’en bas, mais il serait dommage de se briser une jambe maintenant. Après une courte réflexion, il passa une jambe par-dessus la branche puis s’y laissa glisser avant de la lâcher pour atterrir sur les graviers en-dessous.
Les mains sur les hanches, il regarda l’oiseau qui s’y trouvait toujours :

« Faut-il que je vous donne la main pour vous aider à descendre l’échelle ? »

Fausse proposition, dont il était de toute manière évident que le mage n’accepterait pas.
Quelle que fut la réaction de Lachlann, ils s’en retournèrent finalement voir les templiers, qui semblaient déjà plus intéressés maintenant qu’ils avaient enfin commencé les exercices pratiques.

« Jolie démonstration, commença la jeune femme, à qui Blythe répondit d’abord d’un signe de la tête.
- Merci, quoique je m’attendais à plus de magie. Le sort de sommeil vous a-t-il fatigué vous aussi ? »

Derrière la pique se cachait une vraie question, n’ayant pas souvent eu l’occasion de recueillir le ressenti de mages expérimentés sur les contre-coups de leurs sorts.

Il reprit par la suite, s’adressant aux templiers :

« Alors ? Nous réservez-vous d’autres surprises de ce genre ?
- Avez-vous déjà traqué un apostat aux côtés de mages, Ser ? lui répondit George, le plus pragmatique des trois. Ah, si la proposition à venir venait de lui alors que Brad s’en était occupé jusque-là, il sentait que ça n’allait pas lui plaire.
- Non, répondit-il rapidement. Mage ou apostat, ça ne fait aucune différence d’où je viens. On ne… travaille pas avec eux. »

Les templiers échangèrent un regard éloquent, souhaitant visiblement éviter de retourner sur une pente glissante.

« Eh bien… puisqu’il nous arrive de profiter de leurs compétences lorsque nous traquons des apostats, nous pensions qu’il serait de bon ton que vous vous y habituiez en amont. »

Blythe lui lança un regard outré, qu’il fit ensuite courir sur Lachlann. Non, définitivement, ça ne lui plaisait pas.

« Vous savez qu’un mage n’a pas besoin de mots pour vous tuer, n’est-ce-pas ? »

Son air satisfait (il n’aurait jamais cru entendre l’enchanteur admettre une erreur) dépérit avec la remarque, le souvenir de l’une de ses dernières journées passée sur sa terre natale se rappelant désagréablement à lui. Ses compagnons d’une décennie frappés de leur suffisance qui leur avait fait oublier jusqu’à la première règle d’un affrontement ; ne jamais sous-estimer son adversaire. Il en avait vu d’autres, des mages suffisamment à l’aise avec leur art pour pouvoir se passer des mains ou du verbe, mais une piqûre de rappel avait visiblement été nécessaire.

« Oui. Mais les mains liées et bâillonnées, il me semble que ça commence à faire beaucoup de handicaps. Ou bien votre confrontation est si compliquée que tous vos jeunes mages sont capables de se passer des deux ? Il haussa des épaules. Au final là-dehors, il fit un vague geste du menton pour désigner ce "dehors", c’est le résultat qui compte : même si vous pouviez relancer votre sort, vous ne l’avez pas fait. Ce genre d’erreur peut être fatal, elles ne laissent pas toujours l’opportunité de méditer dessus après coup. Toutefois j’espère que tous les mages de cette région sont aussi distraits que vous, ça me facilitera grandement la tâche… Il fronça les sourcils, soudainement pensif. A la réflexion, il n’était pas certain d’avoir déjà vu ce qu’il avait décrit plus tôt. Est-ce seulement possible de jeter un sort sans geste ni parole ? »

Pour tout réconfort que ce fût, Lachlann semblait au moins aussi peu convaincu de la tournure que prenaient les évènements que lui. Ils s’entendaient finalement sur un sujet et plus improbable encore : sans même prétendre le contraire. Qui aurait pu le croire.
Même si la manière dont il semblait aller de surprise en surprise lui posait quelques questions sur la hiérarchie réelle qui existait entre le cercle et les templiers. Excès de zèle, ou n’avait-il finalement pas tant de raisons que ça d’être tenu informé de leurs projets ?

En tout cas il était parfaitement impossible de manquer le dégoût qu’il affichait très nettement à cette simple idée, grimaçant un peu plus lorsque la templière évoqua le Voile. Difficile de déterminer ce qui, précisément, le dérangeait le plus dans toute cette histoire. Des mages lâchés en liberté ou que ce soit fait pour les aider ?

« Si ser Ward s’en est toujours sorti sans mage, il y a une raison. Je ne vois pas comment forcer le changement finirait bien. »

Ledit Ward secoua la tête en entendant ces propos comme approbation silencieuse.

« Laissez-moi travailler avec des gens qui savent ce qu’ils font et je peux vous assurer qu’y a aucun besoin de… de s’allier, grimaça-t-il, avec- eux. Il croisa les bras sur son torse, son humeur devenue presque légère définitivement perdue, maugréant la suite : Pas besoin de surveiller mes arrières en plus. »

« Si je puis me permettre… Et Blythe aurait juré qu’il avait déjà passé trop de temps ici, car il imagina parfaitement Lachlann lui répondre que, non, il ne pouvait pas se permettre, avant même qu’il puisse lui être possible d’ouvrir la bouche –roulant déjà des yeux au cas où. Nous avons pu apprécier les qualités de traqueur de ser Ward, mais finalement nous n'en avons pas vu beaucoup. Venait-il d'imaginer le coup d'œil qu'il venait de glisser à celui qui s'était révélé être une proie bien facile à attraper ? Vous voir travailler de pair avec un mage serait une excellente opportunité de faire d'une pierre deux coups. »

Blythe grogna, se retenant de cracher à nouveau qu'il ne travaillait pas de pair avec ses ennemis, et si Brad semblait avoir compris qu'il lui valait mieux enjoliver un peu ses mots ce n'était toujours pas suffisant pour l’amadouer.
Il avait de nouvelles questions, parmi elles quelque chose du goût de « Vous laissez des mages sortir ?! », mais l’urgence lui semblait plutôt être de faire oublier cette idée stupide aux templiers.

« Il nous manquerait un mage, jugea-t-il finalement plus préférable de soulever, abordant le point sur le ton de l'évidence. Et on ne voudrait certainement pas qu’ils manquent leurs classes. »

L’ironie était évidente, mais il n’avait rien trouvé de mieux. Peut-être l’enchanteur saurait-il mieux leur rendre raison. Bons dieux, dans quelle situation se retrouvait-il pour en être réduit à compter sur l’appui d’un jeteur de sorts.

Finalement ces templiers et leurs idées saugrenues avaient au moins le mérite d’avoir réussi à changer la direction de son hostilité. Il espérait sincèrement que travailler avec eux ne se révèlerait pas toujours si laborieux.