Ce n'était là qu'une épreuve que lui donnait le Créateur, ou sa Sainte. Le front pieusement incliné vers la pierre glaciale de la chapelle, Cordélia priait silencieusement, convaincue qu'elle n'avait besoin que d'Andraste et d'elle-même pour trouver cette paix d'esprit face au chaos. Mais le barrage lumineux de la prière ne saurait resté dressé éternellement, et bien vite des brèches apparurent. Il avait suffi d'une seule pensée parasite : à partir de là, d'autres idées de mauvaise augure s'y agglutinèrent, formant petit à petit une bulle sombre dont elle ne songea plus à s'échapper.

Combien de temps avant qu'elle ne voie la première Engeance arriver de ses propres yeux ? L'image d'une menace aussi grande la dépassait. Ces terribles idées ne l'avaient pas lâchée depuis l'annonce de la Garde-Commandeure Senaste, bien des heures après que le dernier dévôt n'ait quitté la cathédrale. Sans parler du spectacle que le Prince leur avait offert. Non, pas un spectacle. Débâcle. Oui, voilà, le mot débâcle convenait mieux à la situation. Depuis combien de temps s'asseyait-il sur une telle information ?
Elle pourrait rentrer à Orlaïs et retrouver sa famille. Mais le devoir la retenait ici, elle avait une mission à accomplir : plus encore, elle devait se repentir de ses erreurs. Ce devoir était plus important que sa propre lâcheté.
Paix et sérénité, se répéta-t-elle. Il fallait qu'elle aie l'esprit clair pour écrire sa lettre, car l'Enchanteur de Montsimmard attendait.

Des pas résonnaient dans la chapelle. Le front de Cordélia, jusque-là incliné devant la statue, une imitation de Sa grâce, se releva pour trouver leur provenance. Elle reconnut la silhouette d'Isbeil, une mage du Cercle avec qui Cordélia échangeait parfois des banalités, était douce, studieuse, tout le contraire de certains habitants flamboyants du Cercle. Elle appréciait sa présence : Isbeil était de ceux qui ne faisaient pas de vagues, et qui aimaient écouter. Elle lui adressa un sourire qui aurait tout aussi bien pu avoir sa place sur le visage d'une Soeur tant il était bienveillant, et reporta son regard sur l'effigie d'Andraste.

- Que Sa lumière éclaircisse les doutes qui rongent nos esprits. Qu'Elle illumine nos pas dans la nuit et oppose aux ténèbres la lueur de nos âmes, poursuivit-elle à voix basse. Qu'Isbeil la suive ou complète sa prière, ou dans le cas contraire, si elle souhaitait Lui parler seule, elle ne lui en tiendrait pas rigueur.

L’astre du jour était depuis longtemps couché, pourtant le Cercle ne semblait pas prêt de suivre son exemple. Murmures filtrant sous les portes, bruit de pas se répercutant dans les couloirs– pas tous accompagnés du cliquetis caractéristique de l’armure... Tous ces petits signes témoignant d’une activité noctambule sonnaient étrangement aux oreilles de la jeune apprentie qui avait davantage l’habitude d’un géant endormi à cette heure tardive. Plus étrange encore : malgré cette agitation fébrile exsudant de la pierre, la tempête se faisait encore attendre. L’annonce de la commandeure-garde avait été un coup de tonnerre unique, suivi par un retour à la normalité des plus déstabilisants. Il avait fallu se lever le matin pour aller en cours, puis emprunter à la bibliothèque de quoi rédiger un devoir… Elle y avait même croisé un Enchanteur Vaël consultant un ouvrage avec son flegme coutumier.

Isbeil avait lu que les cyclones – ces tourbillons de pluie diluvienne et de vents violents – possédaient en leur centre un œil où le calme régnait. Elle se demandait s’ils ne se trouvaient pas actuellement dans cet entre deux… à moins que l’orage ne soit véritablement passé. Le mur de l’Enclin s’abattrait-t-il sur Starkhaven ? Cette incertitude était insupportable et la question sur toutes les lèvres du dortoir. Mensonge ou vérité ? L’avenir leur apporterait-il la paix où les plongeraient-ils dans une guerre contre le mal ? Seul le temps apporterait une réponse aussi Isbeil avait-elle fuit ces débats stériles et angoissants pour partir à la recherche d’un peu de sérénité.

Elle savait exactement où la trouver.

Que la petite chapelle ait soudain vu défiler un nombre accru de fidèles n’était pas une surprise. Isbeil doutait toutefois d’y croiser grand monde en cet instant. Si six années au Cercle lui avaient appris que la plupart de ses membres préféraient s’adresser à Dieu dans la clarté du jour ; l’intervalle entre le crépuscule et l’aube exerçait sur elle un irrésistible attrait. Il lui semblait que Sa lumière resplendissait plus fort dans l’obscurité, attisant sa dévotion. Pour cette raison, elle chérissait ces moments de tranquillité volés au cœur de la nuit.

Était-ce la présence d’Andrasté ? Les ombres bleues et violettes drapant bancs et autel semblaient plus douces ici qu'ailleurs. L’épouse du Créateur était entourée de flammes brillants comme une dizaine de petits soleils qui venaient illuminer d’or sa face au sourire bienveillant ainsi qu’une chevelure connue.

« Que Sa lumière éclaircisse les doutes qui rongent nos esprits. Qu’Elle illumine nos pas dans la nuit et oppose aux ténèbres la lueur de nos âmes. »
« Qu’Elle nous inspire le courage de faire ce qui est juste. Qu’Elle nous soutienne et nous guide.  Qu’à Ses côtés nous ne craignions ni la douleur ni la mort, car la première nous forge à Son image et c’est dans la seconde que nous trouverons le Créateur. »

Combien y aurait-il de morts en cas d’Enclin ? Les récits du passé évoquaient des cataclysmes capables de ramener la civilisation aux âges les plus sombres... Isbeil prit une profonde inspiration pour chasser ces obscures pensées avant de continuer :

« Je ne te dérange pas ? »

Les deux jeunes femmes avaient déjà prié ensemble de jour, mais peut-être la blonde était-elle venue combler ici un désir de solitude. Si elle était prête à le respecter, l’apprentie espérait toutefois que Cordélia l’accepterait à ses côtés. Peut-être était-ce cette foi qu’elle sentait sincère ? Ou la façon dont l’orlésienne traitait les mages comme des personnes, sans les ignorer ni les tourmenter ? Isbeil avait finit par oser lui adresser la parole, et les mots échangés lui avaient dévoilé une personne pieuse et droite avec qui elle pensait pouvoir s’entendre et même devenir amie. Amie. Le terme avait de quoi faire s’écrier certains, elle en était consciente, mais elle se sentait aussi prête à s’ouvrir aux autres et n'avait pas l'intention de lutter contre son inclination à cause d’un titre. Les sœurs servaient le Créateur par leurs mots et l’Ordre triomphait des maux menaçant son Œuvre par l’épée. Isbeil savait reconnaître la noblesse de la vocation, et elle ne comptait pas se laisser aveugler par les préjugés ou de mauvaises expériences passées.  

« Je n’arrivais pas à dormir, mais si tu préfères être seule, je comprendrais. »

@Cordélia Varlineau

Résumé : Perturbée par l'annonce de l'Enclin, Isbeil décide de chercher du réconfort dans la prière. Elle demande à Cordélia, qu'elle rencontre dans la chapelle, si sa présence ne la dérange pas.

- Bien sûr. Et le visage de Cordélia se para d'un sourire qui se voulait apaisant.

Sa compagnie était plus que bienvenue. Dès qu'Isbeil s'était assise à côté d'elle, les noires angoisses qui avaient assailli Cordélia avaient décidé de faire leurs valises et aller tourmenter quelqu'un d'autre. Elle lui en fut reconnaissante, bien que celle-ci ne se doutait probablement pas de l'effet bénéfique que sa présence pouvait avoir à ce moment précis.

Qui sait ce qui avait amené Isbeil à se lever et arpenter les couloirs glaciaux pour venir jusqu'ici, dans cet écrin immobile couvé par le regard de la Sainte ?

- Je pensais vous trouver dans la bibliothèque à cette heure, commenta-t-elle d'un sourire entendu. Comme beaucoup, Cordélia fermait les yeux sur les escapades tardives d'Isbeil.

Sa fonction inspirait désormais une légitimité et une prestance qui lui semblent souvent trop étroites. Même une simple demande à son attention, de la part d'un mage, était voilée de prudence. On marchait sur des oeufs ou on ne faisait pas attention à elle ; quelle que soit la réaction, Cordélia ne savait pas comment y répondre, pas comment réagir, tant ces Marchéens étaient différents d'elle. Mais Isbeil était différente. Elle n'avait aucun mal à lui parler.

- Je peine à me rendre compte de ce qui a été annoncé dans la Cathédrale..., souffla Cordélia, sa voix s'échappant sous la forme d'un léger nuage de buée. Le Créateur nous protège. Je pensais pouvoir trouver réconfort dans la prière, mais même Elle ne peut pas m'aider ce soir, je le crains.

Certaines personnes abritaient la lumière en elle : une éclat qui se révélait dans l'étincelle d’un regard ou la chaleur d’un sourire. Alors qu’elle s’asseyait au coté de Cordélia, Isbeil éprouva un nouvel élan de sympathie pour cette femme qui prodiguait sans s’en douter cette même lueur qu’elle implorait Andrasté de lui offrir.

« Je pensais vous trouver dans la bibliothèque à cette heure. »

La mention de ses habitudes nocturnes et l’expression complice de la templière arrachèrent un petit rire à l’apprentie. Inopiné, son amusement résonna dans la chapelle comme un défi lancé à l’obscurité : celle de cette froide nuit d’hiver, comme celle qui menaçait de s’abattre.

« J’y ai songé, avoua-t-elle, mais j’avais le sentiment que je n’arriverais pas à me concentrer sur mes livres. »

Les mots couchés sur le papier offraient certes une échappatoire, mais c’était de la quiétude qu’offraient ceux du cœur – purs et animés par la foi – dont Isbeil avait besoin ce soir. Son regard chercha celui de la Dame de pierre, s’y accrocha. La solennité du lieu consacré avait repris ses droits sur sa physionomie, et c’est d’un ton redevenu sérieux qu’elle continua :

« Cet endroit paraissait être un meilleur refuge. Il semblerait que nous avons eu la même idée. »

Elle ne regrettait pas d’avoir refusé de recourir à nouveau à la médecine pour trouver le sommeil : la compagnie bienveillante de la Prophétesse, couplée à celle de l’orlésienne, adoucissait ses tourments avec plus d’efficacité que n’importe quel calmant.

« Je peine à me rendre compte de ce qui a été annoncé dans la Cathédrale... Le Créateur nous protège. Je pensais pouvoir trouver réconfort dans la prière, mais même Elle ne peut pas m'aider ce soir, je le crains. »

Si les paroles portées par cette voix qui n’était à peine plus qu’un murmure attristèrent l’apprentie, elles ne la surprirent pas. La prière que la blonde avait choisie et qu’elle avait complété naturellement en arrivant était de celles prononcées en temps de doute et de peur. C’étaient les mots auxquels on se raccrochait dans le désespoir, que l’on brandissait telle une lanterne lorsque les ténèbres menaçaient et que l’on craignait qu’elles ne dissimulent le chemin et ne nous perdent.

«L'Enclin arrive ! Et il frappera plus fort qu'il ne l'a jamais fait jusqu'à présent. »

Au fond d’elle-même, Isbeil le savait : son désir d’échapper aux discours de la commandeure-garde, encore si frais dans les mémoires, n’était qu’un vœu pieux. Elle frissonna, resserrant son châle contre elle bien que l’air hiémal ne fut pas en cause. Son bref instant de gaieté semblait soudain bien lointain. Elle refusait de se laisser consumer par l’appréhension pourtant, lui préférant la clarté de l’espoir. Sa posture se redressa, la prise de ses doigts sur le tissus se détendit.

Oh, la crainte la rattraperait à coup sûr, plus tard, lorsqu’elle serait de nouveau seule… Elle le savait, mais elle se souvenait aussi la façon dont la main ferme de l’enchanteur Vaël lui avait permis de rester droite face à l’autel. Elle se rappelait comment le sourire bienveillant de Cordélia l’avait extirpée de l’angoisse et de la culpabilité qui l’avaient saisie avant la messe. C’est la douceur de ces moments et de sa compassion qu’elle joignit à ses intonations alors qu’elle répondait :

« Je suis désolée de l’apprendre. »

Le regard de la mage revint vers la statue aux bras ouverts ; plus humble que sa sœur de Mirestreet, plus familière également. Était-ce prétentieux de sa part de croire que la Sainte avait guidé ses pas jusqu’ici ? Que sa présence soit ou non le fruit du hasard, elle voulait alléger les soucis de sa camarade comme cette dernière l’avait libéré des siens dans la cathédrale.

« J’ai aussi du mal à croire que tout ça c’est bien produit. Nous pouvons en parler si tu le souhaites. Ou discuter de tout autre chose si tu veux te changer les idées. »

Rassurant, le sourire qui étira ses lèvres était le reflet de celui qui avait orné le visage de la templière un instant plus tôt.

« Le choix t’appartient. »

@Cordélia Varlineau

Résumé : Les mots de Cordélia révèlent à Isbeil des craintes qui font écho aux siennes. Désireuse de l'en soulager, l'apprentie propose à la templière de discuter des évènements de la Cathédrale ou d'autre chose pour se libérer l'esprit.