La journée, du peu qu'il en avait vu, était belle ; allongé sous le lit avec l'encre qu'il s'efforçait de rendre lumineuse, il n'en avait capté que des piaillements et des courants d'air jusqu'à ce que les rayons au sol indiquent l'heure de manger. Il s'extirpa alors de son espace de travail, laissant le liquide tout juste luisant par terre, et s'étira avec un soupir bienheureux. Cette disposition était la plus efficace pour son travail, mais elle avait certains inconvénients que ses épaules ne manquaient pas de lui rappeler.

L'envie d'y retourner était toujours plus forte après le repas, mais il se retint, sachant d'expérience qu'il regretterait plus tard s'il ne faisait pas une pause ici. Un tour à l'air frais lui ferait le plus grand bien, surtout à cette heure où il savait que « son » jardin serait relativement vide, les mages occupés à digérer ou faire la vaisselle. Quel plaisir de ne plus être obligé de s'occuper de cette basse besogne là ! Sa chambre bien verrouillée et le fruit de son travail protégé du vent et des visiteurs animaliers, il sortit profiter de ce qui était, en effet, une belle journée.

Les paresseux ne manquaient pas sous le doux soleil de Starkhaven, mais son coin un peu à l'écart leur échappait toujours, peut-être parce qu'il était plongé dans l'ombre des grands murs qui l'entouraient et protégé de buissons de moins en moins bien tenus au fil des ans.
Aujourd'hui ne serait pas une exception.

Aujourd'hui était une exception. Personne réellement dedans, mais une jeune fille était assise en train de lire non loin de ce qu'il appelait l'entrée. Son regard s'assombrit instinctivement en la voyant, mais sans émotion jusqu'à glisser sur le livre. Il n'en voyait pas grand-chose, mais la disposition des illustrations, les couleurs vives même à quelques mètres… Du Hernani tout craché.

Il arrêta ses pas juste devant elle, malgré lui incapable de laisser cet arnaqueur égarer plus de jeunes âmes.

« Quoi que tu cherches à apprendre, tu auras plus de chance en demandant à l'esprit saint qu'à ce torchon. Sa meilleure utilité est encore de servir d'entrainement pour la combustion spontanée. »

Son ton était sec et froid, mais dénué d'insultes – pour une fois il n'en avait pas après l'apprentie qui perdait son temps, même si la renvoyer à sa place aurait été facile, mais seulement après son choix de lecture. Misérable fabulateur aux tranches chatoyantes.

La journée était belle, ni trop chaude, ni trop froide, parfaite pour aller lire dans le jardin. C'est ce que s'était dit Ailis quand elle alla s'asseoir dans un coin reculé. Là au moins elle serait tranquille, personne pour la déranger et lui demander encore de faire des corvées, qu'elle n'avait aucunement l'envie de faire. Elle commença par retourner le livre pour observer les broderies qui ornaient sa couverture, elle n'avait jamais vu de pareil ouvrage.

Elle avait eu la chance d'apprendre à lire dans son village, mais jamais elle n'avait vu un livre en aussi bon état. Une fois l'inspection externe finie, elle l'ouvrit lentement, émerveillée par la finesse des traits gravés sur les pages. Elle n'avait jamais vu d'encre dorée, elle passa un doigt dessus, ça devait être si rare. Amèrement, elle pensa à sa famille qui pourrait sûrement se payer plusieurs jours de nourriture seulement avec ce livre. Elle fut d'ailleurs surprise qu'on lui prête un tel livre, à elle. Ailis commença à lire doucement, cela faisait des mois qu'elle n'avait pas lu une seule ligne, il fallait donc un petit temps d'adaptation avant de retrouver plus d'aisance. Elle put donc arriver non sans quelques difficultés, à la fin du chapitre I.

D’humeur courageuse et accompagnée du soleil, elle allait commencer le chapitre II, quand elle entendit des bruits de pas approcher. J’espère que ce n’est pas encore un mage qui vient troubler mon moment de paix. Elle vit apparaître un homme, la trentaine sûrement. Pour ce qu’elle en avait à faire. Son expression semblait contrariée de la savoir là. Ailis s'angoissa à l’idée de se faire encore mépriser ou chasser sans aucune raison. Il s'arrêta net devant elle -lui cachant le soleil- et se tourna vivement vers elle. Et c’est reparti…

« Quoi que tu cherches à apprendre, tu auras plus de chance en demandant à l'esprit saint qu'à ce torchon. Sa meilleure utilité est encore de servir d'entrainement pour la combustion spontanée. »

Elle le regarda interdite pendant quelques secondes avant de jeter un œil au livre, confuse. Il ne lui avait même pas adressé un regard depuis le début de l’échange, trop préoccupé par l’objet entre ses mains, comme si son regard suffirait à le faire brûler. Mais peut-être était-ce possible ? Elle adorerait le savoir. L’homme en face d’elle, qu’elle supposait être un noble au vu de sa posture hautaine et de son assurance naturelle, semblait s’impatienter. Même si l’idée de parler à un noble ne lui plaisait guère, elle ne pouvait l’ignorer sous peine d’encourir une sanction.

« Messer. Elle incline poliment la tête pour le saluer. Voyant que cette réponse n’était visiblement pas suffisante pour lui, elle continua. Vous avez mieux à me proposer ? »

« Messer, salue-t-elle. Vous avez mieux à me proposer ? »

Cheveux de paille, visage émacié et canne posée au sol, il reconnait l’apprentie, la nouvelle paysanne arrivée quelques courts mois plus tôt – déjà âgée. C’est ce fait qui a attiré son attention, avant qu’il ne s’en détourne pour des affaires plus importantes ; une manifestation de magie tardive, spontanée, que les templiers ne suspectent pas d’avoir été cachée, c’est certes intriguant mais pas prioritaire. Il n’empêche qu’elle a du retard à rattraper, et la chose entre ses mains ne l’y aidera pas beaucoup.

« Tout dépend de ce que tu veux. Dans tous les cas, tu devrais commencer par la pratique pour avoir une idée concrète de ce que tu lis. Personne ne t’a donné le programme ? »

Il hausse un sourcil dubitatif, intérieurement agacé. Normalement, les recrues hors des classes normales sont accompagnées pendant quelques semaines de rattrapage, pour se familiariser avec les sorts basiques en toute sécurité – pas de raison qu’il en soit autrement pour elle.

« J’ai un professeur, monsieur Roland qui me donne des cours particuliers pour rattraper mon retard en plus des cours classiques. Il me donne aussi de la lecture à faire. »

Monsieur Roland ? Le vieux Roland ? Certainement pas. Il ne sait même pas utiliser correctement les plantes les plus basiques – apprendre l’elfidée c’est bien, mais s’il est seul en charge de cette fille elle est vouée à la mort. D’ennui ou d’apaisement, les deux sont des perspectives inacceptables.

« De la mauvaise lecture. Je l’informerai ce soir qu’il est libéré de ces obligations, déclare-t-il, je me chargerai de t’apprendre ce qu’il faut. Suis-moi, on sera mieux dans une vraie salle. »

Il attend qu’elle se lève avant de partir, ne sachant pas si elle y arrivera seule ni si, par sombre miracle, elle s’est assez attachée au vieillard pour protester.

« Ne t'en fais pas, ajoute-t-il. Tu gagnes au change. »

L’homme en face d’elle semble la dévisager. Il l’a vue jeter un œil à sa canne, ce qui la met tout de suite mal à l’aise, comme honteuse d’être ainsi alors qu’elle n’y est pour rien. Elle déteste ce sentiment stupide ! Même si elle n’arrive pas à s’en défaire. Il continua de la sonder du regard comme s’il avait trouvé une réponse à un problème qu’elle ne connaissait même pas. Elle se mit à regarder son livre en le serrant nerveusement, ne sachant pas quoi faire, face à cet interrogatoire muet. Puis finalement, il se mit à parler.

« Tout dépend de ce que tu veux. Dans tous les cas, tu devrais commencer par la pratique pour avoir une idée concrète de ce que tu lis. Personne ne t’a donné le programme ? »

Un programme ? Bien sûr qu’elle en avait un, mais pour ce qui est de la pratique elle n’avait pas encore le droit d’en faire dans les cours normaux, à cause de son retard. Pourquoi ne l’avait-on pas mise avec les novices qui commencent, comme elle ? Ils auraient eu la délicatesse de lui éviter de se retrouver dans la même classe que des enfants qui ont la moitié de son âge ? Elle en doute. On se fout des états d’âme d’une paysanne. C’était surement encore une de ses absurdités académiques surement. Devait-elle lui parler de ses cours de rattrapage ? Aussi bien théorique que pratique ?
L’homme parut agacé, mais elle ne sut dire si elle l’avait rêvé ou véritablement vu, tellement l’émotion était passée furtivement sur son visage. Elle se reconcentra sur le présent et la présence de cet inconnu. C’était quoi sa question déjà ? Le stress lui fit oublier, tant pis elle dira l’essentiel, c’est-à-dire le peu qu’elle sait.

« J’ai un professeur, monsieur Roland qui me donne des cours particuliers pour rattraper mon retard en plus des cours classiques. Il me donne aussi de la lecture à faire. »

Elle le vit légèrement plisser des yeux, définitivement agacé. Qu’avait-elle dit de si absurde ? Décidément, elle se posait beaucoup de questions depuis son arrivée, et sa tranquillité s’était envolée.

« De la mauvaise lecture. Je l’informerai ce soir qu’il est libéré de ces obligations, déclare-t-il, je me chargerai de t’apprendre ce qu’il faut. Suis-moi, on sera mieux dans une vraie salle. »

Attend, quoi ? C’était un enseignant lui aussi ? Elle ne savait pas, remarque elle n’était pas là depuis longtemps et ne cherchait pas spécialement à faire la liste de tout le personnel. Et mauvaise lecture ? On lui avait pourtant donné ce livre. Ce n’était pas fait exprès au moins ? Voilà qu’elle devenait presque parano, à cause de sa condition.

« Merci de m’accorder votre temps. » Elle inclina poliment la tête.

Il lui fit signe de le suivre, après tout elle était là pour apprendre et lui avait l’air plutôt motivé. Elle ramassa difficilement sa canne, puis le livre et se leva pour le suivre.

« Ne t'en fais pas, ajoute-t-il. Tu gagnes au change. »

Un brin arrogant son nouveau professeur, en même temps il avait un physique avantageux, et plutôt grand (en même temps, ce n’était pas compliqué avec elle). S’il n’avait pas déjà une femme, ça ne saurait tarder. Elle eut un pincement au cœur en pensant à Leon, sa famille et l’air frais de Cairnayr rempli d’odeurs qu’elle s’effraie d’oublier peu à peu. Cependant elle laissa la nostalgie de son autre vie de côté, et se concentra pour suivre son allure. Il serait regrettable de s’étaler devant lui dès le premier jour, il aurait une bien piètre opinion d’elle.

Elle le ralentit forcément, comme tous ceux qui n’ont pas l’habitude de suivre ses pas – même ralentir ne suffit pas et il est obligé de l’attendre à chaque porte, lui laissant tout le temps du monde de réfléchir à ce qu’il vient de promettre. Nul doute qu’il fera mieux que Roland, ou quiconque d’autre, mais ce n’est pas le moment d’improviser. Il la mène à travers les couloirs jusqu’à la première salle vide, trop impatient pour claudiquer jusqu'aux salles réellement vides ; les endroits plus détendus ont beau être attirants en cette belle journée (comme ils le sont dans les froides journées d’hiver, et dans les journées pluvieuses et mornes), pour évaluer les dégâts une pièce neutre est préférable, où les coins de table sont limés et les étagères vides.

Enfin arrivés, il ferme la porte derrière eux et se tourne vers elle. Même debout, il doit baisser la tête pour accrocher son regard, deux perles brunes dans lesquelles l’intérêt se mêle à la confusion, une certaine envie d’apprendre qui lui fait se dire que l’enlever à l’incompétence n’était peut-être pas une erreur. À elle de chasser le reste de ses regrets.

« Pour commencer, montre-moi ton meilleur sort. Pas le plus puissant, celui que tu maitrises le mieux. Une flamme, un peu de lévitation, un tiraillement du voile… Tu dois bien déjà en avoir un ? »

Elle ne doit pas savoir faire beaucoup mieux, si elle s’est manifestée récemment, alors il ne la décourage pas en proposant plus avancé ; le temps de lui mettre la pression viendra, mais d’abord cartographier ses capacités. Ni lui ni elle n’a de bâton, mais encore une fois, c’est si récent qu’elle n'en a pas besoin ; comment elle s’en sort seule, l’état de sa magie sans modulateur – c’est cela qui l’intéresse, pas si elle sait s'appuyer sur une canne moins littérale.

Ils arrivèrent dans une salle d'aspect très sobre, elle aurait juré qu'il avait pris la première salle à porté, tellement il semblait impatient ou énervé ? Ou peut-être les deux. Elle l'entendit fermer la porte, tandis qu'elle inspectait la salle usée par le temps et sûrement l'assiduité des apprentis qui l'ont précédée.
Il se retourna vers elle et, sans perdre plus de temps, son cours débuta.

« Pour commencer, montre-moi ton meilleur sort. Pas le plus puissant, celui que tu maitrises le mieux. Une flamme, un peu de lévitation, un tiraillement du voile… Tu dois bien déjà en avoir un ? »

Elle acquiesça, elle ne devait pas échouer. Il lui avait dit de faire simple, elle ne devait donc pas chercher à l'épater, mais juste réussir. Il lui fallait un sort simple, quelque chose qu'elle maîtrisait. Elle sut donc ce qu'elle allait faire. Elle s'avança vers la table dont l'irrégularité du bois montrait les stigmates d'une utilisation intensive, elle posa le livre le plus délicatement possible comme si chaque faux pas, et c'était l'élimination.
Elle se concentra et fit le vide dans sa tête, seul la réussite de son sort l'importait. Inspirant un bon coup, elle leva la main, instrument de sa magie et prit bien appui de l'autre sur sa canne pour être sûre de ne pas tomber. Puis, elle sentit la magie envahir son corps par des petits picotements discrets, comme si elle partageait sa timidité. Néanmoins, la magie finit par faire son effet, et un courant d'air ouvrit le livre doucement, discrètement.

Elle se retourna pour observer la réaction de son nouvel enseignant. Approbation ? Désapprobation ? Elle croisa son regard gris, réveillé ci et là par des teintes de bleu, mais elle ne réussit pas à deviner ce qu'il pensait de sa prestation. Elle devra attendre sa réponse.

Elle pose le livre et se concentre dessus dans une posture efficace mais sobre, basique. Rien ne se passe quelques secondes, puis un vent timide soulève la couverture dans un bras de fer invisible. Les premières pages flottent mais ne s’affolent pas, et l’ouvrage finit ouvert et en bon état. Le papier retombe immédiatement, l’air de nouveau stagnant, et l’apprentie se tourne vers lui, le regard brillant de questions.

Bon… J’avais bien dit pas trop puissant… Le dénigrement est plus fort que lui, mais d’un regard objectif ce n’est pas si mal : rien n’a volé, le voile est stable, et timide qu’elle soit elle n’a pas l’air de douter. Faible, mais maitrisé. C’est un premier instinct naturel pour qui ne connait pas les possibilités de la magie, et une utilisation qui a le mérite d'être plus originale que des flammes ou une petite tornade.

Sa réflexion finie il hoche la tête, une fois, approbateur.

« Bien. »

Le soleil illumine ses cheveux clairs, entre paille et charbon, un châtain aux mille reflets… Châtain vénitien, en un mot comme en mille. La pauvreté est partout sur elle, encore pire que sur les paysans qui se prétendent marchands, moins cachée que sur les petits nobles qui se veulent proches du pouvoir. Infirme, sans une once de culture, en retard d’années entières… Il a ramassé le gros lot, aujourd’hui, mais au moins peut-il en faire quelque chose – elle ne finira pas apaisée pourrissant dans les cuisines, elle - c'est une belle occasion de se prouver une dernière fois avant de devenir Premier Enchanteur !

« Tu as un nom ? »

« Bien. »

Réponse sobre, mais au moins elle était positive. C'est ce qu'elle voulait. Cependant elle le vit la détailler des pieds à la tête, pas vraiment convaincu. Aurait-elle parlé trop vite ?

Elle regarda furtivement sa tenue qu'il semblait observer l'air contrarié, ah oui c'était donc cela. Certains, au cercle la méprisaient pour ses origines plus que modestes. Cet homme ne devait pas y faire exception. Alors quoi c'était tout ? Elle avait l'envie d'apprendre, et la motivation mais elle allait tout bonnement être recalée pour ça ? Pire il n'allait quand même pas l'apaiser directement, elle eut un mouvement de recul, qu'elle espérait être passé inaperçu. On n'allait pas lui faire ça, si ? Elle était plus âgée que les autres mais elle pouvait - elle voulait apprendre. Il avait l'air contrarié mais pas au point de vouloir sa mort. Trop perdu dans ses élucubrations - peut être un peu excessive, elle faillit ne pas l'entendre lui demander son nom.

« Tu as un nom ? »

«Ailis Treglown, Messer.» Elle essaya de garder la voix la plus claire possible.

« Ailis Treglown, Messer. »

Un nom de campagne, aussi inconnu que prévu, mais facile à mémoriser.

Elle essaie de tenir figure, mais Lachlann n’est pas dupe. Sa voix n’est pas s claire qu’elle aurait dû l’être, et elle semble prise d’une inquiétude dont il ne saisit pas l’origine. Même la rassurer devient impossible dans ces conditions – qu’a-t-il à offrir de plus que « bien » ? Ce seul mot encapsule tout : la reconnaissance de son succès, l’acceptation de son élève, la fin du test. Il peut toujours dire plus, mais ce serait la desservir, aussi se contente-t-il d’une expression aussi détendue que possible pour lui laisser une chance de se calmer toute seule. Tant qu’elle ne panique pas vraiment, ce n’est pas son problème…

« Bien. Je m’occuperai du côté administratif, mais ce serait dommage de s’arrêter si tôt. Raconte-moi donc ce que tu as appris ces dernières semaines, que je ne me répète pas. »

Il écoute attentivement son résumé, notant mentalement les points à approfondir, avant de lui indiquer où le retrouver le surlendemain pour leur premier vrai cours.

Ailis était installée sur une chaise dans la salle que lui avait indiqué Lachlann Vaël, l'enchanteur supérieur qui était devenu son professeur particulier à la place de Monsieur Roland. Elle devait bien avouer qu'il avait raison, elle gagnait au change, Messer Vaël était bien plus impliqué. Pas très bavard et parfois un peu froid, il était néanmoins toujours présent pour répondre à ses interrogations. Ainsi, elle comprit vite que ce n'était pas elle le problème, il était juste comme ça.

Elle observa la pièce, des étagères remplissaient tout un mur, elles-mêmes recouvertes de livres. Une table sur laquelle ses coudes reposaient était placée stratégiquement sous la fenêtre légèrement à droite de la pièce, à l'opposé de la bibliothèque. Elle ouvrit le livre prêté par Messer Vaël, et entreprit de revoir une dernière fois la théorie. Après tout, elle avait encore le temps, se sachant particulièrement lente elle partait toujours des dortoirs en avance, saluant les quelques personnes avec qui elle avait pu sympathiser.

Elle détestait être en retard. Elle l'avait déjà été plusieurs fois, car il n'était pas rare qu'on lui refile des corvées de cuisine principalement, ça l'agaçait, mais elle n'était pas vraiment en position de refuser. Elle devait aussi s'occuper des plantes qui servaient aux mages et apprenties, personne n'aimait faire ses basses besognes. Et même si sa condition physique ne lui rendait pas toujours la tâche aisée, elle aimait bien faire ces corvées-là.

Trop concentrée sur ses pensées bien éloignées de sa lecture initiale, elle ne s'aperçut de la présence de l'enchanteur supérieur que lorsqu'il ouvrit la porte.

«Bonjour, Messer Vaël.» Salua-t-elle poliment en se tournant vers lui.

Un homme moindre aurait été en retard, trop habitué à attendre pour se presser, mais Lachlann est un homme bon, qui aime respecter ses petites promesses – aussi arrive-t-il au point de rendez-vous pile à l’heure. Pour une fois, Ailis est déjà là, plongée dans un livre, et il vérifie inconsciemment l’heure – était-elle tellement en avance qu’elle a dû s’occuper ou est-ce la bien connue comédie pour paraitre plus studieux aux enseignants ? Quelle qu’ait été sa première motivation, elle n’a pas l’air trop concentrée, et le salue aussitôt qu’il entre.

« Bonjour, Messer Vaël. »

Des mots qu’il a entendu tant de fois ces derniers jours. La jeune fille est polie, même maintenant qu’elle n’a plus peur, et il ne peut que saluer cette habitude. Même alors qu’elle se détend, prend de plus en plus confiance en sa présence et en sa magie, elle n’oublie pas qui il est – c’est d’autant plus satisfaisant qu’il apprécie de la voir progresser et qu’il regretterait de perdre une apprentie motivée et pas sans talent pour faute de caractère.

« Bonjour. Ravi que tu comprennes enfin qu’il y a plus prioritaire que l’épluchure de légumes. Tu as pu finir ce livre ? »

Il n’ignore pas que les apprentis ont un empire limité sur leur temps, entre les cours, les corvées et les impératifs de la vie, mais il est presque sûr qu’elle en fait plus que nécessaire et tant que cela empiète sur leurs cours il ne se gênera pas pour le faire remarquer.

« Bonjour. Ravi que tu comprennes enfin qu’il y a plus prioritaire que l’épluchure de légumes. Tu as pu finir ce livre ? »

Le ton était sec. Moi aussi je suis ravie de vous voir. Cela dit, elle avait l'habitude Messer Vaël n'aimait pas qu'elle arrive en retard, et elle l'avait déjà été de trop nombreuses fois. Cependant, aujourd'hui était un autre jour, elle avait préparé sa réplique. Elle n'avait pas osé dire qu'elle n'avait pas demandé d'être commis de cuisine, elle pensait que ça resterait exceptionnel.

Les plantes d'accord ça rentrait dans son travail, et elle avait même pu sympathiser avec d'autres apprentis paysans, l'une d'elles en particulier. La cuisine ce n'était pas sa passion et malgré ses origines modestes, son travail ici c'était d'apprendre à maîtriser sa magie. Et surtout sortir d'ici, pour retrouver sa famille.

« Je comprends votre agacement Messer Vaël, mais il semblerait que le personnel ne soit pas assez nombreux en cuisine, et que je récolte contre mon gré ces corvées-là. »

Peut-être prendront-ils ainsi de nouvelles têtes et ainsi laisseront-ils les apprentis en paix. Elle se tourna vers lui attendant la suite. Elle vit que sa remarque le contraria, mais elle n'était pas visée par sa colère.

« Je comprends votre agacement Messer Vaël, mais il semblerait que le personnel ne soit pas assez nombreux en cuisine, et que je récolte contre mon gré ces corvées-là. »

Oh, si c’est contre son gré ! Tout va bien ! Elle le regarde comme si elle attendait de lui qu’il résolve tous ses problèmes et la félicite de surcroit.

« Et bien arrête. Ton rôle ici n’est pas la récolte mais l’apprentissage, et ce n’est pas la vaisselle qui fera fuir les démons. »

Il tire une des rares chaises confortables et s’assied face à elle, s’emparant du livre avant qu’elle n’ait eu le temps de le reprendre. Chapitre cinq : Métamorphose et psyché. Une bonne avancée, surtout si comme il l’espère elle révise au lieu de découvrir, même cet amas de corvées n’aide pas à être sûr…

« J’enverrai – non, tu enverras un templier te remplacer, la prochaine fois, le temps que je m’arrange avec la direction pour embaucher du vrai personnel. Dis-leur que c’est un ordre de ma part. Ça t’épargnera le plus gros des tâches ménagères, si tu n’en abuses pas. »

Les braves hommes, toujours d’une grande aide, ne risqueront pas sa mauvaise humeur en la persécutant comme d’autres péons du Cercle – encore moins la recrue qui patrouille autour des cuisines avec peut-être trop d’assiduité. C’est une solution provisoire, mais qui ne fera de mal à personne. Un regard appuyé accompagne l’avertissement – qu’elle se sorte de son trou, il l’y aidera même, mais il ne compte pas faire d’elle la nouvelle princesse des templiers.

Il soupire brièvement et se détend un peu, sans aller jusqu’à paraitre accueillant, pour garder une élève pas trop mal à l’aise. Il sourit malgré lui, rétroactivement amusé par la pointe de sarcasme, pas assez prononcée pour nuire au respect, dans sa voix.

« Si pareil problème se représente, préviens-moi. Je ne suis pas assez télépathe pour t’aider autrement. »

Elle retira ce qu’elle venait de penser, sa colère- enfin parlons plutôt d’agacement, semblait maintenant dirigée vers elle.

« Et bien arrête. Ton rôle ici n’est pas la récolte mais l’apprentissage, et ce n’est pas la vaisselle qui fera fuir les démons. »

Cet homme semblait agacé de tout et de rien à la fois. C’était déstabilisant. Si elle peut, il faudra qu’elle pense à lui offrir un mannequin d'entraînement, ainsi peut-être cessera-t-il de passer ses nerfs sur autrui. Non, c’était une utopie ça, soyons plus réaliste, ça le calmerait un peu mais pas complètement.

« Ça t’épargnera le plus gros des tâches ménagères, si tu n’en abuses pas. »

Bon mis à part les sarcasmes il avait réglé le problème vraisemblablement. Elle s’empressera de le dire aux autres. Ils seront contents.

« Merci, Messer Vaël. »

« Merci, Messer Vaël. »

Il haussa les épaules, déjà désintéressé, et indiqua la page ouverte. Elle avait manifesté, comme la plupart des apprentis, un intérêt pour la métamorphose, alors il avait accepté de commencer par là – quand viendrait le temps d'essayer un vrai sort. Ils n'en étaient pas là, même s'il n'était jamais trop tôt pour poser les bases, surtout avec des enfants à garder motivés...

« Tu as bien lu les avertissements ? »

Elle hocha la tête et il prit note de l'interroger plus tard, quand ce serait moins frais dans sa mémoire.

« Bien. Alors dis-moi quel animal tu vises. »

Il la regarde sortir un second livre de son sac, semblable à une encyclopédie simplifiée, et l’ouvrir à une page marquée d’un fin ruban. Il en était rempli, le volume gonflé de tous les fils intercalés - aurait-il droit à un exposé complet de son cheminement ? O, joie. Réfrénant son impatience et son envie de signaler qu'il connaissait plus d’espèces qu'elle, il s'installa, enfermant avec les deux réflexes celui de trop débattre ; sans doute oublierait-elle des détails, mais toute erreur n'était pas importante... Et quoi, si elle ignorait les toiles d'araignée, les légendes plus généreuses, tous les détails auxquels on ne pensait pas ?

« Imaginez-le en vert et bleu.»

Il regarde l'image et ne peut s’empêcher de sourire, attendri par la bestiole : un serpent pas très grand, rugueux comme un chat caressé à contre-poil, aux grands yeux vivaces et un sourire aussi chatoyant que ses couleurs, petite boule de chaos et de mensonges. Adorable.

« Je préfère en ocre et corbeau, mais ce n'est pas la couleur qui compte. Trouver la bonne espèce requiert une certaine expertise, et bien se transformer encore plus ; une pensée de travers et tu te retrouves sous forme de vipère inoffensive. »

Des apprentis trop bavards privés de venin, obligés de ramper toute leur vie sans gagner plus que la chance de glisser sous les portes... L’idée a de quoi amuser. Tous croient connaitre leur cible, mais les voix trompent et les souvenirs se confondent vite ; pour recommander un animal si particulier il faudrait une dose de cruauté qu’Ailis ne lui inspire pas toujours.

« Ce serait certainement un bon entrainement pour l'avenir si tu prévois de perdre bras et jambes, mais ce n’est pas un animal que l’on choisit si on a des doutes. Excellent qu’il est, il mérite de la conviction, et je n’ai pas l’impression que sa discrétion soit ce que tu cherches le plus. »

« Ce serait certainement un bon entrainement pour l'avenir si tu prévois de perdre bras et jambes, mais ce n’est pas un animal que l’on choisit si on a des doutes. Excellent qu’il est, il mérite de la conviction, et je n’ai pas l’impression que sa discrétion soit ce que tu cherches le plus. »

Messer Vaël avait démoli son idée de serpent bien qu’il appréciait l’animal, ce n’est pas grave elle n’envisageait pas sérieusement cet animal. Il offrait trop peu de perspectives, comme il le lui avait souligné.

« Et qu’est-ce je dois rechercher le plus ? »

« À toi de me le dire.»

Elle le voit froncer les sourcils, pensif avant de continuer.

«Tu as parlé de combat, c'est une idée en l'air ou un critère ? »

En effet, le combat lui avait semblé être un atout à privilégier. Elle avait souvent admiré l’agilité des chats pour chasser les souris de leurs réserves de grains, ou le courage des chiens pour protéger le troupeau.

« Oui c’est un critère, c’est toujours utile de pouvoir se défendre. Les chiens de ma ferme pouvaient bien faire fuir des loups.»

Elle avait bien pensé également à un renard en souvenir de Sif, mais s’était vite faite à l’idée que les félins seraient plus judicieux pour une taille similaire.

« Et qu’est-ce que je dois rechercher le plus ?
– À toi de me le dire. »

Il fronce les sourcils, indiquant clairement que si elle peut parler de chaque animal qui avait retenu son attention, elle peut bien réfléchir elle-même à ce qu’elle en attend. Elle n'en est pas plus avancée, à se demander si elle a bien compris la question... La voyant hésiter, il soupire, et offre une piste peut-être trop tôt ; mais ils ne vont pas y passer la soirée, et rien ne promet qu’elle trouverait une réponse avant Floraison.

«Tu as parlé de combat, c'est une idée en l'air ou un critère ?
– Oui c’est un critère, c’est toujours utile de pouvoir se défendre. Les chiens de ma ferme pouvaient bien faire fuir des loups.»

Le Cercle manque de loups à faire fuir, mais qui sait s’il en sera toujours ainsi ?

« Dans ce cas tu peux oublier presque tout d'insectes à rongeurs, déclare-t-il. Si tu prévois d'affronter des adversaires plus gros que des lapins, pourquoi pas chercher du côté des félins ? Je dirais bien canidés à gros mammifères, mais le Cercle n'est pas construit pour des géants. »

C’est dommage, d’ailleurs – un cheval ferait un excellent allié, et la hargne compense parfois la taille – mais pour une paysanne, aller droit au but est préférable. Elle est assez indécise sans qu’il en rajoute, et si elle n’a rien à défendre dans ce livre le plus simple ira très bien ; sans passion, pas de créativité.

En effet, félins et canidés se sont longtemps battus dans sa tête pour savoir qui arriverait en tête. On va dire que Messer Vaël la conforte dans le choix de l’un des deux. Elle aimait beaucoup l’image de ce loup qui ressemblait beaucoup à un gros renard (lui rappelant là encore Sif), cela dit son professeur avait raison c’était trop grand.

Elle se redirigea naturellement vers son autre petit préféré. Un félidé, plus gros qu’un chat mais plus petit qu’un loup, et puis elle lui préférait l’agilité. Réajustant sa position sur sa chaise, elle ouvrit le livre à la bonne page et le lui montra.

« Dans ce cas, j’ai peut-être trouvé un bon compromis. Un félin ni trop grand, ni trop petit. »

Il regarda la page avec attention, et acquiesça.

« Pourquoi pas. Nous commencerons les cours dans quelques mois, si tu n'as pas changé d'avis d'ici là. »

Il lui avait semblé entendre de l’agacement dans sa voix, mais elle ne savait pas pourquoi. Elle n’y prêta cependant pas trop attention, elle avait tellement hâte d’essayer. Elle espérait juste que ça se passerait bien. Il restait néanmoins une dernière question, qu’elle aimerait poser.

« Et vous, vous avez choisi quoi ? »

« Dans ce cas, j’ai peut-être trouvé un bon compromis. Un félin ni trop grand, ni trop petit. »

Exactement ce qu’elle a décrit. Moins d’arguments, aucun contre, mais somme toute c’est peut-être bon signe ? Le marque-page prouve que ce n’est pas un choix par dépit, et si elle l’a repéré, pour une quelconque raison, il n’a pas besoin d’en entendre plus.

Il reste agacé qu’elle se taise maintenant, bien sûr – c’est ce moment, la conclusion, qu’elle choisit, après s’être étalée sur des propositions rejetées par avance ? Ou avait-elle à ce point besoin d’approbation ? Décidément il a parfois du mal à la comprendre. Un coup incapable d’aligner plus de trois mots (généralement « oui messer Vaël »), un coup débordante de questions parfois presque pertinentes… Au moins commence-t-il à trouver une certaine logique dans son rythme, même s’il n’a toujours pas de moyen de le contrôler.

« Pourquoi pas, acquiesce-t-il. Nous commencerons les cours dans quelques mois, si tu n'as pas changé d'avis d'ici là. »

Il ne parierait pas dessus, mais après tout qui sait ? Tant qu’elle prend un coloris raisonnable. Sa question suivante, alors qu'il estimait la conversation close, l'étonne un peu mais il n'en montre rien, somme toute habitué à intéresser.

*

« Et vous, vous avez choisi quoi ?
– Rien du tout. » Même s’il sait ce qu’il aurait choisi s’il avait fallu, bien sûr – les soirées sont longues et il a le temps de réfléchir aux plus inutiles univers parallèles. « La magie offrait trop de secrets à percer pour perdre mon temps en métamorphose, même si j'ai étudié ses bases comme celles des autres écoles.
– Dommage, moi je me suis souvent demandé à quoi ressemblait le monde du point de vue d’un animal.
– Demande à tes camarades de classe, ils l'expérimentent déjà tous les jours. Personnellement je ne m'abaisserais pas ainsi, mais si l'humanité te fatigue personne ne te reproche de chercher la réussite ailleurs... »

Le visage de l’apprentie se crispe, et se rend compte de l’ambiguïté de ses paroles qui peuvent la décourager plus que ses intentions.

« Chacun sa spécialité, après tout. On ne peut pas tous révolutionner la recherche. »

Par une pudeur qui ne lui ressemble pas, ou qui lui ressemble peut-être trop, il ne mentionne pas ses propres écoles préférées – l’entropie n’est pas élitiste, ni cachée, mais il se sent soudain protecteur de cette discipline qui mérite mieux qu’une enfant incertaine. Sans compter que la détourner de ses chats pour des cours trop assidus les desservirait tous deux.

Ailis discutait tranquillement sur le chemin pour rejoindre Messer Vaël, avec Gérard un templier fort sympathique. Il l’avait vu peiner à monter les escaliers une fois et comme quelques autres personnes, il s’était proposé de l’aider. Depuis, ils s’étaient recroisés, et de fil en aiguille ils avaient parlé ensemble. Maintenant, c’était devenu une habitude pour le templier de l’aider. Pour le remercier, elle lui avait même concocté un mélange d’herbes pour soigner son rhume et celui de son collègue cet hiver. Elle s’arrêta un instant profitant de la chaleur du soleil sur sa peau, les journées commençaient doucement à se réchauffer pour son plus grand bonheur. Accueillant les prémices du printemps avec beaucoup de joie, elle détestait le froid. Gérard et elle s’arrêtèrent devant la salle de classe et il la salua brièvement avant de retourner à sa ronde.

En attendant son professeur, elle se répéta encore une fois dans sa tête son exposé pour être sûre de ne rien avoir oublié. Elle avait adoré travailler sur ce sujet et avait d’un côté hâte de discuter avec lui sur le sujet. Elle était quasiment certaine qu’il avait exprès de lui donner ce sujet.
Lui qui trouvait la métamorphose inutile en plus d’être une perte de temps. Peut-être voulait-il qu’elle lui prouve qu’elle n’avait pas choisi cela au hasard ? Elle n’était pas présomptueuse au point de penser lui faire changer d’avis, si toutefois une telle chose fut possible ? Cependant, elle comptait bien prouver l’utilité de la chose.

« Bonjour, Messer Vaël.»

Elle se leva avant même qu’il n’amorce le moindre mouvement vers la porte. Le stress l’avait fait agir trop vite sans doute, ses genoux ne manquèrent pas de le lui rappeler en un bruit sonore que l’enchanteur n’avait sûrement pas raté. Honteuse, elle regarda le sol attendant qu’il rentre en premier dans la salle.

« Tiens, Messer Vaël ! J’ai déposé votre apprentie dans la salle de classe…
– Très bien. »

Il poursuit sa route, et le templier de même, sans s’attarder davantage. Un rapide coup d’œil à sa montre confirme ce que tout le monde savait déjà, à savoir qu’il est loin d’être en retard – pile à l’heure quand il passe la porte, en réalité, avec une exactitude digne des parodies littéraires.

« Bonjour. Tu es prête ? »

Le bruit des genoux est presque inquiétant, même s’il ne commente pas. Elle a les mains vides, aucune feuille ne traine devant elle et son impatience est plus qu’évidente – il est curieux de ce qu’elle aura inventé… Ce n’est pas un sujet piège, et il espère qu’elle a bien réfléchi et formulé ses pensées pour défendre son choix.

« Tu peux t’assoir, offre-t-il. Que j’entende ta voix plus que tes os. »

Lui ne se gêne pas, et il s’installe à un bureau face à elle, jambes croisées, attendant le fruit de ses efforts avec un visage patient.

« C’est quand tu veux. »

« Tu peux t'asseoir, que j’entende ta voix plus que tes os. C’est quand tu veux. »

Elle rougit, il avait donc entendu, foutus problèmes de santé. L’apprentie accepta néanmoins l’offre, cela lui permettrait de se concentrer seulement sur son exposé et rien d’autre. L’enchanteur supérieur la regardait attentivement dans une posture nonchalante.

Elle prit une profonde inspiration et commença à parler lentement pour ne pas se mélanger elle-même.
Elle lui raconta les nombreuses applications de la métamorphose pour faire des spectacles, aider dans la vie de tous les jours pour les travaux à la ferme. Pouvoir aider un chat coincé dans un arbre, effrayer les enfants, chasser soi-même la nourriture. Défendre soi-même un troupeau attaqué. Tant d’applications possibles. Elle fit de son mieux pour ignorer le panel d'expressions réprobatrices qui traversait le visage de son interlocuteur. Elle devrait y être habituée pourtant.

Cependant, la suite était la partie la plus importante à ses yeux, elle espérait vraiment capter son attention et son intérêt. La métamorphose et l'art de la guerre.  Paragraphe le plus détaillé, elle y avait inclus des exemples pratiques après l'exposition de la théorie. Les prédateurs en soutien aux templiers sur la ligne de front, les animaux plus petits  en guise d’espions, ou bien ceux venimeux pour faire de parfaits petits assassins discrets.

« La métamorphose peut donc être utilisée de bien des manières. Hélas, la plupart de ces applications restent peu envisageables étant donné les nombreuses restrictions quant à l’utilisation de la magie. Il serait cependant intéressant d’y songer plus souvent. »

Elle se rassit convenablement- inconsciente d'avoir tant bougé sur son siège pendant son récit, soulagé d'avoir terminé. Tout au long de son oral, elle l'avait bien vu noter des choses sur un carnet. Elle espérait juste ne pas se faire trop démolir. Avait-il apprécié quelque chose au moins ? En était-il capable ? Il changea de position, signe qu'il s'apprêtait à parler. Elle retint son souffle, attentive.