Petit à petit, le Corbeau fait son nid
« Je peux savoir ce qui te prend, Hareas ? » La tête penchée sur le côté, dans une moue dubitative, j’observai le disciple les bras croisés. Celui-ci était, de toute évidence, en pleine discussion avec… un chat. Oui, un simple chat errant. Il se retourna vers moi en réprimant un sursaut, ce qui m’arracha un sourire en coin plein d’une certaine satisfaction. « Je t’ai fait peur ? » J’espérais bien que oui. Je m’étais donnée du mal pour le surprendre, à avancer dans son dos sans faire le moindre bruit. « Ne baisse jamais ta garde. » Ceci serait la première leçon du jour.
Hareas n’avait pas encore conscience que je risquerais fortement de lui faire la même, jusqu’à ce qu’il finisse par être suffisamment sur le qui-vive pour que je ne puisse plus jamais le surprendre. Le disciple pouvait encore s’estimer heureux : je me contenterais seulement d’arriver silencieusement dans son dos à chaque fois que l’occasion me serait laissée. Mon maître, quant à lui, m’avait inculqué cette règle fondamentale en m’extirpant des brumes du sommeil, avec l’éclat métallique de sa lame en main pour m’inciter à me lever plus vite. J’espérais pour lui que Canisa n’était pas aussi retorse, quand elle lui prodiguait ses enseignements.
« Tu me suis ? » Nous n’allions pas prendre racine dans cette ruelle sinistre à l’arrière du bâtiment, autant rentrer se mettre à l’abri. Le temps était très changeant, la chaleur étouffante se substituant bien vite aux pluies diluviennes. Et si j’appréciais qu’il fasse plus frais aujourd’hui, l’humidité me collait tellement à la peau depuis hier que mes vêtements peinaient à sécher. Je rabattis la capuche de ma veste jusque sur mes yeux, dont s’échappait encore quelques mèches rousses emmêlées. Je fis demi-tour vers l’artère principale, avec Haréas sur mes talons. Les passants se faisaient rares, se pressant le long des échoppes en cherchant un abri temporaire, ou se réfugiant même à l’intérieur de celles-ci. C’était la meilleure occasion pour les commerçants de conclure de bonnes affaires. Ils étaient probablement ceux qui affectionnaient le plus la pluie.
Quant à nous, loin de pousser les lourds battants de l’échoppe tant convoitée, j’emmenai plutôt le disciple vers une porte dérobée qui nous permettrait d’accéder directement à la remise, munis de la bonne clef. La pancarte au-dessus de nos têtes indiquait qu’il s’agissait d’une apothicaire, tout ce qu’il y avait de plus recommandable… et la Corbeau qui tenait cette échoppe vendait bien des potions et autres remèdes, mais elle était tout aussi capable de transformer toutes ces décoctions de manière bien plus létales. J’avais appris des meilleurs. Hareas suivrait la même voie.
Je rabattis ma capuche en arrière, tout en tenant la porte ouverte pour laisser Hareas pénétrer les lieux, avant de m’assurer de refermer derrière lui à double tour. Ma veste grise dégouttait encore au sol quand je passai la tête vers le comptoir, pour voir ma comparse affairée. La tenancière était en grande discussion avec une cliente et nous jeta à peine un coup d’œil, uniquement pour vérifier que nous n’attirions pas l’attention, et que nous étions bien les personnes qu’elle s’attendait à recevoir. D’un hochement de tête, elle me signifia que nous pouvions disposer de la remise comme nous l’entendions.
« Bien, où en étions-nous la dernière fois ? » Je me retournai vers Hareas en refermant la porte de la remise, pour que nous soyons tranquilles pour le moment. Toutes à mes réflexions, je fis le point. « Tu as déjà vu en détail les propriétés curatives de l’elfidée, alors je pense que nous pouvons voir ensemble celles, uniques, que confère le lotus sanglant. » Je lui désignai les tiroirs de l’apothicaire, pour le laisser trouver par lui-même ce que nous recherchions exactement. « Tu n’as pas le droit à l’erreur, maintenant que tu manipules des composants plus rares. » Le mis-je aussitôt en garde.
Mais sinon, pas de pression.
le corbeau fait son nid
Il était le premier arrivé au lieu de rendez-vous. Il n'y avait personne. Pas même un... chat ? Un félin passa lentement devant lui et, arrivé à son niveau, croisa son regard. Hareas plissa les yeux.
Aethra ?
Le chat s'assit face à lui et le fixa sans rien dire. Hareas se sentit un peu vexé. Quoi, c'est tout ? Il attendait là depuis cinq bonnes minutes. Il se baissa au niveau de l'animal silencieux et croisa les bras sur ses genoux, une expression sévère sur le visage. Le chat cligna des yeux, avant de lâcher un petit miaulement que l'elfe ne pouvait interpréter que comme un rire.
C'est pas drôle... Tu es en retard.
Ce faisant, il tournait le dos à la rue et ne vit pas arriver la vraie Aethra, qui n'était pas du tout un chat. Le Dalatien réfréna un sursaut en entendant sa voix. Il y avait du relâchement de sa part, peut-être dû à une méfiance généralisée pour l'espèce féline, en particulier quand celle-ci était également mage. Comment savoir qui se cachait derrière chaque chat ? Comment savoir si celui qui traînait au thaig était Aethra ou un squatteur de la première heure ? Ce dernier avait déjà essayé de manger la petite souris qui avait trouvé refuge derrière sa paillasse... Hareas se redressa en marmonnant un juron en dalatien.
Delltash...
Je t’ai fait peur ? reprit l'autre elfe, visiblement très fière d'elle.
Non, répliqua-t-il fermement devant son sourire amusé.
Ne baisse jamais ta garde.
Il ne répondit pas à cette évidence, encore vexé de s'être laissé avoir comme un débutant. Il était reconnaissant qu'Aethra prenne de son temps pour le former, mais il ne savait pas encore s'il préférait ses enseignements à ceux de Canisa. Avec l'une comme l'autre, il finissait par se ridiculiser. Et sa fierté dalatienne mal placée souffrait peu de se laisser surprendre, même dans un environnement qui lui était peu familier.
Tu me suis ?
Aethra tourna les talons et il la suivit en réajustant sa nouvelle cape sur sa tête. Il préférait la pluie à la chaleur écrasante du soleil de Voiréale, surtout en ville, où elle était particulièrement étouffante. L'été était l'une des rares saisons où il ne détestait pas le thaig. Pas au point de regretter de ne plus y dormir, cela dit, même si cette information était encore secrète. Il n'avait pas à se plaindre. Cependant, il ne put s'empêcher de retenir une grimace en voyant l'endroit où sa formatrice le menait. L'apothicaire. Minutieux et patient comme il l'était, Hareas aurait dû avoir un don avec les poisons. Ce n'était pas le cas. C'était même loin d'être le cas. Il s'avérait que trouver et doser les ingrédients d'une potion était plus difficile que cuisiner des champignons.
Hareas cligna des yeux pour s'adapter à la luminosité de la pièce et secoua la tête pour se débarrasser des gouttes qui étaient restées accrochées à ses cheveux. Aethra referma la porte de la remise derrière eux et lui présenta le sujet de l'exercice du jour. Il jeta un regard curieux aux tiroirs de l'apothicaire. Sans que la cueillette soit sa spécialité, il avait passé beaucoup de temps à ramasser des plantes comestibles ou médicinales avant d'arriver à Starkhaven – ne serait-ce parce qu'il n'y avait personne de plus qualifié que lui pour le faire, et qu'il devait bien survivre. Mais identifier une plante dans son élément naturel n'avait rien à voir avec ce qu'on lui demandait de faire aujourd'hui. Les plantes qui étaient récoltées par l'apothicaire étaient souvent traitées, découpées, écrasées, pour l'utilisation souhaitée. Sur l'étagère d'un ou une potionniste, une elfidée n'avait souvent rien d'une elfidée, sinon la couleur (vaguement) et l'odeur.
Tu n’as pas le droit à l’erreur, maintenant que tu manipules des composants plus rares, ajouta sa formatrice, pour bien insister sur le sérieux de l'exercice.
Hareas fronça légèrement les sourcils.
Je comprends.
Les autres apprentis savaient sûrement faire la différence, et depuis longtemps, entre tous les composants de l'herbier du parfait petit assassin, mais lui... cela lui demandait plus de réflexion. Et c'était la partie facile. Aethra ne lui avait pas encore demandé de mélanger quoi que ce soit...
Hareas retira prudemment le lotus sanguin du tiroir en essayant de ne pas anticiper l'exercice pratique. Voyons, que savait-il au sujet de cette plante ? Il y avait plusieurs types de lotus. Celui qu'on appelait sanguin se trouvait toujours près de l'eau. C'était le moins rare. Il n'était pas très difficile à repérer, si les conditions à son développement étaient réunies. Et à quoi servait-il, déjà ? Pas à soigner, de cela, Hareas en était certain. Il se rappelait l'avoir entendu mentionner dans la composition d'explosifs – un sujet que sa formation n'avait pas encore abordé, à son grand regret. Tant qu'à enduire la point de ses flèches de quelque chose, le jeune assassin préférait que ce soit pour obtenir un résultat spectaculaire.
S'il ne souhaitait que tuer sa cible, il pouvait le faire en visant entre les deux yeux.
On va faire des trucs qui explosent ? demanda-t-il, plein d'espoir.
Un apprenti peut rêver.
Hareas se débrouille en Commun en #cb4154 et parle Dalatien en #8fbc8f.
« Tu ne m’as tout de même pas confondu avec ce chat ? » Je ne pouvais pas m’empêcher de le questionner à ce sujet, une fois à l’abri des regards. C’était même à ce point difficile de contenir mon sourire. « Tu lui… parlais ? » Insistai-je, sur le ton de la taquinerie. Le ton ferme et définitif de l’apprenti ne faisait que me donner davantage envie de le titiller à ce sujet, à l’image d’une grande sœur qui éprouvait l’envie irrésistible d’embêter son cadet. Qu’il soit vexé ne m’apportait que plus de satisfaction encore, m’incitant à poursuivre. « Vraiment, tu lui parlais ? »
Peut-être que je faisais exprès de le déconcentrer, alors qu’Hareas affichait cette mine soucieuse et sérieuse, tout à ses réflexions. Il cherchait le bon tiroir du regard. Je savais très bien lequel c’était, pour ma part. Mieux valait qu’il ne me regarde pas, sinon je me ferais un malin plaisir de brouiller les pistes pour lui insinuer le doute, ou pire, reprendre mes taquineries à son égard.
Presque avec déception, je le vis s’emparer du bon ingrédient pour préparer la décoction du jour. « Exact. C’est bien le lotus sanglant. » Je ne pus réprimer un sourire amusé à le voir les étoiles briller dans ses yeux, à l’idée même de faire des trucs qui explosent. Hareas m’apparut subitement bien plus jeune qu’il ne l’était vraiment. On n’aurait pas dit que seulement quelques années nous séparaient. Il était encore impulsif. « Ça t’intéresse tellement ? »
Sur l’établi reposait tous les ustensiles nécessaires pour réaliser la décoction souhaitée. Je lui désignai, avant de surenchérir : « Et bien… non. Le lotus sanglant est très utile dans bien des situations. A quoi te servirait de faire exploser quelque chose, Hareas ? » J’espérais qu’il me servirait la bonne réponse. A mes yeux, il n’en existait qu’une seule en tant qu’assassine. Je repris aussitôt : « Mélangé à de la résine, il permet de ralentir nos ennemis pour couvrir notre fuite. Mélangé à de la viveracine, il apporte la confusion dans leurs rangs. Et, enfin, simplement enduit sur nos lames ou nos flèches… c’est un puissant poison qui peut causer la mort. Parfois, il suffit juste d’une entaille pour que le travail soit fait. » Malheureusement pour lui, nous ne ferions rien exploser aujourd’hui. « Choisis à quoi nous allons l’employer aujourd’hui. » S’il comptait s’essayer au feu antivan avec, j’espérais qu’il n’allait pas me mettre le feu à toute la remise…
le corbeau fait son nid
Hareas n'avait pas encore décidé s'il appréciait Aethra ou pas. Pour commencer, c'était une mage. Il fallait toujours se méfier des mages, bien que les shemlens et leur Chantrie avaient une façon bizarre de les traiter, ils avaient raison sur ce point. Même les Dalatiens se montraient prudents. L'Archiviste ne prenait toujours que deux apprentis, ce n'était pas pour rien. Ensuite, Aethra était aussi partiellement un chat. Hareas ne comprenait pas très bien comme cela fonctionnait, et à quel point la part chat était importante, mais il n'aimait pas les chats, ce qui n'était pas un bon point pour Aethra. Cela dit, il était entré chez les Corbeaux pour apprendre, pas pour se faire des amis, alors tout ce qu'il ressentait vis-à-vis de sa mentor aurait pu passer complètement au second plan... si elle n'insitait pas aussi lourdement sur la partie chat.
Oui bon y'a pas besoin de répéter dessus hein... marmonna l'elfe sans la regarder.
S'ils avaient été en plein jour, et pas dans une ruelle obscurcie par le ciel, on l'aurait clairement vu rougir.
Il avait vraiment décidé de passer au-dessus de cette rencontre ridicule, mais Aethra ne semblait pas décidée à le lâcher avec ça. Il sentait qu'il allait en entendre parler pendant des jours au thaig. C'était trop stupide pour ne pas tenir tous les Stazzo au courant. Les raisons de rire manquaient un peu ces derniers temps...
Hareas se reconcentra sur sa tâche et fut satisfait d'identifier correctement la plante. Il faisait honneur à ses origines ainsi. Un peu. C'était un domaine dans lequel il avait appris sur le tas, et il était rassuré de l'approfondir dans sa formation avec les Stazzo. Même si ce n'était pas ce qu'il préférait faire. On aurait pu croire que des assassins vous apprenaient à assassiner, mais en fait, ils passaient plus de temps à vous apprendre à apprendre à assassiner. Ce qui n'était pas la même chose. Il y avait beaucoup moins d'action. Et pas assez d'explosions au goût d'Hareas.
J'ai jamais fait, dit-il pour justifier sa curiosité.
Il essaya de ne pas laisser transparaître sa déception (peine perdue) et se promit de poser plus de questions sur les explosifs quand ils en auraient fini avec l'exercice du jour. Il voyait des tas d'utilisation aux explosifs, même si aucune n'était discrète. Par exemple :
Tuer plus de gens en un seul coup.
Avec une flèche, on ne pouvait viser qu'une seule personne. À moins d'avoir un bras en acier et deux victimes alignées l'une derrière l'autre évidemment... En enduisant la pointe de sa flèche de poison, on pouvait tuer plus rapidement. Et en y ajoutant un mélange explosif... Cela pouvait faire une bonne diversion, sûrement. Mais il devait y avoir des outils plus appropriés à ce dernier cas de figure. Aethra les énuméra d'ailleurs. Sa conclusion sur les lames et le poison était particulièrement intriguante aux oreilles de l'elfe, car il se battait assez rarement au corps-à-corps. Il n'aurait pas envisagé d'enduire ses flèches d'un poison mortel, mais sur sa dague d'assassin, cela lui semblait déjà plus naturel. Cependant, pour une raison qu'il ne s'expliquait pas encore, cette idée le mettait mal à l'aise.
Il hocha tout de même la tête, élève attentif. Faire son choix parmi les trois propositions de sa mentor ne lui prit pas beaucoup de temps ; il y avait un autre ingrédient qu'il connaissait bien parmi ceux qu'elle avait énumérés.
La viveracine. J'ai jamais entendu dire ça.
Il était intéressé de savoir comment un mélange pouvait embrouiller les ennemis, c'était peut-être l'hypothèse la plus mystérieuse à ses yeux. Hareas ne s'en faisait jamais trop quand il s'agissait de fuir, car il courait assez vite et n'avait jamais eu besoin de ralentir ses poursuivants, quant au poison... Ah, oui. Peut-être voyait-il ce qui le gênait dans le concept. Il parcourut du regard les outils préparés sur l'établi. Il en frôla un avant de retirer sa main, hésitant.
Le poison dont tu parles... Il tue vite ?
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Je pouffai un rire à l’entendre marmonner de vaines protestations à mon égard. Le taquiner m’amuser bien trop pour que je me prive de ce petit plaisir. Hareas avait déjà détourné le regard, sans doute un peu honteux de sa méprise. « Il m’a confondue avec un chat errant ! » Insistai-je. Dommage pour moi, mais heureusement pour lui : aucun des nôtres n’était présent pour m’entendre en rire.
Je fus bien obligée de retrouver mon sérieux quand il fut l’heure de débuter sa leçon du jour. Je sentais son impatience à vouloir en découdre, ce qui avait la fâcheuse tendance à lui faire perdre sa concentration. Je ne dis pourtant rien, car le dalatien ne renia pas ses origines pour autant. Il trouva sans peine les ingrédients nécessaires à notre décoction. Mais puisque l’apprenti assassin avait envie de faire exploser des choses, je l’interrogeai ouvertement à ce sujet sans jugement. Et… sa réponse parvint à m’arracher un sourire. « Tu as encore beaucoup à apprendre sur l’art de la discrétion. J’aurais plutôt tendance à utiliser des explosifs pour créer une diversion efficace, de quoi subtiliser discrètement des documents importants sans que personne ne me remarque, ou assassiner ma cible en faisant passer ce meurtre pour un simple accident suivant la cacophonie générée. C’est un peu plus difficile de justifier de faire exploser la cible et que ce soit accidentel pour couvrir ses traces… » Je le laissais méditer là-dessus.
Je lui offrais l’opportunité de découvrir bien d’autres alternatives pour commettre un meurtre en bonne et due forme, sans se faire remarquer. Là où j’éprouvais mes limites était qu’Hareas se servait bien plus souvent de son arc là où j’affectionnais tout particulièrement mes dagues. J’avais toujours recherché le contact quand lui préférait la sécurité de la distance.
Mon sourire en coin lui certifia qu’il avait fait le bon choix avec la viveracine. « J’adore utiliser ce mélange pour profiter du chaos qu’il génère dans son sillage. » Je notais néanmoins son attirance pour les solutions qui étaient les plus… difficiles à contenir. Je sentais qu’Hareas ferait ses premiers pas dans l’assassinat de façon remarquable… et probablement remarqué. « Trouve la viveracine et écrase-les ensemble. Je vais te montrer comment en faire une solution efficace. Tu pourras même peut-être la fixer à une de tes flèches. » Je ne lui donnais aucune recette, préférant lui énumérer moi-même les étapes. Je n’avais rien appris dans les livres et tout de mon maître.
Face à ses réticences, j’avais cru qu’il ne me reparlerait pas du poison, mais sa curiosité prenait le pas sur le reste. « Il tue lentement, mais sûrement. Il y en a d’autres plus rapide pour tuer d’une simple entaille en quelques secondes… et d’autres encore qui sont invisibles, mais distillés pendant des mois, peuvent faire passer la cible pour simplement malade avant de l’achever. A chaque mission, une approche différente peut être utilisée. J’ai une préférence pour le curare sur mes lames, qui m’assure de les paralyser. Tout simplement parce que… tu as le choix ensuite. » Une cible à sa merci permettait de décider de son sort avec toutes les cartes en main, n’est-ce pas ?
le corbeau fait son nid
La discrétion était une qualité essentielle tant chez un assassin que chez un chasseur dalatien. Si Hareas la maîtrisait quand il traquait un animal dans la nature, c'était autre chose en ville. Suivre les shemlens ne nécessitait peut-être pas d'avancer contre le sens du vent - ils avaient un odorat déplorable - mais cela présentait des difficultés inattendues. Déjà, isoler sa cible pouvait s'avérer délicat. Les shemlens étaient des animaux sociables. Ensuite, contrairement aux lapins, ils reconnaissaient de loin les elfes et les Dalatiens. Ils se méfiaient toujours avant même que vous ayez agi. Il fallait faire preuve de... subtilité. Oui. Exactement la qualité qui avait manqué à Hareas toute sa vie.
Conscient de cette faiblesse, il écoutait attentivement les explications d'Aethra sur la façon d'utiliser à bon escient une explosion. Pas directement pour tuer, noté. L'elfe hocha la tête, une expression pensive sur le visage. Il se demandait si créer de faux accidents pour éliminer une cible était plus difficile que cela paraissait l'être. Son intérêt refit surface quand Aethra approuva son choix.
J’adore utiliser ce mélange pour profiter du chaos qu’il génère dans son sillage.
Hareas sourit. D'accord, ce n'était pas une explosion, mais ça avait l'air amusant.
Ça aide à éloigner les gens, alors... Comme l'explosion, mais moins bruyant. Il avait retenu ce qu'elle venait de lui expliquer. C'est mortel aussi ?
Hareas chercha dans les tiroirs les longues tiges vertes aux feuilles pennées caractéristiques de la viveracine. Il trouvait décidément l'exercice plus facile quand la plante était dans son élément naturel. Il était rassuré qu'Aethra l'accompagne pas à pas dans la confection du mélange, au lieu de le laisser se débrouiller seul ; ou pire, de lui coller un livre sous le nez. Qu'en aurait-il fait ? Il déchiffrait très mal le commun, et n'était pas franchement meilleur en dalatien. C'était sûrement mieux aussi de transmettre ce genre de connaissances oralement, plutôt que d'en garder une trace écrite. Pas le genre d'informations que l'on voulait voir entre de mauvaises mains.
Et puisque Hareas devait faire fonctionner sa mémoire pour ne rien omettre, l'exercice était aussi bon pour ses mains que pour son esprit. Il tenta de visualiser les différents poisons dont sa mentor lui parlait, leurs effets et l'intérêt d'utiliser une substance qui agissait rapidement, contre celles qui permettait de tuer sa cible plus lentement. Cela n'apaisa pas le malaise qu'il ressentait, mais il comprenait ce qu'Aethra lui expliquait et surtout, il était capable de cerner précisément ce qui le gênait.
D'accord, je vois. C'est utile pour la mission. Un bon assassin était efficace, et efficace ne voulait pas toujours dire rapide. L'apprenti le comprenait, mais il ne pouvait pas s'empêcher de s'interroger. Ça t'embête pas de tuer lentement ?
Il trouva enfin la viveracine et la sortit du tiroir dans un mouvement vif, presque triomphal, avant de le déposer à côté du lotus sanglant. Il avait hâte de préparer le mélange ; non, surtout, il avait hâte de voir s'il pouvait y arriver et si le résultat serait efficace. Est-ce qu'ils allaient l'essayer ?
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Le sourire inscrit sur le visage du Dalatien me confirma que l’idée lui plaisait également. « Comme l’explosion, mais moins bruyant oui. » Lui confirmai-je dans un hochement de tête. « Et… non, ce n’est pas mortel. Ça plonge uniquement les victimes momentanément dans la confusion. » Ce qui était charitable pour éviter les dommages collatéraux mais… pouvait également éveiller les soupçons. Comment justifier que tous les gardes en faction aient subitement perdu l’esprit durant quelques minutes, et que la personne qu’ils défendaient aient fini décéder ? « Tu gagnes du temps avec ça, sans te faire voir. L’action est plus définitive qu’un simple fumigène, s’il y a des blessés. » C’était surtout ce qu’il fallait retenir.
Je n’étais pas au courant qu’Hareas peinait avec les livres, comme lui ne savait pas qu’il en était de même pour moi. J’avais appris essentiellement par la transmission orale, alors je lui répétai quasiment mot pour mot tout ce que Vincenzo m’avait appris lui-même à l’époque. Dans un certain sens, Hareas me rappelait celle que j’avais été à mes débuts. Il avait le même empressement… et la même volonté d’apprendre. « Pourquoi tu as choisi cette voie, Hareas ? » L’interrogeai-je sans détour, entre deux consignes données. Est-ce que je cherchais à le déstabiliser pendant sa préparation ? Peut-être. Ou alors, je me posais vraiment la question.
Je restais les bras croisés à le regarder faire. Il avait une mémoire visuelle et se repérait beaucoup avec l’apparence des plantes. Ça ne m’étonnait pas tellement si on prenait en compte ses origines. Il avait vécu hors de ces murs, non ?
Je lui lançai subitement un regard froid et détaché, alors qu’il m’avait amené à me souvenir de mes précédents forfaits. « Tu as déjà eu à tuer ? »
le corbeau fait son nid
Le résultat du mélange qu'ils préparaient lui convenait très bien. La confusion. Moins définitif que la mort, plus efficace qu'une explosion de fumée.
Tu gagnes du temps avec ça, sans te faire voir. L’action est plus définitive qu’un simple fumigène, s’il y a des blessés.
Oui, cette conclusion plaisait à Hareas. Il comprenait, au fil de son apprentissage, que toutes les missions ne se soldaient pas par la mort d'une cible. C'était... appéciable. Enfin, cela dépendait peut-être de la cible. Hareas n'était pas sûr d'en retirer une forme de plaisir. Simplement de la satisfaction. Comme quand on tend un piège et que cela réussit : le résultat d'un travail bien exécuté, ni plus, ni moins. Il hocha la tête, prenant bonne note de tout cela dans son esprit.
Pourquoi tu as choisi cette voie, Hareas ?
La question le prit au dépourvu. Le Dalatien s'était déjà entendu demander ce qu'il faisait parmi les Corbeaux, mais il s'agissait davantage d'appuyer sur la bizarrerie de sa présence que de cherche une vraie réponse. Peu de gens s'étaient déjà interrogé sur ses motivations. Ce qui, somme toute, l'arrangeait bien. Il avait rarement l'occasion de s'épancher sur ce choix. Même quand il était seul avec lui-même, il préférait ne pas se pencher sur tout ce qui l'avait mené sur cette voie. D'un point de vue extérieur, le résultat pouvait sembler bizarre, oui. Mais pour Hareas, c'était simplement le chemin naturel à emprunter. Le seul qui faisait sens alors. Il réfléchit en se penchant vaguement sur sa tâche, cherchant les mots adéquats.
Avant, j'étais chasseur, articula-t-il finalement.
Il était étrange d'en parler au passé. Hareas était toujours un peu chasseur. Mais plus pour son clan. Ce statut officiel, il l'avait abandonné.
Pour arriver ici, je suis passé de l'autre côté de l'arc.
Il plissa les yeux, pensif. Pas sûr que traduire littéralement ses pensées du dalatien au commun les rendaient plus claires, mais la métaphore lui semblait naturelle.
Et j'aime pas ça.
Ne plus être derrière l'arc mais devant.
Le chasseur chassé.
Tu as déjà eu à tuer ?
Il fixait toujours les ingrédients, comme s'ils allaient lui donner la réponse à la question. Elle était en réalité très simple.
Je tue depuis que je suis enfant. Les animaux, précisa-t-il.
Les Dalatiens avaient un grand respect pour la nature et toutes ses manifestations, sous quelque forme que ce soit. Et, oui, parfois cela impliquait la magie. La magie comme manifestation des éléments, du cycle de la vie et de la mort. On apprenait très tôt aux petits Dalatiens à respecter la vie et la mort. L'un n'allait pas sans l'autre. Chasser pour se nourrir était naturel, mais il fallait toujours remercier les dieux et l'animal.
Je pensais que devenir assassin serait pas plus difficile. Une vie, c'est une vie. Mais c'est pas du tout pareil.
Ici, il ne remerciait ni les dieux, ni les cibles. D'ailleurs, Hareas n'avait encore jamais eu à tuer pour les Stazzo. Mais il connaissait la différence. Il s'était attiré assez souvent des ennuis en dehors de son clan pour que la réponse lui soit apparue de façon très pragmatique un jour. Hareas soutint le regard distant d'Aethra, encore un peu dérangé par le souvenir. Même s'il avait dû tuer pour se défendre, il n'en conservait aucune fierté.
C'est pour ça que je voudrais tuer rapidement. Je le ferais pour n'importe quel animal.
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Je l’observai en silence, tandis que le jeune apprenti broyait les herbes ensemble pour arriver au résultat tant attendu. J’appréciais sa façon de choisir soigneusement ses mots, comme on économise ses flèches pour atteindre sa cible finale. Les mots pouvaient parfois être aussi tranchants qu’une lame. « Tu es toujours un chasseur, Hareas. Tes proies sont simplement différentes. » Je ne voyais aucune différence entre le chasseur et l’assassin. Les deux fauchaient des vies et côtoyaient suffisamment la mort pour lui vouer un respect certain.
Je fronçai les sourcils quand il m’avoua avoir été du mauvais côté de la lame. « J’ai été traquée, moi aussi. Puis les Corbeaux m’ont recueilli… et j’ai arrêté d’avoir peur de ce que les autres pouvaient me faire, ou de ce que je pouvais faire aux autres. » La magie était un outil puissant, comme il le soulignait si bien. Au début, j’avais souvent eu l’impression de jouer les funambules dès que je devais m’en servir… mais les apostats sont comme des animaux sauvages. Beaucoup n’atteignent pas l’âge adulte, mais ceux qui le font… sont capables de résister à tout. « Les Corbeaux sont devenus ma famille, mon refuge. Et toi ? Tu n’avais pas une famille que tu as dû quitter ? » Contrairement à lui, j’étais arrivée sans rien. J’étais perdue, en manque de repères. Du peu que je connaissais des Dalatiens, ils vivaient en communauté bien loin de la cité. Était-il un paria parmi les siens ?
Je le détaillai sous un regard nouveau, alors qu’il me semblait qu’un fil tenu nous reliait désormais tout deux. Toute trace de taquinerie avait déserté mon visage. Je me surpris même à lui sourire un peu, alors qu’il se faisait moins réticent face à la magie qui parcourait mes veines. « Sauf qu’on choisit d’empoigner un arc. Je n’ai pas choisi la magie. C’est un don autant qu’une malédiction. » Lui soufflai-je à voix basse. « Mais j’ai su, avec le temps, en tirer mon propre parti. »
Et lui aussi comptait bien le faire, le moment venu. Je pouvais lire de la détermination mêlée à une certaine impatience dans son discours. « Non, ce n’est pas pareil. Tu pourras avoir des missions où il suffira uniquement de faucher une vie rapidement, et d’autres où tu devrais faire passer cette mort pour accidentelle. Il arrive également parfois que nous devions seulement nous infiltrer quelque part pour voler ce que notre cible convoite, ou obtenir des informations compromettantes. Mais les chasseurs et les assassins ont deux qualités en commun : la patience et la discrétion. » Je ne doutais pas qu’il finirait par trouver, lui aussi, sa propre voie. « Mais si tu brûles tant d’impatience de te mettre au travail, allons tester cette décoction. »