Type de RP classique
Chapitre concerné chapitre 3
Date du sujet 8 Réconfort, 5:13
Participants @Elendîs, Lachlann Vaël
TW mentions de la guerre des rats, à venir
Résumé Après les événements du 28 Justinien et après avoir enquêté sur le passé de Dîs, Lachlann l'invite dans un coin tranquille qui n'est pas le Laurier Carmin.
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>8 réconfort</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1891-elendis-elendis">Elendîs</a></li></ul><p><u>Elendîs, Lachlann Vaël</u> Après les événements du 28 Justinien et après avoir enquêté sur le passé de Dîs, Lachlann l'invite dans un coin tranquille qui n'est pas le Laurier Carmin.</p>[/code]

Les quelques lignes cryptiques d’une plume élégante qu’Elendîs reconnaissait désormais par cœur l’avaient tétanisée.

Le retrouver… En dehors du Laurier…

Si elle n’avait pas eu une telle maîtrise d’elle-même, elle se serait taper la tête dans les murs et aurait hurlé sa frustration, les pires scénarios se succédant dans son esprit. Il savait. Non. Il était furieux après les événements de l’exécution, pour avoir eu l’impudence de l’interpeler en public, pour avoir fermé la porte sur ces dizaines et dizaines de mains tendues, pour - Non, pire. Les deux. Raaah.

Elle avait longtemps hésité… Il savait pourtant qu’elle ne sortait pas du Laurier sans Miche. Ou Yara à l’occasion. Mais Dîs pouvait aussi comprendre qu’il ne puisse s’approcher de l’établissement après le scandale qui était encore si frais dans les mémoires. Lui avait-il donc demandé de le retrouver à l’extérieur parce qu’il n’avait plus aucune considération pour elle ou parce qu’il voulait vraiment la voir?

Gné.

Le doute, la peur et l’anticipation la rendaient folle, tellement que certains avaient remarqué sa distraction la veille. L’Elfe avait donc revêtu des vêtements de ville, bien différents de ce qu’elle portait au travail: une robe plus épaisse et moins révélatrice était recouverte d'une cape dont elle avait relevé la capuche sur ses cheveux relâchés pour masquer au mieux ses oreilles effilées.

Elendîs était morte de trouille, c’était un fait. Tout dans cette situation lui mettait les nerfs à vif. Sortir seule, retrouver Lachlann sans savoir la raison de cette invitation, sans avoir aucune idée de ses intentions,… Mais il ne lui ferait pas de mal, pas vrai?

Ysna l’avait accompagnée jusqu’à la porte, dubitative et inquiète, une expression qui ne la quittait d’ailleurs plus depuis qu’elle lui avait remis la courte missive. Mais l’Elfe tenta de la rassurer d’un regard et se mit en route, la boule au ventre. Quittant le Goldhead, elle s’orienta dans Sullenhall, demandant parfois discrètement son chemin, jusqu’à l’établissement désigné. La Pierre grise.

La vieille tenancière leva à peine la tête quand elle s’approcha et Dîs hésita. L’Enchanteur n’aura probablement pas donné son identité, non… Mais celle de son invitée, par contre...
« Bonjour. Je suis Dîs, je- »
« Les combes, la porte du fond! », vint la réponse un peu sèche, qui la fit sursauter malgré elle.

La jeune courtisane ne s’en formalisa pas et se faufila dans les escaliers, montant les marches qui la menèrent au dernier étage et, enfin, devant ‘la porte du fond’.
Elle s’arrêta un moment. Son coeur battait à tout rompre, et cela n’avait rien à voir avec sa course dans les escaliers.

Il sait, il sait, il sait se répercutait sans cesse dans ses pensées, mais Dîs toqua brièvement avant d’entrer sans attendre de réponse, préférant ne pas rester bêtement debout dans le couloir. Elle voulait mettre un terme à l’angoisse qui l’étreignait depuis qu’elle lui avait malencontreusement révélé son vrai nom, angoisse qui n’avait fait que s’aggraver depuis… ça. Mais elle voulait aussi s’assurer, peut-être pour la dernière fois, de ses propres yeux qu’il allait bien, qu’il avait échappé à la foule sans une égratignure.

Venir jusqu’ici lui avait déjà coûté beaucoup d’efforts… Ouvrir cette porte également. Mais lever les yeux sur Lachlann lui sembla insurmontable. La beauté du lieu à ciel ouvert lui échappa complètement alors qu’un « Messer… » un peu étranglé lui échappa en signe de salutation. Oh, bon sang, dans quoi c’était elle fourrée encore… Un brin de tension supplémentaire et elle allait tourner de l’oeil, c’était sûr…

Quelque chose avait changé, Elendîs pouvait le voir et le sentir, dans le regard et l’attitude du mage.  Mais il n’était pas furieux. Il n’avait même pas vraiment l’air fâché.

C’était déjà une bonne chose et la jeune Elfe s’obligea à contrôler sa respiration en des bouffées d’air moins erratiques. Elle tenta également de se concentrer sur la voix chaude qui  parvenait d’ordinaire à l’apaiser et dont le ton égal ne présageait rien de bien dangereux. Pendant un bref instant, Dîs s’autorisa même à espérer que cette discussion soit seulement le fruit des événements du 28 passé, une rencontre pour faire le bilan de cette horrible journée et de ses impacts sur le Laurier.

Mais elle n’était pas naïve au point de croire que ce serait tout, remarqua-t-elle alors qu’elle faisait quelques pas dans la pièce en rabattant sa capuche. Non, il y avait autre chose. Était-elle sûre de vouloir savoir? Peut-être devrait-elle juste profiter de ce moment de calme pendant qu’il durait?

« Le trajet s’est bien passé, Messer, merci. Je comprends, ne vous inquiétez pas. Je ne connaissais pas cet endroit mais une dame m’a gentiment renseignée. »

Elle avait fait profil bas, bien sûr, jusqu’à ce que les indications d’Ysna aient atteint leurs limites.

Les remerciements la surprirent alors et ses yeux d’émeraude, qui avaient commencé à découvrir l’endroit, se dardèrent sur l’Enchanteur supérieur.

Devait-elle lui dire? Qu’au final, elle n’en avait eu rien à faire, de sa famille? Que c’était Vera et lui qu’elle avait voulu protéger? Que le fait que sa famille, nonobstant le fait qu’il s’agisse de la famille régnante, se soit trouvée dans les épargnés n’était qu’un bonus? Et que depuis, elle dormait à peine, les bruits des piétinements, des chocs contre la porte et des cris qui résonnaient toujours en son être, la tenant éveillée jusque tard dans la nuit, jusqu’à ce que l’épuisement l’emporte?

Ses tremblements s’intensifièrent légèrement mais elle agrippa le dossier d’une chaise pour tenter de le masquer.

La culpabilité l’empêchait de dormir, oui… Mais pas vraiment celle d’avoir abandonner ces malheureux à leur sort, non… C’était plutôt le fait de n’avoir aucun regret qui la tourmentait. Si elle devait recommencer… Les vies de Lachlann et de Vera contre des dizaine d’inconnus… Elle recommencerait. Mille fois, elle recommencerait.

« Les remerciements ne sont pas nécessaires, mon Seigneur. Je suis ravie que vous et votre famille soyez sains et saufs et j’espère que votre père s’est remis de la commotion. »

La courtisane était aux premières loges, quand le Prince était tombé, bien qu’elle ne soit pas encore parvenue à identifier la compassion qui lui avait étreint le cœur à ce moment-là. Était-ce lié au Prince et à son rôle? À Lachlann? À sa tendance naturelle à l’empathie? Ou au trois?

Quant au Laurier…

« Tout le monde… va bien, quand on considère ce qui s’est passé et la tournure que les événements auraient pu prendre. Vera est sur tous les fronts… Les affaires sont ralenties… Et la plupart des filles ont très peur. »

Tellement peur que le dortoir se transformait, la nuit, les filles se regroupant sur les matelas, parfois à même le sol, à la recherche de réconfort et de protection. Dîs ne savait pas si c’était la même chose du côté des garçons mais, pour les courtisanes, c’était comme si, chaque soir, elles s’attendaient à voir la foule en colère descendre sur le Laurier pour leur faire payer. Mais payer quoi au juste?

Dîs en faisait également partie: et si le Laurier était finalement mis à sac?

Un nouveau frisson la parcourut. Elle se sentait beaucoup trop à découvert dans cet endroit inconnu et si ce n’était la présence toujours rassurante du mage, elle aurait déjà tourné les talons. Ce mage pour lequel elle s’était inquiétée sans pouvoir recevoir (ou même demander) de nouvelles…

« Vous avez pu rentrer en toute sécurité, j’espère? Vous n’avez pas eu de soucis? »

Seul dans un bordel, sans Templier en vue… La réalisation l’avait effrayée alors mais, certainement, les circonstances avaient dû jouer?

Elendîs n’avait jamais été certaine de la pertinence de son interpellation ce jour-là mais l’insistance de Lachlann à vouloir la remercier lui réchauffa un peu le cœur. Dans la confusion du moment, le mage avait reconnu sa voix et bien compris que c’était à lui qu’elle s’adressait. Il lui avait fait confiance et une simple apostrophe avait suffi à le mettre en sécurité. Tant mieux.

Elle força donc un sourire crispé sur ses lèvres charnues, acceptant les remerciements avec toute la grâce dont elle était encore capable. Elle maintint également le sourire à la mention de Vera, accompagné d’un léger hochement de tête. Oui, Vera s’en sortirait. Et elle était certaine que si elle le pouvait, Vera sauverait chaque travailleur du Laurier avec elle. Mais lui en laisserait-on la possibilité au final? Vera… Vera ne pouvait pas sauver tout le monde. Ce n’était pas juste de mettre ce poids sur ses épaules.

« Quand je vous ai vu sans Templier après ce qui s’était passé, j’ai craint… » Elle ne termina pas sa phrase. Même la sœur de l’Enchanteur au regard foudroyant n’était plus dans les parages. Mais il avait trouvé un Templier et put regagner le Cercle sans problème, c’était le principal.

« À se demander ce qui déclenche ces événements… Peut-être que vous devriez garder le Cercle à distance du Prince pendant quelques temps, qui sait… », tenta-t-elle, en essayant de glisser un brin de son humour habituel dans la remarque. La plaisanterie, ou plutôt sa tentative de désamorçage, n’était pas très réussie, elle s’en rendait bien compte. Mais elle luttait déjà suffisamment pour garder sa respiration sous contrôle, on pouvait difficilement attendre d’elle de l’humour de haut niveau.

Mais serait-il, lui, limiter dans ces déplacements après cette catastrophe, ce scandale ? Ses sourcils se froncèrent à cette pensée. Enfin, cela ne l'impacterait elle que s'il acceptait encore de la voir...

Alors... Devait-elle crever l’abcès, maintenant? Le ferait-il, si elle ne lançait pas le sujet?

Lachlann n'avait en tous cas pas l’air de vouloir en parler de lui-même. Il ne donnait pas non plus l’impression de tourner autour du pot. Si ce n’était le sujet qui prêtait à la gravité, leur conversation n’était pas bien différente des précédentes. Sauf qu’ils n’étaient pas dans un lit, même simplement assis, côté à  côte, pour une fois. Mais parfois, quand il détournait le regard et posait à nouveau les yeux sur elle, elle y voyait une étincelle qui n’y était pas avant. Comme s’il la voyait autrement ou pensait à quelqu’un d’autre.

Parce qu’il pensait à Elendîs, et pas à Dîs, pas vrai?

« Vous êtes allé au Bascloître, mh? »

Pas de colère dans son ton, elle ne le lui reprocherait certainement pas. Elle avait bien failli le supplier de ne pas suivre la piste, le jour où son nom lui avait échappé, mais elle ne l’avait pas fait. Elle avait déclenché cette chaîne d’événements et il était temps d’y faire face. Elle espérait par ailleurs que sa question soit suffisamment vague pour être détournée s’il n’y était pas allé et si l’étrangeté de son comportement était liée à autre chose.

Les mains toujours fermement agrippées au dossier de la chaise, Elendîs attendit donc le couperet.

Les bras d’Ithildir lui manquaient. Dîs se languissait de cette étreinte naturelle dans laquelle elle pouvait tout abandonner, angoisses, doutes comme responsabilités. Et les récents événements n’avaient fait que renforcer ce besoin.

La main posée sur son bras, en soutien et réconfort supposa-t-elle, fut donc la bienvenue. Venant de n’importe quel autre homme, surtout dans cet état de stress, elle se serait probablement crispée ou braquée. Mais elle ne bougea pas, que du contraire. Ses mains se desserrèrent et elle leva ses yeux d’émeraude vers le mage.

Le contact appela également une autre réflexion qui lui avait échappé jusqu’à présent. Il ne lui avait pas traversé l’esprit précédemment qu’il l’ait faite venir pour qu’elle fasse son travail.  Tenu à distance du Laurier par le scandale et les convenances, la demande ne serait pas étrange ou déplacée. Qu’importe l’entente qui s’était installée avec Lachlann, elle restait une professionnelle, capable de faire la distinction.

Mais il était donc bien allé au Bascloître. Dîs n’avait donc plus aucun doute. La coïncidence serait bien trop évidente pour qu’il se soit rendu au Bascloître pour une toute autre raison alors qu’elle avait laissé tomber la dernière miette dont il avait besoin pour suivre la piste et enfin compléter le casse-tête.

Mais pourquoi ne voulait-il pas en parler et déflectait-il la question? Pourquoi ne s’énervait-il pas? Pourquoi ne lui reprochait-il pas ses dissimulations ?

« Le vhenadahl, oui… Impressionnant, c’est le mot. Même si ça fait bien des années que je ne l’ai plus vu. »

Six ans, pour être exacte. Six longues années. Et voilà que c’était elle, qui tournait clairement autour du pot. Mais elle ne voulait pas. Elle ne voulait plus lui cacher des choses. D’autant qu’elle lui avait promis, un jour pas si lointain, de ne jamais lui être déloyale. Belle réussite. Les remords lui pesaient trop et elle était venue pour en terminer avec eux… Il savait et elle ne voulait pas s’enfoncer dans plus de fausseté. Les larmes aux yeux, elle lui présenta donc ses excuses.

« Je suis désolée… Je ne voulais pas… Je ne voulais pas vous mentir. Mais c’est le seul moyen que j’ai trouvé pour me protéger, pour que Dîs puisse survivre. Elendîs devait disparaître… Mourir même, peut-être… Qu’on l’oublie… »

L'Elfe avait baissé la tête au début de son semblant d’explications mais elle la releva, cherchant ses prunelles de glace des siennes.

Elle n'avait jamais vraiment menti en réalité, puisqu'elle n'avait jamais donné de fausse information. Elle n'avait juste pas toujours donné toutes les informations.

Comprendrait-il? Écouterait-il ce qu’elle avait à dire? Il devait avoir tellement de questions…

« Pardonnez-moi… », termina-t-elle, comme une supplique.

Ce n’étaient pas les bras d’Ithildir mais l’étreinte de Lachlann ferait largement l’affaire pour le moment. Elle avait une valeur et une saveur bien différente, comme une victoire sur tous ces obstacles qui les séparaient et qu’ils avaient au final surmontés avec une facilité parfois déconcertante.

Elle rendit donc l’étreinte, une main se posant dans son dos et l’autre contre son torse, un peu mollement toutefois. Depuis le temps, elle avait compris que ce genre de démonstrations n’étaient pas le fort du mage. Après sa première visite au Laurier, elle avait en effet très discrètement creusé auprès de ses collègues pour découvrir que le fait qu’il soit resté auprès d’elle et ait accepté qu’elle se love contre lui relevait déjà du miracle…

Alors oui, cette étreinte avait un saveur bien différente.

Les douces paroles la transpercèrent également, terminant d’apaiser la plupart des peurs que cette rencontre avait suscitées en elle, et une, puis deux larmes, s’échappèrent de ses yeux noyés. Et Elendîs pressa son visage contre le torse du mage, laissant le tissu absorber les traces de sa peine et de sa honte.

« Merci, Messer… Merci… »

Dîs savait que c’était stupide de sa part. Elle avait remarqué cette nouvelle habitude bien avant de rencontrer Lachlann déjà, avec d’autres personnes qui comptaient pour elle… Mais le fait était que depuis quelques temps, elle avait tendance à reporter ses angoisses d’abandon, initialement réservées à son jumeau, sur d’autres. Vera, notamment. Miche, aussi. Lachlann, maintenant.  Et il ne l’avait pas abandonnée.

« Je peux tout vous raconter. C’est la moindre des choses. »

Elle s’écarta légèrement, croisant son regard avec bien plus de détermination qu’elle n’avait montré depuis son arrivée.

« Je veux tout vous raconter. »

D’un pas en arrière, sa main restant posée sur le torse de l’Enchanteur pour ne pas paraître brusque et l’autre venant essuyer ses yeux, elle le libéra de l’étreinte.

« Le Créateur seul peut imaginer ce que ces gens vous ont dit… »

Probablement le pire: les élucubrations, les suppositions, les rumeurs,… La montagne de mensonges et d’horreurs qui avaient dû se construire autour de l’histoire de ce traître de Taralen et de sa toute aussi instable traîtresse de fille. C’était déjà une merveille qu’il soit venu après avoir entendu toutes ces calomnies, elle n’allait pas le laisser repartir avec…

Détachant sa lourde et encombrante cape et dévoilant ainsi la simple robe gris perle qu’elle portait dessous, idéale pour passée inaperçue, Elendîs s’avança un peu plus dans la pièce pour déposer le vêtement au pied du lit. Elle prit également pour la première fois le temps et l’énergie d’observer l’endroit. Rien à dire, c’était… original, une chambre à ciel ouvert…

Alors…

Ça risquait d’être long…

Elle s’assit sur le lit comme elle en avait pris l’habitude avec lui, un peu n’importe comment, lui laissant le loisir de faire comme il le souhaitait: la rejoindre ou pas. En soit, il était tout aussi possible qu'il ne veuille pas l'écouter... Elle passa toutefois sa main sur son visage, espérant faire disparaître les dernières marques de sa toute petite crise de larmes.

« Par quoi voulez-vous que je commence? Mon père le Hahren, ou mon frère le Mage? » La première proposition les avait menés ici, mais c’était la seconde qui l’avait d’abord intrigué, pas vrai? Ses questions maladroites qui avaient sous-entendu qu’elle avait un jour connu un mage…

L’attitude de Lachlann ne la dérangea pas le moins du monde. Elendîs comprenait et garda pendant quelques instants un silence absorbé alors qu’elle collectait ses souvenirs.

« Mh… Vous me croyez si je vous dis que c’est la première fois que je vais parler de tout ça à quelqu’un? »

Elle eut un doux sourire. Elle aimait autant… qu’il soit celui qui recueillait enfin sa version et elle tenait à ne rien oublier. Puis elle se lança, presque comme si elle s’était apprêtée à plonger dans un lac glacé. Et c’était un peu le cas, vu qu’aucun de ces souvenirs n’amenait de sentiments particulièrement positifs.

« Mon père et mon frère m’ont longtemps protégée, peut-être à outrance diront certains, de tout et de rien… J’ignorais les parts les plus sombres de notre société, et ça n’a rendu la chute que plus difficile. »

Son sourire s’estompa immédiatement pour se déformer légèrement, presque ironique. La chute, il savait très bien où elle l’avait menée.

« J’entendais parfois mon père parler de choses… bien compliquées pour moi à l’époque. D’Etat dans l’Etat, de gouvernance des Elfes par les Elfes,… mais j’étais tenue à distance de ces discussions et la notion de pots-de-vin m’était totalement inconnue. Je mettais notre niveau de vie, il est vrai supérieur à celui de nos voisins, sur le compte des dons que nous recevions régulièrement de la communauté du fait de la position de Père. Parce que pendant très longtemps, mon père n’a été que cela: de grandes paroles et peu d’actions. Il acceptait de détourner le regard pendant que les criminels, censés affaiblir le Conseil, pullulaient sous son nez. Mais il ne participait pas. »

Elle prit une profonde inspiration. Venait le morceau le plus difficile pour elle, son frère, et elle fixa ses yeux sur la couverture pour débiter ses explications rapidement.

« Ithildir et moi sommes jumeaux… Sa magie s’est éveillée quand nous avions quatorze ans, quand il m’a sauvée de la fièvre. Je ne voulais pas le perdre, je savais ce que ça me ferait… Et Père… Père ne voulait pas perdre son petit prince, j’imagine. Alors nous l’avons caché. Pendant deux ans, nous avons tout fait pour que sa magie passe inaperçue. C’était tout ce à quoi j’arrivais à penser alors… Qu’on ne m’enlève pas mon frère. »

Une nouvelle inspiration, le regard toujours fixé sur la couverture, elle continua. Lui aussi, on l’avait enlevé à sa famille. Est-ce que ses sœurs avaient été aussi dévastées qu’elle à cette idée?

« Mais il est parti, quand nous avions seize ans. Et de la note qu’il a laissée, j’ai toujours cru qu’il s’était rendu au Cercle et que mon père m’avait interdit d’entrer en contact avec lui par pure rage. »

Elle releva alors les yeux sur Lachlann, les larmes de retour en bordure de ses yeux mais retenues par sa détermination de faire honneur à la confiance du mage.

« Ça m’a brisée. Sa perte, sa trahison, son abandon… appelez ça comme vous voulez… Le lien qui nous unit m’a physiquement fait mal pendant des semaines. Je ne me levais plus, je ne m’alimentais plus, j’arrivais à peine à penser… Et mon père m’a gardé en vie à sa seule force de caractère pendant tout ce temps. »

Difficile pour elle de réconcilier les horreurs que l’on racontait sur Taralen avec l’homme qui l’avait nourrie à la cuillère… Difficile pour elle d’admettre que derrière Taralen le Traître, elle voyait toujours l’image du héro qui l’avait remise sur pied avec tout l’amour d’un père.

« Il n’empêche que c’est le départ d’Ithildir, la perte de son héritier, qui l’a fait vriller semble-t-il. Jusque là, il semble qu’il s’était contenté d’encourager par le discours les comportements problématiques, et à recevoir des pots-de-vin, mais quand Thil est parti… Il aurait commencé à y participer activement. Je ne peux pas vous le confirmer, parce que je n’ai jamais su. Même après avoir récupéré de la perte de mon frère, je suis restée très fragile et mon père le savait… Il m’a toujours gardé à l’écart de tout, conduisant ses affaires à l’extérieur de la maison et m’ordonnant de rester dans ma chambre quand des gens venaient à la maison. »

Elle chercha à nouveau les yeux de glace, cachant à peine la culpabilité qui la suivait toujours depuis cette époque.

« Je suppose que si je suis coupable de quelque chose, c’est de ne pas… avoir été assez curieuse? Je me doutais… que certaines choses n’allaient pas. Mais je ne savais pas quoi, je ne savais pas comment, et j’avais terriblement peur de perdre mon père également si je le confrontais. Mais si je l’avais fait, peut-être… peut-être que j’aurais pu influer sur ce qui s’est passé. Peut-être… »

Elle s’arrêta. Les conjectures n’avaient plus de place. C’était trop tard.

« Quand la guerre a débuté, Père a été un des premiers à tomber en essayant de s’interposer. L’ampleur des événements m’échappait, je n’ai pas compris… ce qui se passait et en quoi c’était lié à lui. Jusqu’à ce que ces hommes me traînent hors de ma maison et brisent chaque os qu’ils pouvaient briser en me hurlant toutes les horreurs commises par mon père au visage. Père était parti trop vite que pour que les gens puissent décharger leur colère, et j’étais la complice toute désignée, je suppose. »

Dîs étendit brièvement ses mains devant elle. Il savait qu’elles étaient parfois douloureuses, elle lui avait notamment expliqué que c’était la raison pour laquelle elle ne pouvait pas écrire pendant longtemps. Il lui restait d’autres marques, disséminées sur sa peau d’albâtre. Toutes ne dataient pas de cette époque, mais peut-être les avait-il repérées. Maintenant, il savait pourquoi.

« J’ai été sauvée par une bonne âme et je n’ai plus jamais remis les pieds au Bascloître… », termina-t-elle, les yeux posés sur ses mains tremblantes.

Il la laissa parler sans jamais l’interrompre (le Créateur en soit remercié, elle n’était pas sûre de pouvoir reprendre le cours de son récit si elle avait dû l’arrêter) et Dîs se sentit étrangement soulagée, comme si un poids trop longtemps présent sur ses épaules s’était légèrement allégé.

« C’était stupide… et injuste. Mais une part de moi ne peut s’empêcher de comprendre. Le besoin de se venger, après avoir tant perdu… »

Ses mains se fermèrent et s’ouvrirent quelques fois, comme pour tester leur force et habileté retrouvées, avant de se poser sur ses cuisses pour en masquer les tremblements revenus, tant aux souvenirs de la débilitante douleur qu’à la nervosité appelée par la question de l’Enchanteur supérieur. Car la suite de leur entente dépendrait de sa capacité à croire ce qu’elle allait y répondre, pas vrai?

« Non… C’est tout ce pour quoi Ithildir m’avait mis en garde, rien de plus… Et l’idée de pots-de-vin me dérangeait déjà suffisamment comme ça. Je n’ai jamais rien vu ou entendu qui aurait pu me faire penser autre chose. Les pots-de-vin m’intriguaient, en soit. Pour quoi? De qui? Et si j’avais été une fille désobéissante, je suppose que j’aurais pu… entrer dans son étude, fouiller dans ses papiers, écouter aux portes,… et découvrir le pot aux roses. Mais j’avais trop de respect et d’affection pour mon père, peut-être étais-je trop naïve aussi… »

De là venait la seule culpabilité de Dîs vis-à-vis de toute cette histoire. Peut-être que si elle avait moins naïve et stupide…

« Je sais… », murmura-t-elle ensuite dans un souffle douloureux, lorsqu’il lui confia qu’Ithilidir n’avait jamais été au Cercle de Starkhaven. Et quand il lui parla de sa sœur, elle releva enfin sur lui ses yeux brumeux.

Oh… Sûrement celle au regard foudroyant. L’autre devait être trop jeune.

Elle ne savait trop que faire de cette confidence, si triste. Elle ne pouvait s’empêcher de s’imaginer, avec une sincère et profonde compassion, un tout jeune Lachlann verbalement et physiquement rejeté par sa sœur, là où Dîs se serait accrochée corps et âme à son jumeau si on était venu le lui enlever. Quelle tragique scène.

Aujourd’hui cependant, les ponts semblaient avoir été au moins partiellement réparés… de ce qu’elle avait vu, et de ce que le mage voulait bien lui partager. Alors elle ne savait que dire qui ne soient pas des paroles vides de sens, ou trop… émotionnelles. Quand il la rejoignit sur le lit, elle posa donc simplement une main sur sa cuisse en un soutien silencieux, geste doux mais bien léger au regard de l’intimité habituellement partagée.

« Il disait simplement rejoindre ses semblables. Il me semble donc que ma supposition n’était pas complètement folle. Mais aujourd’hui, je sais qu’Ithildir n’a jamais été au Cercle de Starkhaven et que c’est probablement en le découvrant que mon père m’a interdit de le contacter… Pour que je n’apprenne pas qu’en plus de m’avoir abandonnée, mon frère m’avait menti. »

Et dire qu’elle avait essayé d’obtenir des informations sur Ithildir par Lachlann… Quelle perte de temps.

« Il dit avoir voulu nous offrir une meilleure vie, à Tévinter… Là où même moi, Elfe certes, mais sœur jumelle de mage, j’aurais peut-être pu… Mh… Je ne sais même pas ce qu’il espérait vraiment. », fit-elle avec rancoeur.

« Le fait est qu’il n’est jamais arrivé à Tévinter non plus. Il a été trompé par ses passeurs et, pour éviter l’esclavagisme, il s’est rendu au Cercle… d’Antiva. »

Les souvenirs étaient toujours douloureux, remarqua-t-elle alors que cette conversation remuait bien des miasmes qu’elle mettait d’ordinaire de côté. Mais au fur et à mesure qu’elle articulait pour la première ses pensées sur le sujet, dans une volonté de ne plus rien cacher à l’Enchanteur supérieur, elle se rendit compte qu’ils ne faisaient plus si mal que cela. Le temps avait fait son office.

« Apparemment, des rumeurs ont circulé rapidement au Bascloître, disant que je n’étais pas morte… Et d’autres me sont revenues, prétendant que ceux qui m’avaient fait ça cherchaient à terminer le travail, que d’autres voulaient leur part de la revanche… »

Sa main picota sous les caresses du mage, comme dérangée par le fantôme des douleurs ou animée par le toucher, elle ne put le dire.

« C’est pour ça que je ne suis pas allée au Couvent… », ajouta-t-elle, en réponse à l’une de ses suggestions pendant leur bref échange épistolaire qu’elle avait alors évitée. « J’avais peur qu’ils ne m’y retrouvent trop facilement, ça paraissait trop évident, et s’en prennent aussi à d’autres, si pas aux Soeurs. J’ai préféré disparaître. Aujourd’hui, avec mon nom, il est assez facile de retrouver qui j’étais. Mais l’inverse, remonter du Bascloître au Laurier, c’est un beau tour de force. »

Un sourire triste étira ses lèvres aux souvenirs des sacrifices consentis pour rendre cette disparition effective et efficace. Fut un temps où, aidée par l’alcool, elle avait même failli oublier elle-même qui elle était…

La question concernant Ithildir était une autre affaire. Elle n’était elle-même pas certaine d’en avoir bien saisi tous les détails à ce stade.

Encore une fois, elle se refusa à lui mentir ou à lui sortir de plates demi-vérités. Aucun réfugié ne lui avait fait mention de son jumeau. Les informations lui venaient cette fois directement de la personne concernée. Et Dîs n’avait toujours pas vraiment digéré la rencontre.

« Non… Il est revenu… »

Sa voix se crispa, comme coincée dans sa gorge qui semblait soudain trop étroite, et sa petite main, pourtant bien au chaud sous celle du mage, serra un peu plus le genou de ce dernier, comme pour se rappeler qu’elle n’était pas face à son frère mais bien avec Lachlann.

« Il est parvenu à échapper à l’attaque d’Antiva et… il a rejoint la Garde. »

L’idée lui donnait toujours envie de vomir. Les risques que cette décision comportaient la rendaient malade. Et les justifications de son frère pour ce sacrifice étaient pour elle toujours inintelligibles. Pour elle? N’était-ce pas un peu facile après toutes ces années?

« Il est de retour à Starkhaven depuis quelques mois et il m’a retrouvée. Un peu avant l’exécution. »

Elle ne put cacher sa tristesse et son horreur toutes récentes d’avoir dû se dévoiler courtisane à son propre frère, d’avoir dû admettre les années de honte, sans aucune certitude que ses souffrances soient entendues. Car là où une personne comme Lachlann était effectivement capable de mettre sa situation en perspective et de lire entre les lignes ce qu’elle n’exprimait pas toujours, Ithildir était… franchement buté.

Elendîs acquiesça simplement à la supposition de Lachlann comme quoi le Laurier était difficilement accessible aux Elfes de Starkhaven. Et pour les rares qui pouvaient se le permettre, elle avait beaucoup changé depuis la dernière fois où elle était apparue officiellement aux côtés de son père.

Elle put ensuite sentir le mage se tendre et se détendre aussi vite sous sa main au fur et à mesure de son explication.

« Oui, la Garde des Ombres… », confirma-t-elle, avec un petit sourire triste.

La soulagement, clairement audible dans le ton du Mage et dans cette main posée sur son coeur, était néanmoins très touchant. Lui aurait-elle confié le retour d’Ithildir s’il en avait été autrement? L’aurait-elle chargé du poids de ce secret qui n’en serait probablement pas resté un bien longtemps?
Avouer à un Enchanteur supérieur qu’un apostat était revenu en ville, c’était sans nul doute prendre elle-même la décision de le dénoncer. Pas sûre qu’elle en aurait été capable. Car elle n’aurait jamais osé demander à Lachlann de dissimuler ce secret pour elle.

Évidemment, Dîs voyait ce que la nouvelle avait de rassurante. Pas un apostat, pas un mage enchaîné à un Cercle non plus… Mais un Garde empoisonné de plus. L’Elfe parvenait difficilement à être si soulagée que cela du coup, malgré l’apparente liberté que cela offrait à son frère. Mais s’il n’était pas emporté par l’Enclin en approche, Thil mourrait probablement bien jeune, condamnant ainsi leur famille à la disparition avec lui. Cela n’avait pas grand chose de très réjouissant non plus. Pas la meilleure option, donc. Mais certainement la moins pire.

« Les retrouvailles ont été… difficiles. Je ne sais pas ce qu’il s’était imaginé pendant toutes ces années, mais il n’était semble-t-il pas au courant de ce qui s’était passé ici. Découvrir que sa sœur n’a eu d’autres choix que de tomber dans la prostitution pour survivre n’est naturellement pas une nouvelle facile à appréhender. »

Ithildir culpabilisait-il? Se disait-il que c’était peut-être un peu de sa faute? Vu la culpabilité qui l’accablait elle depuis des années, ce n’était peut-être pas plus mal. Cela lui ferait un peu les pieds…

« Il devait passer l’Union… Et je n’ai plus de nouvelles depuis. »

En voulait-elle vraiment, dans l’immédiat? Oui… Elle crevait d’envie de revoir son jumeau malgré tout, surtout depuis les événements du 28 passé. Mais elle pouvait aussi très bien imaginer que le rituel ne devait pas être un moment agréable et qu’il faudrait peut-être un peu de temps à son frère pour récupérer, en plus de digérer toutes les informations qu’il avait apprises.

La dernière remarque du Mage lui arracha donc un petit rire cristallin et elle posa sa main libre sur son coude, le remerciant silencieusement pour la proposition.

« Merci, Messer… Mais j’aimerais autant tenter de renouer, comme vous dites. J’ai l’impression d’avancer avec une moitié d’âme depuis onze ans maintenant, comme si tout un pan de ma perception était endormi. Ne serait-ce pas plus clément pour nous deux si nous pouvons retrouver un semblant de lien pour le temps qu’il nous reste ensemble? »

L’étrange lien qui les avait uni jusqu’au départ d’Ithildir pouvait-il être ranimé ? Ne l’avait-elle pas senti s’agiter à la proximité de son jumeau, après tout?

« Je sais que les choses ne seront plus jamais pareilles… Elles ne les étaient déjà plus vraiment, depuis que sa magie s’était éveillée. J’ai un peu mieux compris pourquoi quand vous m’avez expliqué la différence de perception qu’apportait la magie. J’imagine que notre lien s’est peu à peu effacé pour lui sous la surcharge sensorielle. Comme quoi, il vaut parfois mieux une petite explication que de profondes incertitudes.»

Elle eut un petit haussement d’épaules défaitiste.

Les longues mèches brunes ondulèrent de droite à gauche alors qu’Elendîs secouait la tête.

« Non, pas d’apprentissage… Mon père me destinait à un beau mariage, pour autant que l’on puisse faire un beau mariage au Bascloître… Notre mère étant morte à notre naissance et Père étant toujours très occupé, j’ai donc dû apprendre à m’occuper de tous les aspects d’une maisonnée, très jeune déjà. »

La nostalgie marqua ses doux traits, le regard brièvement perdu dans le vide.

« J’aimais beaucoup, au final. Ça me satisfaisait. M’occuper de mon père, de mon frère et de notre maison. M’assurer de leur bien-être. Et ils me le rendaient bien. Mon peu de temps libre, je le consacrais déjà l’écriture. »

Ses yeux se fixèrent à nouveau sur le mage, l’extrayant d’un souvenir d’elle assise avec son carnet au milieu du jardin d’Ithildir pendant que celui-ci s’occupait de ses plantes luxuriantes. Ça, elle avait refusé de s’en charger par contre…

Aux encouragements de Lachlann, elle renvoya un sourire chaud et amusé. De l’optimisme, voila quelques choses qu’elle n’avait plus connu depuis bien longtemps… Mais il n’avait pas tort, bien entendu, et c’était bien les ailes de l’espoir qui la caressaient depuis plusieurs jours maintenant. Accompagnées d’horribles doutes et terreurs cependant… Pourrait-elle supporter une nouvelle blessure si les choses se passaient mal avec son jumeau?

À ses questions sur le lien, le sourire d’Elendîs s’accentua, toujours aussi amusé. C’était quelque chose qu’elle avait toujours apprécié chez lui, cette capacité de s’enthousiasmer dès que quelque chose l’intéressait tout en gardant cette dignité qui lui était propre, qu’importe l’interlocuteur semblait-il.

L’Elfe rassembla donc ses souvenirs et ses impressions. Elle n’avait jamais parlé de cela. Même avec Ithildir, ils avaient rapidement arrêté d’en parler, se contentant de le… et bien… vivre. Délicatement, la main posée sur le genou glissa de sous sa consœur et la courtisane se laissa basculer en arrière, allongeant le haut de son corps sur le lit et rivant son regard vers le ciel.

« C’est… difficile à expliquer. Mais j’imagine que si quelqu’un peut y donner du sens, c’est vous. »

Elle eut un soupir… puis prit une profonde inspiration.

« Nous avons toujours eu ce lien, ténu quand nous étions très jeunes. Juste une… impression permanente de l’autre, comme si l’un existait à travers l’autre. Nous n’avons d’ailleurs pas tout de suite réalisé que ce n’était pas le cas des autres. Puis, au fur et à mesure des rebuffades et des regards de travers, nous avons compris que les gens normaux, même les autres fratries, n’avaient pas ces mêmes… impressions. Alors nous avons arrêté d’en parler autour de nous.
Ces… impressions se sont renforcées au fil des années. Pour moi, elles ont atteint leur apogée au début de l’adolescence. À cet époque, j’avais un sens aigu de mon jumeau. Je savais toujours exactement où il se trouvait et comment il se sentait, comme un flux constant d’informations qui me venaient de lui… S’il était heureux, en colère, affamé, fatigué,… Mais ce n’était pas au point de pouvoir transmettre un message clair. Sa perception à lui a par contre toujours été un peu plus forte que la mienne et je ne serais pas étonnée si, à un moment donné, il aurait été capable de capter une forme de pensées.»

Elle eut un petit sourire désolé.

« Le fait est que le jour où sa magie s’est déclarée, nous avons totalement arrêté d’en parler. Nous avions trop peur que quelqu’un entende ne serait-ce qu’un brin de discussion qui pourrait soulever un doute et nous n’en avons plus jamais discuté. Ma perception n’a pas changé au cours de ces années mais je n’ai aucune idée de ce que lui a ressenti une fois que sa magie s’est éveillée. »

Une petite grimace marqua la suite.

« Quand il est parti et pendant les premiers jours, les impressions sont restées les mêmes: il était très en colère, effrayé aussi… Mais je n’arrivais plus à le localiser. Puis j’ai commencé à avoir mal, très mal, une douleur diffuse que je ne parvenais pas à pointer et qui m’a clouée au lit. Et j’ai toujours cru que c’était son rejet qui avait… abîmé le lien. Aujourd’hui, je pense plutôt que c’est l’éloignement physique qui a causé cela. Puis, petit à petit, la douleur s’est calmée et c’était comme ci… »

Elle hésita un moment sur les mots puis ses mains vinrent dessiner dans les airs, comme pour illustrer ses paroles.

« Et bien, si le lien avait été un tunnel qui nous liait tous les deux, ce serait comme si il s’était… flétri, rabougri sur lui-même. Mais qu’il était donc toujours bien là, sans que plus rien ne puisse passer. »

Elle chercha alors ses yeux de glace des siens, ne cachant pas la tristesse et les ombres de la douleur.

« Je ne pense pas avoir jamais été vraiment amoureuse mais je suis presque certaine qu’on était au-delà du cœur brisé. Cette douleur atroce… Et après, c’était comme si l’entrée du tunnel était toujours là mais que plus rien n’en venait. Ce second… jeu d’émotions et d’impressions qui n’étaient pas les miennes mais que j’intégrais comme telles n’était plus là, laissant un vide… horrible. Mais quand nous nous sommes revus, je l’ai senti… bouger? C’était… très étrange. Comme quand on joue avec la corde trop tendue d’un arc. Je ne savais pas s’il allait juste se mettre en mouvement ou se briser…»

Les yeux d’Elendîs s’étaient lentement fermés et elle hocha simplement de la tête à la description du Mage.

Elle devait profiter de ce moment, se disait-elle. Qu’importe son état d’esprit à son arrivée, elle se trouvait maintenant plus paisible que depuis bien longtemps. Quelqu’un savait tout, et l’acceptait. Quelqu’un qui n’avait aucun intérêt à l’écouter et à croire ses paroles. Que du contraire, cela aurait probablement bien moins couter à l’Enchanteur supérieur de prendre les rumeurs pour argent comptant et de la rayer de sa vie.

Au lieu de cela, il était toujours là. Et elle se trouvait pour la première fois depuis très longtemps dans un environnement différent du Laurier, sans que l’angoisse ne lui grignote l’estomac. Oui, vraiment… Elle devrait profiter de cet instant.

« Je l’espère aussi, Messer… Après toutes ces années… Il reste la personne qui compte le plus au monde pour moi. Et en même temps, j’ai bien été forcée d’apprendre à vivre sans lui. »

Dîs était toujours prête à supporter beaucoup de choses de la part d’Ithildir. Cela avait toujours été le cas. Même son départ, elle pourrait le lui pardonner. Mais il allait falloir que son jumeau apprenne à vivre avec ce qu’elle était devenue, s’il voulait qu’ils aillent de l’avant ensemble.

« Je vous tiendrai au courant si je le peux, pour le lien. Si je remarque quelque chose, j’essayerai de vous le faire savoir. »

Elle eut soudain un petit doute.

« Je ne doute pas qu’Ithildir pourra vous aider lui aussi, si la question vous intéresse. Mais pourriez-vous attendre que je lui en touche un mot avant de… et bien… chercher à le contacter? »

Une brève scène fictive de Lachlann dans toute sa splendeur princière se présentant à Ithildir comme l’un de ses clients lui traversa l’esprit et la secoua d’un terrible frisson. Cela ne pouvait pas bien se passer. Impossible.

Ses yeux s’étaient rouverts lorsqu’il s’étira ensuite et elle l’observa attentivement, cherchant les signes d’un reste de mécontentement ou de gêne, sans rien trouver.

« On ne me cherchera pas avant un moment. Nous aidons comme et là où nous pouvons mais je pense que l’idée de Vera est aussi de nous permettre de nous remettre de ce qui s’est passé et nous sommes plutôt libres ces derniers temps…  Ysna me couvre. »

Elle n’avait pas particulièrement prévenu qu’elle sortait toutefois. Pas par peur qu’on la retienne mais parce qu’elle n’avait pas envie d’essayer de répondre à des questions inconfortables, d’autant qu’elle était incapable de mentir correctement. Oh, Lachlann dirait peut-être le contraire… Mais quelque part, dans un coin plus misérable de son esprit, elle se répétait qu’elle ne lui avait pas menti, qu’elle ne lui avait jamais donné de fausses informations. Juste… des informations incomplètes.

Elle se redressa cependant en position assise pour mieux plonger dans ses yeux de glace.

« Vous devez rentrer? »

Après tout, c’était lui, l’Enchanteur supérieur avec un agenda probablement chargé. Elle n’était que la courtisane en congé forcé.

L’amusement du Mage ne lui échappa pas et elle y répondit d’un sourire un peu contrit, mais toujours avec une forme de légèreté. Elle comprenait son amusement, mais savait aussi qu’il devinait aisément ses raisons.

Dîs haussa ensuite un peu les épaules en parlant de la politique du Cercle. L’endroit n’était déjà pas particulièrement connu pour la libre circulation des personnes donc elle imaginait très bien qu’en cas de pépin, le filet se resserait encore plus.

«Il n’y a pas grand chose à faire dans une maison close fermée… On finirait par devenir fous à tous tourner en rond comme ça… »

La phrase suivante la surprit par contre terriblement, lui pinçant même le coeur. Oh.

Il demandait. Avec une formulation douce et sincère. C’était le monde à l’envers.

Mais n’était-ce pas exactement ce qui l’avait mise en confiance avec l’Enchanteur supérieur dès leur première interaction? Le fait qu’il semblait réellement prêter attention à elle, sans arrière-pensées, un luxe dans son métier?

Bien sûr qu’ils pouvaient rester encore un peu. Elle l’espérait, même. Mais, étrangement, et pour la première fois, elle ne voulait pas rester… dans une chambre.

Sortir, alors? Retourner à l’extérieur qui lui faisait si peur mais qu’elle avait pourtant bien braver pour arriver jusqu’ici?

Avec Lachlann, pourquoi pas…

Elle se doutait aussi qu’un Templier devait rôder quelque part, probablement au rez-de-chaussée, même si elle ne l’avait pas remarqué à son arrivée. Elle espérait juste qu’il ne s’agissait pas d’un visage un peu trop connu. Alors, qu’est-ce qui pourrait mal se passer, avec un Enchanteur supérieur et un Templier sur ses talons?

Décidée, Elendîs se releva, attrapant la main de Lachlann au passage pour l’emmener avec elle. Elle chercha de nouveau ses yeux avec un doux sourire.

« On peut aller promener, s’il-vous plaît? »

Elle remit sa cape et faillit rabattre sa capuche, mais se ravisa au dernier moment. Non… Si elle devait se balader dans les rues de Sullenhall aujourd’hui, ce serait à visage découvert.