L’air fut coupé lorsque l’épée de bois fusa contre mon adversaire, le faisant perdre l’équilibre. Dans un bruit sourd, il tomba au sol. Les bruits de craquements qui attinrent mes oreilles me firent penser que le malheureux avait perdu une côte.

Sur la rambarde, siégeaient mes épaulettes que j’avais retirée. Je ne gardais sur moi que ma chemise et ma légère armure usée de cuir bouilli ne protégeant que mon torse. Les manches remontées, je vins planter mon épée de bois dans le sol, et bu une gorgée d’eau chaude au goulot de ma gourde. Les températures de ce mois de réconfort n’étaient pas assez clémentes pour qu’elle reste fraiche.

Je reposai ma gourde, et repris en main la garde de mon épée de bois, regardant tout autour de moi. Contre la rambarde, quelques curieux avaient pris place afin d’y regarder les combats se déroulant sous leurs yeux ébahis. Ce n’était que les entrainements, mais l’ambiance était déjà électrique.

Les dragons de rubis m’avaient trainé (un peu) de force dans ce tournoi ; mais je dois avouer que montrer ma force me plaisait bien. C’était cette partie de moi, égocentrique, dont j’avais un peu honte, mais dont j’étais secrètement amoureuse. Je crachai par terre histoire de me libérer de la salive gluante que j’avais accumulée, puis je me dirigeais de nouveau, épée bien en main, vers le centre de l’arène d’entrainement.

Mes pas foulant le sol de terre battue – toutes l’herbe verte de la plaine avait périt sous les pas de tous ces barbares – j’espérais bien que mon assurance en rebuterait plus d’un. Devant mon regard, je pouvais apercevoir les différents combattants exercer leur arts. Pour la plupart probablement des mercenaires ou ce genre de personnes. Il n’y avait aujourd’hui peu de chevalier, de gardes ou de nobles à l’épée. Enfin ce n’était pas pour me déplaire.

Je scrutai au maximum les différents groupes pour essayer de me trouver un nouvel adversaire.

Le soleil tapait plutôt fort, et je sentais perler sur mon cou quelques gouttes de sueurs. Mais l’adrénaline des combats était telle que je pouvais supporter un temps pareil – sans ombre qui plus est – pour mettre à terre un ou deux péquenaud. Enfin adrénaline, pour l’instant c’était plutôt tranquille. Le son d’un voix me sortit de ma recherche.

« - Serah… Vous devriez faire attention à qui vous défiez ainsi du regard : vous risqueriez d’attraper poisson plus gros que vous… »

Je tournai lentement ma tête en direction de cette voix. Les sourcils haussés, je contemplai de plein pied la femme qui m’avait apostrophée. Son pourpoint en velours m’indiqua tout de suite qu’elle n’était pas du même monde que tous les mercenaires qui remplissaient la cour de sable. Elle enjamba la rambarde, sous les yeux intrigués des curieux agglutinés, et s’avança dans ma direction.

« … et j’aurais peur que ces messieurs supportent mal de mordre la poussière aussi souvent. Quelles sont donc les règles de ce combat ? » ajouta-t-elle, tout en ramassant l’épée du clampin d’avant.

Soutenant son regard et lui offrant ma plus belle face d’ahurie, je fis quelques pas dans sa direction en faisant trainer mon arme-jouet sur le sol. Ma main bien accrochée à la garde, je faisais claquer mes ongles sur le bois en guise de provocation. Je fis mine de regarder autour de moi, avant de reporter mes yeux dans les siens.

« - J’crois pas que ça soit votre affaire Serah… »

De ma main gauche, j’essuyais rapidement l’arrière de ma nuque, tout en la regardant, volontairement détachée. Je m’avançais lentement vers elle, puis remis lentement mon épée en position de garde.

« - Les règles sont plutôt simple Serah, je vous mets trois fois à terre, et j'ai gagné. »

Sans un crissement poussiéreux, mon pied d’appui projeta le gravier autour de moi. Je me projetai sur elle avec véhémence, et entrepris de la frapper d’estoc dans l’estomac. Avec ces armes en bois, elle risquait tout au plus d’avoir le souffle coupé.

Mon élan dévié, je me manquais de m’étaler. Récupérant mon équilibre, je fis de nouveau face à mon adversaire naissante.

« - Vous pourriez être un peu loyale, Serah – et Fionnuala insista bien lourdement sur ce titre décidément teinté de provocation. Ce n’est pas aujourd’hui que vous jouez la place de « Championne de Starkhaven ». J’ai bien compris vos règles. Laissez-moi donc vous offrir la mienne : l'honneur. Vous verrez qu'avec lui, j'arriverai à vous mettre trois fois à terre et remporter ce combat. »

La femme se retourna, et elle aussi, et me fit face. D’un mouvement solide du poignet, elle redressa son épée de bois pour me mettre en garde. Presque comme un appel au combat, la guerrière au pourpoint de velours attendait ma venue. Presque comme un souffle de provocation, je redressai moi aussi mon arme, et la toisai du regard.

« - Il serait peut-être temps Serah de se méfier des gens comme nous. Je vais vous faire descendre de vos grands chevaux et vous serez moins aise de me redire tout ça en face. »

Je crachai à ses pieds. Le soleil tapait toujours fort sur ma nuque, et dans la tension qui précéda le début de l’affrontement, je pu sentir une mouche venir se poser sur l’arrière de mon cou. Seul les bruits des épées de bois des quelques autres guerrier qui s’entrainaient au combat pouvaient résonner, presque comme un tambour de guerre enivrant. Autour de nous, la foule retenait sa respiration.

D’un geste preste, je me propulsai en avant, et balayai le sol de mon pied pour venir l’y loger à l’arrière de son genou tout en assénant un violent coup latéral dans sa poitrine pour l’accompagner vers le sol. Dans un bruit sourd et un grand lever de poussière, elle s’écrasa dans le sable. Me redressant, m’essuyant machinalement la nuque, je retournai ma tête vers elle sans daigner retourner mon corps.

« - Quel temps fait-il là-bas en bas, Serah ? »

Son petit gémissement lors de sa chute ne pu m’empêcher un léger sourire. La faire ravaler sa fierté comme cela ne pouvait me donner plus de plaisir. Derrière moi, je l’entendis se relever, répondre à ma raillerie et faire comme si de rien n’était. Toujours gardant mon sourire, sans même daigner esquisser un mouvement dans sa direction, je grattais les échardes qui dépassaient de mon épée pour pouvoir reprendre le combat. Enfin, debout, en garde, elle m’attendait. D’un violent coup, j’enfonçai la pointe de mon arme dans le sol d’entrainement, avant de me retourner vers elle.

- Moi toujours Serah. Je suis toujours prête.

Etirant mes doigts, faisant craquer les os de mon dos, je la regardais, toujours souriant. Ses courts cheveux noirs s’étaient ébouriffés dans l’action, et je replaçai les miens dans leur queue de cheval, puis les coinçai de nouveau sous le col de mon armure de cuir. Sur son magnifique pourpoint rouge, j’apercevai la trace de mon arme en bois qui s’additionnait avec le rouge jauni par le sable.

Rapidement, je réajustai les manches de ma chemise blanche noirci par le temps, et essuyait grossièrement la transpiration qui s’était accumulée sur ma nuque et sur mes bras. Je séchais enfin mes mains moites de sueurs en les frottant contre mon pantalon, et ma main droite entra en contact avec une certaine pièce d’argent qui trainait toujours au fond de ma poche. Franchement, ce combat pour l’instant me plaisait beaucoup. Pouvoir faire fermer sa gueule à cette femme ne pouvait me ravir plus.

Attrapant avec force la garde de mon épée, je fis tournoyer mon bout de bois rapidement. J’étais enfin prête, toujours ruisselante sous ce soleil entêtant, mais rayonnante de l’issue que cette journée était en train de prendre.

- Vous prévoyez de coucher là ? lui demandai-je en lui adressant mon plus beau sourire.

Ni une, ni deux, mon nez vint violemment heurter le sol. Ma blessure pas totalement cicatrisée manqua de peu de se rouvrir nette. Une douleur vive résonna dans tout mon crâne. Je ne pus réprimer un gémissement de douleur. Mes cheveux attachés semblaient tout d’un coup beaucoup plus libres. Tenant toujours fermement mon épée à m’en briser les phalanges, je repris appui des deux mains sur le sol en maugréant un « pétasse » entre mes dents, qu’elle ne pouvait pas entendre d’où elle était…

Poussant sur mes bras, je me relevais. Epoussetant vivement mes deux bras et mon visage, je pouvais sentir ma queue de cheval me gratter l’épaule. D’un mouvement violent de la tête je la rabattais vers l’arrière. Mes cheveux n’étaient pas longs, mais assez long pour pouvoir les attacher. Le sourire que j’avais sur mon visage était quant à lui partie. Plutôt que partie, le terme le plus juste serait transformée. J’avais sous-estimé cette femme, ou surestimé ma force, je ne sais pas. Mais le combat promettait d’être intéressant.

- Et bien Serah voilà qu’on commence à s’entendre.

Je levais d’un coup sec mon épée en l’air.

- En garde.

Vive comme l’éclair, je vins asséner un violent coup d’estoc. La guerrière, bien plus svelte qu’elle en avait l’air, dévia mon coup. Dérapant sur le sable, je repris à peine appui sur le sol avant de venir frapper sa jambe droite.

Spoiler:

- C’était un peu trop téméraire comme action. Dans un véritable combat, si vous n’étiez pas tombée, vous vous seriez tellement ouverte qu’il m’aurait suffi de vous frapper à la nuque : j’aurais peut-être perdu ma jambe, mais vous votre vie. Vous saurez la prochaine fois qu’il vaut toujours mieux rester simple et efficace. Ah, et apprenez à tomber quand vous aurez le temps, ce qui ne doit pas manquer chez les Dragons de Rubis en ce moment.»

Elle joue à quoi ? Elle veut m’apprendre la vie la grognasse ? Je ne pouvais m’empêcher de la mitrailler du regard. Déjà que je m’étais étalée par terre telle une crotte d’elfe, il fallait en plus qu’elle me rabaisse, et publiquement ?

- Ma vieille tu vas te calmer tout de suite. Tu cherches quoi là ? M’apprendre les techniques de combat ? Parce que j’ai à peine trente ans ? C’est sûr que toi, que toi, avec vingt putains d’année en plus, ton magnifique pourpoint de velours, et ton balai dans le cul tu sais tout sur tout. Et bah non. Et bah non. Peut-être que je gueule fort, mais moi aussi j’ai appris à me battre, donc tu vas te calmer direct.

Je me mis en garde, et d’un mouvement svelte de la main, je lançais mon attaque. Tout de suite, je senti la bourgeoise moins dans l’échange que dans celui d’avant. Redoublant d’ardeur, et frappant toujours de plus en plus fort jusqu’à voir des échardes sauter autour de nous, je tenais l’offensive. Mon nez ensanglanté me lançait toujours, mais je fis mine de ne pas le sentir.

Repoussant un assaut légèrement hasardeux, je me laissais tenter par un juron. De nouveau, je poussais sur les muscles de mes jambes, presque comme pour lui sauter au cou. L’échange commençait à durer, il fallait y mettre fin. Reprenant appui, je fléchis les genoux et m’élança vivement asséner les derniers coups, sous le soleil de plomb.

Tout s’enchaina très vite. Mon souffle fut coupé violemment, lorsque mon dos vint s’écraser lourdement contre le sol de l’arène d’entrainement. Mais mon adversaire ne sembla pas du tout satisfaite de sa propre victoire. Aveuglée par le soleil, je discernais à peine sa silhouette, sous l’hilarité générale de la foule. A peine touchée par ses insultes, je ne me sentais même pas la force de lui répondre. Le dernier coup qu’elle m’avait asséné avait aussi bien abattu ma hargne que ma colère. Il ne restait plus que ma honte.

Sans bouger, sans même lui adresser un regard, je l’entendais cracher sur les mercenaires agglutinés pour observer l’affrontement. Cracher sur les dragons de rubis, qui se turent face à sa prestance et à ses révélations. Retombant de haut, eux-aussi. Ce combat aurait des répercussions.

« - C’est donc ça, la compagnie de ma très chère arrière-petite-cousine, Amadis Vaël ? »

Vaël… Ce nom me disait que trop bien quelque chose. Si ce que cette femme disait était vraie, et que ce n’était pas juste une bourgeoise péteuse, je m’étais enfoncé les deux pieds dans la merde avec cet affrontement.

Lentement, je tendis mes muscles engourdies, pour me redresser petit à petit. Mon épée de bois gisait sur le sol quelques mètres plus loin. Devant moi, la Vaël, de dos, s’adressait toujours à notre public expressif.

Beaucoup de sentiments se bousculaient en moi. Une grande colère contre elle et tout ce qu’elle représentait, une grande honte d’être là, assise dans le sable, dégueulasse, face à tout ces hommes, et une grande tristesse que je ne pouvais pas signifier…

Insistant lourdement sur l’origine de son sang, plus personne n’osait dire quoi que ce soit, et la foule s’écarta pour la laisser passer sans faire d’histoire. Je finis de me relever, me retrouvant seule sous le soleil brulant, le cheveux gras et totalement détachés. Je la fixais s’avancer au loin. Le courage me revenait petit à petit

« - Vous fuyez ? lui lançai-je, au loin. Est-ce que votre petit discours vous a offert une quelconque satisfaction Messerah ? Ou se pourrait-il que votre joute verbale vous ait fatiguée, l’haleine des gueulards, des soiffards et des estropiés atrophiant vos conduits ? Oui, moi aussi je peux m’exprimer avec des formes. Cela vous rend-il plus heureuse ? »

Je serrais les poings. Je savais très bien que répondre à quelqu’un comme ça pouvait me couter beaucoup.

« - Vous avez gagné. Toutes mes félicitations. »

Ce n’est pas encore le jour de la victoire de la houe.