27 Longnuage, 5:13

Noble dame,

Mes compliments à Ysna si cette lettre parvient à destination. J’ignore s’il est plus facile de glisser une enveloppe à une ombre dans la foule ou à un panier renversé, mais je suspecte la première d’arriver plus sûrement à destination… Et je crains que notre porteuse ne soit plus proche des seconds. Tu ne m’en voudras donc pas de ne pas associer mon nom à cette missive.

J’aurais dû demander plus tôt : à quelle heure lis-tu le plus ? Quand le soleil est haut et que la maison dort ou quand il se réveille et qu’elle s’endort ? Le savoir me laisserait choisir l’encre la plus adaptée ; ce bleu est mon préféré, mais la lumière d’une bougie risque de creuser des ombres qui la rendent moins lisibles. Et puis, si par hasard tu trouvais du temps la nuit, ce serait l’occasion de vérifier si mon encre de nuit brille autant en mon absence que sous mes yeux. Bien sûr, tu pourrais simplement fermer les volets, mais le soleil mérite mieux que d’être ainsi ignoré.

J’ai une autre question, en réalité. Tu sais sûrement que j’ai des sœurs, et j’imagine que tu as eu quelqu’un d’équivalent un jour ? Il se trouve que l’anniversaire de la cadette approche, et que je manque encore de cadeau – vous avez très peu en commun hormis l’âge, mais je ne veux rien d’extravagant, alors tu n’es pas la plus mal placée. Aurais-tu des suggestions ?

Dans l’attente de tes nouvelles, de quelque sorte qu’elles soient,
Cordialement,

L.

P.S. : Ne cherche pas trop l’origine du blason, ce n’est pas le mien. Un apprenti de ma promotion était fils de cordonnier, et il nous a offert des cachets de sa création à plusieurs anniversaires, avant qu’un supérieur ne le découvre.

30 Longnuage, 5:13

Dame,

Voilà qui me rassure. Ses talents ambigus m’ont toujours fasciné : le Laurier Carmin n’engage pas n’importe qui, malgré ses envolées caritatives, et je ne l’ai jamais vue causer de vrais dommages – et pourtant, quel potentiel. Toi qui la connais mieux, est-ce une maladresse réelle qui épargne le plus important, ou jouée pour distraire les visiteurs ? (Si c’était une comédie, me le dirais-tu ?)

Le plus bel arc-en-ciel ne sauverait pas des mots ennuyeux, ni l’encre la plus fade n’en ternirait de plus agréables ; même si le noir était moins vif et le tracé moins élégant, l’intérêt de la lecture n’en serait pas diminué, aussi je ne te reprocherai pas les matériaux des plus classiques. Il paraît toutefois (je n’ai bien sûr pas essayé) que certaines herbes réduites en poudre la colorent l’encre d’écriture aussi bien que celle des tissus. Je ne t’encourage pas à expérimenter, j’imagine le prix d’un flacon au grain ruiné, mais si ces affaires t’intéressent un herboriste serait à la longue plus profitable qu’un imprimeur.

Les lettres sont en tout cas les seuls textes qui méritent cette dépense, puisque ce sont les seuls qui seront vus, en plus d’être lus. Mes recherches n’ont que deux publics : moi cherchant frénétiquement une vieille donnée, et mes collaborateurs. Dans les deux cas, le texte pourrait être écrit de sang humain qu’on n’y prêterait pas attention. Comme je disais, à choisir entre fond et forme… Écrirais-tu tes chansons en couleur si tu le pouvais ?

Le parfum est une excellente idée, et intrigante. Je ne saurais résumer ma sœur à un seul souvenir – comment faire, quand la relation s’étend sur des années de rencontres paisibles ? Ce serait autre chose avec mon autre sœur, mais je n’ai pas grandi avec Eibhlin – nous ne nous voyons que lorsque nous y sommes tous deux disposés, et toujours dans le calme et la tranquillité. Je doute que ton parfumeur miracle puisse synthétiser un ensemble d’images et d’impressions. Mais au fond, ça vaut mieux ; un souvenir précieux ferait un piètre parfum… Un anniversaire est un moment pour l’avenir, pas pour le passé : mieux vaudra embaumer un instant de fierté, de triomphe, qui peut se répéter inlassablement. Notre famille n’en manque pas. Ce sera une occasion de moins d’explorer les dons de ton artisan, mais en un sens, satisfaire ma sœur ne sera pas un miracle moins grand…

Tu te trompes sur ses exigences, je crains. L’intention touchera certainement, mais sera loin de suffire si le don n’est pas à la hauteur. J’imagine que ton éternel insatisfait était plus indulgent ? Tu auras évidemment des retours de la mienne, puisque je te devrais un remerciement si ton idée trouve grâce à ses yeux.

Je me méfierai de Clattercraft, toutefois. Je connaissais un de ses seigneurs autrefois, un homme bon et compétent, mais tu as raison : la ville change. Tu dois en avoir entendu parler.

Tout ce que je peux te dire de mes recherches est qu’elles risquent de ralentir très bientôt : ma première collègue, partie à jamais, est revenue inopinément, et rattraper le temps perdu sera sûrement la priorité pendant un temps. Une excellente nouvelle, bien sûr, mais peu pratique, comme toutes les nouvelles… J’attends ta chanson avec d’autant plus d’impatience, la distraction sera bienvenue.

Cordialement,

L.

P.S. : Les cadeaux sont autorisés – tant qu’ils sont immatériels. Ils n’aiment pas nous voir avec des possessions terrestres. Je pensais que vous saviez.

Spoiler:

3 Floraison 5:13

Dame,

Jamais déloyale ? Voilà une promesse audacieuse. Je n’en attendrais pas tant de mes meilleurs amis, j’admire ta promptitude à les dépasser.

Félicitations à la jeune mère ! Elle gagne au change, des parents valent mieux qu’un mari ingrat ; et puis elle n’aura aucun mal à se refaire une vie, à son âge.

L’artisan aiderait sûrement, mais je ne souhaite pas lui exposer la vie de ma famille. Je préférerais arriver avec ma commande déjà prête, tu comprends ? Ton exemple est remarquablement utile… Mais le jasmin me distrait quelque peu. Ce n’est pas une plante commune dans nos terres, que je sache – ton homme était-il antivan, ou fleuriste ? S’il faut chercher des équivalents pour ma sœur… Elle a longtemps eu un (horrible) savon parfumé aux fraises, qui la suivait où qu’elle aille ; et des petites mains d’une poigne incomparable, quand elle venait me rendre visite au Cercle. Elle a grandi depuis, bien sûr, alors j’imagine qu’il faudrait équilibrer avec… les descriptions des bois ? La fierté des pierres qui la laissent pourtant indifférente. En somme, un courant d’air purement havenois et, à la fois, venant du plus haut des remparts.

Plus on en parle et plus je vois l’insensé qu’on demande, plus je le suspecte, soit d’avoir un puissant sang dalatien, soit de jouer sur l’imagination plus que sur l’odorat… Nous verrons bien. Je suis allé lui rendre visite ce matin avec environ cette liste, et il m’a assuré créer quelque chose d’ici une semaine.

S’il échoue, je pourrais toujours lui broder des cailloux. Elle m’en a offert en dessin une fois, tu sais ? De très jolis, certes, et pas tous gris. Tous les enfants ne naissent pas nobles, apparemment… On aurait dû se douter qu’elle serait proche du peuple à ce moment-là. J’espère que tu recevais des cadeaux au moins aussi recherchés que les tiens, en tout cas ?

Il est toujours agréable de récupérer les années investies dans une relation, et son retour est une excellente nouvelle ! Ça ne rendra la fin définitive que plus pesante, mais pour l’heure, nous sommes heureux. On n’oublie jamais ceux qu’on rencontre au Cercle.

Cordialement,

L.

P.S. Je ne suis pas n’importe qui.
Et puis, échapper à une règle qui se contente de protéger les apparences n’est difficile que pour les fraîchement débarqués.

Je ne m’y connais pas plus qu’avant, mais j’ai beaucoup aimé cette chanson. Surtout les paroles, en réalité – elles ont quelque chose d’inspirant.
De quelle couleur aurait-elle été ?
La mélodie du neuvième vers est-il inspiré du chant des rousserolles ? Ma fenêtre est face à un arbre qui en est très prisé, et j’avais l’impression qu’elles me soufflaient la note suivante à chaque piaillement.
J’espère que tu en as conservé une copie ; dans le cas contraire préviens-moi, et je te la rendrai avec ma prochaine lettre. J’aimerais pouvoir la garder, mais je ne voudrais pas qu’elle te fasse défaut.

9 Floraison 5:13

Très estimée dame,

J’aurais cru que le métier exigeait un certain talent, si ce n’est de mensonge, d’actrice, ou à tout le moins qu’il l’enseignerait ; mais en effet, il suffit de se remémorer notre rencontre pour voir que ce n’est pas le cas. Très bien, je te croirai sur parole quant à votre chère domestique – elle donne envie de lui faire confiance, sans compter que… Si tout était jeu, elle mériterait qu’on y croie.

Pour être « plus » supportable, il faudrait que l’épreuve soit comparable… Crois-tu qu’elle soit du genre à se mettre dans cette situation qu’importe sa profession ? Attirée par des hommes mariés, destinée à être la maîtresse de menteurs ? Tels rêves de grandeur couplés à l’innocence que tu lui attribues tuent plus facilement dehors qu’entre vos murs – si elle est ainsi, votre compagnie n’a pas été que plus réconfortante, ce dont personne ne doute, mais aussi plus sûre. Prions pour qu’une fois ait suffi et que nous n’ayons pas matière à comparer ; je suis certain que sa mère en fait de même, et s’assurera de son avenir. (Je n’oublie pas que Vera souhaitait étouffer l’affaire, d’ailleurs : je n’en ai entendu parler nulle part, ce qui n’est pas étonnant mais reste une bonne nouvelle.)

Ma sortie était très bien ! J’avais oublié à quel point le Clattercraft était loin du Cercle, mais par chance il faisait beau temps. Un autre templier m’accompagnait, plus ancien – plus intimidant et surtout bien plus fiable que celui que tu as vu. La rue Pivoine n’est pas la plus reculée, ça a peut-être joué, mais le quartier m’a paru agréable – c’est un de ceux qui font le mieux semblant de n’être affectés par rien, si on ne creuse pas trop. On remarque bien des différences, mais… Les templiers ne refusent pas encore de s’y rendre. Une bénédiction pour qui veut de l’inspiration : la variété d’artisans me surprendra toujours. Savais-tu qu’un nain vendait des boîtes en forme de livre ? Avec titre, fausse reliure, enluminures… Tout sauf le papier. C’est assez astucieux, même si je n’ai pas l’habitude de voir des nains travailler le bois. Je me demande combien il a pu en vendre ?

J’aurais dû préciser qu’elle avait cinq ans, à l’époque. Son trait – bien meilleur aujourd’hui – était aidé de beaucoup d’indulgence. Mais oui, avec le temps, elle est devenue douée… Moins que ton jardinier miraculeux, mais plus que la moyenne, puisqu’elle aimait ça. J’ai assez de mémoire pour te citer beaucoup de ses dessins, celui-ci n’était pas plus marquant qu’un autre – même s’il a le privilège d’encore être dans mon tiroir, avec les portraits et les lettres.

En quoi des pierres seraient-elles plus difficiles qu’autre chose ? Au contraire, un modèle dur et immobile, avec autant de relief que nécessaire, retire plusieurs difficultés des broderies de vie. À supposer qu’on trouve le bon gris, mais c’est une couleur que j’utilise si peu que j’en ai des réserves. En réalité, elles sont peut-être ce qui rapproche le plus nos thèmes : les cailloux ne sont-ils pas que des étoiles éteintes et jetées sur le pavé ? Ce n’est plus céleste, mais ça l’a été à un moment. J’aime de plus en plus l’idée, peut-être en broderai-je pour moi-même… Peut-être sera-ce l’occasion d’enfin répondre à ta curiosité.

C’est très généreux (et prudent). Merci, très sincèrement.
Serait-ce ce genre de vert ?

L.

14 Floraison, 5:13

Noble dame,

(Pas une collègue, mais elle va bien. Elle est de ceux qui ont des émotions fortes mais brèves.)

Dois-je en déduire que ce n’est toujours pas devenu le métier de tes rêves ? Je n’aime pas beaucoup l’idée d’un Laurier dépeuplé, mais si ton bonheur est ailleurs, tu peux encore partir. N’y a-t-il rien d’autre, dehors, qui t’intéresse ? Le couvent, si tu n’aimes pas l’extérieur : il paraît que quand elles ne chantent pas, les sœurs ont des activités tout à fait humaines, interrompues seulement pas le soutien dû aux démunis… ou aux malheureux.

Je suis sûr que tu as fait de ton mieux avec cette fille, comme les autres – vous n’y êtes pour rien si les amours interdites des romans ont plus de poids que les conseils des aînées. Elle n’a jamais été seule : c’est plus que ne reçoivent certaines.

Ma sœur a enfin fêté son anniversaire, d’ailleurs ! Elle a beaucoup aimé le parfum, ainsi que son nourrisson. L’effet était saisissant, comme si elle redécouvrait une nouvelle femme ; mais elle n’a pas pleuré, heureusement. J’ignore à quoi pensait Eibhlin, mais elle avait l’air plus sereine que depuis longtemps. Il semblerait que l’artisan mérite sa réputation.

Quant à son voisin, le poids doit sonner faux, mais à l’œil tout est parfait. Tout au plus remarquerait-on que l’interstice des pages remonte moins profondément qu’il ne le devrait, mais les rendre plus réalistes encore grignoterait l’espace de rangement – ils sont plus faits pour montrer leur tranche que leur feuillage, de toute façon, comme la plupart des livres. Les plus petits ne doivent pas renfermer plus d’une lettre, mais on peut loger… disons, plusieurs fioles, dans une édition complète des Cantiques : bien utilisés, ce seraient des coffres plus sûrs que ceux à serrure. Nous pourrions y faire un tour, si cela t’intéresse.

J’ai l’impression qu’elle a dessiné plus de domestiques que de membres de sa famille, sûrement parce qu’ils posaient plus volontiers… Ci-joint celui d’un elfe – je n’ai néanmoins pas le talent pour le recopier trait pour trait et j’apprécierais de le récupérer. Nous avons les peintres royaux pour nous immortaliser en grand, alors les préférences de ma sœur ne sont pas très graves. On pourrait seulement regretter que ces tableaux soient enfermés au Palais, plus proches des nobles que des enfants qu’ils représentent… À moins que ce ne soit justement pour le mieux : ce n’est pas la famille qui risque le plus d’oublier son propre visage, si ?

En réalité, je ne l’avais pas : c’est une encre verte légèrement diluée d’eau d’hortensia. Pour ce qui est de la couleur initiale, un vert sombre et profond, il s’agit simplement de ma préférée, propice à peu d’occasions.

J’ai pour ambition de passer chez vous dans cinq jours, peut-être nous croiserons-nous à cette occasion.

Cordialement,

L.

22 Floraison, 5:13

Chère demoiselle,

J’ai trouvé ceci à côté d’un rare coin de verdure du Mirestreet – tu sais, ces brins d’herbe miraculeusement poussés entre deux dalles, où apparaît parfois une fleur que personne ne pense à cueillir ? Il y en a beaucoup en cette saison, même dans les rues les mieux pavées – et ça m’a fait penser à toi ; tu as raison en pensant qu’elle resplendirait aussi bien contre mes cheveux, mais grâce au ciel, les lois nous privent de ces choix égoïstes.

J’espère que ton rétablissement se passe bien,

L.