Il fait beau, il fait chaud (en tout cas pour un mois de Longnuage) et surtout c'est le 10 du mois, soit le jour où Callaigh et Irvine se retrouvent pour échanger quelques mondanités et tasses de thé et s'assurer que les deux familles restent en excellents termes. D'autant plus qu'ils sont tout deux voisins et de surcroît nobles havenois depuis belle lurette. Il est donc naturel que tout ce beau monde se côtoie et mieux encore, s'entende. D'autant plus que récemment il est question d'unir les deux familles car quel privilège ce serait pour les Callaigh que de ravir la Belle de Starkhaven en personne !
Une perspective qui donne à Sibeal la vague envie de vomir sur ses souliers, là au milieu du beau salon, confortablement assise aux côtés de sa soeur et de sa mère qui bavardent joyeusement avec cette même Belle, l'une montrant à l'autre le dernier mouchoir qu'elle vient de finir de broder et cette dernière vantant les mérites de la nouvelle couturière antivane qu'elle s'est dégotée. Sibeal qui ne trouve guère grand chose à ajouter à la conversation et préférerait s'arracher la langue plutôt que d'adresser la parole à Eanna ou à sa soeur, fait de son mieux pour ne pas se jeter par la fenêtre d'ennui. Elle écoute d'une oreille distraite les bavardages, essayant de se convaincre du positif de la situation : au moins sa génitrice est-elle en assez bonne santé pour s'épandre en de telles futilités. Il y a quelques mois à peine, elle n'était même pas capable de sortir du lit.
Mais voilà, c'est bien beau tout ça mais au bout d'une demi-heure lorsque le sujet de la conversation retombe sur Eanna et ses talents de musicienne, c'en est trop pour Sibeal qui se lève un peu brutalement et s'excuse, prétextant une envie pressante.
Les portes du salon refermées derrière elle, la brune laisse échapper un long soupir de soulagement qui sonnerait presque comme un râle et congédie le domestique supposé l'escorter jusqu'à la salle d'eau.
- Je sais où c'est merci. Ce n'est après tout pas la première fois qu'elle visite la demeure.
Alors c'est très sciemment qu'elle se dirige dans la direction opposée aux latrines avec l'espoir de tomber sur le bureau ou le salon que son père et Ardal Irvine doivent occuper. Peut-être pourra-t-elle les écouter à la porte et voir s'ils parlent mariage ou complot ?
Le pas léger donc, Sibeal se faufile dans les couloirs, essayant de se souvenir avec exactitude de l'architecture du lieu. Malheureusement, sa mémoire n'est pas aussi bonne qu'elle voudrait le croire et au bout de quelques minutes, la demoiselle doit s'avouer quelque peu perdue, incapable de localiser le bureau du chef de famille Irvine. Mais loin de s'avouer vaincue, la Callaigh continue de fouiner avec au pire l'idée de s'échapper dans les jardins, de prendre une grande bouffée d'air frais. Tout pour ne pas avoir à écouter sa mère complimenter Eanna. Qu'elle est jolie Eanna, qu'elle est polie. Les poings de Sibeal se serrent. Elle n'est pas jalouse, elle ne peut pas être jalouse d'une idiote pareille. Et puis elle a excellent tempérament. Elle est d'une gentillesse à toute épreuve ! Pourquoi envierait-elle une fille qui a autant de personnalité qu'un paillasson ? Elle ferait une merveilleuse épouse à ton frère, tu ne trouves pas ? Bonne rien qu'à s'essuyer les pieds.
Puis, au moment où elle est sur le point de rebrousser chemin, une ombre sous une porte attire son attention. Aurait-elle malgré tout retrouvé les deux pater ? Curieuse, la voilà qui pose une oreille contre le bois à la recherche d'une voix masculine mais au moment où sa tête touche ladite porte, cette dernière grince et s'ouvre lentement, dévoilant l'intérieur d'une chambre avec dedans...
- Eléonore ? Hoquette Sibeal, surprise. Cette toison rousse, ce visage renfrogné. Oui ça ne peut être qu'elle ! C'est le même visage que celui vu au Grand Tournoi. Celui disparu tout ces mois. Eléonore Saoirse Irvine ? Qu'elle répète, comme pour s'assurer qu'elle n'est pas face à un fantôme. Un souvenir.