Type de RP Classique
Chapitre concerné Chapitre 3
Date du sujet 8 Longnuage 5:13 des Exaltés
Participants  @Ailis Treglown & Cadwell
TW Déprime, anxiété (crise d'angoisse), mort (Enclin)
Résumé Ailis et Cadwell se retrouvent pour un goûter comme à leur habitude, mais après les événements récents, le coeur n'y est pas vraiment...
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>8 Longnuage 5:13 des Exaltés</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1598-l-ombre-des-peupliers-ailis-cadwell">L'ombre des peupliers</a></li></ul><p><u>Alis Treglown , Cadwell</u> Ailis et Cadwell se retrouvent pour un goûter comme à leur habitude, mais après les événements récents, le coeur n'y est pas vraiment...</p>[/code]

Cadwell était fatigué. Il avait passé la journée précédente à aider à l'installation des premiers réfugiés, à porter des fournitures et à déplacer des meubles pour réaménager les chambres de ceux qui allaient rester, alors il avait les bras courbaturés. Il avait passé une bonne partie de la nuit précédente penchée au-dessus des livres de la bibliothèque, alors il avait mal au dos. C'était son ami Edmund qui l'avait délogé. Il avait pratiquement dû le tirer au bas de sa chaise et il n'avait pas lâché son bras pour le soutenir dans les escaliers, pendant que Cadwell ne faisait que bailler, et manquer des marches.

"Vous devriez vous reposer", avait constaté Edmund, après que son ami ait trébuché pour la troisième fois.

C'était peut-être un reproche, mais son ton, comme son expression, était toujours aussi égal. La voix de Cadwell quant à elle aurait eu plus d'aplomb s'il ne baillait pas en guide de ponctuation :

"Je n'y arrive pas. À chaque fois que ma tête touche l'oreiller, je pense à ce que je pourrais être en train de faire au lieu de dormir."
"Eh bien, pensez que si vous ne dormez pas assez, vous ne serez pas aussi utile que si vous étiez en pleine forme."
"Je sais, c'est juste... Tous ces gens. C'est terrible, et..."
"C'est un véritable drame, oui."

Edmund ne trahissait toujours aucune émotion. Cadwell était habitué mais, pour la première fois de sa vie, il comprenait pourquoi certains se sentaient mal à l'aise avec les Apaisés. Le regard qu'ils échangèrent était plein d'incompréhension, d'un côté comme de l'autre. Cadwell réalisa qu'il aurait aimé échanger ses émotions avec Edmund, pour que ce dernier comprenne ce qu'il ressentait. Ou pour ne rien sentir, pour changer. Il soupira.

Contre toute attente, il s'endormit à peine sa tête eut-elle touché l'oreiller.

À présent, il était reposé, mais toujours fatigué. Ses bras, son dos l'élançaient, et ses tempes commençaient à battre un rythme douloureux à chaque fois qu'il ouvrait les yeux. L'entraînement matinal ne fut pas très concluant, quant à sa ronde habituelle, il la fit en luttant pour avancer à chaque pas, se forçant à monter et descendre les marches plus de fois que nécessaire pour se maintenir éveillé. De temps en temps, il croisait de nouveaux visages dans les robes de mages ou sous les armures de templiers, et il hochait poliment la tête à leur passage, en baissant rapidement les yeux. Il voulait se montrer avenant, mais craignait d'engager une conversation. Il n'avait aucune idée de ce qu'il pouvait dire.

Heureusement, l'après-midi arriva avec une éclaircie. La matinée grisâtre laissa place à un soleil si brillant qu'il en était indécent, et Cadwell sortit dans la cour en clignant des yeux éblouis. Il avait rendez-vous avec Ailis pour un de leurs goûters habituels. Il s'en réjouissait beaucoup, sans savoir si c'était parce qu'ils ne s'étaient pas retrouvés depuis les événements terribles de la Marche d'Andrasté, parce qu'il avait besoin de voir un visage ami ou simplement parce que l'événement lui avait permis de tenir toute la matinée.

Il se mit en marche pour rejoindre tranquillement le petit parc qui correspondait à leur lieu de rendez-vous. À mi-chemin, il se fit doucher par un nuage qui passait juste au-dessus du Cercle. Le jeune templier accéléra le pas, regrettant de n'avoir pas emporté son bouclier. Il pouvait s'avérer utile pour repousser la magie du ciel aussi... Ailis et lui devaient se retrouver devant les peupliers, mais il préféra attendre à l'ombre de l'un d'eux, espérant que le nuage ne serait que de passage. Il scruta le ciel, intrigué. Y aurait-il un arc-en-ciel ? Il soupira et ferma quelques secondes les yeux.

Andrasté, s'il te plaît...

Il les rouvrit, sourcils froncés. Une fois n'est pas coutume, il ne savait pas par où commencer. Il avait tellement de choses à lui demander. Pas pour lui, mais pour les réfugiés. Pour ses amis blessés lors de la Marche. Pour ceux que le désespoir gagnait à l'approche de l'Enclin, pour ceux qui n'avaient pas eu besoin de voir l'Archidémon pour désespérer. Pour ceux qui avaient souffert en silence et pour ceux qui continuaient de souffrir sans oser le dire. Plusieurs noms se bousculaient dans sa tête, des visages familiers, et d'autres qu'il ne connaissait pas encore mais dont il avait vu les regards hagards, tristes ou révoltés. Tant de gens et tant de prières à adresser...

Le jeune homme baissa les yeux. Souhaiter même une chose aussi simple qu'un arc-en-ciel paraissait insignifiant maintenant. Comme il ne savait ni quoi dire, ni quoi demander, il murmura simplement :

"N'oublie pas tes enfants..."

Cadwell était fatigué. Alors, juste pour un instant, il s'autorisa à s'appuyer contre le peuplier.

Le tronc du peuplier n'était pas inconfortable, mais en temps normal Cadwell ne se permettrait pas une position aussi avachie. Les remontrances de ses instructeurs lors de sa formation de templier lui revenaient à présent en mémoire, lui qui avait appris très tôt à ne pas se laisser aller contre le mur même pour attendre la suite d'un exercice ou d'une démonstration. "Il tient tout seul", aurait tancé un de ses anciens maîtres, et Cadwell se serait redressé en un éclair, penaud, sous les rires amusés de ses camarades. Ils étaient tous passés par là.

Aujourd'hui le maître n'était pas là pour lui reprocher quoi que ce soit, à vrai dire il n'y avait strictement personne et pour une fois, Cadwell se préoccupait plus de son dos que des regards extérieurs. C'était jusqu'à ce que la voix d'Ailis le sorte de ses pensées, bien sûr, entraînant un mouvement incontrôlé mais instinctif chez le jeune templier.

"Bonjour, Ailis !" s'exclama-t-il en se redressant vivement, le souvenir que ses maîtres avaient ancré en lui à la lisière de son esprit.

Il ravala les excuses qui menaçaient de lui échapper machinalement et chassa l'émotion honteuse que cela lui procurait encore ; à son âge, c'était ridicule.

"Je n'ai pas attendu très longtemps, ne t'excuse pas."

Son dos était à peine remis, en fait, son brusque mouvement n'avait fait que le contrarier davantage et Cadwell était conscient que la seule chose qui pourrait l'apaiser était un bain ; ou de s'allonger. Ni l'un ni l'autre n'étant envisageable, ne lui restait qu'une solution : ignorer la douleur, comme il l'avait fait jusque là. Il se demanda, brièvement si c'était ce que son amie ressentait au quotidien. Lorsqu'elle l'interrogea, il leva le nez pour zieuter le nuage gris comme s'il le voyait pour la première fois.

"Ah... non, ça va. Mais je crois que c'est fichu pour le goûter au parc. Nous ferions mieux de trouver un meilleur abri avant d'être trempés."

Ce disant, il fit un pas en dehors du couvert. Comme s'il l'avait entendu, le nuage gronda et le rideau de pluie se renforça, arrachant une exclamation de surprise au templier. Son premier réflexe était de courir s'abriter, mais Ailis ne pouvait pas se déplacer aussi rapidement que lui, alors il avança à son rythme pour l'aider, levant un bras au-dessus de sa tête et pestant intérieurement contre son bouclier. Il avait laissé tout son équipement dans sa chambre... C'était bien leur veine !

"C'est ! Pas ! Vrai !"

Il n'était pas dans ses habitudes de pester tout haut, mais après la journée qu'il venait de passer, il avait l'impression que le Créateur s'amusait à les tourmenter ! Arrivé sous l'auvent qui bordait le parc, Cadwell avait la nette impression que son armure pesait deux fois plus lourd que lorsqu'il l'avait enfilée. Ses chausses semblaient intactes mais il sentait que la pluie s'était infiltrée au niveau de son col et il n'osait pas imaginer l'état de son pourpoint, sous les plates... La veste matelassée le gênait telle une seconde peau humide et collante. Il passa une main sur son visage pour dégager ses cheveux trempés et un rire nerveux lui échappa en réalisant que les biscuits qu'il avait soigneusement emballés avant de venir avaient peut-être connu le même sort.

"Désolé..." s'excusa-t-il, sans parvenir à se calmer réellement - ses épaules se soulevaient tandis qu'il essayait de contenir cette réaction incontrôlée : "Désolé... trouvons... une salle vide ?"

Oh Créateur, pourquoi n'es-Tu pas aussi clément que Ta dame envers Tes enfants ?

Cadwell n'avait pas pour habitude de perdre le contrôle. Le contrôle était comme son pourpoint, quelque chose qu'il serrait contre lui tous les matins, que son armure permettait de sécuriser, de protéger, qu'il n'enlevait qu'à la fin de la journée lorsqu'il avait fait son devoir et qu'il était parfaitement seul. Et parfois c'était comme si l'armure disparaissait sans prévenir. C'était la constante qui traversait chacun de ces épisodes aussi rares qu'embarrassants : leur imprévisibilité. Et toujours il se demandait : qu'est-ce qui a bien pu se passer ?

Ce n'était pas la première fois qu'il était fatigué. Ce n'était pas la première pluie qu'il ramassait comme si le ciel avait décidé de le noyer. C'était toute une somme de petites choses bénines qu'il avait l'habitude de gérer, séparément, mais qui aujourd'hui avaient décidé de se liguer contre sa volonté. Le pourpoint était humide et les sentiments qu'il avait l'habitude de garder pour lui menaçaient de déborder, mais de la même façon qu'il ne contrôlait pas le ciel, Cadwell ne contrôlait pas la forme que ses émotions prenaient lorsqu'elles s'échappaient.

Ses épaules se soulevèrent, prises d'un tremblement qui n'avait plus rien à voir avec le rire nerveux qui le secouait précédemment, brisant sa stature pourtant si droite. Il pouvait se battre avec son dos pour surmonter la douleur qui le tenaillait, mais ses efforts étaient réduits à néant par de simples émotions mal maîtrisées. La voix de son amie lui parvenait comme très éloignée, parce que la concentration qu'il mettait auparavant à rester droit et calme était à présent submergée par des sensations physiques qui ne faisaient aucun sens :

"Cadwell ? ... Calme ... va pas ?"

TW : crise d'angoisseIl avait du mal à respirer. C'était absurde, il n'avait pas couru si vite, ni si loin, il n'avait aucun problème à faire des efforts physiques en temps normal, mais c'était comme si son rire incontrôlé avait volé tout l'air qui restait dans ses poumons et à présent, Cadwell devait lutter pour inspirer normalement. Il passa sa main libre sur son cou, confus, sans comprendre ce qui bloquait sa respiration. Sa vision se brouilla momentanément, quelques points noirs dansèrent devant ses yeux et son coeur tonna contre ses tempes, affolé. Par réflexe, Cadwell chercha le bras d'Ailis, qui était déjà sur le sien, et se redressa en réalisant qu'il s'était plié en deux. Son armure pesait sur ses épaules, contre sa poitrine, et le pourpoint humide enserrait ses côtes avec une intention propre. Quelque part, il avait conscience que cela ne faisait aucun sens, pourtant il n'arrivait pas à échapper à l'horrible pensée qu'elle était en train d'essayer de l'étouffer. Sa propre armure. Celle qu'il mettait pour se protéger.

Un mouvement sur son bras attira brièvement son attention, juste assez pour dévier ses pensées de ses sensations physiques et le ramener quelques instants à la réalité : il vit enfin Ailis, qui le soutenait, et le couloir, qui s'étirait devant eux, lui donna le vertige. Il baissa le nez, constata que le sol était toujours sous ses pieds et qu'il pouvait - devait - avancer. Cadwell serra la main d'Ailis qui tenait fermement son bras et ferma brièvement les yeux. S'il se concentrait sur sa voix, il pouvait déceler les mots importants, les verbes.

"Viens ... trouver ... salle ... on parle, d'accord ?"

Il ne savait pas pourquoi son esprit se focalisait uniquement sur ceux-là, peut-être un reste de sa formation de soldat qui l'enjoignait à l'action. En cas de danger, on ne pouvait pas rester figé. Bouge. Alors Cadwell bougea. Machinalement, d'abord, puis il recommença à avoir conscience de ses pas. Le reste de son corps restait très flou ; ses sensations écrasées par le tambourinement de son coeur et la respiration saccadée qui sortait de ses poumons. Il se raccrochait à l'idée de la salle dont ils avaient parlé, comme à une porte de sortie. Il était persuadé que ça irait mieux une fois là-bas, parce que... parce que, au moins, personne ne le verrait dans cet état. Cette idée-là le terrifiait presque autant que les pensées irrationnelles qui tournaient en rond dans sa tête. Il avait l'impression qu'il allait flancher à chaque pas, mais il se raccrocha à la voix d'Ailis, pour qui il n'avait pas le droit de tomber.
Il obéit à sa voix, bon petit soldat, et s'assit machinalement, avant de relever la tête pour réaliser qu'ils étaient arrivés. Son coeur battait toujours aussi vite et l'armure était toujours aussi lourde, mais pendant quelques instants, il avait oublié la sensation de pression entre ses côtes et là, il constatait qu'il pouvait à nouveau respirer librement.

Ce qui s'était passé entre-temps, il n'en avait qu'une vague idée. Il avait l'impression d'avoir été plongé sous l'eau pendant une bonne dizaine de minutes et de ressortir confus mais soulagé. Il se raccrocha à cette idée, et aux gestes de son amie qui s'agitait à ses côtés. Elle mit quelque chose entre ses mains et quelques secondes lui furent nécessaires pour comprendre - se rappeler - pourquoi il était trempé. Un sursaut de gêne acheva de le ramener à la réalité et il s'empara du tissu en tirant vivement sur les lanières qui retenaient son plastron. Il ressentait le besoin de s'en débarrasser, pas juste pour se sécher, ou parce qu'il n'en supportait plus le poids, mais parce que l'armure ne lui était plus d'aucune utilité.

De toute façon, son pourpoint était trempé.

"Ça va, désolé, ça va..."

Les paroles n'étaient pas tout à fait cohérentes et la voix tremblait, mais son esprit, ses yeux et ses oreilles parvenaient petit à petit à s'accorder ensemble sur la même réalité - il avait paniqué, et c'était très embarrassant. Quelque part, ses gestes le rassuraient aussi, retirer son armure était une routine familière qu'il pouvait faire les yeux fermés. Ses doigts tremblaient trop pour qu'il y parvienne rapidement, alors il marqua une pause pour prendre le temps d'essuyer son visage et ses cheveux, avant de se tourner vers Ailis, assise presque silencieusement à ses côtés. Il lui devait une explication, malheureusement il n'était pas sûr de comprendre lui-même ce qui venait de se produire. Il se racla la gorge :

"Je sais pas... Je ne sais pas ce qui m'a pris. C'est la première fois que ça me fait ça."

Le Créateur était témoin, il lui arrivait d'avoir des angoisses, mais elles arrivaient généralement le soir pour l'empêcher de dormir, pas en plein milieu de la journée pour le paralyser ! Que se passerait-il si cela survenait en plein entraînement, ou pire, lorsqu'il devrait protéger le Cercle des engances ? Cadwell déglutit. Ce n'était pas le genre de pensées qu'il fallait avoir en cet instant. Il se redressa légèrement, et fit un signe dans son dos :

"Pardon de te demander ça, mais est-ce que tu peux m'aider à la retirer ? Juste le plastron", précisa-t-il. Les lanières étaient à sa portée, mais il tremblait encore un peu. "Normalement, j'arrive tout seul à... je crois que je les ai trop serrées ce matin et... bien sûr ça n'explique pas la panique... je ne sais pas pourquoi j'ai paniqué."

Il se surprenait presque à débiter autant de mots à une telle vitesse, mais parler le soulageait un peu. Après tout, ce n'était qu'Ailis et lui dans cette salle vide, et si personne d'autre n'avait assisté à cette débâcle, il pouvait s'en remettre à elle pour garder le secret. Il y avait eu assez de rumeurs à leur sujet pour qu'il sache parfaitement ce qui se passerait si un mage ou un templier était témoin de sa perte de contrôle. Il s'en voulait de lui demander ce service, parce que son amie avait déjà fait beaucoup, et qu'il lui semblait qu'elle était aussi fatiguée que lui. Mais à présent, il était incapable de dire si c'était par sa faute ou si depuis le début, elle contenait les mêmes tremblements que lui.

Il se forçait à prendre de longues inspirations, et à expirer tout aussi lentement. Une partie de lui ne comprenait pas comment son corps pouvait le trahir alors qu'il n'était même pas en situation de danger. L'autre partie de Cadwell, plus pragmatique, se demandait s'il n'avait pas un peu trop tiré sur la corde. Ailis avait raison :  il était humain. Et les temps étaient durs pour tout le monde. Pourquoi était-il le seul à paniquer en plein milieu d'un couloir, dans ce cas ? Il ne voyait pas ses camarades s'effondrer à la moindre pluie ou bourrasque qui détruisait leur moral déjà bien bas. Personne ne quittait un entraînement ou une ronde en prétextant ne plus savoir respirer.

Pourquoi ne pouvait-il pas souffrir en silence comme tout le monde ?

"Je sais", articula Cadwell, frappé par la culpabilité.

De toutes les personnes qui avaient été touchées par les événements récents, ceux du Cercle particulièrement, Ailis était la dernière sur laquelle il voulait faire peser son propre fardeau. Elle devait être très inquiète pour Isbeil, elle aussi. Pourtant elle prenait sur elle de l'aider, de le soutenir physiquement et moralement, et de se battre avec les sangles de son plastron, dont l'une était toujours particulièrement peu coopérative. Elle lui proposait même de parler de ce qui le tracassait. Mais et ce qui la tracassait, elle ? Et ce qui les tracassait tous ? Cadwell réalisait que sa fierté l'empêchait non seulement de craquer, mais d'être le premier à le faire. C'était pourtant ce qui venait d'arriver.

Il resta encore un moment silencieux, et quand il put finalement se débarrasser de son plastron trop encombrant, il n'y trouva pas le soulagement qu'il y cherchait. Le poids était toujours là, sauf qu'il pesait librement sur ses épaules à présent. Cadwell savait qu'il avait le choix. Il pouvait choisir d'ignorer l'aide qu'Ailis venait de lui apporter en remettant le plastron comme si rien ne s'était passé. Ou il pouvait choisir d'accepter que ce qui était fait était fait, et qu'il serait plus stupide de l'ignorer.

"Encore une fois, je suis navré de t'avoir demandé cela."

Il poussa son plastron sur le côté et se tourna vers son amie. Il aurait voulu détourner l'attention de lui, pour lui demander comment elle allait, pour se concentrer sur la façon dont il pouvait l'aider en retour également. Mais rien de tout cela ne serait passé inaperçu.

"Les temps sont difficiles pour tout le monde, c'est vrai. J'ai beau être humain, je suis aussi templier. J'ai parfois du mal à choisir entre les deux", avoua-t-il franchement, en la regardant dans les yeux.

Il espérait qu'Ailis comprendrait à travers ces mots qu'il ne cherchait pas à repousser son aide parce qu'il n'en avait pas besoin, mais parce que ce n'était pas son rôle à elle de le protéger lui. C'était tout l'inverse. Et la formation qu'il avait suivie préparait les templiers au pire pour s'assurer de la sécurité des mages et de l'intégrité du Cercle. Cadwell lâcha un très léger soupir.

"Je suis aussi ton ami, cela dit. Il semble que ces trois statuts soient compatibles... alors je te remercie."

Un sourire timide lui échappa. Timide et embarrassé. Même s'il avait dû mal à reconnaître la perte de contrôle, il était content d'avoir été avec Ailis lorsqu'elle était arrivée. Il était content qu'elle soit encore là. Et peut-être était-il aussi content de ne pas avoir été simplement seul pour affronter son angoisse. Si quelqu'un devait l'aider, il préférait que ce soit un ou une amie. Même si cela entrait en contradiction avec l'idée qu'il se faisait de son métier et de son rôle au sein du Cercle de magie.

Cadwell se demandait parfois pourquoi ses sentiments étaient aussi compliqués. Il avait fait le choix de devenir templier, en son âme et conscience. Il avait confié la première à Andrasté, mais la seconde n'en était pas pour autant apaisée. Il sentait bien qu'il hésitait entre son devoir et l'affection qu'il portait à ses amis, mages ou templiers, et il mettait cela sur le compte de son jeune âge tout en espérant qu'il n'aurait jamais à faire s'affronter les deux lors d'une Confrontation. Il savait que si ce jour arrivait, il regretterait amèrement toutes ses décisions passées. Mais quand celles-ci étaient prises avec le coeur, pouvait-on se flageller à l'avance ? Valait-il la peine d'ériger une barrière solide et sinistre entre soi-même et ceux que l'on devait protéger ? Ce n'était qu'une façon de se protéger soi-même, au final... Et en se confortant de sa "bonne" décision, on décidait d'ignorer le mal que l'on faisait aux autres pour ne pas sacrifier sa culpabilité.

Ce genre de pensées surgissait habituellement lorsque Cadwell était seul, avant de dormir ou lors d'une ronde solitaire, et il pouvait s'y perdre sans chercher absolument une réponse de toute façon compliquée. Il ne formulait pas ces doutes à haute voix, cela les rendait moins tangibles. Cela lui évitait d'entendre une réponse qu'il ne voulait pas accepter. Il avait fini par l'avouer, pourtant. Devant Ailis, dans son angoisse et sa honte de perdre le contrôle, mais aussi dans sa volonté de s'excuser de ne pas être à sa hauteur, il avait fini par le dire.

Et la réponse n'était pas celle qu'il redoutait.

Tu peux être les deux. Je peux être les deux. Tu peux être les deux, Cadwell. Oui, je peux être les deux.

Ce "je te remercie" qu'il avait soufflé tout bas portait en lui bien plus qu'il n'y paraissait. Le sourire d'Ailis, dans lequel le sien se refléta timidement, suffit à le convaincre qu'il avait entendu la réponse qu'il souhaitait entendre depuis toujours. Pas la meilleure, pas la plus sage, mais celle dont il avait besoin, là, maintenant. Il était incapable d'exprimer l'étendue de sa gratitude, de son soulagement et de toutes les émotions pour lesquelles il n'avait alors pas de nom, mais ce "je te remercie" semblait être le minimum, un premier pas pour assumer ce qu'il souhaitait réellement.

Il voulait être un templier et un ami, il voulait pouvoir soutenir Ailis quand elle allait mal, elle aussi, bien que ces choses-là soient toujours plus facile en théorie que dans la réalité. Dans la réalité, on se trouvait souvent démuni, et Cadwell sentit une étrange impression de déjà-vu lorsque ce fut au tour de son amie de s'effondrer devant lui - en vérité, ce n'était que le reflet de la situation qu'il lui avait présentée un peu plus tôt.

C'était difficile : il ne l'avait jamais vue dans cet état. Aucun de ses amis ne s'était jamais effondré devant lui. Surtout pas une amie comme elle, qui était son aînée et prenait souvent ce rôle à ses yeux. Il avait eu d'autres figures similaires, au Couvent, mais il ne s'était jamais confié à elles comme il le faisait avec Andrasté. Ses secrets étaient bien gardés. Aujourd'hui, il en avait révélé un à son amie. Elle était comme lui, toujours prête à faire passer les autres avant elle-même, en cela, ils se ressemblaient beaucoup. Était-ce pour cela qu'ils s'entendaient si bien ? Qu'il se sentait rassuré d'avoir flanché à ses côtés ? Ils se comprenaient sur bien des points... Sa résolution se mêla à son émotion. Si Ailis avait été là pour lui, il n'y avait aucune raison qu'il ne soit pas à sa hauteur lui aussi. Son premier réflexe, lorsqu'elle se détourna, fut de ramasser le thé qu'elle avait fait tomber pour qu'elle ne se brûle pas. Une vague de mots, des paroles qui lui semblaient creuses et sans réconfort, dévalait dans son esprit, sans qu'une seule ne lui semble digne d'apaiser Ailis. Au début, il ne sut pas quoi dire, quoi faire. Le jeune templier aurait voulu que son entraînement le prépare à cela : pas juste à protéger les mages de leur magie, pas juste à être un rempart armé, bouclier, casque et épée, mais juste une oreille à laquelle se confier. Si ses armes avaient pu la protéger de ça...

"Ailis", souffla Cadwell, clairement désemparé.

Les mots qu'elle prononçait ne firent pas tout de suite sens à ses oreilles, mais à mesure qu'ils sortaient Cadwell entendit ce qu'elle voulait dire. Il pouvait se mettre à sa place, rien qu'un peu. Pas parce que sa situation était similaire, mais parce qu'il avait comme Ailis l'envie de protéger les autres, de leur éviter de s'inquiéter, de ne pas paraître aussi faible qu'il l'était en réalité - ou qu'il pensait en avoir été persuadé. Parce que leurs regards, leurs opinions, leurs mots l'avaient jadis touché, et que malgré toutes ces années, la pointe de leurs flèches était encore ancrée, plus profondément qu'il ne voulait l'avouer, sous les couches d'armure et de fierté. Alors Cadwell comprenait - en un sens - et il avait mal pour elle, mal de la voir dans cet état, mal de lire dans son regard empli de douleur et de doute le reflet du garçon qu'il ne voulait plus jamais montrer.

Il secoua la tête pour s'encourager à faire de l'ordre dans ses idées, chasser le souvenir qui s'accrochait au désespoir d'Ailis pour tenter de remonter. Son amie était prostrée, son visage entre les mains, et balbutiait des excuses que Cadwell balaya d'un geste avant de se relever.

"Moi aussi, je suis faible. Penses-tu que cela me rende inutile ? Est-ce ainsi que tu me vois ?"

Il utilisait volontairement la provocation pour la forcer à affronter l'absurdité des mots que sa peur lui laissait croire. Peut-être même était-ce un démon qui lui chuchotait toutes ces choses horribles dans sa tête. Si c'était le cas, Cadwell le connaissait bien. L'anxiété n'était pas l'apanage des mages et il aurait bien aimé voir la Colère affronter des années et des années de doute et de culpabilité. La sienne - de colère - était dirigée contre sa propre faiblesse, pas contre celle d'Ailis, et il savait bien qu'il ne pouvait pas la forcer à croire ce qu'elle ne voyait pas. Il attrapa doucement ses mains dans un geste qui contrasta avec l'ardeur de ses propos :

"Ailis, tu as le droit ! Tu n'as rien choisi de tout cela. Tu as le droit d'être faible, parfois ! Cela ne te rend pas moins importante, ou moins utile qu'une autre."

Il tira légèrement sur ses mains pour la forcer à le regarder, afin qu'elle perçoive sa sincérité.

"Penses-tu que je serais ton ami si je te pensais faible ? Crois-tu que je subis ta compagnie par... par pitié ? Ou juste parce que tu prépares un très bon thé ? Que tes conversations m'intéressent et que tu me fais rire et trouves toujours les mots pour me remonter le moral quand je doute ? Bon, ça, c'est vrai, mais c'est surtout parce que je considère que tu es une personne de valeur ! Du moins as-tu une grande valeur à mes yeux. Et si tes autres amis pensent différemment, alors ce ne sont pas tes amis. Ne laisse personne te persuader du contraire. Pas même les démons dans ta tête."

Après quelques secondes, il recula, gêné, et bafouilla en regardant ses pieds :

"Je... hum, bon, je me suis un peu emporté, mais... je pense sincèrement ce que je te dis, d'accord ? Tu dois me croire. J'espère que tu me crois..."

Ailis l’avait écouté en silence et Cadwell y lut l’espoir que ses mots aient pu la toucher, malgré sa véhémence. Il se redressa à son tour, soulagé de l’avoir sortie de son abattement, soulagé qu’elle n’ait pas lâché ses mains. Il les serra plus fort dans les siennes lorsqu’elle s’excusa, secouant légèrement la tête pour lui signifier qu’elle n’avait pas à demander son pardon.

Il avait envie de lui dire qu’il comprenait très bien pourquoi elle avait réagi ainsi. Que la peur de perdre sa famille ou ses amis était légitime, surtout dans leur situation actuelle. Que lui, au moins, avait la possibilité de sortir, quand elle était condamnée à rester entre ces murs, sans savoir si ses proches allaient bien… Et que ceux entre ces murs souffraient aussi. Si Ailis était faible, alors Cadwell l’était aussi. Lui aussi s’inquiétait, se sentait impuissant… C’était pour effacer ce sentiment qu’il était devenu templier. Pourtant, cela n’avait jamais arrangé les choses, et il avait fini par comprendre qu’il était probablement condamné à essayer en boucle. Si ce n’était pas de la faiblesse, qu’était-ce donc ? Mais la voix d’Ailis brisa le silence, l’empêchant de se morfondre :

"Tu te trompes Cadwell. Tu n'es pas faible.”

Ce fut à son tour d’écouter en silence ce qu’elle avait à lui dire. Là, ses mains dans les siennes, elle lui assura que leur amitié avait également de l’importance pour elle. L’honneur était partagé, savait Cadwell, même si ses mots l’avaient exprimé plus maladroitement que ceux d’Ailis. Son amie savait le toucher, que ce soit avec sa bonne humeur ou sa bonté. Mais cette fois, les paroles prononcées remuèrent autre chose en lui. Peut-être parce qu’ils étaient tous deux vulnérables dans leurs émotions, ou parce que confirmer le amitié mains jointes avait tout d’une déclaration solennelle, ou parce que ces mots étaient ceux que chacun avait besoin d’entendre à ce moment-là... ou peut-être tout cela à la fois.

En reconnaissant l’humain qui existait sous l’armure du templier, Ailis confirmait les craintes de Cadwell tout en le rassurant sur le choix qu’il avait fait. Oui, lui aussi était vulnérable, sans son armure, mais ce sacrifice en valait la peine s’il aidait ses amis à supporter leur prison. Petit à petit, la tension qui s'était accumulée depuis sa crise s'échappa pour laisser la place à un sentiment nouveau. Cadwell réalisa que sa voix tremblait lorsqu'il articula simplement :

"Merci."

Il se racla la gorge, embarrassé.

"Et on a complètement oublié ce pauvre thé. Il va être froid à présent..."

Un sourit sincère étira ses lèvres. C'était le cadet de ses soucis, l'important étant de pouvoir le partager avec son amie. En plus, toutes ces émotions lui avaient donné soif. Quelque part, au fond de lui, Cadwell réalisa que la situation n'avait pas à être si embarrassante à chaque fois qu'il laissait ses sentiments parler pour lui, si seulement il ne les gardait pas enfermés la plupart du temps. Il aurait suffi de joindre aux goûters des moments de confidence plus sérieux que ce dont ils avaient l'habitude ; de ne pas hésiter à se confier plus souvent l'un à l'autre. Mais le jeune homme n'était pas certain de savoir comment l'exprimer. Ce n'était pas le genre de conversations qui se prévoyaient à l'avance, pas vrai ? Et il ne voulait pas imposer cela à Ailis...

Ah, voilà qu'il recommençait.

Ils n'étaient pas si différents. Cadwell attrapa les biscuits qu'il avait amenés, et qui étaient un peu écrasés, en s'asseyant sur la table. Il ne se serait jamais installé aussi nonchalamment s'il avait eu toute son armure sur le dos, mais il n'était pas en service et il se sentait plus léger qu'en arrivant. Le Cadwell templier pouvait bien faire une pause de temps en temps... Enfin, en dehors des moments où il dormait.

"Tu sais", avoua-t-il en sortant deux biscuits du tissu légèrement détrempé dans lequel il les avait emballés, "il y a très peu de gens auxquels j'ose me confier. Ce n'est pas juste parce que je suis templier ; en dehors du Cercle aussi, c'est difficile." Il tendit un des biscuits à Ailis. "J'ai toujours eu l'impression que je devais me débrouiller par moi-même. Alors quand je comprends que je n'ai pas besoin de le faire, j'ai un peu de mal à m'adapter." Il croqua dans son biscuit et retint une grimace. Il était un peu humide, mais mangeable. "Tu vois ce que je veux dire ?"

À présent qu'ils s'étaient confié l'un à l'autre, Cadwell se demandait si Ailis n'était pas la personne qui pouvait comprendre le mieux son ressenti dans tout ce fichu Cercle.

Cadwell aurait-il été en train de boire le dit thé qu'il se serait probablement étouffé à la réplique teintée d'humour noir d'Ailis : invoquer un démon de la Colère pour réchauffer le thé ? Il haussa un sourcil :

"Eh bien, peut-être que comme ça ils seraient enfin utiles..." commenta-t-il en conservant son air parfaitement sérieux, jusqu'à ce qu'un sourire en coin le trahisse.

"Et repose ton dos, te voir toujours aussi droit me fait mal. Tu vas finir comme moi attention.”
"C'est la Chantrie qui se moque de la charité", répliqua le jeune templier, qui essayait tant bien que mal de s'installer.

À moitié serré dans son armure et à moitié embarrassé. Le sentiment de ridicule était légèrement présent et la tentation était grande d'en rire pour l'exorciser, mais Ailis faisait très bien cela pour eux deux et il considéra ses tentatives pour détendre l'atmosphère avec un mélange de gêne et d'empathie liée à l'habitude – il connaissait son sens de l'humour particulier. Il n'était pas aisé de se livrer, et ils venaient de se dévoiler une grande partie de leurs insécurités. Cela méritait bien quelques blagues pour dédramatiser.

Cadwell voyait bien à présent qu'Ailis et lui avaient le même genre de problèmes, même s'ils l'exprimaient différemment. S'entendre confirmer qu'elle le comprenait était rassurant, et il avait l'impression qu'elle parlait autant pour lui que pour elle. Les conseils qu'elle lui donnait pouvaient aussi s'appliquer à sa situation, ils le savaient tous les deux, et une conclusion germa lentement mais très naturellement dans son esprit.

"Ce n’est pas facile, mais nécessaire. Et je suis reconnaissante d’avoir une personne à qui je peux confier cela."
"Eh bien, puisque tu t'es confiée à moi et que je me suis confié à toi, je te propose un marché." Cadwell leva la main et tendit son petit doigt. "Nous jurons de nous confier à l'autre si quelque chose ne va pas." Il attendit quelques secondes, solennelles, puis ajouta, malicieux : "Attention, c'est une promesse avec le petit doigt. À ne pas prendre à la légère. C'est plus fort qu'un sort, ce truc-là."