Le lendemain de la fête, personne ne fait le fier. En fait, personne ne fait rien du tout. Il faut carrément attendre que la nuit tombe pour que nos protagonistes manifestent un signe de vie autre qu'un grognement ou une vague déambulation dehors pour aller se soulager la vessie. Il faut dire que la soirée de la veille a été particulièrement chargée. En témoignent les cadavres de bouteille qui jonchent la pièce dans laquelle émerge Ielvin.

- GnnnnnNNNNnnnnnn... Un long gémissement qui n'a pas grand chose d'humain (ni même d'elfique) s'échappe de sa gorge sèche alors que le blond ouvre des yeux vitreux et hagards pour réprimer un long frisson. Aaaah t'prends toute la couverture ! Articule-t-il péniblement en se frottant le crâne comme pour réprimer cette atroce migraine qui s'est installée sous sa tignasse. L'est trop vieux pour ces âneries. Trop vieux pour se lever frais comme un gardon après une cuite pareille. Il a plus vingt ans Ielvin, sans doute qu'il devrait habilement rouler sur le côté et se blottir là où il fait un peu plus chaud avant de fermer les yeux en priant pour que le sommeil le reprenne. Mais justement, le problème quand on est vieux c'est qu'on commence à avoir le sens des responsabilités. Et le sommeil plus léger. Et maintenant que la cervelle s'est remise en marche elle n'est pas prête de s'arrêter.

- Bon allez. Marmonne-t-il alors en se redressant, plus pour se donner du courage qu'autre chose. Un autre courant d'air lui mord la peau, lui donnant la chair de poule et pourtant sa poitrine semble être faite de feu alors qu'il réprime une violente envie de vomir en attrapant la première bouteille encore remplie à portée de main pour en voler une longue lampée. C'est combattre le feu par le feu ce qui est un peu stupide mais jusqu'ici ça a toujours marché et c'est suffisamment dégueulasse pour l'extirper définitivement de cet espèce de semi-coma qui va de pair avec le réveil et la gueule de bois.

S'habillant avec plus ou moins de discrétion (sous-entendu en se cognant sur tous les meubles de la pièce et en cherchant pendant près d'une minute son pantalon), l'elfe finit par enfiler son manteau et file de la baraque sans un mot pour son occupante, disparaissant dans le coup de vent glacé qui s'invite en écho au claquement de la porte.



Les minutes filent et s'accumulent en plusieurs dizaines. Est-ce qu'il est vraiment parti comme ça comme un voleur et sans un adieu ? Ça collerait au personnage. Des filles (et des gars) qu'il a abandonné sur le matelas, aux premiers rayons du jour, Ielvin ne les compte plus. C'est presque devenu comme un principe pour lui, un code de conduite. Pas de liens, pas d'attaches. Pas d'histoires. C'est plus facile comme ça. Pas le temps pour les questions, les plans du futur. Celles qu'il revoit (comme sa contremaitresse) c'est parce qu'il en a encore quelque chose à tirer. Mais les autres, ah une fois qu'il a eu ce qu'il voulait, elles peuvent toujours courir pour apercevoir ne serait-ce que le bout de ses oreilles pointues. Il a la réputation de l'elfe volage et ça lui va bien.

Toutefois, la porte finit par craquer. Elle s'ouvre dans un grand grincement et se referme derrière lui alors qu'il s'empresse de s'asseoir au chevet du lit, les joues rosies et la bruine du port sur les cheveux et les vêtements.

- Hééééé Championne. Sifflote-t-il en agitant un grand bol au contenu non identifié et olfactif, tout sourire. Debout mon seiiigneuuuur. Il est l'heuuuure. L'heure de la souuupe. Sans s'arrêter de parler, il dégage le rebord de la table adjacente d'un geste de bras et y dépose le récipient avant de défaire son écharpe de fortune : T'as d'jà goûté à la rouille d'la vieille sans dents en face de La Maraudière ? J'aime pas la poiscaille mais franchement c'est chaud et ça tapisse bien l'estomac !

Il ne sait pas bien pourquoi mais cette fois-là il y est revenu. Et celle d'avant aussi. Et probablement celle d'encore avant aussi. Avec Mana il a envie de faire les choses biens même s'il sait bien qu'il n'y aura jamais de choses entre eux et que ça leur va bien. C'est peut-être justement parce qu'il existe entre eux cet accord tacite de non engagement qu'il lui prend parfois l'envie de le briser.
Mais au fond de lui, il sait aussi que ce petit jeu ne pourra jamais durer qu'un temps.