Peut-être se serait-on attendu que la commanderie de Starkhaven bourdonne en ces temps d'Enclin ; de ces hommes et de ces femmes courant de droite et de gauche et ne permettant à personne de savoir où donner de la tête. Il n'en est cependant rien : l'endroit est désert, ses membres étant dispersés à des diverses missions dans tout Starkhaven, dans toutes les Marches Libres, dans tout Thédas. Tu es donc quasiment seule, @Leone, quand tu pénètres ces couloirs et ces salles, avec ton objectif clair bien en tête.

Déterminée ou alourdie par les évènements ? Quelle que que soit la nature de ta marche, tu retrouves Senaste au réfectoire : dans ce monde tantôt au ralenti, tantôt en ébullition, elle paraît avoir mangé tous ces rythmes à la fois, et chercher un instant de repos. Elle mange, machinalement, comme si son estomac déjà chargé peinait à ingurgiter plus, plongée plus fort dans ses pensées que dans sa soupe. Elle ne t'a pas vue.

Il n'y a pourtant pas de meilleurs moment que celui-ci pour attraper la Commandeure-Garde si occupée... et tu saisis cette occasion. Prise toi aussi dans le flot de tes propres troubles.

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Rentrer.
Fouler ces pierres si familières qu’on ne pensait jamais revoir.
« chez soi »
Déglutir alors que le tableau est éthéré.
Vaciller.
Se remémorer tout. D’un coup.
Fermer les yeux.
Bastion.
Le goût du sang.
La vie.
La béatitude d’être là.
Ici.
Starkhaven.

Leone sourit. Jamais elle n’a été si souillée. Pourtant, ses deux jambes la maintiennent debout. Ses pieds polissent un peu plus ce chemin maintes fois emprunté. La guerrière le découvre comme au premier jour, une fissure dans cette roche, ce pavé descellé ou encore cette patère asymétrique. Son corps bondit presque mais se retient, le murmure assourdissant de l’Archidémon s’évapore à l’idée même que ce cœur puisse encore battre.
Pour vivre.
Pour voir Senaste.

Elle la voit.
Le temps s’arrête pendant que durent un battement de paupière, puis un second. Les gestes mécaniques de la Commandeure attristent et enchantent. Leone se faufile, retient son souffle mais, n’hésite plus. Elles sont là, vivantes. Leone rêve de s’assurer que ce n’est pas un songe, toucher du bout des doigts cette réalité. Elle se retient dans un soupir. Elle profite d’avoir encore des jambes, des bras, des fesses, pour prendre place à son côté.
Elle la scrute, intensément, comme elle ne l’a probablement jamais détaillée. Elle a envie de rire, ses yeux se plissent, sa bouche se déforme dans un nouveau sourire hilare, son front se barre de rides. Sa franchise frontale déborde de cette bouche amusée.

« _ Par le Créateur, même dans mes rêves les plus fous, je ne pensais pas te revoir. »

Je voudrais te serrer contre moi.
Leone ne bouge plus, le temps s’arrête à nouveau, elle grave chaque seconde qui s’écoule dans sa mémoire, rien n’a le droit de lui échapper.
Palper ton pouls, m’assurer que tu vis.
Ses yeux remontent de sa gorge à son regard d’acier.
T’embrasser, car j’en ai encore la possibilité.

La cuillère claque une dernière fois dans le bol désormais vide, à l'exact moment où tu t'assieds sur le banc, @Leone. Banc qui couine légèrement sous le poids additionné de votre dignité guerrière ; de vos âmes teintées par le devoir et votre éternel sacrifice. Lentement, Senaste tourne vers toi son visage et t'observe un instant : voit-elle ? Voit-elle ce que tu ramènes du Nord, grande guerrière ? Voit-elle ces pensées et sent-elle que tu es une femme différente : toi qui étais là pour la soutenir, avant, de ta large carrure, et qui revient, maintenant, reprendre ta mission à ses côtés ?

Entend-elle ces pensées que tu caches au fond de ton cœur ? Comprend-elle réellement ce soulagement que tu ressens de te retrouver à nouveau à ses côtés ? Et dans ce cas, te pardonnerait-elle d'être partie en Antiva ?  Le devoir avant tout.

« Et j'ai été si soulagée de te savoir rentrée... un miracle », et un sourire trahit ses traits fatigués.

Parce que les repas sont de ces rares moments où elle se laisse aller à cette fatigue qu'elle troque, le reste du temps, contre du mouvement : on ne voit pas les doutes chez celle qui avance et ne laisse dans ce sillage que sa longue tresse martiale. Le visage de la Garde blonde s'illumine légèrement à ta présence, à sentir ta silhouette imposante à tes côtés, et elle saisit le quignon de pain un peu plus loin sur la table : après l'avoir rompu, elle te le tend.

« Mange quelque chose. »

Senaste avale elle-même la mie et la croûte, rapidement, ses expirations plus légères : on dirait moins des soupirs que juste le souffle d'une vie. Une question reste en suspens dans l'air, une question qui se glisse, en filigranes teintés d'affection, dans celle qu'elle ose articuler :

« Comment vas-tu, Leone ? », et ton prénom lui tire un nouveau sourire.

Une bonne nouvelle au milieu de l'avalanche terrible en provenance des terres désolées, dans ces terribles dernières semaines.

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Miracle. Le mot rebondit doucement dans la pièce. Leone le soupèse un instant avant d'opiner du chef. Senaste peut-elle être plus légère que Leone à cet instant ? Elle en doute mais savoure chacune des syllabes qui s'échappent de ses lèvres.

La guerrière accepte l'offrande, le pain n'est pas encore dur, la main de la Commandeure frôle la sienne, révélant à Leone que tout ceci est bien réel. Un frisson remonte jusqu'à son coude, abandonnant une traînée de poils hérissés et une pulsation qui enfle dans la poitrine. Elle se revoit lancer les dés avec Andra, regrettant que ce moment précis ne se soit jamais produit.

Le moment est là.
Et, Leone hésite.
Elle profite de cet instant si simple, signature du moment qui n'a pas chaviré, elle se jette sur ce fil, en funambule. Elle ne veut pas regarder en bas, plus l'hésitation persiste, plus le sol lui semble loin sous ses pieds.

« _ On ne peut mieux, Senaste. Je remercie chaque jour les forces supérieures qui me permettent de me tenir, ici, devant toi. Elle marque un temps d'arrêt. Andastré était à ses côtés, tout au long de cette bataille, c'était une évidence. Je suis de retour à la maison. Répète-t-elle, et cela sonne à nouveau comme un cadeau du ciel. Et toi, comment vas-tu ? »

Leone se retourne vers elle pour lui offrir un nouveau regard frontal, imperceptiblement son épaule tutoie la sienne. Elle n'ose la questionner sur la situation de la ville, elle ne veut pas les ramener aux interrogations quotidiennes de la garde. Leone admire le quignon dans sa main, apprécie la rugosité de sa croûte et le fait tourner lentement sur sa paume. A la fois tiraillée par la faim et l'estomac aux bords des lèvres. Ce qu’elle aimerait que sa jambe se décale de quelques centimètres de plus, ce qu’elle voudrait se jeter à l’eau.

« Béni soit-Il », loue-t-elle, que ce soit par soulagement ou par véritable conviction.

Il y a des sous-entendus dans tes propos, @Leone ; des non-dits dans tes regards ; des silences dans tes gestes. Des doutes et des espoirs qui t'ont portée jusqu'à ce réfectoire, dans une quête de réconfort que ta supérieure a bien remarquée : aucun doute dans ces premiers sourires et ces premières questions offertes. Te voilà retournée à des côtés que tu as quittés et que tu avais désiré retrouver. Justement : une question reste, traîne, latente, sur des lèvres qui, d'ordinaire, ne s'embarrassent pas de manières.

Toi qui es si heureuse de revenir, pourquoi être partie ? Le devoir, certes, mais vos ressources demeureront toujours insuffisantes face à l'Enclin : pourquoi sacrifier inutilement une vie si précieuse ?

Sa main délivrée du pain reste un moment sur la table, même après que tu aies parlé, mais tu sens que Senaste n'est pas totalement disposée à creuser ce qui n'est pas exprimé. Elle aussi doit réfléchir, elle doit aussi faire la part des choses, dans cette tempête qui la trimballe de droite et de gauche ces derniers jours. Ici, le souffle. Pourtant, dans tout cela, elle n'a su cacher sa joie de te retrouver. Qu'as-tu semé au milieu de ses pensées ?

« Je vais bien, te répond-elle sans vraiment sourire, habituée à cette question. Weisshaupt est extrêmement pressante d'un côté, car l'on sent que la terre y tremble et que, comme d'habitude avec les Enclins, les engeances n'épargneront pas les terres andériennes longtemps. Et d'un autre côté, la route de Wycome amène continuellement un nombre important de réfugiés, qu'on doit protéger et dont on doit aussi répondre. »

Tu étais parmi ces réfugiés ou compatis facilement à leurs espoirs : que tu aies pris la route ou sois rentrée par les airs, tu es de ces âmes qui ont trouvé refuge en Starkhaven. Toi, tu y cherches sûrement un foyer, espères retrouver ses plus beaux trésors capables de bercer ton cœur...  un coeur capricieux, qu'une déclaration à peine assurée revient cajoler :

« Je m'inquiète pourtant, avant de monter d'un ton : tu... tu as mauvaise mine. Tu trouves le sommeil depuis ton retour ? Raconte-moi ce qu'il s'est passé en Antiva, Leone. J'ai besoin de savoir. Nous parlerons après de la suite. »

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Des sourires, quelques œillades, une paupière qui cligne trop vite. Leone est certaine d’y voir des signes, maintenant que son cerveau a décidé de capter chaque mouvements, chaque frétillements, elle est incapable de ressentir la candeur dans laquelle elle se trouvait en s’asseyant là.
Un silence s’installe, nouvelle suspension temporelle où le quignon passe dans son autre main. Sur ce fil de funambule tendu à l’extrême au vaste gouffre qui l'entoure, Leone est si proche de le franchir d’un pas vaillant, sans même laisser le temps à sa Commandeure de lui répondre, qu’elle prend son souffle au moment même où Senaste déroule sa réponse habituelle, assurant qu’elle va bien. L’orlésienne la voit s’éloigner derrière son masque de circonstance. Ce qu’elle voudrait retirer ce qu’elle a dit, la rattraper pour retrouver la complicité qui s’était installée un instant auparavant. Rester un peu plus dans cette autre monde, où l’Enclin n’est pas tout à fait, où Leone peut apprécier être elle et admirer Senaste comme elle est, sans préoccupation, sans fioriture. Le moment est à nouveau passé, les tourments sont réels, les problématiques pesantes, obsédantes, Leone ne peut qu'acquiescer. Elle sera bien trop tôt debout à suivre les ordres et obéir aux missions les plus pressantes. Pourtant, une détresse certaine émane de Senaste, nouvelle scène fendillant son cœur et son âme.

« _ Nous sommes bien trop peu face à cette tragédie, comme toujours, mais, tu n’es pas seule, Senaste. Sa main s’avance, enhardie, se pose sur l’épaule de cette femme épuisée, avec plus de douceur que l’on aurait imaginé. Geste de sororité qui ne peut s’éterniser. Déjà, la paume de Leone doit se retirer, à regret, la garde imprime cette sensation ferme sous ses doigts. »

Après la réalité, le présent, le futur, les ancres du passé s’invitent à la nouvelle interrogation de la Commandeure, Leone se tend, son corps se souvient que trop bien. Ses nuits sont agitées de mélopées funèbres et attirantes, de marées sombres et vengeresses. Dormir plus de quelques heures d'affilée tient du miracle. La guerrière inspire profondément, est-ce là une marque de confiance, de proximité ? Son regard sonde celui de l’autre femme, elle a le droit de savoir.
La vérité.

« _ Je ne saurais mentir, surtout pas à toi. Leone a un sourire triste. Je dors peu et mal, chaque parcelle de mon être est hantée de nouveaux souvenirs atroces, d’odeurs plus dérangeantes encore et d’une crasse tenace, invisible et toujours plus souillée. Son regard se détache de celui de Senaste et parcourt le réfectoire, légèrement animé, de quelques regards curieux mais surtout de visages affairés.Dès fois, je ne sais plus bien si suis bien moi. Si tout ça m’appartient vraiment. Leone inhale une nouvelle fois, revenant au visage de l’autre garde. C’était… sa voix se brise alors qu’elle cherche un mot assez fort pour exprimer l’inexplicable. Insupportable. Ses paupières se ferment, ses sourcils se froncent et son nez se retrousse dans un mouvement de dégoût. Elle mobilise toutes ses forces pour continuer à raconter. Des piles de cadavres, des torrents d’engeances à ne plus savoir où donner de la tête. On imagine les batailles bruyantes mais le pire, c’est le silence. La mort. Et… le feu. Mais Leone se met à trembler. Leone se revoit mourir sous ce dégueulis de flammes. Et sa main attrape le bord de la table en lâchant le pain intact. Pendant que son autre main cherche le réconfort du poignet de Senaste, toujours avec une douceur déconcertante. J’ai cru mourir, j’étais si proche, c’était si… elle s’étrangle, réprime un sanglot dans le fond de sa gorge. les flammes étaient là et sa main glisse avec légèreté sur l’avant-bras de la Commandeure. »

Leone se tait, le silence se fait.
Sa main gauche fixée à la table, sa main droite figée sur celle de Senaste.
La lucidité la sort peut à peu de sa torpeur, elle baisse d’un ton.
« _ C’est… confus. Jamais je ne saurais te conter ce qu’il s’est vraiment passé. Je serais bien incapable de te dire combien de temps j’ai brandis mon bouclier, combien de fois on m’a relevé, combien d’engeances j’ai passé au fil de mon épée. Tout est devenu si… flou. »
Cette fois-ci, Leone expire le poids d’une charge partagée. Elle se rend soudainement compte de sa main sur la sienne et perd ses moyens. La chaleur lui monte au visage et elle se sent honteuse de se permettre cela après un récit si dramatique. Retirer précipitamment sa main ne serait que plus évident, la laisser deviendrait embarrassant. Pourtant, ce contact est rassurant, il l’ancre de la réalité, lui rappelle à nouveau qu’elle est bien vivante et que Senaste est bien toujours là, auprès d’elle. Elle ne bouge plus, retenant presque son souffle.

Des confidences que tu livres avec difficultés, @Leone : les souvenirs se brouillent, masqués derrière les fumées démoniaques. Non, pas démoniaques, malheur que tu ne connais pas : plutôt souillés, déformés, bouffis, violacés... pourtant les mots sortent, roulent, comme les vagues, comme cette journée que tu as vécue. Etrange mot : peut-on vraiment vivre pareilles horreurs que l'on oublie aussi vite ? Vivre ce mal que l'humanité a créé et livré au monde ?

Et elle t'écoute attentivement : chaque mot, chaque doute, chaque sentiment, Senaste l'absorbe, spectatrice digne et horrifiée. Le vit-elle par catharsis ? Il y a bien des images que tu invoques qui lui parlent, alors qu'elle ne se trouvait pas parmi vous - alors que, malgré toute l'expérience qu'a votre Commandeure, elle ne doit pas comprendre. Pourtant, elle surprend à trop bien saisir ; pourtant, elle surprend à céder à une réaction plus émotive qu'on n'aurait attendu d'elle. Si le contact de ta main sur l'épaule l'a apaisée, l'en voilà maintenant libérée.

« C'est bien trop tôt !, l'exclamation de Senaste s'échappe malgré elle. Une commanderie entière a été réduite en cendres, et celles et ceux qui, parmi vous, s'en sont tirés, ont admiré l'innommable. Des vétérans disparus tandis que des jeunes Gardes sans expérience arrivent à détourner l'archidémon. On ne doit notre chance qu'à l'inconscience d'un gamin, tout héros soit-il. »

Senaste se lève, incapable de tenir en place, malgré la fatigue : certains de tes mots, @Leone, l'ont secouée, et la libèrent d'une parole qu'elle n'aurait jamais exprimé en présence d'une autre personne. Cela ne rend pas forcément l'instant plus agréable, maintenant qu'elle ne tire que le constat de son impuissance. Si tôt, si haut.

« On aurait pu prévenir tout cela. Je n'aurais jamais dû vous permettre de suivre Turab. »

Son ton se déchire un moment à évoquer le nom de son ami dont on n'a même pas retrouvé le corps : les jumeaux l'avaient effectivement bien vu tomber du ciel incarnat, avec son griffon et la royauté, pour s'écraser dans les masses grouillantes d'engeances. Des morts, des blessés, et elle laissée à l'arrière parce qu'elle avait alors une autre commanderie à diriger, dans l'attente d'affreux résultats.

« Leone, tu as besoin de repos, une inspiration pour retrouver son calme. Plus d'une nuit de repos.  Je ne veux pas que ton état s'aggrave par surmenage... Seulement pour une Garde comme toi qui se repose, nous aurions besoin de trois recrues qui surveillent et s'entraînent. »

La Commandeure-garde se sert un verre d'eau qu'elle avale d'une traite, puis vide la carafe dans un second qu'elle te tend. Une manière comme une autre de souligner ses paroles, tandis qu'elle ajoute :

« Plus que l'on en aura jamais si l'on doit attendre les bonnes volontés de Starkhaven pour nous donner des bras solides et des cœurs accrochés. »

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Leone aurait voulu que Senaste la prenne dans ses bras, qu'elle lui assure que c'était terminé, que le pire était passé et, qu'ensemble, elles seraient invincibles. On ne peut pourtant pas changer la meneuse qu'elle est. Le récit de sa subalterne l'émeut d'une autre manière, elle se lève, rompant le contact rassurant, pour souligner les pertes et rappeler par quel miracle la poignée de rescapés a survécu. Leone se détend, il n'y a bien que cette femme pour remettre en question ouvertement les jumeaux qui ont sauvé le peu qu'il restait. Son intervention à la cathédrale lui revient en tête, toujours prête à piquer là où il faut. Il est bien plus inquiétant de penser qu'elle a raison. C'est bien trop tôt. Et si Leone en a réchappé une fois, ce n'est qu'une maigre allonge, l'Enclin les engloutira bientôt. Les inconscients, les plus pieux, les braves et les pauvres, Starkhaven. Cette idée lui tord les boyaux.

« _ Tu as raison, il est bien trop tôt pour regarder passivement la mort nous fondre dessus. Je n'ai pas vaincu le pire pour rentrer et me laisser submerger par l'Enclin. Il est l'heure d'accélérer, sur tous les fronts. La flamme brûlante de cette résolution vacille à la mention de Turab. Leone abandonne le pauvre quignon de pain à la table pour se lever et planter ses yeux dans ceux de la Commandeure. Nous sommes des frères et de sang lié·e·s au-delà des frontières, si Andoral s'en était d'abord pris à Starkhaven, ton ami aurait envoyé ses meilleures troupes consentantes à notre rescousse. Tu as pris la meilleure décision, aussi difficile qu'elle fût et aussi décevante qu'elle puisse nous paraître aujourd'hui. »

Leone baisse finalement les yeux et accepte les compliments. Les années d'expériences restent irremplaçables. Elle love le verre d'eau au creux de sa main et, malgré sa bouche sèche, ne s'empresse pas de le boire.

« _ J'ai besoin de repos comme nous toustes. Je peux lever le pied si tu le juges nécessaire, mais je n'arrivais pas à juste regarder vous activer en restant passive, tu me connais. Elle boit une partie du verre tout en réfléchissant. À ce propos, laisse-moi les Dragons. Senaste était l'une des rares personnes de cette ville à connaître son histoire, de son passé dans la troupe d'Amadis et à avoir connaissance de Celeste. Ce sont des mercenaires attachés, parfois contraints, à un contrat dont, je suis sûre, certain·e·s préféreraient se défaire. Sans user de notre droit, je dois pouvoir leur faire une proposition honnête. Et puis, Copper n'oserait pas ne pas l'écouter, n'est-ce pas ? Elle déglutit et se réfugie dans son verre d'eau. Copper a toutes les meilleures raisons de ne pas accepter de lui parler. Encore faut-il qu'il ait le choix. »

Senaste cherche tant bien que mal à cacher cette fatigue, à ne pas fléchir, à être forte pour toutes les troupes. Elle mérite tout autant, voir plus, le repos qu’elle est en train de proposer à Leone. Jamais Leone n’a vu cette femme abattue, même en évoquant Turab, toujours, elle les a guidé. Aujourd’hui, Leone veut s’assurer qu’elle a conscience de ce qu’elle représente, pour toute la Garde des Ombres mais aussi, pour elle.

« _ Comme le vrai repos nous est interdit avant notre victoire -ou notre mort- tu dois savoir que tu inspires les recrues comme les vétérans. Tu nous portes, nous et nos revendications, dans les plus hautes sphères avec une hargne qui est si représentative de notre ordre. Tes choix sont toujours judicieux et malgré les épreuves, tu gardes la tête sur les épaules. Tu es la meilleure meneuse que l'on puisse rêver d'avoir, Senaste, les Gardes des Ombres t'admirent et te respectent. Si les Engances avaient un cœur, elles te craindraient. Un silence. Un déclic. Une promesse à tenir. Et moi, je t'aime. »

La phrase est prononcée, plus doucement que la tirade, toujours avec délicatesse. Le poul de Leone accélère, c’est comme s’être jetée du haut de Danse-Vent en plein vol. Ça devient très vite un supplice qui se noie dans une attente fébrile. Elle venait à sa rencontre aujourd’hui pour ça, désormais, elle a peur d’être déçue, de perdre tout ce qu’elle a construit à Starkhaven, de voir s’envoler le bonheur qu’elle s’était imaginée avant de mourir. Debout, face à face dans le réfectoire, le temps semble s’être arrêté.

Oh, des confidences et des aveux de faiblesses, te les voici bien présentés, @Leone : la détresse est maîtrisée mais elle est bien là, installée, un peu trop réfrénée. Détresse d'une première solitude avalée dans l'urgence, avant-goût des horreurs à venir. Car tu admires la guerrière Senaste, mais elle n'a fait que combattre des engeances : jamais un Enclin. Et ses plus fidèles soutiens étaient parties vers Antiva avec, dans leur sillage, la peur de ne plus vous voir revenir. Et toi particulièrement, à qui elle adresse ces mots, car il est des choses qu'elle ne peut confier au caractère si tempétueux et entraîné de sa Seconde. Une confiance certaine qui s'est installée entre vous deux.

« Je te laisse te charger des Dragons, tu les connais bien, tu as ma pleine confiance. Convaincs le plus de leurs soldats : s'ils ont des problèmes de morale, eux qui doivent aussi représenter leur Prince, rappelle-leur qu'il n'y en a pas, ici, et que l'on accueille tout le monde. Que l'on récupère tout le monde. »

Senaste ne se met aucune œillère sur ce rôle si pragmatique que son ordre, et particulièrement sa commanderie, tient : surtout maintenant que vous êtes l'un des derniers bastions, à l'Est du continent, contre ce terrible Enclin. Et vous savez bien à quel point vous pouvez compter sur Tévinter après leurs derniers déboires...

« Attends que l'Enclin arrive avant de t'avancer autant... », commence-t-elle à te répondre concernant sa capacité à inspirer les troupes - femme de pragmatisme et d'action, elle ne sent que peu à l'aise au milieu des compliments.

Oui, des compliments - et des émotions, et des déclarations. Plus éclatantes sont celles qui sont délivrées dans un murmure, sur le coin de la table du réfectoire, que droite sur l'autel d'une prestigieuse cathédrale : celle-là réussit à abattre immédiatement la guerrière qui déglutit les yeux écarquillés.

« Oh, Leone, je... »

Le rouge ne quitte pas ses joues d'ordinaire blanches, carmin qui jure au milieu du bleu omniprésent : ses yeux eux-mêmes se dérobent devant une réalisation perturbante. Gêne indubitable, désarroi manifeste, surprise complète : elle cherche un peu d'eau dans la carafe, n'en trouve pas, te lance un regard et ne tient manifestement pas la ligne.

« J'ai... besoin d'eau. »

Quand elle se lève pour chercher une autre cruche, tu ne peux vraiment douter qu'elle ne te rendra pas aujourd'hui ce que tu lui as offert avec ton grand cœur, @Leone : sa fuite en avant n'est qu'une manière de ne pas totalement se dérober à ta présence qu'elle aime, mais qu'elle ne sait plus comment considérer. Quelle a été sa vie sentimentale avant, ses attentes, ses doutes, ses histoires - sont-ce des questions que l'on se pose au sujet des meneuses que l'on admire ? Toi, @Leone, qui compte également parmi ces femmes bien plus grandes que par la taille, qu'as-tu à répondre à ces questions ?

« Je ne sais pas quoi te répondre, Leone, pardonne-moi..., articule-t-elle doucement, même si tu comptes beaucoup pour moi... »

... et qu'elle t'a maintes fois rappelé sa crainte de te perdre, son envie de te garder à ses côtés...

« ... crois-tu seulement que l'on a le temps - le droit - quand le monde menace de s'effondrer ? », et la Commandeure-garde avale difficilement son verre d'eau, sans oser te délivrer d'autre regard que de légers coups d’œil.

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Une nouvelle pierre scelle une confiance toujours accordée. Aller en avant, sur le camp des Dragons de Rubis et d’envisager tous les moyens pour en convaincre le plus grand nombre. Leone incline la tête dans un signe de compréhension et de dévotion totale, elle a même un sourire. La voilà face à une tâche qu’elle repoussait depuis bien trop longtemps, celle de retrouver Copper.

« _ Ce sera fait. Le Prince et sa folie jouent peut-être en notre faveur, nous pouvons en tout cas l’espérer. De si bons mercenaires à leur porte et si peu de volontaires, si peu d’adelphes prêts à servir une cause plus noble qu’être larbin d’un seigneur dément. »

L’Enclin est déjà sur nous, Senaste. Et tes troupes sont toujours avec toi. A-t-elle envie d’ajouter mais se retient, de peur d’en faire trop. Le pavé est déjà dans la mare, alors elle en garde un peu sous la botte, pour une prochaine fois… peut-être. Si cette prochaine fois existe.

Leone l’observe, les sillons creusés par l’inquiétude d’une déclaration de trop. Elle voit sa gorge déglutir avec difficulté, ses yeux se poser sur elle et s'accroître sous la surprise. Puis, le rouge grimper jusqu’à ses joues et celles de Leone l’imitent, même si sa peau noire camoufle le plus grand changement de teinte. Leone a sans doute arrêté de respirer quand Senaste décide d’échapper à son regard et de s’éloigner à la recherche d’un rafraîchissement. La guerrière se mord la lèvre en fixant ses mains restées bêtement sur la table. Elle n’a rien voulu imaginer, s’est interdit tout fantasme inutiles, pourtant, la déception pointe dans ses entrailles. L’émotion remonte le long de son œsophage, bloque ses poumons, étrangle sa gorge, tord sa mâchoire à en faire mal.

« _ Je n’aurais pas… n’aurais pas dû mais la poitrine est si comprimée que la voix de l’immense femme se tord jusqu’à mourir sans rien émettre de plus. »

Les mains s’entremêlent, cherchent une manière de se dérober à cette situation trop intense, trop nouvelle et trop malaisante. La fierté est grande et Leone se force à reprendre une forme de contrôle en commençant par libérer sa cage thoracique d’une grande goulée d’air.

« _ Si ce n’est pas ton cas… il y a juste… juste à me dire non, Senaste. ses mots arrachent un morceau de son corps, étranglent le haut de sa nuque et compriment son front comme si tout son corps semblait prêt à exploser sous la douleur qu’elle a de les prononcer. Et je n’insisterai pas. ajoute-t-elle d’un ton sérieux, au bord de l’implosion. Ce sera comme si… comme si… ça n’avait pas eu lieu. Leone effectue un mouvement ample de l’avant-bras pour désigner la situation, même s’il lui en coûte, elle ne peut pas risquer plus. »

Cette fois-ci, elle prend elle-même son verre d’eau et en descend plus de la moitié. Les interrogations de Senaste sont légitimes, surtout pour une personne de son rang. Leone hausse les épaules alors que son cœur n’a toujours pas terminé de battre la chamade et qu’elle accueille chaque coup d'œil avec un sourire gêné.

« _ Le monde ne tient que parce que l’amour existe. Elle passe une main tremblante dans ses cheveux blanchis. J’en suis persuadée. Sinon, où iraient puiser toutes ces forces les personnages les plus illustres de nos légendes ? Elle termine son verre d’eau, essuie ses mains moites sur son pantalon et décide de combler à nouveau l’espace qui les sépare, s’arrêtant à une distance raisonnable. Sans départir de son sérieux, elle ajoute. Tu dois savoir. Elle inspire en souriant, pensant à cette soirée à la taverne, revoyant sa promesse jurée au coin d’une table puis cherchant à retrouver les prunelles de Senaste. Je n’aurais pas survécu sans l’idée de te retrouver. »

Oh, @Leone : cette interjection qu'elle répète et murmure sans fin résume parfaitement cette étrange situation qui vient de s'installer dans le réfectoire. Parce qu'il n'est pas inapproprié qu'après les aveux viennent les confidences : comment cacher des sentiments si justes et si sincères ? Ce terreau que la vue de vies détruites et la peur d'être de ces gens enterrés sous terre a enrichi ? À cœur aussi noble que le tien, chère Garde de haute, la sincérité de tels sentiments n'ont de réelle teneur qu'exprimés : personne ne t'en tiendrait rigueur tant ils sont vrais.

Tant ils sonnent justes à l'oreille de Senaste, comme sonne si juste ta vision de l'amour. Elle paraît souscrire à cette vision du seul sens que peut avoir ce monde : la Commandeure-garde acquiesce, boit, et le Créateur soit loué qu'il n'y ait que de l'eau dans son verre car personne n'assumerait d'autres conséquences.

« Je n'y ai... simplement..., le murmure est dur à sortir mais elle s'y accroche, jamais pensé... »

Au milieu de toutes ses pensées et de tous ses devoirs, non, elle n'y a pas pensé : a-t-elle jamais assumé des sentiments naissants dans son cœur, des sentiments si installés qu'elle ne pouvait plus les retenir ? Comme toi aujourd'hui, @Leone. Quelle a été sa vie avant ? Avant qu'elle ne la confie dans tes mains et celles de vos compagnons et compagnonnes d'armes, comme vous l'avez fait pour elle ? Une chose est certaine :Senaste avait cru te perdre en Antiva, mais elle ne s'attendait pas à y retrouver une telle sincérité...
... et de tels doutes. La Commandeure-garde cherche à boire, mais son verre est vide.

« Oh... Leone... la voix s'étrangle un peu. Tu as encore une fois raison mais... »
Gagne la guerre. Voici commence la devise de la Garde des Ombres.
« ... mais je ne peux pas te répondre... Je ne sais pas si je peux te donner ce que tu veux... Oh, Leone, j'ai déjà besoin de toi : est-ce que je peux supporter de te perdre encore plus fort ? Oui, ce monde tourne et n'a de sens que parce que nous pouvons aimer : mais est-on encore de ce monde après l'Union ? »
Préserve la paix.
« Ce sont des joies pour d'autres que moi, Leone, croit-elle seulement ses mots ? Je suis... désolée, elle se convainc, en tout cas. »
Ne recule devant aucun sacrifice.

Quand Senaste se redresse, tu la vois essayer de se tourner vers toi et te regarder : mais elle n'y arrive pas. Le rouge de ses joues ne s'est pas échappé. Cette situation la gêne toujours plus, sans qu'elle ne soit capable d'enfoncer la porte du non que tu lui as pourtant ouverte, @Leone ; mais elle n'accède pas à ta demande, non. Elle s'échappe, même, fuit, s'approche lentement de la sortie, ne t'abandonne pas sans un mot... car elle tient à toi.
Elle ne comprend simplement plus comment.

« Je te retrouve demain pour que nous fassions le point sur l'Enclin, tu veux bien ? », déclare-t-elle une fois la porte.

Et alors, Senaste accroche soudainement tes yeux, ce qu'elle n'avait pas encore réussi : ils sont légèrement humides, extrêmement fuyants, profondément sincères dans ce qu'ils ne disent pas. Aucun désir de te blesser, même si elle ne sait pas comment répondre à ta déclaration si sincère, si touchante...

« Je... je suis vraiment heureuse que tu sois rentrée et que tu sois encore auprès de moi. Repose-toi bien. »

• Cette mission fait suite à une demande de rencontre avec le.a PNJ ICI.
• Il n'y a pas de délai de réponse demandé : à vous de gérer votre rythme.
• Les MJs s'engagent à répondre sous dix jours après votre dernière réponse : si ce délai est dépassé, ne pas hésiter à contacter @Frère Génitivi.
• En cas de mission secrète, merci de bien mettre sous balises hide tout votre message. Si vous évoquez des secrets, utilisez des balises hide autour du passage concerné.