Type de RPClassique
Date du sujet3 Longnuage 5:13
ParticipantsHector de Grandbois -Alzyre de Launcet
TWVulgarité / Alcool / Allusions sexuelles
Résumé Dans le bordel le plus classe de Starkhaven, deux anciens nobles Orlésiens se retrouvent, après des années sans réels contact et des déception familiales.
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>3 Longnuage 5:13</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1406-demain-en-compagnie-d-hier-alzyre">Demain en compagnie d'hier</a></li></ul><p><u>Hector de Grandbois - Alzyre de Launcet</u> RÉSUMÉ DU RP.</p>[/code]

- « T’as dit QUOI, vieille saloperie ?! »

Et je me pris une autre droite, ce qui non seulement crispa mon audience d’un “ouuuuuuuh” de compassion face à la douleur de son poing, mais aussi et surtout me propulsa cette fois-ci vers le sol. Mais le vioc ne me laissa aucun répit, le poing brandi et déjà paré à relancer son assaut. Mon regard était trouble, mon sourire tordu, et je laissai sans regret un rire mou filer d’entre mes lèvres. Ce rat ne payait rien pour attendre.

- « J’ai dit que les petits cons dans ton genre je les noie dans le Minantre ! »
- « Bah ça alors, on est bien loin du Minantre là, non ? Tu te sens pas un peu con là ?! »
- « Mais bordel tu vas la fermer, ta grande gueule ?! »

Et un autre coup se dirigea droit vers moi, mais un réflexe surhumain me sauva la mise : mon poing attrapa le sien, ma tête se propulsa contre la sienne, et mon autre main se referma sur elle-même pour aller se projeter dans ses tripes. Il se courba, recracha un peu de sa beuverie probablement, tanga un peu, mais je ne lui laisserais aucun répit : j’enchaînai alors les coups avec toute l’adresse que pouvait me donner une sacrée cuite à base de bière et d’autres liquides non-identifiés. Je vacillai un peu, tandis que les spectateurs observaient avec attention, hurlaient de victoire comme si le destin du monde se jouait, alors que ce n’était qu’un simple combat à la con issu d’une histoire à la con. Putain. J’étais trop bourré pour ces conneries, merde !

- « Ouais fais moins le fier, le vioc ! Vieux con, va. »

Sans plus de cérémonie, je lui lançai un coup de pied dans les côtes. Ça lui apprendrait. Salaud. Je poursuis ma route, victorieux ivrogne que je suis, vers l’entrée du Laurier Carmin. Oh, ce foutu Laurier, j’en aurais bavé ici. Surtout avec l’autre vieille. Putain, dans quelle merde elle m’avait fourré ? Bah parfait, je pourrais enfin lui annoncer la superbe grande nouvelle et lui claquer la porte au nez ! J’avais assez fait pour elle, en plus. Mais pas ce soir. Certainement pas ce soir. Je déambule encore un peu, me cogne contre des choses ou des gens, ou un peu des deux. Putain j’ai mal au crâne.

- « Eh ! Mais par la tonsure du Créature, Alzyre ? »

Une voix un peu lointaine, mais qui prend tout son sens à force de mots. Hein ? Quelqu’un m’avait appelé ? Oui. Oui ouais. Je tournai la tête, un peu perdu, pour tomber sur un grand gaillard, un peu plus loin, qui m’observait avec une grande surprise. Mais je connaissais cette tête .. Je me rapprochai avec prudence, le pas chancelant, la mine peu agréable, les cheveux sûrement en bataille après la rouste que j’avais collée à l’autre connard de vieux, le regard de travers, le nez en sang.

- « J’sais pas, on s’connaît ? »

Mais si, il me disait un truc. Mais d’où ? Mystère.

- « Ah, une bonne journée déjà hein ? »

Mais c’est qu’il est comique, en plus.

J’arrive à peu près à sa hauteur, enfin façon de parler. C’est un GÉANT, ce mec. Je lève ma petite tête dans sa direction, les yeux plissés. Mais oui que je l’ai déjà vu, merde ! Mais alors où ? Bonne question, mais j’aime pas son ton, au grand dadet. J’l’aime même pas du tout.

- « Petit garnement est devenu grand, ton nez et ton allure diffèrent bien maintenant. »
- « J’t’emmerde. »

Je me tiens la tête un moment, pris d’une soudaine migraine. Merde, faut que je boive un truc. Après tout, c’est important de s’hydrater en bière, surtout par une si belle époque foireuse et dystopique.

Mais malheureusement pour moi, la réponse ne tarde pas à tomber.

- « Donc tu me reconnais vraiment pas hein ? Probablement aurai-je du arriver plus tôt, ta mémoire aurait été meilleure. C'est Hector, de… »

La suite ne me parvient pas. Je m’en fiche de la suite. Mes yeux s’agrandissent de surprise, ma mâchoire se relâche, mes épaules redescendent, mes traits se dispersent l’espace d’un songe.

Les jardins de la résidence des de Montfort à Val Royeaux, en fin d’après-midi.

Toute ma famille avait été conviée à des mondanités, mais à cette époque, c’est quelque chose qui me passe bien au-dessus de la tête. J’étais donc resté dans un coin, bien tranquillement, à lire ma Chanson de Geste préférée de l’époque : Clovis l’intrépide ! Le meilleur Berruier du deuxième âge, véritable symbole d’honneur, de piété, de vertu, ..

Et puis, ce grand dadet s’est pointé, fatigué de cette vie dont j’ignorais tout à cette époque. Il lui a fallu un moment pour me remarquer. Il a sursauté, d’ailleurs, n’ayant pas vu le petit enfant que j’étais, recroquevillé sous des rosiers, à lire mon petit livre. J’ai levé mes grands yeux sur lui, puis les ai reposé sur tous ces mots alignés, sans un bruit.

On a parlé un peu de mon livre, mais pas de chance, je n’étais pas très bavard, à cette époque. Je réponds à peine, brode quelques mots ensemble, à moitié mangés par la gêne, l’autre moitié par les pages de mon livre. On parle de chevaliers, de combats, de ces petites choses qui animent les rêves d’un enfant issu de la noblesse orlésienne. Mais dans le fond, ce jour-là, on n’a pas tant parlé que ça. Mais c’était bien, aussi.

Les larmes dévalent mes joues sans prévenir, le silence pèse sur mes épaules chamboulées.

Mais oui putain, c’est Hector.

Un souvenir si bien enterré, qui émerge sans prévenir. Le bougre a pas grandi contrairement à moi, mais ses traits sont plus tirés, plus fatigués, il a vieilli, quoi.

- « Tu as bien changé maintenant, que deviens-tu donc ? »

Oh putain je suis trop bourré pour ça.

Oscillant entre mes souvenirs et la dure réalité du présent, me voilà réduit au silence, incapable de prononcer la moindre parole, ou la moindre connerie. Je sens le mioche que j’étais refaire surface dans cette conversation, mal à l’aise, naïf, stupide à souhaits, qui a le malheur d’être gentil, aussi .. Il aurait pris les jambes à son cou, le petit poltron, et j’hésite franchement à faire de même. Qu’elle est bien loin, cette époque où je jouais à l’épée avec lui, qu’on se posait ensemble dans un coin sans rien dire, sans rien faire. Des fois on jouait à des petits jeux, on mangeait en secret, aussi .. haha. Une lointaine époque qui me fait autant sourire que pleurer.

Qu’est-ce que je suis devenu ?

Ma mâchoire tremble, mes joues bouillonnent de mille et une émotions, mes yeux ont du mal à rester ouverts. Je passe une main sur mon visage, comme pour lui donner de la vigueur. Mais rien ne marche. Mes épaules sont secouées. Mes yeux sont fermés pour de bon, cherchant à retenir le flot de souvenirs et de douleur qu’une simple question peut amener. Je suis trop bourré pour ces conneries, merde. Me voilà, plus silencieux qu’une tombe, à pleurer comme une femmelette, incapable de répondre à une simple question. Sérieux c’est quoi mon problème ? Ça peut pas attendre un autre moment ?

Un bien étrange retour au bercail loin d’être prévu. Dans une époque où il n’y avait pas de problèmes, où je n’étais pas encore un problème, et à juste titre : je ne bougeais pas une feuille, je ne prononçais pas la moindre parole, je n’existais tout simplement pas. J’inspire avec force, soupire bruyamment, cherchant un échappatoire à cette accumulation qui venait de subitement lâché, comme un trébuchet tendu à son paroxysme depuis des années, dont la corde venait enfin de rompre. Cette foutue corde trop vieille, trop usée, qui n’avait demandé l’avis de personne avant de céder sous le poids de ce qu’elle retenait depuis tout ce temps. Cette foutue corde, que j’avais finalement décidé d’attraper. Ou qu’on a attrapé pour moi. Je sursaute face aux claquements de doigts droit sur ma tronche.

- « Réveille toi gamin, tu fais plus peur qu'autre chose. »

Mon souffle dérape une fois de plus, cette fois de surprise. Une sorte de bouffée d’air, après m’être débattu des heures dans les profondeurs de la mer tumultueuse que représente mon âme à présent. Je pose un regard ridiculement incrédule sur lui, comme si j’arrive enfin à réaliser que c’est bien Hector en face de moi, qu’il arrive à lire ce désarroi dans mes yeux, dans ma tête, et qu’un simple geste parvient à changer le cours entier de ma vie.

Je cligne lourdement des yeux, pour que s’évanouisse enfin de mes joues ces plaies à présent grandes ouvertes. Je râle pour retrouver contenance. Je suis Alzyre de Launcet, je n’ai besoin de personne. Je n’ai besoin de rien.

- « Je suis étonné qu'un fantôme du passé ébranle le grand gaillard que tu es maintenant. Tu dois avoir tes propres histoires héroïques maintenant non ? »

Ma gorge se noue à cette seule question, comme si l’autre épée de Damoclès s’écroule à nouveau sur moi : celle de mes principes.

Mes propres histoires héroïques ..

Je ravale un rire amer, qui s’échappe malgré tout. Je passe une nouvelle main sur mon visage, déconcerté par une telle question. Sérieux, qu’est-ce que j’ai fait d’héroïque dans ce désastre de vie ? Cette vie où rien n’a jamais été, où tout est parti de travers, et où je n’ai absolument pas aidé mon cas.

Mon premier bouclier de secours s’est alors brandi, celui du sarcasme. Je ne voulais plus y penser, et me voilà en plein face à mon passé, face à mes erreurs, ou face à mon avenir. Celui de devenir un paria, un voyou, ou pire : un malhonnête.

- « A pas grand-chose d’être devenu boucher aussi, tiens. »

Je connaissais son histoire. Si mes parents avaient tenté depuis très longtemps de dissimuler la vérité, prétextant qu’il s’était enrôlé ailleurs, qu’il avait quitté le pays, ce genre de banalités, j’avais fini par apprendre ce qu’il en était, et ma première réaction fut de me dire que je le comprenais. j’étais en plein dans ma formation de templier, jeté dans la fosse à tigres sans demander mon reste, alors qu’on venait de me briser le cœur et les rêves pour de bon. Donc comment dire que c’était tentant, cette petite fantaisie malsaine, cette impulsion sans retour pour une famille qui n’avait fait que me causer du tort. Moi, le rejeton des de Launcet, le déshérité “par principe”, celui qu’on retirait gentiment de l’arbre généalogique. C’était pas plus mal, finalement, que je merde une seule fois, pour m’écarter comme ils le voulaient depuis si longtemps. M’envoyer à ma mort à la guerre n’aurait pas été suffisant, j’imagine. Il fallait agir bien plus rapidement.

J’aurais aimé qu’Hector me prenne dans ses bras.

Je croise les bras, que je serre avec force contre ma poitrine pour la réchauffer un peu, un regard dur défiant le sien. Pourquoi maintenant ? Il aurait pu être partout dans le monde, et il faut qu’il termine à Starkhaven ? C’est quoi cette probabilité improbable du tout ?

- « Et donc, tu fous quoi dans un trou pareil ? »

C’est ma façon de prendre de ses nouvelles, j’imagine. De savoir comment il va, ce que lui a vécu comme aventures, s’il a enfin trouvé l’amour après toutes ces années aléatoires, ses dernières lectures, ou les plus marquantes d’entre elles, les plus beaux paysages qu’il a pu voir, .. C’est comment Antiva ? Ou au Névarra ? Ou peut-être les Anderfels, et ses montagnes montagneuses et son sable sablonneux ? Ou peut-être carrément Tévinter ? On disait beaucoup de choses sur ces hérétiques, mais leur architecture est quand même si vieille, qui date de bien avant la première Divine, quand même ! Ça doit être tellement beau ..

Il m’a manqué le grand dadet.

Il m’a manqué, mais je sens que le temps a passé depuis.

Les femmes, la route, la galère, l’alcool. Après la sombre et triste histoire qui s’est abattue sur ses épaules vis-à-vis de sa famille, tu m’étonnes qu’il déraille complètement.

- « Bien loin des grands récits de chevalerie hein ? Ni plus ni moins que la réalité tordue de notre monde faut dire. »
- « Je vois ça. »


Être Chevalier, c’est aspirer à un idéal, un modèle de conduite vertueux et digne. C’est se battre pour les bonnes causes. C’est aider son prochain, et pourfendre son ennemi. C’est également devenir un homme, un vrai, puis un véritable patriarche qui porte haut et fier les couleurs de sa propre famille, entouré d’une femme intelligente et d’enfants prodigieux. C’est un tout un peu maladroit, mais surtout idéal. Un petit manuel de conduite pour se donner une bonne image, en soi. La bienséance orlésienne dans toute sa splendeur.

Car derrière l’adversité se trouve l’ignorance, derrière le courage se trouve la peur, derrière les bonnes causes se trouve le fanatisme, et derrière la famille modèle se trouve l’amant, le bâtard, ou les deux. Alors à quoi bon persister, au final ? Se donner bonne conscience ? Je hausse des épaules, tandis que la suite de ses propos me parviennent. Des propos qui font comme un déclic en mon âme. Un déclic qui a retenti si fort que même ce brave Hector s’interrompt.

- « Sinon quand je ne viens pas fourrer des trucs, je bois. Et quand je bois pas, je tue des engeances. C'est rigolo la vie à la garde, en laissant de côtés les… »

Tuer des engeances. La vie à la Garde.

Bordel, Hector est un Garde des Ombres ?!

Oh.

Mais je vois dans son regard les ténèbres qui guettent. Son sourire d'insouciant s’efface, son regard espiègle est moins espiègle, et le voilà à radicalement changer de sujet. Oh mais putain j’ai ma porte d’entrée pour le destin que je dois mener ! Et avec Hector en plus ! C’est clairement pas un hasard. Clairement pas.

- « Mais sinon, raconte moi donc, hormis ton échec à devenir boucher, qu'as-tu d'autre à raconter maintenant ? Héroique ou non, n'ai pas peur, j'ai déjà quasiment tout entendu. »
- « .. Non mais attends t’es Garde des Ombres et tu m’as rien dit ?! »

Je suis outré, mais en même temps con d’Alzyre, comment tu veux qu’il te le dise ? C’était carrément devenu impossible de lui écrire la moindre lettre et, de toute façon, Hector s’était évanoui dans la nature. Je comprends mieux par contre pourquoi il n’est pas exécuté ou autre condamnation sympathique. Être Garde des Ombres est un réel laisser-passer pour le criminel dans la merde.

Ma posture et mon attitude changent un peu. Un peu d’arrogance peut-être, ou une simple détermination comme si elle venait droit du ciel. Autant lui annoncer la radieuse bonne nouvelle !

- « Non parce que .. Au vue des circonstances actuelles, il faut bien que des gens agissent, et j’ai décidé d’aller m’enrôler à la Garde ! »

Je marque ma pause d’une moue vive de la bouche, signifiant l’obstacle principal à ma glorieuse quête sacrée.

- « Sauf que le Cercle ne veut pas trop. Parce que ouais, paye ton ironie on m’a envoyé dans l’Ordre pour étouffer un scandale. »

Je pousse un soupir, me frottant le front gentiment. Puis, comme si l’heure des hostilités vont commencer, je m’exclame vivement auprès de mon vieil ami.

- « Dis, t’as pas soif ? Perso j’ai soif. On va se boire un coup ? »

Évidemment qu’il accepte, c’est Hector ! Et puis qui refuserait une petite beuverie avec un vieil ami de longues dates ? Bon, ami je m’emporte peut-être un peu. C’est un peu mon tonton rigolo, Hector. J’l’aime bien. Et il m’a manqué.

Nous prenons donc la direction d’une taverne animée où je vais souvent. Avant de pousser la porte, Hector répond à ma réalisation si enthousiaste par un ton pas très enthousiaste. Bah. C’est le soir il doit être fatigué.

- « Mais oui, je suis garde, depuis que j'ai quitté Orlaïs d'ailleurs. Ça fait un bail. »

Ah oui wow. Quand même.

Je pousse donc la porte, me faufile dans la foule heureuse d’ivresse, nous trouve une table dans un coin. Je m’assieds dans une posture à l’aise, la soif tiraillant ma gorge. J’aperçois une serveuse, lui montre deux doigts pour signifier bah heu .. deux.

Ladite serveuse réapparaît près de nous avec deux pintes, qu’elle dépose sur la table avant de disparaître dans cette bouillie de bonheur humain et chaotique. Que j’adore les tavernes. Mais la conversation tant attendue reprend, et j’ai hâte de lui poser toutes les questions tordues et pointilleuses que j’ai en tête depuis au moins une bonne semaine.

- « Tu es sur de toi ? La garde est un peu plus compliqué que l'ordre. On ne passe pas nos journées à garder des mages dans leur prison déjà. En ce moment je les passe principalement à boire, à patrouiller et à boire aussi. »

Mes sourcils s’arquent de dépit. Il est sérieux, là ? J’attrape ma pinte, la tend devant moi pour trinquer.

- « Han non, t’es en train de me dire que vous Gardes des Ombres faites des trucs utiles et vous apprêtez à sauver le monde quand personne veut se sortir les doigts du cul ? Mince alors mais quelle idée ! »

Une pause est marquée, toujours la pinte tendue. Je réfléchis. Je hausse des épaules.

- « Bon je sais pas à quoi on peut trinquer, alors heu .. Santé ! »

Ça me fait plaisir de voir un visage familier que j’apprécie dans un bordel pouilleux comme Starkhaven. Si loin de la maison, et pourtant si proche à la fois ! J’avale une bonne gorgée de ma bière, l’appuie contre la table en bois marquée de partout.

- « Mais ouais. Ça m’emmerde que personne veuille rien faire. Le Prince en a eu rien à foutre et maintenant il taxe au triple son peuple. C’est ridicule. »

Ah, cette douce sensation, cette odeur enivrante – littéralement –, la gorge qui crépite après le passage remarqué de la bière en son centre. Je ravale une autre gorgée, avant d’appuyer ma tête contre l’autre main.

- « J’ai pas demandé à être templier. Moi j’voulais défendre ma patrie et sauver le monde. Mais bon j’imagine qu’on peut pas tout avoir .. Et pis ce bled, j’l’aime pas. Enfin ça dépend les jours. Mais ça me manque, Val Royeaux. »

C’est pas juste, quand même. Je faisais partie des meilleurs de ma volée, et ils m’ont retiré tout un avenir prometteur pour des broutilles sociales. Quelle bande de fumiers.

- « Donc ça fait super longtemps que t’es Garde, en fait ! C’est pas trop dur à gérer en ce moment ? Enfin j’veux dire .. »

Je vois bien qu’il a pas l’air dans son assiette, le grand dadet. En même temps, y’a un Enclin qui arrive. S’il en a pas pâti, peut-être bien que c’est le cas de ses frères d’armes. La guerre c’est loin d’être une petite promenade de santé, mais c’est nécessaire. Et faut bien que des gens le fassent. Je repose ma chope à moitié vide.

- « C’est pas une tâche facile, mais c’est important. Faut bien que certains se salissent les mains à la place des autres pour les protéger. Pas tout le monde est en mesure de le faire. »

Le destin est quand même marrant.

Me voilà à enfin trouver la voie pour moi, devenir utile, servir le bien, protéger Thédas du Mal, faire quelque chose de cette vie gâchée et jetée à la poubelle trop tôt. Et me voilà face à Hector le Grand Dadet, que je n’ai pas revu depuis bien des années, et qui, une fois de plus, est exactement ce à quoi j’aspire plus tard. La seule différence étant que maintenant, je peux aspirer au plus tard tout de suite.

Mais me voilà face à un grand dadet muet, au sourire effacé, l’ombre de ses yeux qui s’étend, qui salit, qui détruit. Il me faut un certain temps à cause de l’alcool pour le comprendre, mais ses mots sont clairs, et le reste suit tout naturellement. Comme quoi, je ne suis pas le seul à avoir changé.

- « Pas la première fois que ceux qui peuvent décider choisissent de se gaver avant la fin, histoire de profiter de leur position privilégiée un peu plus. »

Je hoche de la tête vivement, avalant un peu de ma chope. On dirait que c’est toujours la même malédiction, que tu peux être l’homme le plus gentil et vertueux du monde, une fois au pouvoir tu finis toujours comme ça. Un cycle infernal lassant.

- « Bof, au bout d'un moment je me dis qu'on prend l'habitude des situations de merde. »
- « Bah on devrait pas. On est sur cette terre pour vivre, pas bêtement subir. »

Il a changé, oui. Je me rappelle encore de cette douce époque, celle où on se perdait si peu en discussion, mais on savait s’apprécier en silence. Celle où il aspirait à des choses, des rêves, un avenir pour lui. Celle où il voulait se battre pour ce dernier, justement.

Il a changé, oui. Désormais, le voilà vide, éteint. Et ce constat est loin de me rassurer. Ses propos encore moins. Le grand dadet évite mon regard, sa carrure imposante se recroqueville, ses sourcils se froncent. Il est fatigué par la vie, le Hector. Usé.

- « Non... La vérité Al', c'est que je compte les jours depuis qu'on a vu ce monstre ailé. La vérité, c'est qu'à la garde on ne sait pas trop quoi faire de plus que les autres. Oui, une bande d'engeances on sait s'en occuper, mais là… »
- « Justement, ça serait pas une source de motivation pour dépasser ses limites ? devenir meilleur ? s’entraîner sans relâche ? se donner à fond ? »

Mais j’ai bien l’impression qu’il ne m’entend plus.

- « La seule chose qu'on peut faire c'est compter. Compter les jours qui passent et les corps qui s'amassent. Compter combien de garde sont encore là et voir le nombre baisser chaque jour. La vérité c'est qu'on est pas des héros, juste une bande de criminels qui ont rejoints l'ordre pour vivre quelques années de plus et aujourd'hui, le sursis est terminé. »

“T’es pas qu’un criminel” aurais-je eu envie d’ajouter, mais le ton de sa voix est sans équivoque. Un drôle de frisson parcourt mon échine, tandis que l’air se densifie autour de nous. Ou autour de lui. Le pauvre broie du noir et oublie l’essentiel.

Évidemment que la guerre c’est moche. Évidemment que tuer quelqu’un c’est une chose terrifiante. Je n’ai jamais tué personne. Je n’ai jamais pris les armes pour défendre une cause qui me dépasse. Mais là c’est nécessaire. Quelqu’un doit le faire, quelqu’un doit porter ce fardeau, risquer sa vie, voir ses frères tomber, les protéger ou les enterrer. La guerre c’est moche, oui. Mais c’est nécessaire pour protéger ceux à qui on tient, dans les rangs comme à la maison.

Je termine ma chope à mon tour, lessivé par ses mots. C’est un test. Si je revois aujourd’hui mon grand ami et que son point de vue se heurte au mien, c’est pour me tester. Voir si j’ai le cran. Voir si je peux l’aider. Mais ses dernières paroles me tendent.

- « Perds pas ce qu'il te reste de temps chez nous, tant que tu as un choix ça veut dire qu'il ne faut pas rejoindre la garde. Il y a des façons moins terrible de combattre si tu le veux vraiment. »

Le pauvre en a trop vu, a trop porté. Justement. Il a besoin de quelqu’un avec lui. Dans les pires moments faut se serrer les coudes, non ? Mais de le voir aussi défaitiste m’agace. Parce que ça lui ressemble pas. Parce que le grand dadet de l’époque se serait pas laissé faire. Parce que le grand dadet de l’époque aurait ri au nez de tous, la lame haute.

- « Arrête voir ton cirque, Hector. »

Je me redresse dans ma position, le regard vif planté dans le sien assombri par la vie et ses drames. Je suis incisif, mais c’est pour son bien. Faut bien quelqu’un qui l’aide à se ressaisir, non ? Alors je serai ce salaud.

- « Regarde autour de toi, et dis-moi que y’a encore un choix raisonnable. Moi j’en vois que deux : jouer les couards ici à attendre ou y aller la tête haute et l’arme au poing. Et je te vois venir à me dire que je suis jeune, que je connais rien de la vie, ce genre de conneries. »

Mon ton devient plus sec, plus portant malgré moi, mais il faut bien que quelqu’un le secoue, merde !

- « Merde, Hector, tu te rends compte de l’honneur dont tu fais preuve ? Du courage que t’as ? Je t’ai connu quand rien de la vie ne pouvait t’arrêter, et certainement pas la morale, et maintenant tu te permets de me la faire ? Ridicule. Garde tes propos mielleux. Tu me les diras quand l’Enclin sera reparti de là où il vient. »

Je marque une pause, désormais les deux coudes appuyés sur la table, bras croisés contre le vieux bois usé.

- « On n’a plus le choix, Hector : c’était pas assez clair pour toi, cette affreuse vision dans le ciel ? Tous ces corps dont tu m’as parlé pour me faire peur ? La terreur qui circule dans les rues parce que personne veut se mouiller ? Tes frères ont besoin de toi, comme t’as besoin d’eux, et c’est ensemble qu’on en viendra à bout. Et s’ils tombent, en quoi tu devrais te blâmer ? Parce que je le vois dans tes yeux : t’as peur. T’es terrifié. T’as l’impression d’être dos au mur, mais ce mur n’existe pas. »

J’avale ma salive, conscient qu’il fait soif. Mais je préfère attendre. Je ne veux pas être dérangé par un stimulus extérieur non désiré pour l’heure. Je vais lui remonter les bretelles, moi.

- « T’es pas à blâmer pour leur sacrifice. Justement, ça devrait te donner la force de continuer. De t’assurer que leur chute n’est pas vaine. Mais non, à la place tu me fais la morale parce que j’aspire à ce qui t’angoisse, tu me demandes de fuir un devoir qu’on devrait tous servir, car ça nous concerne tous. C’est donc ça que t’es devenu ? »

J’ai l’impression de sermonner un adolescent. Alors que c’est plus moi l’adolescent puéril que lui. Mais je suis certain d’une chose : cette conversation ne va nulle part.

Il frappe du poing. Je tressaille, mais ne lâche rien. Je n’ai pas l’habitude de voir le grand dadet en colère, et encore moins après moi. Mais ce n’est pas grave. On a tous nos démons.

- « Je sais ce que je suis, je sais ce que je fais ; juge si tu le souhaites, refuse si tu le souhaites, sache seulement que je ne dis que la vérité. »

Non. Tu me dis ta propre vérité, la vérité noire et noyée d’alcool et d’effroi. Ce n’est pas la vérité vraie. Ce n’est que ta propre vérité, ton propre reflet. Mais je ne dis rien, je l’observe avec appréhension.

Il a changé, c’est certain.

- « La vérité est simple bordel : il arrive. Et personne n'a la moindre idée de quoi faire. Alors rêve, rêve donc de pouvoir l'arrêter mais cela reste un putain de rêve de gamin ! Tu n'as pas le poids d'influer d'une quelconque manière sur ce putain de désastre, ni toi, ni moi. »

Mes sourcils se froncent, mon regard se noircit. Il ne comprend vraiment rien. Et son torrent d’amertume ne fait que commencer.

- « Tu espères accomplir quoi si tu rejoins la garde hein ? Faire changer les choses ? Par quel moyen ? Donner l'exemple ? A qui ? Combien de personnes vont te suivre ? Renverser le cours du conflit ? Ton épée est-elle si forte ? Tu connais aussi bien que moi la réponse à ces points, alors pourquoi vouloir rejoindre la garde ? »

C’est maintenant moi qui me sens infantilisé. Réduit à l’état de petite chose fragile. Je ne suis plus un môme, Hector, tu devrais t’en rendre compte, non ? Mais son sourd discours se poursuit, ses mots se vomissent sur la table sans la moindre fioriture, sans le moindre respect.

- « Tu veux la vérité ? Tu veux nous rejoindre par égoïsme, comme nous tous. Tu veux nous rejoindre car tu veux te sentir spécial, que les gens te regarde avec admiration pour ton courage et ta gloire. Voilà la putain de vérité. »

Mon corps se redresse, tendu. Mais la lueur de ses yeux me font comprendre assez rapidement qu’il ne cherche qu’à me repousser de cette voie, qu’il ne cherche qu’à me déstabiliser. Des paroles pour ébranler ma volonté infaillible et ce sens de l’honneur que j’ai su préserver avec les années, contrairement à lui.

- « Tu n'es pas le premier à vouloir rejoindre la garde comme ça. Mais je connais ceux qui rejoignent la garde avec un sourire sur les lèvres et des étoiles pleins les yeux, ils ne passent pas les premiers mois. »
- « Tu oses .. »
- « Et je ne veux pas avoir encore de ce sang sur les mains… »

Mais ces dernières paroles font mouche. Un frisson d’émoi secoue mes épaules. Cette détresse dans le ton de sa voix, ce regard qui peine à trouver refuge.

Il s’inquiète pour moi, et ce n’est pas mal en soi. Mais je ne veux pas de son inquiétude.

Un silence passe, un silence qui apaise, un silence qui rassure. Ma voix retrouve une certaine douceur, celle qui veut convaincre, celle qui veut réconforter.

- « Hector. Tu n’es pas responsable de mes choix. Tu veux bien faire, t’as toujours été comme ça, mais .. mais le temps a passé. Les gens changent. Les gens grandissent. »

Loin, si loin est l’époque où nous passions du temps tous les deux. Du temps calme, parfois drôle, parfois simplement calme. Une amitié simple était née, si j’ose assumer qu’une amitié était née à l’époque.

- « Il faut se battre pour protéger ce à quoi on tient. Pour protéger le monde et le rendre meilleur. Une goutte d’eau ne veut rien dire, jusqu’à ce que le torrent se déverse. Tu vois ce que je veux dire ? »

Je marque une pause, pensif, et aussi quelque part mal pour lui. Hector est un peu bloqué dans son temps, et je reste cet enfant à ses yeux. Évidemment qu’il ne veut pas qu’un gosse prenne les armes, gosse qu’il est censé protéger du monde.

- « C’est ensemble qu’on en viendra à bout. Seul dans cette lutte, on ne vaut pas grand-chose. Je ne te demande pas de comprendre ou de me ramener sur terre comme tu le penses si bien, je ne te demande même rien. Je vais saisir cette chance d’enfin faire quelque chose de bien. D’enfin faire quelque chose de ma vie. Quelque chose en lequel je crois. »

A ces mots, je me lève, conscient que rien ne pourra changer sa position. Et c’est normal, quelque part. Mais s’il refuse de sauver le monde, je le ferai pour nous deux alors.

- « On se reverra, j’imagine. ça m’a fait plaisir de te revoir, Hector. »

Et avec espoir, un espoir que tout n’est pas finalement perdu entre nous, je tends la main. Je ne m’attends pas vraiment à ce qu’il l’empoigne après tout ce dont on vient de parler, mais je préfère garder espoir, avant de le voir disparaître. Ou plutôt, avant que je ne disparaisse.