Occupation : Je retranscris vos histoires pour que les ères suivantes s'en souviennent...
Pseudo : Compte modérateur
Crédits : Adamant (avatar).
Date d'inscription : 23/06/2021
Messages : 400
Feuille
Joueur
Jeu 13 Oct - 18:24
Durant mes pérégrinations, toutefois, j’ai trouvé un récit commun à toutes les peuplades de cette contrée ; un récit d’orgueil et de damnation qui, malgré quelques variations, reste identique en substance.
Celle de leur combat contre la chute inévitable de notre monde.
Invité
Invité
Invité
Personnage
Feuille
Joueur
Dim 16 Oct - 23:05
Si Andra ne possédait pas le sens de la Pierre du Commandeur-Garde d’Antiva, elle partageait en revanche suffisamment d’années au sein de leur ordre pour comprendre, après des allers et venues monotones sous la terre, ce qui pouvait attiser son intérêt – ou en tout cas, une partie. A nouveau, ses paumes de main s’étaient mises à la démanger, de plus en plus fort, tandis qu’un second souffle venait se faire une place dans les tréfonds de sa conscience, bien différent des murmures doucereux de l’Immatériel. C’était une chanson fade, écœurante, au goût entêtant et sirupeux, comme des ongles qui lui trépanaient la cervelle. L’impression dérangeante d’avoir un liquide noirâtre, douceâtre, en train de se répandre dans ses veines s’accentua, et un léger frisson la parcourut. Elle sentait, confusément, une forme de boussole poindre dans une direction, la guidant vers un grouillement dont elle n’avait pourtant aucune envie de se rapprocher, son instinct de survie lui intimant de rebrousser chemin très rapidement. Elle le fit taire, comme souvent en ces moments, mais entreprit mécaniquement d’évaluer leur petite troupe, identifiant avec une rapidité cynique ceux qui tiendraient sans doute la première ligne et ceux qu’il faudrait maintenir en vie le plus longtemps – aussi odieux que ce puisse être, les deux groupes ne se confondaient pas toujours. Et, avec un détachement sombre, elle se demanda combien de temps tiendraient les moins expérimentés. Comme souvent, son esprit balaya la perspective de la mort avec efficacité – ou indifférence – et elle divisa son cerveau en deux sphères : une, focalisée sur sa tâche, qui permettait d’éviter aisément les accrocs du terrain traître sous leurs pieds et d’analyser froidement la moindre trace, au sol ou au mur, et une seconde, plus personnelle, qui s’égara discrètement vers des souvenirs agréables. Cela lui arrivait souvent, face à l’imminence du danger, de se focaliser sur des remémorations douces, de celles qui l’aidaient à se rappeler qu’il y avait parfois un peu de bon, dans cette existence sordide, et qu’il lui fallait résister à l’attrait sinueux de la fin. Avec amusement, un visage familier apparut dans cette réminiscence.
La puanteur le chassa. Les traces, de plus en plus évidentes, laissaient peu de doutes sur ce qui les attendaient, pas plus que les bruits qui parvinrent à leurs oreilles. Instinctivement, Andra ralentit son pas, attentive à placer ses pieds correctement, pour qu’aucun son malvenu ne trahisse leur présence. Ils avaient l’avantage de la surprise, potentiellement. Voyant Turab arrêter leur progression, elle se glissa à sa hauteur, et attendit que les rangs supérieurs au sien parlent, avant de chuchoter, aussi bas que possible, pour qu’aucun écho ne se répercute :
« Nous avons l’avantage potentiel de la surprise. Ne le gâchons pas … Et utilisons-le à bon escient. »
Invité
Invité
Invité
Personnage
Feuille
Joueur
Lun 17 Oct - 23:20
Emprunter les petites veinules
Je perdis la mesure du temps. Je perdis le décompte de nos pas, sous l’attraction des ténèbres. Je perdis le souvenir du soleil. Sa lumière bénie n’était plus qu’un vain miracle au creux de mes délires, sa chaleur embrassante n’avait plus aucun sens dans ce linceul de pierre qui recrachait sur mes muscles endoloris une haleine froide à m’en fendre les os. Je perdis la notion du vent. Y avait-il eu vraiment un endroit où la brise courait, joyeuse et légère, libérée de tout obstacle ? N’existait plus que l’épaisseur angoissante de l’air stagnant, plus pesant encore que toute cette roche qui le comprimait, sur mes épaules voûtées pour se frayer un chemin entre les parois contractées, dilatées, spasmées à intervalles réguliers. Je perdis la perspective de l’espace à force de me tordre, m’écraser, me pencher jusqu’à presque ramper, les mains parfois tendues pour aider mes prédécesseurs à progresser, parfois pour me raccrocher aux tabards de ceux que je suivais, afin de conserver, dans ce nid de galeries plus erratiques et incohérentes qu’un nœud de vipères, une conscience de leur présence.
Je perdis la conception de la réalité. Mon esprit travaillait furieusement, sous l’effet de l’imagination conjuguée par la peur, à transformer les tunnels en boyaux, enduits d’une humidité visqueuse qui apparentait leurs strates renflées à de la chair. C’était comme remonter l’intestin grêle et interminable d’une sinistre créature lovée sous la terre – façonnée par la terre, et les remugles putrides qui exhalaient en amont composaient le souffle de son organisme gargantuesque.
Et cependant, nous continuions notre lente ingestion vers l’enfer.
« Hé, t’as vu ça ? »
Cenwyn tendit un doigt armuré vers les flancs de l’œsophage qui nous déglutissait.
« C’est pas… des coups de griffe ? »
Mes yeux anxieux abandonnèrent la traque des traîtrises du sol ; des entailles profondes scarifiaient la pierre autour de nous, et l’odeur de pourriture, loin de s’être estompée, s’imprégnait plus loin dans mes narines, abandonnait un affreux goût de vice au fond de ma gorge. Je sentis mon estomac se serrer…
…et manquer de se révulser lorsque ma semelle, privée de la vigilance de mon regard, plongea dans une flaque aux reflets vermeils. Une flaque de sang.
« Par le Créateur… »
Je plaquai une main contre mes lèvres pour réprimer mon haut-le-cœur. Au même instant, Turab nous fit arrêter. Des échos terribles nous provenaient de l’embouchure du tunnel, mélange dissonant d’exclamations bestiales et de borborygmes presque humains. Plus loin sur la scène, l’horreur se produisait ; et les indices de sa proximité réveillaient lentement mes pensées engourdies par la monotonie de la traversée. Ce n’était plus un jeu, ni un rêve. Je me trouvais bien ici, au fond des Tréfonds, entouré de mes compagnons Gardes, au-devant d’un danger sans nom. Jamais le devoir que j’avais endossé n'avait été aussi concret, jamais le combat de mon existence, aussi tangible.
Je ne voulais rien d’autre que fuir sans me retourner.
Je restai pourtant, muet et mortifié, mais incapable de repousser en totalité la terreur qui charriait dans mes veines une lymphe de lâcheté. Alors que les Gardes de rang, Andra parmi eux, se concertaient sur notre prochain mouvement, je sentis mes entrailles se pétrifier. Je ne voulais pas combattre. Je ne savais pas combattre. Je n’avais jamais combattu ; jamais pour de vrai, jamais ailleurs qu’à l’entraînement, jamais dans la volonté de blesser autrui ! Comment allais-je faire ? Je ne connaissais du champ de bataille que la théorie, et dans ce que j’entendais par là, que le Créateur me vînt en aide, le mot champ prenait toute sa place et tout son sens ; jamais je n’avais appris à manœuvrer dans des cavités aussi exigües que ces boursouflures des Tréfonds. Comment saurais-je me positionner pour garder l’œil sur chacun de mes alliés sans offrir aux ennemis un seul angle mort ?
La réalisation me rendit plus malade encore. Tu ne pourras pas. Je ne pourrais pas tous les défendre si l’attaque devenait une nécessité ; il me faudrait simplement incanter, encore et encore, jusqu’à ce qu’il ne restât plus rien debout, avant que nous ne fussions à genoux. Je ne pourrais pas reculer, seulement résister, en espérant qu’un guerrier habile déviât les coups qui m’étaient destinés, ceux que je ne pourrais pas voir arriver.
Il ne faudrait surtout pas reculer. Je pouvais avoir peur, je pouvais hurler et pleurer et vomir mes entrailles, mais je m’étais engagé, et chacune de ces âmes damnées s’attendait à me compter au nombre de leur malédiction.
Il ne faudrait pas reculer.
Résumé:
De plus en plus paniqué, Saam suit vaillamment ses camarades et ne se permet pas un geste ni un mot superflu, terrifié à l'idée de précipiter un combat inévitable.