EVENEMENT - [6] Avancer lentement mais discrètement (TW)
Total des votes : 2
Finalement, ils sentirent plus qu’ils n’entendirent les engeances partir, et avec moult précautions, Andra reprit sa respiration, attentive à ne pas lâcher un soupir malavisé qui aurait la mauvaise idée de se répercuter contre la paroi. Lentement, elle se coula hors de sa cache. Une torche fut allumée, et la mage contempla les lieux. L’odeur ferreuse n’avait pas menti : face à elle se tenaient d’étranges pots remplis d’un liquide qui paraissait être du sang. L’endroit portait la marque des engeances, et, se remémorant cet étrange silence, la curiosité l’envahit. Faisant signe à Saam et sa comparse d’un mouvement du doigt d’explorer la cavité, pour maintenir le silence, elle-même se pencha vers certains des pots et, avec précaution, huma leur contenu, pour tenter de déterminer ce dont il s’agissait exactement : sang d’engeance, sang d’humain, de nain ou d’elfe, voire un breuvage trafiqué et issu, peut-être d’une forme de magie perverse comme celle que pratiquait leurs émissaires. Avec précaution, elle sortit un récipient de son sac et entreprit d’effectuer quelques prélèvements.
C’était peut-être le seul avantage de sa condition, et de son passé : la vue du sang n’avait plus guère de prise sur elle. Le macabre, elle l’avait vu, elle l’avait vécu, et contrairement à ce qu’on pouvait penser, les engeances n’étaient pas, en cela, pires que les autres races. En un sens, elles étaient meilleures, parce qu’elles étaient conditionnées au mal. Les autres races avaient le choix.
Et c’était cela, à son humble avis, le vrai visage de l’horreur, pas celui des Tréfonds. Lui était la face de la mort dans sa forme la plus pure et la plus inaltérable. La différence était de taille. Et elle n’était guère réconfortante.
Cenwyn
L’est pétoché, le pauvre. J’peux le voir nez dans la figure. C’est d’jà une fenêtre grand-ouverte en temps d’habitude, mais alors là, ‘pourrait carrément reluquer l’mur derrière sa tronche tant ça crève qu’y fond de trouille. J’voudrais ben trouver un truc, moi, un moyen d’le rassurer un peu – même si c’est dur ‘vec la mort qu’on s’rapproche pour nous pelleter la gueule – j’sais pas, un bon mot ? Sûre que lui, à ma place, y’aurait d’jà chopé l’idée pour me retaper, si y’était pas à deux brins de s’pisser dessus. Rah, pourquoi j’peux pas balancer des belles grandes balises comme qu’elle sait faire, sa nounou n’a-qu’un-œil ? Elle saurait comment l’calmer, si elle prenait la peine de dégorger son clapier, j’en mettrais ma paluche à l’engeance.
Pris à la gorge par le nœud coulant de mes propres pensées tandis que nous poursuivions notre avancée, je ne parvins à anticiper la brusque réaction de prudence qui saisit l’ensemble de notre troupe. Serah Andra, en particulier, serra mon bras dans une poigne de fer dont l’impératif glaçant eut le bon goût, tandis qu’elle m’entraînait avec Cenwyn à l’abri d’un creux de roche dissimulé, de broyer au fond de ma poitrine la plainte étranglée que la panique manqua m’arracher. Un instant terrible nourri de mes pires craintes conféra au visage borgne, devenu d’un étrange réconfort au milieu de l’enfer, les atours aberrants de l’ennemi ; mais bien vite je me ressaisis, et me comprimai aussi étroitement que je le pouvais dans notre fosse salutaire. La préhension de l’attente brisait mon corps plus sûrement que les ombres contrariantes parmi lesquelles je tentais de me confondre, le cœur soulevé d’angoisse, l’estomac rongé d’horreur…
Et soudain, le roulement pétrifiant de la marche macabre.
Cenwyn
Purin, quand j’ai dit que j’donnerais mes miches à l’engeance, je parlais pas pour vrai ! C’est ben… c’est ben elles qui raboulent, hein ? N’a-qu’un-œil m’a carottée dans sa traîne comme qu’on fait ‘vec les sales mômes, ça m’a débarrée tant j’ai rin vu v’nir. Elle en donne, pour une magotte ! On est cassé en planches dans un trou de mur, maint’nant, et entr’ l’Andra rochon et le Saam pâlichon, j’fais pas remuer une couette. Oh merde, ça débouche vraiment ! C’est quoi c’te piquante de rat crevé ? ‘Dirait quand on r’trouvait une chargnasse tripes à l’air d’puis la dernière lunaire, aux champs, sauf que là, ça chlingue comme que y’en avait pas qu’une ; plutôt toute une mare, une… une…
Une marée ignoble, pleine de cris pointus et de dents grinçantes... Cliquetante, dans sa carapace de métal difforme qui tenait davantage de la chitine d’insecte que de la cuirasse humaine… Incapable de reproduire à l’identique la charpente militaire des infanteries qu’elle cherchait à singer, elle coulait, plutôt qu’avancer, et charriait avec elle un bataillon de remugles putrides contre lesquels je dus lutter à la force de mon âme pour ne pas déverser mon cœur, là, à même mes bottes. Les piques et les lames qui hérissaient l’épanchement grotesque des dos recourbés s’entremêlaient à celles brandies à bout de bras purulents, mais le pire résidait peut-être derrière ces équipements infernaux, sous les casques cabossés, les tissus mités, les cornes maculées de ce qui ne pouvait être que du sang… Dans les ténèbres projetées du fer tordu et des tunnels contorsionnés, luisait la pâleur putrescente de gueules atroces, défigurées à la massue du vice, qui insistaient, sous leurs chairs en déliquescence, pour exprimer une odieuse perversion d’hilarité de toute la largeur de leurs lèvres blafardes. Plus écœurants encore que leurs relents impies, ces faciès défilèrent sous nos yeux sans discontinuer, avec la troublante familiarité que procurerait un spectacle de marionnettes mal ouvragées articulées par des mains bien trop talentueuses pour les tristes cires dont elles usaient. Car sur les figures de monstres s’étiraient une infamie révoltante, un blasphème incarné, le vol de précieux tracés que nous pensions, dans notre orgueil d’intelligence, seulement nôtres.
Ces bêtes arboraient des masques à peau d’homme.
Les engeances.
Cenwyn
Que l’Créateur soit témoin comme que disent les sœurs, c’était pas d’la blague quand y blatéraient qu’ça moche violent, une engeance. D’la peste ! J’suis pas du genre à m’défiger pour un rin mais là, j’crois que j’tire pas une gueule pus heureuse que Saam. Elles finissent par fout’ le camp, quand même, et c’est tant mieux pa’ce que j’pense que sinon, le pauvret nous aurait ben mis d’dans en mouchant leurs sales museaux ‘vec sa gerbe. Ç’aurait pas été une jolie façon d’crever, que d’se faire débucher à cause d’un jet d’bile. Ouais, ç’aurait fait tache dans les histoires, on peut l’dire !
On bouge pus, tant qu’Andra-qu’un-œil nous fait pas signe de l’faire. On attend tellement qu’j’ai l’impression que j’vais éclater, ou ben qu’un crétin va craquer et pleuvoir l’éternuement le pus tonnerre d’l’année ; mais y’a rin qui s’passe, ni d’not’ côté, ni du leur. Puis, enfin, ça met un bout à not’ peine quand la magotte décrète qu’la voie est sarclée. On sort, pas vite : le rouquin flanche à pas comme si que l’sol était devenu d’la bouillasse molle. J’dis rin pa’ce que not’ Garde-chiourme, là, elle nous pointe la fosse où qu’on a éclairci sans claper un bruit, et du coup j’ai pas envie d’faire rabouler les engeances, donc je tais. Elle s’avance, on suit. Veut qu’on fouille si j’ai ben compris, mais quand elle file droit sur un tas d’bols plein à bord, j’peux pas r’tenir Saam de coller aux jupons d’sa nounou. Il a vraiment pas la tronche dans son écuelle… Hé, Saam, qu’est-ce qui t’remoule ? Saam ?
- Résumé:
- Saam et Cenwyn découvrent pour la première fois le vrai visage de l'engeance.
EVENEMENT - [6] Avancer lentement mais discrètement (TW)
|
|