Aujourd'hui Ailis était déterminée à aller voir l'enchanteur supérieur Vaël, cela faisait plusieurs jours qu'il n'avait pas donné cours à la jeune apprentie. Elle avait appris qu'il était souffrant et préférait rester dans ses quartiers.

Il y avait aussi des bruits de couloir qui parlait de la déception de l'enchanteur supérieur Vaël face à son échec pour devenir Premier Enchanteur. Au début, elle n'avait pas trop prêté attention à ces rumeurs, surtout que ça ne la regardait pas.

Cependant au fil de ses jours d'absence et des réflexions de la jeune apprentie, elle trouva que l'annonce officielle du successeur au Premier Enchanteur actuel- Nucci un autre enchanteur supérieur du Cercle, coïncidait drôlement avec le moment où Messer Vaël s'est fait porter pâle.
Cette constatation donnait d'un seul coup, plus de crédit à ces rumeurs.

L'apprentie avait donc fini par décider de venir voir l'enchanteur, elle voulait s'enquérir de son état et trouver le courage de lui demander de devenir son mentor. Il ne pratiquait peut-être pas l'école de magie qu'elle choisirait, mais elle aimait bien sa façon d'appréhender les choses. Et puis elle pouvait toujours prendre des cours auprès d'autres mages, comme elle avait été obligée de le faire ses derniers jours, auprès de l'enchanteresse Jenne. Elle était gentille, sa façon de faire plus discrète, plus retenue, mais tout aussi intéressante.

Elle avait bien essayé de glaner quelques informations sur l’état véritable de l’enchanteur, mais rien de bien intéressant, et quand elle demandait quand est ce qu’il reviendrait, on lui répondait à chaque fois, d’aller le lui demander en personne.

La voilà donc devant la porte de l'enchanteur, armé d'une petite amphore de tisane pour l'aider à aller mieux, même si elle ne savait pas de quoi il souffrait. Cette tisane était bonne pour redonner de l'énergie, et si c'était le moral qu'il fallait ragaillardir, nul doute que la tisane l'apaiserait quelque peu.
Elle était toutefois un peu nerveuse, et si Messer Vaël refusait ? Elle ne savait pas comment réagir à vrai dire, à part se retourner et partir.
Elle toqua une première fois très faiblement, d'hésitation, puis deux autres fois un peu plus fort pour être sûre d'être entendue.

« Bonjour, Messer Vaël. Elle haussa un peu le ton, pas sûre qu'il l'entende parfaitement bien. J'ai appris que vous étiez souffrant ces derniers jours. Je- elle fit une pause, paniquant, c'est vraiment ce qu'elle devait dire ? Je voulais savoir quand est-ce que vous iriez mieux pour reprendre les cours ensemble. »

Elle s’insulta mentalement, comme si les personnes pouvaient savoir à l'avance quand elles iraient mieux. Réfléchis Ailis, bon sang, réfléchis.

« Je vous ai également apporté quelque chose en espérant que ça vous aidera.»

La réponse ne tarda pas à venir, d’abord la porte s’ouvrit. La pièce de l’enchanteur était plongée dans l’obscurité la plus totale.

L’enchanteur apparu de ce trou noir en un éclair et même s’il plissa les yeux sous la lumière, elle put tout de même contempler toute la haine et la colère avec laquelle le mage la regardait. Tout son être bouillonnait de l’intérieur et elle comprit qu’il réussit avec peine à ne pas imploser devant elle.

D’un geste agressif, il vint cueillir l’amphore dans ses mains et l’en arracha brutalement. Elle fut attirée en avant et les ténèbres lui léchèrent le nez avant que la porte ne se referme aussi brutalement, manquant de justesse de lui caresser le nez de son bois poli.

Son corps surpris par la soudaine poussée en avant tenta de se rééquilibrer en se tendant vers l’arrière, mais trop apparemment, puisqu’elle se sentit partir définitivement en arrière, en prévision du choc qui ne manquerait pas de faire mal, ses muscles se raidirent. La chute rendue lente par l'adrénaline lui permit de profiter des imperfections du plafond jusque-là caché à sa vue.

La suite fut moins poétique, la fraîcheur mordante de la pierre lui envahit le bas du dos. L'élan procuré par le choc, lui offrit la possibilité de changer de position et ainsi épargner sa tête au profit de son bras droit. Elle perçut à travers ce brouillard sensoriel sa canne claquer bruyamment au sol. Le reste de la descente se fit plus en douceur.

Ses muscles, tétanisés, à l'inverse de son esprit en ébullition, mirent de longues secondes à reprendre conscience. Le calme retrouvé des lieux lui donna un sentiment désagréable, comme si le silence témoin de sa faiblesse, se moquait d’elle. Elle entama un mouvement pénible pour se relever, prenant appuie sur son bras, douloureux. Instinctivement, ses yeux regardèrent avec colère la porte close.

Assise par terre, elle ne constata pas de blessures heureusement, seuls les couinements de ses articulations malmenées seraient la preuve de sa chute.
Trouvant difficilement un appui auprès du mur derrière elle, elle souffla. Encore tremblante, elle ne savait pas si c'était le choc ou la colère- un peu des deux. Elle tendit le bras pour rattraper sa canne, s'aidant de celle-ci et des irrégularités du mur pour servir de prise, et se releva lentement.

Puis sans un regard, elle marcha prudemment vers un lieu où elle pourrait se calmer en paix. Ce genre de situation avait le don de la chambouler, lui rappelant à quel point elle était faible et inutile, la honte, le dégoût de soi, sentiments qu'elle détestait pour le profond vide qu'ils créaient en elle.

Tout ça à cause de ce foutu bourge à la con.
Elle ne pouvait pas lui enlever son sens de la pédagogie, mais sa prétention… à croire que tout lui était dû. A ça c'était bien un nobliau qui pensait que son sang faisait de lui un être supérieur, qu'on lui valait tous les égards. Système de merde. Ça la mettait encore plus hors d'elle de ne pouvoir rien faire dans cette situation, cette faiblesse, cette passivité dont elle faisait preuve la répugnait, même si tenir tête à un noble pouvait valoir des ennuis, elle le savait. Voilà pourquoi les petites gens devaient faire profil bas, quand bien même ça les révulsait. Et le fait que son prof et son comportement de péteux lui renvoie sa condition en pleine face, n'aidait en rien sa colère.

Quand il ferme la porte un silence nouveau l’accueille, faisant encore plus ressortir les échos de porte claquée et des chocs invisibles. Il y avait un autre bruit, non ? Les murmures sont calmes mais impatients, comme encourageant une équipe d’échecs en retenant leur souffle. Eux seuls confirment qu’il y a quelque chose – quelque chose qui alimente sa colère et qu’il devrait arrêter.

Seigneur dieu, il va devoir vérifier que la fille certainement tombée n’est pas blessée. Au fond il s’en fiche, mais l’air devient irrespirable et les rumeurs n’aideront pas s’il les laisse fleurir. Pourquoi ne peut-on même plus enrager tranquillement ? Foutues apprenties. Toutefois il ne veut vraiment pas découvrir de conséquences néfastes quand il sera d’humeur à s’intéresser à son élève, alors il sort dans le couloir.

Pas d’Ailis.

Tu me diras, quand on tombe, on traine rarement.

En tendant l’oreille il peut déceler le son irrégulier de ses pas – et tous les sons, lointains, qui font la vie du Cercle, mais il peut les ignorer. Un soupir agacé en bouche, il fait quelques pas jusqu’à la fenêtre la plus proche, qui donne justement sur la porte que quitte la paysanne. Il la suit du regard une poignée de secondes avant de décider, un peu rassuré et d’autant plus agacé, qu’elle va très bien, et de rentrer dans sa chambre.
Hormis son lit, elle n’a plus vraiment le même charme. Le dehors lui manque et l’amphore de thé le nargue.

[…]

Le lendemain

Ailis n’aura pas eu à attendre longtemps, puisqu’à peine sa plainte énoncée – bien la seule qui se plaindrait de vacances impromptues, mais il apprécie – Lachlann a envoyé une convocation pour leur prochain cours. Il évite consciencieusement toute pensée concernant Nucci et profite de l’air frais ; lui-même est plus frais que jamais, comme s’il ne s’était rien passé. Il faut dire que rien ne laisse si peu de traces que la colère et rien ne donne un pas si léger quand on s’en défait.

Le soleil est haut dans le ciel mais ne brûle pas, rappelant le jour de leur rencontre. Par la même occasion, la responsabilité qu’il s’est créée tout seul, mais qu’il n’a pas encore sérieusement regrettée. Enseigner n’a jamais fait partie de ses rêves, mais Ailis n’est pas la pire élève qu’il aurait pu avoir, et il n’a pas pas envie de continuer leurs cours. Ses progrès sont même satisfaisants !

Il attend dans la salle, perché sur un rebord de fenêtre en regardant la cour, puis la porte quand l’apprentie arrive. Il la laisse ensuite s’installer et parler. Elle voulait reprendre les cours, non ? C’est qu’elle a quelque chose à dire ?

Elle avait été réellement surprise de recevoir une convocation de la part de l'enchanteur, le lendemain de leur entrevue. Elle était contente de reprendre les cours, consciente de l'importance qu'il y avait à apprendre à maîtriser sa magie et le plus tôt serait le mieux.

Elle avait été moins ravie de constater qu'il ne s'était pas excusé dans la lettre, même si elle savait qu'elle en demandait trop. Ainsi elle ne fut pas surprise quand même de vive voix, il n'en fit rien- en même temps elle savait qu’elle ne devait s’attendre à rien. L’apprentie le salua brièvement, et s’avança prudemment jusqu’à la seule table- les souvenirs de sa chute encore bien présents dans son esprit. Une fois assise, elle regarda de nouveau dans sa direction et le mage se contenta de la fixer en retour, l'invitant d’un geste de la tête, à parler.

Était-elle vraiment censée tout faire ? Elle subissait sa colère et maintenant, elle devait faire tout le boulot ? L'apprentie retint un soupir las, resserrant ses doigts sur la lanière de son sac.

Malgré la colère qui résonnait encore en elle- espérant que c'était un privilège de la jeunesse, et que plus tard elle serait capable de la même bipolarité que son professeur. Assis là comme si rien ne s'était passé, semblant profiter agréablement de la journée.

Elle chercha ses mots- c'est pas comme si elle avait passé du temps, trop, à se répéter la scène. Elle scruta ses mains triturant le cuir décoloré par endroits. Elle  ne savait pas trop comment s’y prendre, mais d’un autre côté elle commençait à en avoir marre d’attendre. Cherchant le courage dans sa colère, elle prit une grande inspiration et parla :

« M- Messer, reprit-elle plus haut, accrochant son regard dans le sien, accepteriez-vous de m'enseigner vos connaissances en magie aussi bien dans vos écoles de prédilections… elle s'interrompit, le stress l'ayant fait omettre de respirer. Pause profitable pour chercher l’inspiration. Et tout ce que vous jugeriez utile de m'enseigner ? »

Maintenant qu'elle avait fini, elle trouva ça presque stupide de demander- le silence long qui s’ensuivit aidant son imagination, puisque l'enchanteur lui avait toujours donné cours et que naturellement une routine s’était installée entre élève/professeur, cela semblait absurde. Mais une autre voix dans sa tête lui affirmait que c'était plus correct de demander et au moins les choses étaient claires et…

montrer aux autres qu’elle voulait vraiment apprendre à contrôler, maîtriser, sa magie. Et éviter de donner trop envie aux autres d’envisager l’apaisement. Sans parler de la confrontation dont tout le monde évitait de parler ici, rendant la chose encore plus effrayante si cela était possible. Elle évitait de trop y penser, mais cette ombre planait constamment au-dessus d’elle. L’angoisse commençait à lui donner des sueurs froides, elle frissonna. L'atmosphère de la pièce devint lourde, presque suffocante. S’il voulait la congédier, qu'il le fasse vite, qu’elle puisse passer à autre chose.

Le fait-elle attendre par paresse, par bêtise ou parce qu’elle croit ce qu’elle a à dire trop important pour oser ? Le silence s’étend, mais s’il y a une chose que Lachlann n’est pas c’est faible – du moins il essaie – et accepter l’attente est une tâche qu’il s’impose sans difficulté, d’autant plus aisément qu’elle a compris que c’était son tour. Au moins quelqu’un dans ce cercle qui suit les convenances.

« M- Messer, accepteriez-vous de m'enseigner vos connaissances en magie aussi bien dans vos écoles de prédilections… »

Il hausse un sourcil étonné, d’abord – n’est-ce pas justement ce qu’il fait ? Ils ont une routine, presque un programme scolaire, et il n’a jamais laissé entendre une fin à leurs cours – quand elle aura le niveau, sûrement, mais il y a le temps. Peut-être les paysans ont-ils des coutumes plus formelles et moins d’affection pour l’implicite, auquel cas un simple oui suffira. Il n’a rien à y perdre, et il s’apprête à le lui dire quand elle reprend la parole.

« Et tout ce que vous jugeriez utile de m'enseigner ? »

Créateur. Non. Ce n’est pas comme si c’était une surprise absolue, il n’a pas grandi entouré d’adolescents pour rien, mais Ailis ? De tous les enfants possibles ? Comme on connait mal ceux auxquels on ne s’intéresse qu’en périphérie, mais jamais il ne l’avait vue comme une menace. Le moment mérite sa place dans les recueils qui s’échangent sous les tables, et il est sûr que, malgré toute la maitrise de son corps, la gêne se lit sur son visage.

« Désolé, je ne suis… pas intéressé par les jeunes filles. » Son extérieur figé – bras croisés, sourcils froncés (pas que ça change beaucoup de d’habitude), ton et regard fermes – reflète pour une fois parfaitement la mort dans son âme, et il ne peut s’empêcher de détourner le regard vers la fenêtre qui le passionnait auparavant. À ça de lui dire qu’il n’aime pas les femmes tout court, pour être sûr, mais quand même. « Je t’enseignerai toute la magie qui est en mon pouvoir, comme nous avons déjà convenu, mais pour tout ce qui est du reste tu devrais t’en tenir aux autres apprentis. Crois-moi, tu y gagnes. »

Un professeur comme lui ? Mieux que n’importe quoi. La fierté revient dans son regard, appuyant ses affirmations.

Toujours dans l’attente d’une réponse, perdue dans ses pensées elle tourna la tête vers lui en l’entendant.

« Désolé, je ne suis… pas intéressé par les jeunes filles. » Il avait le visage fermé et paraissait beaucoup trop sérieux.

La phrase sonna comme une déception à ses oreilles. Ainsi, il préférait travailler avec des apprentis. Apprendre que son professeur était sexiste la déçut beaucoup, et la mit aussi un peu en colère. Elle chercha une réponse, peut-être se défendre ? Ou bien dire sobrement au revoir et aller voir là où l’on voudra bien d’elle ? L’angoisse de ne pouvoir se former était toujours présente mais aussi se rassura-t-elle, le Cercle comptait tout de même de nombreux professeurs dont certains qu’elle connaissait et appréciait aussi.

Elle s’apprêtait à répondre que c’était regrettable mais qu’elle ne pouvait rien y faire de toute façon, quand quelque chose l’interpella. Pourquoi l’enchanteur détournait-il le regard ? Il avait toujours cette expression dure au visage, mais son regard quelque peu fuyant paraissait gêné. Elle ne l’avait jamais vue pris au dépourvu, et s’interrogea. Sa demande pouvait avoir de pareils effets sur sa psyché ? Ça paraissait peu probable. Elle repensa donc à ce qu’elle avait dit, qui aurait pu le mettre mal à l’aise. Sans succès.

« Je t’enseignerai toute la magie qui est en mon pouvoir, comme nous avons déjà convenu »

Oh, il voulait bien lui faire cours finalement ? Elle ne comprenait plus rien. Était-il vraiment prêt à reprendre l’enseignement ? Parce que là, il agissait de manière contradictoire.


« mais pour tout ce qui est du reste tu devrais t’en tenir aux autres apprentis. Crois-moi, tu y gagnes. »

L’embarras même dissimulé se lit dans ses paroles, laissant l’apprentie troublée face à son discours étrange.
S’en tenir aux autres apprentis ? Mais que diable était-il en train de raconter. Inconsciemment, elle prit sa tête entre ses mains et tenta de comprendre le flou de la conversation, en se repassant leurs échanges passés.

Pas intéressé par les jeunes filles. C’est là qu’il avait commencé à agir bizarrement. Pour- Oh. Non. Quand même pas…
Alors sans prévenir elle se mit à pouffer de rire, s’attirant sûrement l’attention et l’incompréhension de l’enchanteur, mais trop tard. Le stress accumulé avait saisi l’occasion pour s’enfuir.
Elle se leva en espérant que l’effort la détournerait de son fou rire qu’elle peinait à empêcher de sortir.

« Hum…elle s'éclaircit la voix et tenta d’adopter un ton le plus neutre possible. Messer vous ne pensiez pas à… Comment le dire ? Des choses sortant du cadre scolaire ? »

Ce n’était pas très bien dit, mais elle savait qu’il comprendrait et détourna aussitôt la tête pour lui cacher le sourire qu’elle ne put empêcher. Elle se retint de respirer pour calmer un nouveau rire. Gardant les yeux rivés sur cette dalle en pierre… ennuyeuse, terne et pas du tout amusante.

Sans la moindre raison visible elle se mit à pouffer, comme un rire mal retenu. Un son détestable quand on le croise dans les couloirs, mais déstabilisant dans cette situation. Il était plus rassurant qu’autre chose, malgré tout, soulageant l’enchanteur qui craignait de perdre une apprentie. Enfin, il aimerait quand même savoir ce qu’elle trouvait si drôle.

« Hum… » Elle s'éclaircit la voix. « Messer vous ne pensiez pas à… Comment le dire ? Des choses sortant du cadre scolaire ?
– À quoi d’autre étais-je censé penser ?! »

Il se retourna vivement vers elle, piqué au vif. Elle n’a pas idée de l’angoisse que c’était de devoir gérer les amours d’une adolescente ! Il soupire avec un sourire naissant ; malgré tout ce qu’il se passe, l’hilarité vexante de l’apprentie le libère d’un poids. Il laisse passer un moment, plus léger maintenant que la pression de la réjection s’est envolée, avant de reprendre contenance.

« J’aurais dû prendre le temps de douter, râle-t-il. Plus sérieusement, tu penses avant de parler parfois ? Tu te rends pas compte du contexte que tu donnes ! Je sais que tu es capable de bien parler, pourquoi tu n’as pas demandé directement, tout simplement ? »

Pourquoi confirmer son enseignement est si important lui échappait encore, mais si c’était tout ce qu’elle voulait, elle n’avait qu’à le dire directement, sans bégayer ni rougir. Peu importe l’angle qu’on prend, son attitude était trompeuse ! Il en est un peu frustré maintenant, à la fois parce que le malentendu est gênant et parce que son inconscience peut mal finir. Estime que c’est mon premier cours officiel, puisqu’il en faut.

« Si tu voulais juste me demander des cours de magie – et de théorie, j’imagine ? Tu m’informeras de ce que tu avais en tête avec ton « ce que vous estimerez nécessaire » – pourquoi tout cette comédie ? Je t’enseigne déjà. »

Elle n’avait pas à se plaindre de ses progrès, lents mais compte tenu de son âge, solides.

« À quoi d’autre étais-je censé penser ?! »

Le ton énervé ne réussit pas à entamer son envie de rire, d’autant qu’il continuait sur sa lancée.

« J’aurais dû prendre le temps de douter. Plus sérieusement, tu penses avant de parler parfois ? Tu te rends pas compte du contexte que tu donnes ! Je sais que tu es capable de bien parler, pourquoi tu n’as pas demandé directement, tout simplement ? »

C’est la première fois que l’enchanteur alignait autant de mots en une fois, en dehors de ses leçons. La situation devait vraiment le gêner. Elle aussi elle devait l’avouer, même si c’était peu visible, caché sous son sourire.

Et il continuait de râler… Il ferait un bon drama… drama quelque chose, elle ne se souvenait plus de ce mot lu dans un livre perdu à la bibliothèque.

Pourquoi elle n’a pas demandé directement ? C’était quoi cette question à la con ? Pourquoi ne l’aurait-elle pas fait ? Après tout, c’est ce qu’elle avait fait pour frère Niklaus au sujet de l’herboristerie. Elle se ravisa de répondre ça mais l’apprentie faisait face à un enchanteur vexé, contrarié et en colère, un cocktail pas très réjouissant.

Elle haussa les épaules.

« Je ne sais trop… Je pensais que c’était plus poli. »

Une réponse qu’il ne le satisferait pas, mais elle n’avait pas mieux à offrir.

« Si tu voulais juste me demander des cours de magie – et de théorie, j’imagine ? Tu m’informeras de ce que tu avais en tête avec ton « ce que vous estimerez nécessaire » – pourquoi tout cette comédie ? Je t’enseigne déjà. »

Et c’est reparti… Elle avait les idées ailleurs ! Et puis elle y peut rien si ses interprétations sont pourries.

« Je pensais qu’il fallait l’acter. »

Et puis une question s’imposa,

« Aucun autre apprenti depuis que vous êtes là, s'interroge-t-elle. Ne vous a déjà demandé ça ? »

il lui semblait bien que d'autres apprentis étaient allés voir un enchanteur pour le leur demander.
Et puis avec son air hautain et son arrogance naturelle, elle pensait qu’il valait mieux faire les choses dans les règles de l’art avec lui.
Décidément, les bourges sont un mystère pour la paysanne qu’elle est.

Devant son air offusqué, elle dut réprimer une énième fois un sourire, elle l’observait maintenant son sérieux presque entièrement retrouvé, en attente de la suite.
Quel était le programme d'aujourd'hui ?

Avec un malentendu de cette taille une excuse aussi passe-partout ne suffit évidemment pas, aussi se laisse-t-il déverser son désespoir jusqu’à ce que l’émotion quitte son corps et que Gêne cesse de souffler des solutions plus radicales dans son dos.

« Je pensais qu’il fallait l’acter, déclare-t-elle enfin une meilleure raison que la politesse, presque sensée. Aucun autre apprenti depuis que vous êtes là ne vous a déjà demandé ça ?
– Encore, corrige-t-il. Personne ne vous a encore demandé ça, ou quelqu’un a déjà dû vous le demander. »

Qu’on ne lui demande pas pourquoi la grammaire d’Ailis lui importe soudain.
Il ignore si les mentors officiels sont courants, en réalité, mais ça l’étonnerait : la plupart des apprentis n’a-t-elle pas assez à apprendre des cours ? De son temps du moins, chacun se débrouillait avec les livres et de l’aide occasionnelle – mais peut-être était-ce parce que contrairement aux paysans, peu étaient élevés dans l’optique de charmer un maitre pour reprendre son métier son heure venue. Les précepteurs étaient interchangeables, et les elfes… Que savait-il des elfes. Leur nature suffisait à les exclure des apprentis privilégiés.

« Pour répondre à ta question, non. La plupart pose ses questions et disparait. Sans compter qu’il faut une bonne occasion et une certaine… familiarité, disons, or je n’ai pas pour habitude de donner des cours – encore moins privés. »

Peut-être ne mesure-t-elle pas tous les tours que le hasard a dû jouer pour les réunir – si elle n’avait pas lu ce livre, à cet endroit précis, un jour que Lachlann était d’humeur rare… Elle est passée très près de n’être qu’une autre apprentie anonyme, et la voici qu’elle est la première à bénéficier des conseils de l’enchanteur. Rien dont elle doive être informée, mais lui s’en rend compte maintenant qu’il est au pied du mur. Le moment où jamais de changer d’avis ?

« Tu as raison, tranche-t-il, c’est sûrement mieux de l’acter. »

Il se tient droit, une légère brise soulevant ses cheveux aux pointes dorées par le soleil, réellement princier en cet instant. Ses yeux bleus trouvent les siens.

Son humeur s'assombrit lorsqu'il la reprit lui rappelant d'où elle venait Ce n'est pas de leur faute s'il y a si peu de moyen dans leur éducation. Elle rumina intérieurement la remarque qui passait mal, mais continua quand même à l’écouter.


Par contre, elle ne comprit rien à sa tirade sur le fonctionnement de l'éducation, sûrement parce qu'elle ne venait pas de son monde. Ah les bourges, une énigme à eux seuls. A part peut-être qu'il aimait travailler seul ou bien était-ce une façon détournée de dire qu'il lui avait fait une faveur en lui donnant régulièrement cours jusqu'à présent. Les prémices d'un refus ? Ah bha non, finalement il accepta non sans prendre une pose royale au cas où l’on ne saurait pas qui il est, elle retenu un rire au coin de ses lèvres.

Décidément, cet homme n’était pas logique, faire tout un discours sur le fait qu’il n’aimait pas donner de cours et puis accepter de lui en donner régulièrement. Le soleil ne lui aurait pas trop tapé sur le crâne ? A moins que ce ne soit son thé qui fut trop corsé, elle devrait faire plus attention la prochaine fois, elle ne voulait pas faire honte à frère Niklaus.

Elle finit par acquiescer sobrement souriant mais pas trop, pas qu'il recomprenne tout de travers.