Aime à être ignoré — Aerontus.

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Aime à être ignoré.CHAPITRE UN : BÉNIS SOIENT LES CHAMPIONS DU CRÉATEUR

Type de RP Classique.
Date du sujet 5:06 des Exaltés, mois du Gardien.
Participants @Aerontus Nepos, @Taenar.
TW Insultes...
Résumé L'ambassadeur de Tévinter arrive à Starkhaven accompagné de son esclave particulier pour prendre ses fonctions, mais tous deux comprennent très vite qu'ils ne sont pas exactement les bienvenus. Après avoir déjoué les premiers pièges de l'inhospitalité, ils doivent découvrir les rouages de la ville ensemble, tout en continuant de s'habituer l'un à l'autre.
Pour le recensement

Code:
[code]<li><en3>5:06 des Exaltés, mois du Gardien</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t305-aime-a-etre-ignore-aerontus#1929">Aime à être ignoré.</a> : <u>@"Aerontus Nepos", @Taenar.</u> L'ambassadeur de Tévinter arrive à Starkhaven accompagné de son esclave particulier pour prendre ses fonctions, mais tous deux comprennent très vite qu'ils ne sont pas exactement les bienvenus. Après avoir déjoué les premiers pièges de l'inhospitalité, ils doivent découvrir les rouages de la ville ensemble, tout en continuant de s'habituer l'un à l'autre.</li>[/code]
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Le bel attelage de quatre marcheurs taslins s’ébranle enfin dans les vacillements d’une aube vermeille, suivi de deux autres équipages où s’entassent malles en bois peint, gens de maison et présents divers pour le beau monde havenois. Installé au fond de la première voiture garnie de velours, Taenar escamote dans chaque secousse le séisme qui s’est fait en lui. Il contemple impassiblement la denture magnifique et cruelle que Minrathie s’acharne à planter dans le ciel, y jette comme un os les tristes adieux qu’il a faits à sa famille. Sa mère l’a embrassé longuement, lui a chuchoté quelques mots front contre front, les yeux au fond des siens pour garder un souvenir impérissable de son visage. Son père, l’air grave et inquiet, lui a demandé s’il avait pu commettre auprès de l’Archonte quelque erreur susceptible de lui faire prendre le chemin de l’exil – car il ne s’agit pas d’autre chose, n’est-ce pas ? Seulement, Taenar n’a jamais été disposé à partager ses fardeaux, et le regard implorant de Falila qui s’est plaintivement suspendue à son cou n’y a rien changé. Il se rappelle avoir souri sobrement pour couper court aux effusions et ne pas avoir à soutenir davantage le chagrin d’enfant – toujours, à ses yeux – de sa petite sœur pourtant définitivement grandie.

Il ensevelit une à une chacune de ces encombrantes fragilités de cœur et s’interdit de porter le moindre regard sur les contours déchiquetés de Marnas Pell. La présence de son nouveau maître, assis en face de lui dans le sens de la marche, constitue à cet égard une heureuse échappatoire. Aerontus Nepos, ambassadeur de Tévinter à Starkhaven, soucieux de faire ses preuves avant d’embrasser la dignité de magister, est d’une tournure absolument radieuse, à peine altérée par la conjoncture terrible – et pour le moins imprévisible – qui auréole l’irréductible Tévinter à la façon d’un mauvais présage. En l’observant, sans insistance déplacée pour l’heure, Taenar se demande si le courage manifeste qui motive sa noble conduite ne se pointille pas par endroits d’une naïveté charmante, certes, mais dont il faudra aussi le protéger. Le voyage, ainsi que l’a ordonné l’Archonte, doit être pour lui une façon de se familiariser avec les goûts de ce nouveau maître – et d’apprendre à voir le monde à travers ses yeux.

Cependant, quoiqu’il soit d’une conversation bien plus agréable et intéressante que nombre d’Altus gravitant autour de l’Archonte, Taenar ne quitte jamais sa rigidité marmoréenne. C’est que leur route vers le sud, sur une Voie Impériale devenue difficilement praticable çà et là, est semée d’embûches à déjouer – les couleurs de Tévinter, passée la dernière frontière amicale, sont prudemment retirées – et que leurs haltes leur offrent rarement un complet répit tant l’hostilité essaime autour d’eux. Les lettres de créance censées leur tenir lieu de passeport suscitent au mieux la perplexité, au pire la défiance et l’animosité aux avant-postes où elles sont montrées. Alors que la dernière Marche Exaltée sème l’épouvante et la destruction partout où elle lève des armées, on interprète tantôt comme une folie suicidaire, tantôt comme une provocation éhontée le fait qu’un Altus se mêle d’occuper l’ambassade oubliée de Tévinter à Starkhaven. À ceux-là, il est difficile d’expliquer à demi-mots que le moment est au contraire on ne peut mieux choisi pour consolider un lien fragilisé par d’obscurs conflits politiques et que les batailles de Val-Royeaux n’ont pas nécessairement à devenir les leurs. En somme, Taenar doit à plusieurs reprises déployer des trésors d’ingéniosité et de persuasion pour que son maître n’ait à avaler aucune couleuvre ni à s’embarrasser de ces ennuyeuses formalités.

Les jours s’égrènent sous une bruine pénétrante jusqu’à leur arrivée dans la ville d’Hasmal qui s’apparente presque, pour eux, à un havre de paix. Là, par chance – vraiment ? –, un mage tévintide avertit son maître autour d’une table copieusement garnie : quoique leur arrivée ait – confusément – été annoncée à Starkhaven, il y a fort à parier qu’une fois aux portes de la Cité-État, rien ne soit fait pour leur signifier, un : qu’ils étaient attendus, deux : qu’ils sont les bienvenus – le Prince, à n’en pas douter, se trouvera indisposé ou se détournera vers quelque devoir autrement impérieux.

Taenar, resté en retrait, contemple silencieusement la ligne pure du profil de son maître. Ne goûtant pas vraiment la farce d’inhospitalité que les Havenois prétendent lui jouer, craignant par ailleurs pour sa sécurité, il lui suggère, avec une modestie savamment composée, de prendre encore un peu de repos, ici, à Hasmal, et de l’envoyer en éclaireur à Starkhaven afin de préparer sa venue comme il se doit. Si l’esclave perçoit l’impatience de son maître de découvrir la Cité-Etat par lui-même, il estime – sans formuler sa pensée toutefois – qu’un homme de sa qualité ne peut le faire en vulgaire excursionniste réduit à crotter ses bottes et à demander indéfiniment son chemin. Non : Taenar entend bien lui ménager une confortable entrée dans la ville et faire en sorte qu’il s’y oriente comme en terrain conquis.


Le lendemain, il repart de très bonne heure dans l’une des voitures secondaires, flanqué de plusieurs malles et de deux serviteurs pour l’assister dans sa tâche. Sans surprise, la lettre de créance qu’il conserve dans le revers de sa tunique ne vaut rien tant qu’elle ne s’accompagne pas d’un allègement de son escarcelle : aux portes de Starkhaven, les gardes considèrent la lettre avec incrédulité, feignent l’étonnement face à l’absence de l’ambassadeur, se montrant sourds à ses explications. L’un d’eux, qui promène sur lui un regard particulièrement mauvais, renifle bruyamment : « Et alors, esclave – il crache tout près de ses pieds comme pour se laver la bouche de ce vilain mot –, tu te pointes seul aux portes de ma ville alors que la Marche Exaltée fait rage, et je devrais croire, moi, que tu es dans ton bon droit, que tu n’as pas volé voire tué ton maître dans son sommeil avant de venir te réfugier ici ? » C’est vrai que j’ai la tête d’un elfe soucieux de rendre ce service-là à Orlaïs, songe Taenar avec une secrète consternation. Il cille lentement, coule un regard patient vers un deuxième garde qui prend tout aussi hargneusement la parole. « Ambassadeur, eh ! En voilà une brillante manière de fuir le front ! » Puis vers un troisième, qui semble vouloir le disputer aux deux autres en mauvaise foi et en stupidité : « Peste ! Qu’est-ce que tu veux qu’on en foute de ta maudite lettre ?
Tandis qu’il s’affale près d’une table d’appoint afin de s’y accouder et agiter le précieux document à la façon d’un vulgaire mouchoir, l’esclave saisit complaisamment le bâton qu’il vient de tendre pour se faire battre :
La lire serait un bon début, monsieur, répond-il d’une voix caressante – avant d’ajouter dans un battement de cils faussement innocent : À moins que vous n’ayez besoin que je le fasse pour vous… ?
Il ne sursaute pas lorsque la table vacille brutalement sous le poing rageur du troisième garde, qui vocifère en se redressant à moitié :
Ecoute-moi bien, fils de rat : tu vas fermer ton bec à merde et te foutre ta lettre au cul avant que je t’allonge les oreilles pour te pendre avec ; pigé ? »

Taenar, une fois encore, s’incline obligeamment. Terrible ressort que la vanité, n’est-ce pas ? Il regrette presque de ne pouvoir simuler la vexation de façon convaincante pour ménager un tant soit peu la susceptibilité de ce pauvre homme. Le premier garde, qui ne l’a pas quitté des yeux pendant l’échange, s’est abîmé dans un silence grimaçant. Il finit par récupérer le document d’un geste agacé, non sans un « Du calme, Balan. » adressé à son collègue : « Pour toi, esclave, prend-il tout de même la peine de rectifier, ce sera messer. On ne vous apprend donc rien à Tévinter ? Il crache à nouveau, consulte la lettre de créance dont il paraît prendre connaissance pour la première fois. Moi, je te conseille quand même de rebrousser chemin. Pour le reste… J’imagine qu’on peut toujours s’arranger.
Évidemment. » acquiesce aussitôt Taenar en prenant un air entendu, comme s’ils parlaient enfin le même langage – et qu’il ne comptait pas la brimade dans le paiement. Il a fini de perdre son temps, et il en est heureux. Au fond, sans doute savent-ils tous, ici, qu’il n’est pas du ressort d’un simple garde de contester l’authenticité d’une lettre de créance où figure un cachet connu du monde entier – contrairement à leurs pauvres usages. L’esclave consent à jouer selon leurs règles uniquement parce qu’il n’est pas là pour provoquer un esclandre – et parce qu’il prend peut-être un malin plaisir à observer la façon dont les cerbères sapent irrésistiblement les fondations de leur propre cité : en fin de compte, il est bien rare qu’une conviction morale, aussi solide soit-elle en apparence, résiste au rire sonnant de l’or. C’est donc d’un geste tout à fait tranquille qu’il sort un premier souverain de sa bourse et le fait glisser sur la table d’appoint : « Un pour le passage, explique-t-il d’une voix égale, avant d’en aligner un deuxième imperturbablement : Un pour vos précieux conseils – l’ironie fait à peine frémir sa bouche. Et enfin – il cherche le regard haineux du troisième garde, comme si c’était l’évidence même – un pour votre égo, Messer. »


***

Conscient que le plus pénible n’est pas encore passé, Taenar laisse la voiture de son maître et les deux serviteurs chargés de la surveiller au relais de poste, afin d’avoir toute latitude pour partir en quête des personnes susceptibles de le renseigner. Les Havenois se montrent quelquefois aussi peu cléments que le ciel lourd et bas au-dessus de leur tête. Il apparaît que l’emplacement de l’ambassade est pour le moins obscur : d’aucuns affirment qu’elle a de nombreuses fois été déplacée, d’autres qu’elle n’est plus désignée comme telle depuis un moment afin de ne plus exciter la haine des vandales. C’est que l’Impérium de Tévinter, hélas, n’est pas exactement en odeur de sainteté, même à Starkhaven où il a pourtant enfoncé de durables et épaisses racines. Il n’ignore pas, d’ailleurs, que nombre de belles maisons au cœur de la ville appartiennent à de riches tévintides, toutefois il n’a pas souhaité recourir à leur assistance, du moins pas officiellement. Il endure placidement chaque déconvenue, du reste, et se contente d’observer l’air de componction de ceux qui prétendent ne pas pouvoir l’aider, en bon esclave déjà familier de ce genre d’hypocrisie. Dans le même temps, il s’efforce d’apprivoiser les rouages de cette société étrange et d’apprendre à se faire aussi tortueux que son dédale de rues. La désobligeance de ceux qu’il interroge lui en révèle beaucoup sur le fonctionnement de la cité. Certains, pour punir son outrecuidance, lui suggèrent d’abord le Promontoire des Princes en lui riant au nez ; d’autres, préférant les plaisanteries de mauvais goût, lui indiquent plutôt le Bascloître. Les regards restent défiants, et il n’est pas difficile de comprendre que la donne n’aurait pas été la même en pleine nuit. Taenar se laisse volontiers prendre pour un imbécile, car c’est encore ce qu’il sait faire de mieux. Il n’a nul besoin de faire reluire, au fond de ses yeux sages, le poignard de celui qui n’oublie pas.


En fin de compte, il lui faut encore délier les cordons de sa bourse pour découvrir l’emplacement réservé à l’ambassade de Tévinter et en obtenir les clés. L’esclave s’étonne presque de fouler le sol d’un quartier où l’effervescence des commerces et de la vie mondaine égaye plaisamment le quotidien de ses résidents sans jamais l’emporter sur leur sérénité. On lui apprend que le Clachdun offre un séjour idéal aux dignitaires étrangers et les conversations enjouées des flâneurs le lui confirment : ici, on trouve les fournitures et les tissus les plus raffinés de la ville, là, le conseil se réunit, là-bas encore, nobles et bourgeois s’effleurent le long de promenades charmantes qui font presque oublier la grisaille des anneaux. Quant à la demeure de son maître, elle est suffisamment grande, située non loin des quartiers alloués à l’ambassade d’Antiva – seule autre nation, peut-être, à pouvoir se targuer d’un goût à peu près sûr.


Il ne lui reste plus qu’à récupérer l’équipage et à apprêter les lieux avant l’arrivée de Monsieur l’ambassadeur, prévue le lendemain. Il s’aperçoit rapidement que le bruit de leur présence a tout de même bien couru, puisque l’ouverture des portes s’accompagne d’un petit cortège d’opportunistes. Ah ! On les boude ouvertement, mais l’appel du profit vient encore à bout de ces scrupules de circonstance – et il compte bien en faire son jeu. Ainsi, un négociant en vin se présente pour faire connaître ses produits – Taenar ne le retient pas – puis vient le tour d’un négociant en thé – alors il se montre un peu plus réceptif. Lorsqu’un tailleur franchit le seuil précédé de plusieurs tenues qu’il serait ravi « d’offrir » à monsieur l’ambassadeur, afin que celui-ci puisse se mettre à la mode havenoise, réputée si particulière, Taenar doit réprimer un mouvement de recul, commandé à la fois par l’indignation et le dégoût : « Particulière, répète-t-il en considérant les riches habits avec une mine indéchiffrable – et qu’il a toutes les peines du monde à garder impassible. Le mot me paraît très justement choisi : je n’en aurais pas trouvé de plus pertinent. » Il ravale stoïquement un commentaire désobligeant qui ne laisse pour seule marque qu’une légère crispation dans sa mâchoire. « Je vous sais gré de votre prévenance, reprend-il en s’inclinant respectueusement, mais cela ne sera pas nécessaire. » Monsieur l’ambassadeur a voyagé relativement léger : c’est-à-dire qu’il paraissait plus avoir à cœur de transporter ses ouvrages. Pourquoi s’embarrasser d’une garde-robe qu’il pourra de toute façon compléter en ville, selon ses goûts ? Stimuler l’économie havenoise serait après tout un signe de bonne volonté, ainsi qu’une excellente manière de rappeler qu’il en a les moyens. Cependant, le tailleur insiste en le suivant hardiment à travers les pièces de l’ambassade, jusqu’aux appartements de Monsieur aux fenêtres desquelles Taenar découvre de bien maigres rideaux. Son regard s’éclaire subitement, et il tourne aussitôt vers le marchand un visage un peu plus avenant : « Finalement, laissez, Messer, et pardonnez un premier refus qui a dû vous paraître fort cavalier. » C’est qu’il y a tant de choses à faire, et si peu de temps, semble-t-il signifier d’un air contrit, ce à quoi le tailleur acquiesce aimablement. Une fois celui-ci parti – les poches un peu plus pleines qu'à son arrivée –, le visage de Taenar se ferme de nouveau, et sa voix retentit fermement dans le corridor : « Zélia, s’il vous plaît ! » Lorsqu’une servante aux longues boucles noires apparaît devant lui, il désigne d’une main ennuyée les hardes qu’il a dû poser sur l’un des fauteuils du salon : « Je vous prie d’emporter ces… pelures et d’y découper de quoi doubler les rideaux de Monsieur.
La jeune fille, qui a considéré la qualité des habits, ne parvient pas à dissimuler son étonnement.
Comment, mais… Ne devrions-nous pas attendre que Monsieur détermine lui-même s’il les trouve à son goût… ?
Taenar la dévisage très patiemment et s’enquiert avec une douceur trompeuse :
Aurais-je bégayé, Zélia ? »

Après un long silence, au terme duquel la lumière semble se faire dans son esprit, la servante se retire avec un hochement de tête résigné, les bras autour des tenues qui n’en seront bientôt plus.

Il se livre, dès lors, à une inspection minutieuse de la demeure, et porte une attention toute particulière au bureau et à la chambre de son maître. Ses mains gantées examinent chaque poignée, encadrement et tiroir, retire çà et là quelque clou malvenu. La literie est retournée, les sols et les murs sondés avec soin. Comme le bureau lui semble fort exposé à l’ouverture des fenêtres décidément trop nombreuses – les âmes naïves avanceraient sans doute l’argument de la lumière, mais lui ne songe qu’à la sûreté de son maître –, il décide de le déplacer. Pour le reste, il ne doute pas que Monsieur l’ambassadeur saura, à travers lui, redécorer sa demeure avec finesse.

Sa propre chambre est quant à elle bien plus modeste que celle qu’il occupait à Minrathie, mais il saura bien s’en accommoder.

Les heures filent à toute allure, et c’est évidemment en plein dépoussiérage qu’un représentant havenois s’annonce enfin. Taenar n’est pas dupe de la cordialité qu’il affecte, encore moins de la manœuvre, mais l’accueille malgré tout très respectueusement. Il réussit même à ne pas sourciller lorsque celui-ci a le toupet d’espérer que le lieu, tel qu’il l’a trouvé, sera au goût de Monsieur l’ambassadeur. « Oh, la demeure est en tout point exquise, Messer, et je crois pouvoir dire que vous n’auriez pu remplir le devoir de l’hospitalité de manière plus charmante, susurre-t-il une main sur le cœur, sans que la narquoiserie de son propos n’infléchisse la sévérité naturelle de sa physionomie. Je suis certain, du reste, que Monsieur l’ambassadeur se fera une joie de vous en remercier. » Il y a quelque chose de péremptoire dans sa voix, qui congédie ; et de fait, il se retrouve bientôt seul, impatient de pouvoir accueillir son maître « chez lui ».


Le lendemain, c’est Dorte qu’il envoie aux portes de la ville pour accompagner Monsieur l’ambassadeur et le reste de son équipage jusqu’à sa demeure. Taenar, lui, l’attend au pied du perron, prêt à satisfaire la moindre de ses attentes. Lorsque la voiture paraît enfin, il aide diligemment son maître à s’en extraire, et lui souhaite la bienvenue avec tous les égards qui lui sont dus. Il lui laisse le loisir de contempler la façade qui abritera sa mission diplomatique, avant de s’enquérir de lui : « Monsieur a-t-il fait bon voyage ? Et sa première traversée de la ville a-t-elle laissé sur son âme une impression favorable ? » Il l’accompagne à l’intérieur, cherchant à lire sur ses traits tout ce qu’il peut faire de plus afin qu’il trouve la demeure à sa convenance. Ce n’est qu’une fois la porte refermée derrière eux qu’il adopte un ton un peu plus confidentiel : « Il paraît que je dois me soumettre aux usages havenois et vous appeler Messer... » remarque-t-il d’un air peu convaincu. Excellence paraîtrait sans doute inapproprié, Maître, franchement déplacé. Or, il sait déjà que Monsieur l’ambassadeur excelle à ménager les susceptibilités – après tout, c’est maintenant son métier. Il ne formule cependant aucun avis sur la question et se contente de lui demander : « Qu’en dites-vous ? »

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« By the pricking of my thumbs,
Something wicked this way comes. »
W. Shakespeare – Macbeth



Au commencement, il y eut cet appel monstrueux de Justinia II, cette trahison basse des orlésiens, provocante et disgracieuse, qui attira les pires âmes du continent – comme seules les guerres savent le faire.

Tévinter tourna alors son regard vers le Sud et ses désirs belliqueux puis dans un lent mouvement, releva son front, rajusta ses esclaves, ses mages et ses armures en fer. Il y eut des discours qui gonflèrent les poitrines, qui firent miroiter les éclats pourpres d’une magie crépitante et anticiper l’ivresse des combats. Il y eut l’Archonte et le Divin, ces voix tonitruantes et justes, qui dissipèrent les doutes pour y semer l’espoir de jours meilleurs à venir, envers et contre tout – envers et contre Orlaïs. Toutes ces paroles qui surent étaler des lumières sombres et des chemins cendrés devant une nation prête à résister, prête à défendre ses frontières et ses vérités.

L’Impérium attendit les premiers assauts, ses paumes d’or et d’argent tournées vers le ciel et son Créateur.

C’est ainsi que la Quatrième Marche s'ouvrit.

Mais vous le saviez sûrement déjà, n’est-ce pas ?


***

Aux enfants de Tévinter, nous vous laissons cela – l’assurance que ce qui est fait ne sera jamais en vain, que la liberté de pratiquer la magie sous toutes ses formes n’a pas à être entachée par de quelconques répressions, que l’Impérium est grand et beau et qu’on peut être un Dieu et aimer.

Sous la poussière des vallées bordant l’Impérium, vous trouverez l’Histoire, celle que certains remanient dorénavant jusqu’à la nausée. Vous trouverez du sang mêlé à notre terre. Vermeil sur ocre. Vie et mystère.

Notre nation a toujours été profondément ancrée dans l'héritage de sang. Même avant tous ces jours sombres, même avant ces Marches interminables, c'est une terre qui exige plus que ce que l’on croit être possible, plus que ce que l’on croit posséder.

Oui - l’Impérium vous oblige à tout donner.

***

(Aerontus Nepos, fils de magister, mage lui-même, a pris des mains de l’Archonte son cachet de nouvel Ambassadeur. Il est dorénavant le représentant de Tévinter en terre des Marches Libres.

Il débute son office alors même que la guerre fait encore rage, que les sortilèges vibrent aux frontières et que les corps des innocents s’empilent sous des coups ennemis.)

(Nous voulons juste que vous compreniez.)


***

Les phalanges se dénouent, les pensées s’insurgent. Le voyage est une introspection brutale. Aerontus repense aux dernières paroles échangées avec le magister Nepos, ce « Père, je vous en prie. » qui, sans être froid, n’a guère laissé la place à d’autres exigences ou suppliques teintées de culpabilité latente. Il ne s’en veut pas au demeurant, sait instinctivement qu’il a pris la bonne décision. Il se sent légitime et si la route est chaotique – au propre comme au figuré – au moins est-elle sienne. N’a-t-il pas longuement brigué ce poste ? Écarté, jour après nuit,  nombre d’autres prétendants ? Certains plus âgés, d’autres possédant épouses ou bien encore des plus expérimentés en l’art subtil de la diplomatie.

Mais c’est lui aujourd’hui qui voit les couleurs de Tévinter s’amenuiser puis disparaître sous l’horizon couchant tandis que la route se fait nébuleuse, lui qui a reçu les lettres de créances des mains mêmes de l’Archonte, lui dont le nom va résonner dans ces murs trop longtemps abandonnés qui enserrent les rues de Starkhaven.

Alors quand les voitures se mettent en branle et débutent leur voyage, Aerontus ne se retourne pas.

Le regard ocre accroche celui de Taenar, immobile face à lui, l’hameçon silencieux quelques secondes avant de se fendre d’un sourire flottant et d’une conversation légère, comme s’ils avaient finalement toujours voyagé ensemble. Il sait qu’une immense partie de son métier réside dans ce type d’entrelacements envoûtants, dans ces vagues d’amitiés souvent factices, parfois – rarement - réelles. Il ne parle pas de la présence de l’elfe dans sa voiture, n’estime pas nécessaire de creuser pour l’instant les mystères du serviteur. L’espace est mesuré entre eux, les réponses en vortex grésillant. Taenar possède un humour piquant qui ne lui déplait pas même s’il peut surprendre. Il se dit qu’ils n’ont pas la moindre confiance l’un dans l’autre et que cela se sent - à juste titre d’ailleurs. Il manipule les volontés et les mensonges et l’elfe glisse entre les doigts comme eau en plein désert.

C'est ceci et cela.

Peu importe.

Ils vont dans la même direction.


***

Il y a des leçons d'Histoire auxquelles le futur est sourd, qui ne sont jamais transmises comme elles devraient l’être. Elles vous apprennent que les chevaliers sont bons, qu'ils sont les plus courageux, et que les mages sont les pires, qu’ils ont arraché des voiles et vomi des sacrilèges. Certains voudraient vous persuader que c'est aussi simple que ça.

Il n'y a rien de moins vrai.

Il fut un temps où ceux qui étaient au sommet avaient désiré le meilleur, pour les hommes, pour les êtres, pour les Cieux. Il fut un temps où Thédas s’était laissé happer par un idéal vertigineux. Mais toutes les visions et tous les dirigeants du monde, tout comme les fruits laissés sur la vigne pendant trop longtemps, peuvent se recroqueviller et périr.

(Vous commencez à comprendre maintenant.

Il est temps.)


***

L’Archonte l’a convoqué juste avant de le nommer au poste tant espéré. « Personne n’attend Tévinter dans ces Marches qui se veulent Libres, vous ne serez pas en territoire ami, aujourd’hui encore moins qu’hier. » Le regard se voile. « On vous dit trop jeune. » Un battement de cœur, puis un autre. Aerontus courbe la nuque, un peu de cette fatalité propre aux enfants nés durant les Marches successives lui caressant le front. Ici la vie serait plus simple, même avec la guerre aux portes. Minrathie ne sera jamais conquise et il est mage là où la magie est reine. Le Magisterium lui ouvrirait ses bras, ses griffes. Aussi simple que ça. La vision déroute par son dépouillement, par le naturel qui s’est emparé de la scène pour la rendre tout à fait sereine. Aerontus acquiesce dans un mouvement tranquille du visage, écarte les doutes de l’Archonte en quelques mots.

Il ira.

Il tiendra.


***

Dès qu’ils quittent les ultimes frontières encore sous influence tévintide, les choses se gâtent. Les vers se tortillent à la moindre mention de l’Impérium et les pommes se font amères sous les demandes de passage. Faire boire les chevaux semble déjà une épreuve, expliquer sa présence un chemin de croix. Il entend les murmures désapprobateurs, essuie les insultes à peine masquées, remarque les regards torves et les haleines pestilentielles. « Tévinter ?! On se croit drôle môssieur l’ambassadeur ?! » Singe un des énièmes gardes qui leur infligent un retard. « Je ne ris pas vraiment mais, vous l’aurez sans doute remarqué grâce à vos exceptionnels dons d’observation. » Le sourire grimpe dans une studieuse parcimonie. Les jours sont longs, les routes âpres, l’animosité palpable et les arrêts trop nombreux à son goût. Il croise parfois le regard d’un Taenar qui s’affaire avec sobriété, l’efficacité en bandoulière. « Ils sont tous affreusement prévisibles vous ne trouvez pas ? Mais, après tout, plaire à tout le monde c’est plaire à n’importe qui, je suppose. »

Hasmal les sépare.

Tandis que la ville gronde d’une nervosité incontrôlable, il comprend que la proposition de l’elfe est bonne. Il s’y range dans un pragmatisme serti d’une impatience contrôlée. L’entrée dans Starkhaven ne peut être ternie par une quelconque mésaventure et ce malgré son désir personnel d’y pénétrer dès aujourd’hui à coups de bottes et de galops.
Il n’est plus seul dorénavant et ce sont les reflets de Tévinter qui jaillissent de ses boucles noires et miroitent sur sa peau bronze.

L’État passe avant tout.

L’État passe avant lui.

L’affaire de quelques heures, quelques jours, lui assure Taenar dans un silence convaincant. L’elfe de peu de mots quitte l’auberge aux aurores. Aerontus s’affûte, les  manches opaques de son pourpoint en cuir craquant sous ses gestes. Il y a du parchemin beige sur le bureau de fortune, un autre plus pâle, un aux fils discrets couleur anis. Ils ont tous une fonction précise, ils ont tous un parfum particulier. Des codes. Il trempe sa plume et commence ce qui sera dorénavant un exercice quotidien. Il envoie une information puis son contraire sous des formes diverses, sous des références de pages, sous des retranscriptions de chansons et poèmes soi-disant entendus. Des lettres amicales et d’autres plus obscures. Le courrier est un leurre, les mots des gouffres.

Il y a des artifices entrelacés aux boucles d’encre.


***

Le ciel est d’un gris épouvantable et semble faire pleuvoir de la suie sur la cité. Il lève son regard vers la façade immaculée, l’insigne en laiton ouvragé pour indiquer son appartenance tévintide. « Monsieur a-t-il fait bon voyage ? Et sa première traversée de la ville a-t-elle laissé sur son âme une impression favorable ? » Aerontus se fend d’un sourire amusé. « Tous les voyages sont mémorables et Starkhaven est tel que nous l’attendions. » L’œil étincèle d’une dérision certaine. Ils ont traversé les quartiers précieux de la cité « Mais si l’on en croit la plupart des habitants de notre nouvelle demeure, d’âme nous n’en avons point. » Aerontus s’avance entre les murs blancs de l’Ambassade, contemple le patio aéré où la fontaine dégage une brise bienvenue dans les couloirs. Ce sera des plus agréable en été se dit-il avant de laisser son œil voguer sur les quelques employés qui s’affairent et qui s’arrêtent brusquement à sa vue.

Ils sont une poignée, encore verts - comme lui songe-t-il.

« Nous allons faire de grandes choses ici. J’en ai la conviction. Tout est arrangé pour en tout cas. » Une façon de féliciter l'intendant personnel pour sa dextérité. Il grimpe les quelques marches en une enjambée qui démontre une excitation encore un peu volatile que seules les années parviendront à tempérer. Le bureau lui plait et il y dépose ses gants avant de faire quelques pas dans ses appartements, un rire grésillant dans sa poitrine. « La mode havenoise va être notre crédo, autant s'y accoutumer. Sauf en ce qui concerne les cuisines, les sacrifices s'arrêtent là.» Plaisante Aerontus d'un air entendu.

Pourtant, entre ces murs, la patte de l’Impérium est partout, des longues statues en onyx posées à même le sol jusque dans le rangées de livres anciens au mur. Aerontus y reconnait des noms vénérés, déjà maintes fois lu. Les doigts effleurent les cuirs vieillis puis il s’arrête devant son reflet, un lourd miroir devant lui trônant sur une haute console ouvragée et arborant dragons en guise de colonne. « J’ai fait bon voyage, grâce à vous, ma tête beaucoup moins. » Il glisse une main pleine d’attentes inavouables et de frustrations accumulées dans ses boucles sombres puis commence à se défaire de son vêtement. La poussière de la route lui fait froncer le nez. « Commençons. Faites venir ma malle voulez-vous et un peu d’eau également je vous prie. Vous ferez ensuite passer le message que l’ambassadeur désire voir tout le personnel rassemblé dans le patio d’ici un sablier et demi environ. » Il retourne celui - imposant - qui se trouve sur le bureau.
C’est charmant, une bouffée d’accalmie que cette petite visite, mais on ne peut oublier les murmures en dehors de ces murs, ni les menaces dont ils seront probablement victimes dans les jours, les semaines et peut-être même les années à venir. « Taenar ? » Aerontus contemple un court instant la silhouette longiligne de cet elfe si autonome. Il lui semble que ce dernier n'a pas bougé et pourtant, il est déjà au seuil de la porte, vêtu d'un taffetas exquis et d'une ceinture aux rebords brodés.
Comme c’est curieux cette aptitude à tout. « Ne changez rien à votre mise et tâchez de me rejoindre sans tarder... » Il cille légèrement, l’ocre doré en ondulation énigmatique. « Vous vous tiendrez à mes côtés quand je leur parlerai. »



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S’il ne se permet pas de sourire ouvertement à la plaisanterie de son maître au sujet de leur âme prétendument inexistante, une moquerie légère n’en éclaire pas moins fugacement le fond de son regard. On a tôt fait de diaboliser tout ce qui a l’intelligence de ne pas s’embarrasser du superflu, aurait-il pu badiner à son tour comme il l’a fait pendant le voyage, mais son devoir, à présent, lui impose de rester concentré. Aerontus Nepos est encore capable de manifester de l’amusement en dépit des circonstances inconvenantes de sa venue, et sa présence, il doit bien l’admettre, suffit à ensoleiller l’intérieur de l’ambassade. Pour le reste, il est vrai que la cité de Starkhaven n’a pas trompé leurs attentes, aussi n’a-t-il nul besoin d’expliciter sa pensée.

Taenar adresse au reste du personnel un regard appuyé. Tous enrayent la mécanique bien huilée de leur besogne pour saluer leur maître et l’observer avec un mélange de respect et de circonspection – parfois de reproche –, car il est délicat pour eux de comprendre pourquoi cet homme-là, si jeune encore, et d’une tournure qui appartiendrait plutôt aux salons tévintides, a pris tant de risques pour entretenir le rayonnement de sa superbe nation au cœur de la grise Cité-État marchéenne. Tous cependant s’inclinent obligeamment lorsqu’il laisse échapper un compliment avec grâce, c’est-à-dire comme par mégarde – et ce sont les seuls qui soient dignes d’être entendus –, pour les féliciter de leur dur labeur. Néanmoins la sévérité naturelle de Taenar, que rien ne semble pouvoir dérider, tempère leur joie et leur rappelle qu’ils ne doivent pas tenir la satisfaction et la gratitude du maître pour acquises.

Celui-ci, il est vrai, s’auréole d’une conviction inébranlable à laquelle il est difficile de ne pas se laisser prendre. Il investit les lieux d’un pas sémillant, oppose à l’inélégance du monde une jovialité que ne ternit même pas la gravité de sa tâche. Taenar le suit en silence, l’étudie avec soin. Il se méfie et se défend de tout ce qu’il peut dégager, de tout ce qu’il peut entreprendre, mais il est en même temps tenu d’envisager tous les moyens de le protéger – des autres comme de lui-même. Le futur magister a tant à faire. La priorité est de remercier les familles tévintides installées de longue date à Starkhaven, des marchands essentiellement, qui ont contribué à la préservation de l’ambassade. Il y pense déjà, cela se voit à la fébrilité de ses gestes, mais l’esclave n’a pas à lui faire remarquer qu’il doit avant tout se délasser de son long voyage. Il le déleste de son manteau qu’il faudra soigneusement épousseter et acquiesce à ses commandements : « Tout a été fait de sorte que vous puissiez prendre vos commodités, Messer. Vous devez être bien las. » On achemine déjà sa plus grande malle vers sa chambre où l’attendent également, derrière les draperies en brocart d’une alcôve, une aiguière d’argent finement gravée et son bassin. Zélia apporte à son tour une collation et quelques rafraîchissements, sans manquer de signifier à son maître qu’elle fera chauffer l’eau de son bain sitôt qu’il en exprimera le désir.

Taenar finit par s’incliner respectueusement lorsque l’Ambassadeur retourne le sablier. Il se retire, mais une nouvelle sollicitation le retient sur le seuil de la porte, et c’est comme s’il n’avait jamais bougé, toujours prêt à recevoir les demandes de son maître. Il se livre à son examen sans sourciller, reste une seconde interdit à la perspective de se tenir à ses côtés pendant un discours qui, au fond, lui sera tout autant destiné. Il fait taire sa vanité, mais ne suggère pas non plus que ce n’est pas sa place – il est trop tôt encore pour murmurer à l’oreille de l’Ambassadeur. Celui-ci souhaite le désigner d’entrée de jeu comme n’étant pas un serviteur ordinaire et lui signifier par là même qu’il en a personnellement pris la pleine mesure ; soit. Il est aussi bon que tous les résidents de l’ambassade aient conscience du fait qu’il sera là pour faire exécuter la moindre de ses volontés. « Messer. » Il s’incline une dernière fois et s’éclipse enfin pour porter sa parole au reste du personnel.

Il ne s’étonne pas d’entendre les grommellements de Dorte au fond des cuisines. « De grandes choses, de grandes choses. Ne pas crever, ce serait déjà bien : moi j’nous donne pas plus d’une semaine ! » Taenar le considère sans indulgence. Il n’a jamais compris que dans la fange d’un monde si médiocre et décevant, un elfe tévintide – un elfe tout court, en vérité – puisse être attaché à la vie pour elle-même, et non pour l’opportunité qu’elle lui offre de faire quelque chose de ses dix doigts et de son esprit. Quelque chose de mieux. Quelque chose de pire. À chacun sa lecture. La peur, de ce point de vue-là, est le fondement de l’inaction, et c’est pour lui inacceptable. Il lui faudra trouver un moyen de la déloger de ce cœur désabusé, de la chasser complètement de ces murs. Survivre plus d’une semaine, pour commencer. Comme s’il existait, à Starkhaven, quelque chose de plus effrayant et de plus dangereux que les sombres secrets de Tévinter. Il a un froncement de nez dédaigneux. « Ne singez pas les paroles de notre maître, Dorte, le réprimande-t-il froidement. Et si la mort vous semble à ce point inévitable et prochaine, travaillez du moins à la mériter. » Le couinement de Zélia se fait aussitôt entendre, évidemment, l’emportant sur les marmonnements de Dorte. Elle essaie de faire contre mauvaise fortune bon cœur : « En tout cas, on n’aurait pu espérer maître plus charmant, n’est-ce pas ? » Taenar répond simplement qu’ils pourront commencer de s’en assurer en se rassemblant dans le patio, ainsi que l’Ambassadeur l’a exigé.

Il fait rapidement le tour des serviteurs, ceux-ci n’étant pas encore très nombreux. Il doit en arriver d’autres prochainement pour soutenir les activités de l’ambassade qui ne manqueront pas de se multiplier. Tous ne réussiront pas à s’accoutumer au climat havenois. Qu’importe : la faiblesse n’a pas sa place ici. Il ne tarde pas à rejoindre son maître : « Vos gens se tiennent tous à votre disposition dans le patio, Messer. » Sur le bureau, le sablier égrène ses dernières minutes.

@Aerontus Nepos Mon 1001ème message pour le plus joli. Excit
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Tw : mention de violences liées à la guerre.

Là, à cet instant précis, tout commence. Il le sent.

Il laisse la fraicheur nacrée de l’eau glisser sur lui. Les muscles se contractent, le corps reprend vie. Après l’éreintement du voyage vient l’attente des rencontres – celles qui se feront dans cette ambassade un temps abandonnée ; celle de ces femmes, hommes, humain et elfe déambulant dans ses couloirs ; celles qui l’attendent, tantôt heureuses tantôt tyranniques, à Starkhaven. Une nouvelle vie. Un nouveau cœur.

(Il les a vus à la frontière, les demeures éventrées, les villages rasés par Val-Royeaux et sa chantrie andrastienne. Ils ont voulu apporter la Lumière sur le territoire déjà bien sombre de l’Impérium mais n’ont charrié que Mort, Pestilence, Famine et Guerre. Des chevaliers d’une Apocalypse qu’ils ont l’outrecuidance de juger sainte, comme s'il était de leur droit d’envahir et de mater Tévinter, comme si c’était là une mission du Créateur que de passer l’épée dans le cœur de ceux qui refusent de voir dans la même direction qu’eux.

Il a vu et n’oublie pas.)

Aerontus inspire longuement, doigts languides, yeux clos. La brise se fait revigorante comme une source, le soleil lui insuffle une énergie nouvelle. Il respire et il est bien. Il sait qu’il faudra être prudent, qu’il ne faudra pas s’épuiser à la tâche, pas tout de suite, que ce qui compte dorénavant, c’est l’endurance – de l’âme et du corps. Ce dernier est plein de force, jeune, solide.
Il termine de rajuster sa mise. Le diable est dans les détails dit-on. Alors, il se prépare dans une certaine ivresse à descendre, transporté par les mots qu'il s'apprête à prononcer, à faire éclore comme une fleur au plus fort de l'hiver, à faire sourdre comme une eau inespérée entre les roches d'un désert. Le parfum tempétueux des avenirs incertains constelle son épiderme. Le caftan qu’il termine de nouer sur lui est stellaire, rayonnant, minutieux dans ses ornements. À travers la découpe, on perçoit les volontés inaltérables, dans la couleur chamarrée, la douceur du climat de la mère patrie, dans les boutons sa richesse ; l’harmonie des broderies fait subtilement sentir le goût du travail bien fait.

« Vos gens se tiennent tous à votre disposition dans le patio, Messer. » Taenar est là, silencieux, secret comme une onde noire. Sa présence est aussi rassurante que gorgée d’énigmes inquiétantes. Aerontus se contente d’esquisser un léger sourire.

Les derniers grains de sables tombent. Il est prêt.

En bas, le sobre cortège d’employés tourne un même regard vers lui, à la manière de tournesols devant un ciel bleu et encore dénué de nuages. Azur et Or. Il sait qu’ils ont peur. Ils font bien. C’est preuve de lucidité. Il a peur aussi et ce n’est rien. La peur est mauvaise conseillère, elle prend aux tripes et n'aiguise jamais la raison. Aerontus, qui a appris par cœur le nom de chacun d’entre eux et leurs fonctions, a un sourire en constatant qu’il en reconnait bien plus qu’il ne l’aurait cru. Ceux-ci sont particuliers. Ils constituent la première ligne, avant que d'autres n'arrivent en renfort dans les semaines qui suivent. Il prendra le temps au cours de ces premiers jours de les découvrir, de passer quelques minutes avec chacun d’entre eux, à échanger quelques mots salutaires, à faire en sorte qu’ils se sentent tous à leur place et reconnus, tout esclaves qu'ils soient. Certains en concevront trop d’orgueil et voudront en profiter, l’âme basse, la fidélité en berne – on les verra aisément. C’est un jeu là aussi. Terrible et sans concession.

Les aiguilles et les mottes de foin.

Il échange un regard avec son conseiller officieux puis s’éclaircit la voix d’un sourire avenant. « Comme tant d’entre vous, je suis né durant une Marche Exaltée. On trouve Qarinus aux confins du Nord. Là-bas, nous avions déjà vu les drapeaux noirs sur nos rives maritimes, nous percevions déjà l’odeur de la poudre et des agressions extérieures mais ce n’était rien à côté de ce que vivait le sud du territoire. Rien. » Il sait que deux de ses employés en viennent et il capte leur attention dans un battement de cils grave, puis reprend. « Mon père a quitté la maison dès les prémices, laissant l’intendance à ma mère, à ses fidèles gens, ceux qui ont la discrétion des ombres mais qui font tant. Il m’a laissé aussi. Parce qu’il le fallait. J’étais encore bébé. Je criais beaucoup à l’époque mais rassurez-vous, j’ai changé depuis. » Le sourire revient, l’ivoire éclatant, l’amusement tranquille. Il sait parfaitement que ceux qui lui font face n'auront pas forcément le cœur à rire, que jouer la carte de l'expérience personnelle et de l'autodérision pourra paraître déplacé quand sa vie, somme toute, a été bien moins douloureuse que la leur. Du reste, il n'a pas besoin de se tourner vers Taenar pour deviner le regard incisif qu'il a posé sur chacun d'entre eux. On ne rit pas d'un maître dont on ne connaît pas encore la main : sera-t-elle vraiment généreuse ? quel sera son poids sur leur nuque et sur leur dos ? combien comportera-t-elle de griffes ? C'est une prudence qu'il a bien l'intention de cultiver avec l'aide de son esclave particulier. Il laisse quelques secondes de silence fondre entre eux et lui, la transition aérienne pour se faire plus brutale. « Nous avons tous connus ça, chacun à notre manière : la guerre aux portes, les tentatives d’invasion et d'anéantissement, les rumeurs fiévreuses durant les conversations au marché, Orlaïs nous envoyant chevaliers et mercenaires, tous dévoyés en brigands par l'impiété de leurs motivations secrètes, pillant et brûlant les maisons, violant les esclaves qu’ils prétendaient vouloir libérer, asservissant en contrepartie les mages trouvés aux frontières. » Le regard dérive sur les visages devant lui. « Et peut-être avons-nous eu nos torts jadis mais n’avons-nous pas suffisamment payé maintenant ? Qui mérite cela ? Qui mérite de voir des armées étrangères aveuglées par une fausse justice venir nous dire comment vivre et en qui croire ? Sous couvert de nous apprendre à ne plus chanter faux, ceux qui ont marché contre l’Impérium n’ont jamais voulu qu’une chose : nos territoires et leurs richesses, nos forêts, nos dunes, nos foyers. On cherchera à vous convaincre du contraire, tantôt en vous rabaissant, tantôt en prétendant mettre en lumière l'absurdité supposée de votre condition qui vous empêche de profiter pleinement des trésors sur lesquels vous veillez pourtant. Et peut-être penserez-vous : en quoi cela me concerne-t-il ? Ce qui vous oblige à vous tenir devant moi n'a peut-être rien de louable au fond, mais obéit aux lois inattaquables de la nécessité. Dans notre belle Tévinter, vous êtes captifs mais repus. Ailleurs, vous serez libres de mourir de faim et de tomber dans une vie d'expédients. Pour ma part, je n'ai pas l'intention d'oublier ce que nous vous devons. » Il fronce les sourcils. Ses paroles peuvent sembler équivoques à plus d'un titre et il joue à un jeu dangereux quand il questionne la conscience qu'un esclave peut avoir de sa propre servitude. Il ne recule pas, cependant. Tout discours est empreint d’une gestuelle propre, d’une modulation de la voix. Il faut savoir l’élever puis la réduire à un fil ténu et nerveux.

Il faut prendre à la gorge et ne plus lâcher.

Aerontus poursuit, le corps en tocsin, la voix en appel. « Peut-être penserez-vous encore : pourquoi être ici alors ? Pourquoi nous tenir là maintenant, dans une ville qui n’a pas bougé le petit doigt quand nos familles périssaient sous les coups ennemis, quand c'est encore le cas maintenant ? Il faudrait, paraît-il, la remercier de son inaction au contraire, lui savoir gré d'avoir désavoué l'appel de Val-Royeaux, moins par conviction que par couardise d'ailleurs. » La guerre est toujours là, triomphante et misérable ; et Starkhaven, au lieu de mépriser plus ouvertement Orlaïs et ses ambitions coupables, préfère se taire et laisser les relents de bile à leur porte. La mémoire est une ombre après tout et celle des Marches Libres semble se faire nébuleuse. Aerontus balaye la rancœur d’une inspiration lente, transcende l’amertume pour se vêtir d’absolution dans un cillement implacable. Le visage se pare d'une gravité mesurée, pleine d'une sage sérénité. « Pourquoi se hasarder si loin de chez nous ? Vous connaissez déjà la réponse. Parce que nos pères nous ont montré le chemin et que nos mères ont tracé la voie. Il faut faire ce que d’autres ne peuvent pas. Il faut tenir, il faut creuser à mains nues les sillons d’une paix nécessaire. Notre travail dans cette Ambassade sera long, ardu, âpre, je ne vous le cache pas. Il y aura des moments difficiles où je me montrerai terriblement exigeant envers vous et où vous me reprocherez secrètement ce que vous considérez sans doute encore comme de simples beaux discours ; mais rien ne sera jamais en vain. L'écho de ce que nous accomplirons ici se prolongera pour les ères à venir. » Certains esclaves n’ont probablement pas eu le choix, pourtant il sait qu’on les a triés sur le volet, que chacun s’est vu confier son ouvrage à bon escient.

Taenar est un phare près de lui, immobile, laissant les vagues de mots s’écraser contre l'écueil de son silence. Que pensera-t-il de tout cela ? Il s'interdit de rechercher son approbation : il devra s'y soumettre, lui aussi. Aerontus reprend une dernière fois, une assurance tranquille au bout des lèvres. « Le temps est venu pour la paix. Et devant les désirs de guerre et les volontés d’humilier, nous ne plierons pas. Aucun d’entre nous. » Il jette un regard vers le ciel, le patio ouvert laissant filtrer l’agréable journée du Gardien qui les observe. « Dans quelques jours, nous fêterons l’équinoxe et avec lui ses promesses de changements. Chacun d'entre vous y contribuera à sa façon. Je veux que vous soyez certains de la raison et de la légitimité de votre présence dans cette ville, en ce moment précis, alors que les tambours résonnent encore aux bords de nos plaines silencieuses. Cette raison, nous la martèlerons plus fort : la paix, la paix, la paix. » Il les regarde à nouveau, un peu de métal fondu dans l’ambre des iris. « La paix, et rien d’autre. »



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Aime à être ignoré — Aerontus.