Les osselets roulèrent sur la planche ; le tonnerre leur répondit en grondant dehors. Chaque éclair une visite. Le Créateur, si cher aux hommes du Sud, allait parler. La parole des Esprits résonnait mieux lorsque le ciel se déchirait, que la barrière entre les mondes s’affinait.

Un nombre était inscrit sur chaque face; en les additionnant, elle pouvait obtenir une piste. La place des osselets sur la planche avait son importance aussi, selon la question formulée.

« Les osselets sont tombés d’une manière qui incite à dire que vos ennemis s’entre-déchireront avant que vous n’ayez pu les frapper... Messerah. »

Le conflit entre deux entités, et un présage de mort, aussi. Il était douteux que ce puisse être celle de Melisandre. Elle guetta sa prochaine réaction avec attention, consciente de la précarité de sa propre situation, même si elle ne doutait pas de la véracité de ses paroles.

Don ou fardeau, elle l'avait accepté dans son ensemble ; pour elle, l'avenir était toujours changeant, aussi lorsqu'elle voyait certaines choses il n'était pas obligatoire qu'elles se produisent. De même que la personne concernée avait un rôle immense dans cette aventure... Sa cliente la plus lucrative le savait-elle ? Elle l’intrigait, d’abord parce qu’elle n’avait pas -encore- hurlé à l’hérétique, ensuite par ses préoccupations.

Curieuse scène que celle qui réunissait deux femmes que tout séparait, dans ce petit salon.
Zeineh ne se faisait pas d’illusions cependant. Entre une noble dame et une réfugiée venue du Nord il y avait des distances qui ne se franchissaient point.

« Y a-t-il quelque chose de plus que vous voudriez demander à ce sujet, Messerah ?  » Elle réunit les osselets et colifichets d’un geste souple aux creux de sa main. « Formulez clairement et précisément, rappela-t-elle, s’ils nous écoutent, les esprits n'aiment pas les choses vagues. »

La question se devait d’être précise, car la réponse dépendrait de la formulation.

La O’hara avec ses velours blancs et ses boucles blondes est comme la gardienne d'un monde fabuleux où Zeineh rêve de pénétrer et dont on lui entrouvre les grilles.
La jeune noble l’écoute, si désireuse d’agir. Pour le bien du peuple, ou de ses institutions, cela reste encore à démontrer. Mais elle n’est pas sans savoir qu’elle prend des risques pour écouter les prédictions. Elle ne peut se défendre de ressentir de la sympathie pour elle.

Un second roulement de tonnerre, un second bruit d’osselets : sur la planche en bois, le destin roule, et bien chanceux est celui qui saurait lire ce que Zeineh y lit, choisit de lire, choisit de dire. Elle met un peu plus de temps à répondre, l’air songeur.

« Seulement leur nombre. Quelqu'un de puissant les dirige, quelqu'un de déterminé. » Une main hâlée désigne un creux sur la planche, là où plusieurs osselets reposent. Ils sont disposés, curieusement, « Une bataille se livre sous la terre... mais une seconde approche, et elle est bien pire. Bientôt va venir la foudre, bientôt va venir le sang à nos portes. Dans le cas où nous sommes encore vivants après la tempête, il se peut que les cartes soient rebattues en votre faveur. » Elle évoque la mort avec un flegme détaché, comme si elle s’est depuis longtemps faite à l’idée. Mais la finalité de cette bataille, seul le Ciel sait, et il reste muet, même pour elle.

« Les signes me montrent beaucoup d’orgueil. Celui qui se pense au-dessus des autres hommes ne verra pas ses ennemis arriver… Et n'aura pas d'âmes dévouées pour le protéger. » dit-elle en relevant son regard vert sur Melisandre. Elle désigne l’un des osselets, isolé sur la planche. « Celui-ci vous représente. Parfois, la patience est un choix aussi raisonnable que l'action... » Encore faut-il savoir le faire, quand le temps presse ! « Avez-vous les alliés dont l'âme a profondément besoin, jeune messerah ? » Le qualificatif lui a échappé sans y penser - rappel de sa jeunesse, et titre honorifique, curieusement contradictoire, mais dénué de malice, ou de mauvaises intentions.

@Mélisandre O'Hara