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Origine : Les caniveaux de Hossberg, dans les Anderfels
Occupation : Autrefois réputé pour fréquenter les pires bouges en mal de divertissements truqués et d'argent facile, Karl se fait désormais plus rare dans les tavernes. Le mot tournera vite : il a intégré la Garde des Ombres, et ses nouveaux devoirs l'attirent loin des tables de jeux.
Localisation : Personne ne connaît sa véritable planque, et il est probable qu'il en change régulièrement. On le voit traîner dans tous les recoins les plus sordides de Starkhaven, du Clayrak au Clattercraft, en passant même parfois vers le bascloître. Depuis son enrôlement, il est également présent à la commanderie de Starkhaven.
Pseudo : Lyr'se Aquilae
Pronom.s joueur.euse : Il de préférence. Iel.
Crédits : Owain par Marta Nael | Lucky Cat II par The Verdant Hare | retouches par Lyr'se Aquilae
Date d'inscription : 28/10/2022
Messages : 84
Autres personnages : Faolan, Eanna
Attributs : CC : 15
CT : 4
Mag : 18
End : 12
For : 12
Perc : 15
Ag : 15
Vol : 17
Ch : 15.
Classe : Mage, niveau 2 | Voleur, niveau 2
Sorts : - Désorientation (3 PM)
Expert de la tromperie, Karl sait user de magie pour parfaire ses illusions. Par suggestion subtile, il captive et altère les sens de la personne ciblée, faussant sa perception des distances, des obstacles, des indices sonores, visuels, tactiles ou olfactifs ; perturbée, la victime est immobilisée pendant un tour.
- Drain de vie (3 PM)
Son intérêt pour l'entropie lui a permis de découvrir ce sort très pratique. En tendant la main, Karl établit un lien parasite avec une cible unique afin d'aspirer sa force vitale ; l'ennemi sentira son énergie refluer alors que celle de l'apostat sera régénérée. Le sort prélève 9 PV à la victime pour les restituer à Karl.
- Lévitation (3 PM)
Autre outil essentiel de son arsenal magique : la manipulation d'objets à distance. Naturellement prédisposé à cette faculté, c'est l'un des premiers sorts que Karl a su maîtriser. Il s'en sert notamment pour faciliter ses tours de passe-passe et ses vols. D'un point de vue offensif, il peut également jeter des projectiles sur les ennemis : cela nécessitera un second jet de Magie et si l'attaque touche, la cible perdra 15 PV.
- Métamorphose en chat (End 12 | For 10 | Perc 17 | Agi 17 - Gratuit)
Reliquat d'une magie étouffée par la Chantrie, que Karl a apprise durant ses voyages. L'apostat adopte l'apparence d'un chat noir aux yeux ambrés : sa silhouette est svelte, haute sur pattes, sa tête et ses oreilles triangulaires et allongées, sa queue longue, son poil fourni. Sous cette forme, il interprète et interagit avec le monde au travers de ses nouveaux sens, mais conserve sa conscience et ses réflexions humaines ; pour chaque action exigeant un lancer de dé, il dépensera 1 PM.
- Ébullition du sang (1 PM & 2 PVs)
Karl a versé dans des arts interdits. Une simple entaille, faite à l'aide de son couteau ou de ses ongles acérés par la métamorphose, lui permet de puiser sa magie dans une source honnie : grâce à cette profanation, il embrase le sang d'une ou plusieurs cibles dans son champ de vision, comme si du magma coulait désormais dans leurs veines. La douleur est atroce et les dommages physiques, conséquents : les victimes subissent chacune 14 points de dégâts.
Feuille
Joueur
Mar 6 Aoû - 3:07
Il n'y a pas de liberté, seulement des longueurs de chaînes.
Karl
Karl
Garde-Acolyte de la Commanderie de Starkhaven
Personnage
Illustration :
Peuple : Humain
Âge : 35 ans
Pronom.s personnage : Usuellement, il ; iel.
Origine : Les caniveaux de Hossberg, dans les Anderfels
Occupation : Autrefois réputé pour fréquenter les pires bouges en mal de divertissements truqués et d'argent facile, Karl se fait désormais plus rare dans les tavernes. Le mot tournera vite : il a intégré la Garde des Ombres, et ses nouveaux devoirs l'attirent loin des tables de jeux.
Localisation : Personne ne connaît sa véritable planque, et il est probable qu'il en change régulièrement. On le voit traîner dans tous les recoins les plus sordides de Starkhaven, du Clayrak au Clattercraft, en passant même parfois vers le bascloître. Depuis son enrôlement, il est également présent à la commanderie de Starkhaven.
Pseudo : Lyr'se Aquilae
Pronom.s joueur.euse : Il de préférence. Iel.
Crédits : Owain par Marta Nael | Lucky Cat II par The Verdant Hare | retouches par Lyr'se Aquilae
Date d'inscription : 28/10/2022
Messages : 84
Autres personnages : Faolan, Eanna
Attributs : CC : 15
CT : 4
Mag : 18
End : 12
For : 12
Perc : 15
Ag : 15
Vol : 17
Ch : 15.
Classe : Mage, niveau 2 | Voleur, niveau 2
Sorts : - Désorientation (3 PM)
Expert de la tromperie, Karl sait user de magie pour parfaire ses illusions. Par suggestion subtile, il captive et altère les sens de la personne ciblée, faussant sa perception des distances, des obstacles, des indices sonores, visuels, tactiles ou olfactifs ; perturbée, la victime est immobilisée pendant un tour.
- Drain de vie (3 PM)
Son intérêt pour l'entropie lui a permis de découvrir ce sort très pratique. En tendant la main, Karl établit un lien parasite avec une cible unique afin d'aspirer sa force vitale ; l'ennemi sentira son énergie refluer alors que celle de l'apostat sera régénérée. Le sort prélève 9 PV à la victime pour les restituer à Karl.
- Lévitation (3 PM)
Autre outil essentiel de son arsenal magique : la manipulation d'objets à distance. Naturellement prédisposé à cette faculté, c'est l'un des premiers sorts que Karl a su maîtriser. Il s'en sert notamment pour faciliter ses tours de passe-passe et ses vols. D'un point de vue offensif, il peut également jeter des projectiles sur les ennemis : cela nécessitera un second jet de Magie et si l'attaque touche, la cible perdra 15 PV.
- Métamorphose en chat (End 12 | For 10 | Perc 17 | Agi 17 - Gratuit)
Reliquat d'une magie étouffée par la Chantrie, que Karl a apprise durant ses voyages. L'apostat adopte l'apparence d'un chat noir aux yeux ambrés : sa silhouette est svelte, haute sur pattes, sa tête et ses oreilles triangulaires et allongées, sa queue longue, son poil fourni. Sous cette forme, il interprète et interagit avec le monde au travers de ses nouveaux sens, mais conserve sa conscience et ses réflexions humaines ; pour chaque action exigeant un lancer de dé, il dépensera 1 PM.
- Ébullition du sang (1 PM & 2 PVs)
Karl a versé dans des arts interdits. Une simple entaille, faite à l'aide de son couteau ou de ses ongles acérés par la métamorphose, lui permet de puiser sa magie dans une source honnie : grâce à cette profanation, il embrase le sang d'une ou plusieurs cibles dans son champ de vision, comme si du magma coulait désormais dans leurs veines. La douleur est atroce et les dommages physiques, conséquents : les victimes subissent chacune 14 points de dégâts.
Feuille
Joueur
Mar 6 Aoû - 3:08
He was gone« The freedom was like an addiction he soared on a glorious high Living to him was a mission devoid of objective in mind He’d move at the drop of a dime with no thinking or questioning why Never developed attachment to things all would get left behind » - Zack Hemsey, The Runner
On pourrait penser qu'observer une ville sur le pied de guerre, ç'a quelque chose de... palpitant. D'effervescent. De grisant. Ce serait le défilé de tout ce que l'être humain produit de plus extraordinaire, au moment terrible où un danger sans précédent menace le Quotidien, la Normalité, de manière unanime : on verrait les soldats s'entraîner à frapper de concert, les forgerons langer l'acier de flammes et l'embrasser à coups de marteau, les ouvriers repérer les faiblesses des murs d'une simple pichenette sur le mortier, et même les femmes et les enfants mettraient la main à la patte, qui ramène des provisions, qui recoud des draps ou barricade des fenêtres. L'air déborderait de la tension générée par ce vaste effort commun : ces pauvres pécores et ces noblaillons de pacotille, tous serrés ensemble comme une portée de lapereaux à la merci des renards, vont-ils s'en sortir ? Réussiront-ils à dépasser leurs limites humaines et leurs différends ancestraux pour opposer un front solide à la menace à venir ? Ou bien, trop fragile pour ces mains égoïstes, ce bel espoir s'effondrera-t-il, et les remparts à sa suite, avant même que l'ennemi ne se lance à l'assaut ?
Ouais, ben il se trouve que j'ai jamais été amateur de suspense. Dans la vraie vie, il a tendance à attaquer les nerfs.
Une chance que les miens soient doublés de fer depuis longtemps. J'ai jamais apprécié non plus l'idée d'être le premier sur la ligne de front, mais que voulez-vous, Fortuna a envie de s'assurer que je ne ralentisse pas avec l'âge. L'habit bleu me démange : il est encore trop neuf, son tissu me gratte et ne plie pas bien aux entournures. Il grince sur ma peau de voyou, d'escroc et de soudard des Marches - mais heureusement pas sur celle de l'apostat, qu'il embellit plutôt bien, il faut l'admettre. La satisfaction d'enfin pouvoir passer devant les pourpreux avec un ravissant sourire plutôt que de me fourrer le nez dans le col en espérant la sympathie de l’Éternel Démissionnaire est sans égale ; et ils ne peuvent pas moufter, les salopards ! Ils ont besoin de moi, alors que l'Enclin passe bientôt la tête par l'encadrement de la porte !
Juste pour ça, donc, ça vaudrait presque le coup de savoir que je vais me glisser à l'avant des vaillants crétins qui se jetteront, cul par-dessus la raison, dans la gueule de l'archidémon. Certes, ce qui nous arrive sur le râble est pas réjouissant. Quoi qu'on en dise, les engeances sont bien plus virulentes et sacrément plus coriaces que les plantons andrastiens (tout en se payant le luxe d'être moins moches !), et leur variété notable (que je découvre peu à peu, non sans intérêt, depuis mon enrôlement) les rend aussi complexes à gérer sur le champ de bataille qu'une armée humaine dotée de machines de siège et d'unités spécialisées. Reste que ça crève comme tout un chacun, une engeance, et ç'a le bonheur de ne pas dégoiser de la bien-pensance pendant que ça tranche des gorges. Le bonus, c'est qu'elles n'ont même pas de famille pour les pleurer, à part leur grosse mère couveuse qui beugle dans un coin sombre des Tréfonds. Rien à craindre de ce côté-là : massacrez-en autant que vous voulez, ce seront toujours elles les monstres, pas vous !
Sauf que, quand d'autres conflits tout ce qu'il y a de plus humain ont déjà fait de vous un monstre, vous savez que vous en avez à remontrer à l'inhumanité. On a jamais vu des engeances chialer pour leur vie avant de se faire trouer le bide.
Enfin, l'ennemi le plus épouvantable que j'affronte à l'heure actuelle, c'est l'ennui. Fiché à côté de la porte de la commanderie comme un étendard en berne, je perds la bataille contre un bâillement intempestif. Si on pense que les Gardes n'ont pas besoin de vigies collées à leur paillasson, que nenni : je suis planté là depuis une éternité, à contrôler qui rentre et constater brumeusement les va-et-vient de la population qui s'active d'un bout à l'autre du Sullenhall. Les idées sous tous ces chefs baissés doivent être plus noires qu'il y a quelques mois, mais ça n'empêche pas la masse de trotter, de passer des seuils, d'inspecter des cargaisons ou d'ouvrir des bourses. Bref : la vie continue, envers et contre tout. Certains trouvent les rouages de l'habitude rassurants. Quand je ne somnole pas, je préfère garder ma position de spectateur, et puisque c'est mon rôle de sentinelle, autant faire mes observations à la faveur d'un détachement tout professionnel.
Tenez, regardez par exemple : à une autre époque, j'aurais pas loupé ce gros lard bien lesté d'or, un négociant à en croire sa défroque et les caisses qu'il fait trimballer par une ribambelle d'elfes pilotée à l'insulte ; il est tellement occupé à les couver, ses précieuses marchandises, et à pester sur les pauvres domestiques qui ne lui font pas le plaisir de courir avec un âne mort sur le dos, qu'il ne prête pas du tout attention au camée brillant discrètement éjecté de sa poche par ses mouvements outranciers. Il aurait suffi d'un rien, juste de passer d'un pas empressé, que du très normal au milieu de la foule, et de tendre la main... Le bourge aurait rien senti venir. Probable que sa frustration serait retombée sur ses serviteurs crevés à la tâche, mais pendant ce temps, j'aurais déguerpi loin. Ah ! le bon vieux temps !
Non, en fait. Ce doux nanti n'aurait rien eu à craindre de moi si nous étions encore « au bon vieux temps » : j'aurais foutu le camp depuis belle lurette, pas fou pour deux sous. Sous peu, il ne fera pas bon traîner aux alentours de Starkhaven, et mon instinct de survie ne m'aurait pas permis de perdre un temps précieux à bayer aux Corneilles dans ce traquenard.
Hélas, Fortuna n'aime rien mieux que me piéger dans les filets de la déveine et voir comment je m'en dépêtre, en particulier lorsqu'ils impliquent beaucoup de périls rocambolesques, de combats et de sang. Créateur ! ce que j'aurais préféré claquer la porte de cette cité de malheur, en lui souhaitant tous mes vœux de prompt ensevelissement ! Mais la fuite ne lavera pas miraculeusement la Souillure de mes veines. Pire : quoi que je fasse, l’œil fixe de Fumble me collera aux fesses jusqu'aux confins du monde, plus tenace qu'une colonie de morpions.
Si je peux trouver deux avantages à m'être corrompu la couenne et devoir la risquer face aux suppôts du Mal, c'est, numéro un : pouvoir parader devant les templiers sans qu'ils n'aient le droit de lever leur épée, et numéro deux : obtenir la plus formidable monture qu'un cavalier puisse chevaucher, j'ai nommé un griffon. Je me rappelle des patrouilles aériennes qui n'étaient pas si rares, à Hossberg, quand j'étais gosse ; voir les gaillards bleus sur leurs fauves perçant le ciel à une telle vitesse qu'on avait du mal à les suivre, ça émerveillait notre cœur de petits orphelins des rues. Y'en a eu qui rêvaient de les rejoindre là-haut. Vu leur envergure et leur taille au garrot à l'époque, j'imagine qu'ils sont morts, depuis. Ils n'ont pas dû dépasser l'Union.
Après avoir siroté la mienne, j'étais au moins content de pas avoir tout perdu au change - seulement le privilège anodin de vivre ma vie comme je l'entends, ne pas être condamné à courir les Tréfonds et à subir la gueule infecte d'Andoral chaque fois que je ferme les yeux - bref, je me faisais à l'idée que j'allais récupérer un griffon. Et, oh oui ! ça, je l'ai récupéré ! Je l'ai eu en plein dans le croupion, si vous me passez l'expression. Car, bien sûr, il a fallu que le seul bestiau à vouloir de moi soit l'attardé le plus fermenté de la volée.
Donc voici le tableau : moi, à peine sorti d'une entourloupe pour tomber tête la première dans une autre, et Fumble, jeune griffon bourré de fougue - disons-le bourré tout court - qui me fonce dessus sans aucun préambule, m'envoie rouler au tapis avant de poser son gros cul triomphant sur mes reins. Vous savez ce que ça fait, quatre cent cinquante livres de muscles et de plumes qui se mettent à l'aise sur votre colonne vertébrale ? Mal. Très mal, que ça fait, et ç'a fait rire ces abrutis de Gardes en prime !
Je me suis relevé, l'ego réduit en crêpe, avec la promesse que ce monstre ne me suivra jamais, jamais, jamais à l'extérieur. Résultat, il me colle comme mon ombre, y compris pour des missions aussi barbantes que surveiller les entrées de la commanderie, se presse contre mon dos tel un coussin indésiré, et à l'instant même, il fourrage mes cheveux avec son bec.
« Hé, qu'est-ce que tu fous ? » En tordant le torse, j'esquive la riposte d'une mandibule trop intrusive. « Tu... tu me fais quand même pas les poux ?!
– Ouaaak ! » réplique mon vis-à-vis, ce qui m'offre une vue imprenable sur son gosier rose.
« Arrête de répondre, et laisse ma tignasse tranquille ! Je me gratte parce que je me fais chier, andouille, c'est toi le sac à puces ! »
Son bec s'ouvre et se ferme de contrariété. Clac ! Clac ! Clac !« Ouaaak !
– T'as vraiment envie de nous faire remarquer ? On est censé me prendre pour un héros du peuple, je te signale, et toi pour mon noble destrier ailé. Là, le constat est plutôt affligeant. »
Ce qui est aussi peu flatteur pour moi que pour lui, je réalise sur le tard, mais je n'ai pas le temps de corriger le tir : Fumble, une fois de plus, ignore toutes les précédentes vérités établies sur la majesté des griffons, et me gratifie d'une espèce de ronronnement flûté tout en appuyant son crâne de piaf sur ma tête. Je me noie dans une marée de plumes.
« C'est pas vrai ! Tu peux pas me laisser respirer ? » Je me contorsionne pour lui échapper, mais c'est qu'il a de la force, l'animal, et une sacrée allonge avec son cou. « En plus, tes plumes me grattent le nez !
– Rlourlourlourlou. »
Je me bagarre contre une avalanche de rémiges. « T'es le poulet le plus collant que j'aie jamais rencontré. » L'autre a l'audace de roucouler plus fort. Puisque lutter ne fait qu'enfoncer son duvet dans mes narines, je rends les armes. Voûté sous le poids de la coiffe caquetante que je fais de mon mieux pour oublier, je reporte sur la rue un regard chargé de poignards.
Un éclat de rire retentit.
Il est si fort, si outrageusement sincère qu'il me détourne aussi sec des plans de vengeance que je ruminais à l'intention du satané volatile. Je crible les environs des yeux, prêt au carnage. L'origine du son, une gamine au teint basané juchée sur un tonneau, à quelques enjambées de là, récolte une expression jurant fureur et calamité sous ma perruque en plumes de griffon.
« Ris plus fort, et c'est sur ta tête à toi que je lui demande de prendre la pose !
– Pardon, m'ser. » La gamine, quinze ans au maximum, frappe du talon la barrique qui la supporte, nullement désolée. Elle me fait front avec un gigantesque sourire. « C'est la première fois que je vois un griffon aussi... amical.
– Ouaaak ! » approuve l'incriminé d'une voix aigüe, qui fait vibrer tout mon dos.
« Amical, hein ? Tu te fous pas un peu de ma gueule ?
– Aussi, » qu'elle admet tranquillement, sans même baisser les yeux. Je vous jure ! L'insolence ! Y'a plus rien à sauver dans cette jeunesse.
« M'ser, je préfère en rire que me dire que... c'est ça, la dernière ligne de défense de l'humanité. »
Là, même Fumble n'est plus aussi sûr qu'il doit faire le fier. Je lui aurais balancé mon plus beau « et toc ! » si cette ado un peu trop futée pour son propre bien ne venait pas de me piquer au vif. Je l'accuse d'un doigt sévère.
« Parce que tu ferais mieux, du haut de tes quinze piges ?
– Seize !
– Rien à branler. C'est assez pour savoir qu'on embête pas les honnêtes Gardes en faction.
– Depuis que je suis arrivée, vous bâillez en fixant le vide, m'ser.
– C'est précisément la définition d'être en faction. Hé ! J'ai pas à argumenter avec toi ! Tu veux pas retourner chercher des noises à tes parents, ou un autre truc de ton âge ?
– Ça va être compliqué : ils sont morts. » Son visage est devenu grave comme une épitaphe. Merde, la bourde. Ça me la boucle d'un coup. Le silence s'installe désagréablement entre nous, comme mon passé qui plane, désapprobateur, et me juge depuis les nuées. Je me défile des yeux, soi-disant pour inspecter la ruelle d'en face ; je suis sur le point d'adresser à l'orpheline un vague bougonnement ayant lieu d'excuse, lorsque ses traits pincés se détendent d'un coup. « Nan, je vous fais marcher. J'ai encore ma mère. Elle devrait plus tarder à revenir.
– Merveilleux, » je soupire. Son petit manège a fonctionné : je me sens plus las qu'agacé, désormais. Je me masse les sourcils, non sans chasser d'une tape la mèche de plumes trop entreprenante qui chatouille mon front. « Donc attends-la, mais en silence. Je sais que les parents ne rêvent que de ça... »
Je suppose que je l'ai su un jour. Ou que j'aurais dû le savoir ? Ce que je sais, c'est que le silence vaut encore mieux que les pleurs intarissables et les cris épouvantés, alors que des mains étrangères s'emparent d'un être déboussolé. Les premières années, ce silence vous dévore, bien sûr ; et puis il finit par devenir plus supportable que l'idée de la souffrance.
Mais cette adolescente n'a pas besoin de gratter la croûte de mes souvenirs, peu importe qui elle est ou ce qu'elle a vécu. Je me détache donc d'elle et de son tonneau - elle s'est accroupie dessus en équilibre précaire et ça me démange de lui dire de se rasseoir avant de se faire le coup du lapin, mais c'est pas mon boulot - pour me concentrer une fois de plus sur la rue censée recevoir toute mon attention. Il paraît qu'il faut des gens pour travailler, en ces temps d'Enclin.
« Ma mère ne m'a jamais empêchée de parler. » Évidemment qu'elle remet ça. Je roule les yeux au ciel - il est peuplé de plumes de griffon. « Au contraire, elle voulait que je lui pose des questions pour m'apprendre des trucs.
– Tu pourras la féliciter, elle t'a appris à me casser les burnes dans la foulée.
– La vôtre a pas fait un meilleur boulot, » qu'elle rétorque aussitôt. Hé, comment elle ose ! Je lui décoche un rictus indigné, qui ricoche sur sa moue devenue boudeuse. « Je voulais seulement vous demander si je peux m'approcher du griffon, mais faut croire que je me suis trompée sur vous.
– Ravi de t'avoir déçue... Attends. T'approcher du griffon ? » Elle y croit vraiment ? Ma grimace évolue en sourcillement incrédule, qui n'a pas l'air de passer au-dessus de sa contrariété. Qu'est-ce qu'elle veut bien foutre avec un griffon ? Elle a envie de se faire pincer les doigts ? « Tu me pisses à la gueule, et après tu me quémandes des faveurs ? T'as une drôle de façon de marchander, ma cocotte.
– C'est vous qui êtes vulgaire, m'ser. » Elle noue résolument les bras autour de ses genoux repliés, perchée sur la pointe des pieds, tandis que son corps penche encore plus près d'une chute probable. « Je passe pas souvent par ici, et la plupart des griffons font peur. Vous... vous aviez l'air accessible. »
Allons, elle n'est jamais à court d'âneries. Accessible, moi ?
« Jusqu'à ce que vous m'appeliez "cocotte". Ça, c'est trop accessible.
– Par le divin foutre du Créateur ! »
Je ne sais pas ce qui m'exaspère le plus : le fait d'avoir juré trop vite et donné raison à la lueur triomphante dans ses yeux, ou qu'elle arrive si bien à me retourner la cervelle. Je refuse de culpabiliser pour une gamine inconnue ! Surtout une petite maligne qui sait exactement à quel jeu elle joue !
Mais je peux pas empêcher ses mots de se loger coquettement dans ma tête. Oui, à côté du colossal encombrement d'un de Grandbois ou du monument de solennité que représente une Leto, je veux bien croire qu'avec ma taille de furet et mon humour sans égal, je sois un tantinet plus engageant. (Un sursaut de popularité qui n'a évidemment aucun rapport avec Fumble et sa collerette d'aigle mal léché, qui continue de me décorer la partie supérieure du corps et qu'au fil de la prise de bec, j'ai complètement oubliée.) Est-ce que ce serait si mal d'autoriser une gosse vagabonde à lui chatouiller une aigrette ? Elle obtient ce qu'elle veut, et moi je remporte le prix de Garde le plus sympathique de l'année. Franchement, ça me coûterait quoi ? Ce sont ses doigts, après tout.
Et qu'est-ce que j'en ai à faire, d'une orpheline ?
Cependant, hors de question de lui faire comprendre qu'elle a si vite raflé la mise. Sous son regard inquisiteur, je marmonne, pince les lèvres, fronce le nez, plisse le menton... tout pour la faire mariner, en juste rétribution. Enfin, je me décide à me décider, sur un éternuement à moitié contenu - j'ai trop levé les épaules et la tête pour souligner mon indifférence, une plume s'est faufilée dans mes narines. « Soit ! Puisque c'est ce qu'il faut pour que tu me fiches la paix...
– Merci, m'ser ! » Je n'ai pas terminé qu'elle bondit de son tonneau - je m'attends à demi à ce qu'elle se pète un genou -, se réceptionne finalement au sol avec une souplesse qui ne ferait pas honte à Yara, et se précipite vers nous.
« Holà ! Doucement ! Tu vas l'effrayer. » En effet, Fumble s'est déjà rétracté en sifflant comme un serpent ; ses plumes gonflent sous la menace.
La petite se stoppe net. « Désolée. » C'est peut-être une excellente comédienne, mais j'ai du mal à voir une manipulation dans son expression penaude.
« Allez, c'est bon, » je soupire. « Pas la peine de reluquer le sol comme si tu voulais qu'il t'engloutisse. Approche-toi en marchant, sans geste brusque. T'es face à un griffon tueur d'engeances, pas un poney de compagnie.
– Je suis sûre que les nobles se battraient pour un griffon de compagnie. » La perspective m'arrache un ricanement spontané. Consciente qu'elle gagne des points, la fille se permet un sourire en coin elle aussi, avant de suivre avec précaution mes instructions.
Elle esquisse un pas calculé en direction du griffon, dont les plumes hérissées caressent mon cou à mesure que la tension les quitte. Fumble émet un piaillement interrogateur. Son vis-à-vis s'enhardit, avance d'un deuxième pas, puis d'un troisième. De mon côté, je ne bouge pas, savourant le spectacle. Fumble guette la suite.
Elle est assez proche de moi, maintenant, pour que je constate qu'elle fait à peu près ma taille. Prudemment, elle tend sa main en l'air, droit vers le gros bec lardé d'encoches. Le griffon réserve un roucoulement circonspect au fond de sa large gorge. Comme l'attention ne lui paraît pas importune, et que je ne donne pas l'impression d'être mis en danger par cette subtile intrusion, je le sens qui étire la tête. Son ombre court sur moi alors qu'il la penche, pour mieux s'exposer à la grattouille. La gamine le flatte sous la mâchoire avec un rire ravi. « C'est doux ! Je pensais qu'ils avaient le plumage rêche.
– Il vaut mieux pas. Tu imagines l'état de nos cuisses, sinon ?
– Parce que vous les montez cul nu ? » Elle glousse et je souris. Même Fumble paraît soulever les commissures de ses mandibules - ou bien c'est simplement l'effet des caresses.
« Hé ! Toutes les stratégies sont bonnes pour flanquer la frousse aux engeances. »
Elle rigole de plus belle. Mon allié à quatre pattes, paupières mi-closes, nage dans le bonheur, et sans m'en rendre compte, je me suis détendu à mon tour. Vicieuse, cette enfant, et intrépide avec ça, mais elle sait faire oublier ses défauts avec ses réparties bien tournées et ses savants regards complices. Pour un peu, on pourrait croire que je l'ai élevée...
« Je ne vais plus devoir traîner, » révèle la gamine après avoir gratté une ultime fois Fumble derrière l'oreille. L'animal réclame un supplément d'un « ouak ! » indigné suivi de quelques claquements de bec, mais elle rejette son caprice en riant. « Non, c'est tout ! Tu demanderas à ton maître. Ma mère va arriver bientôt... » (Son regard explore de droite et de gauche, avant de s'éclairer.) « Ah, la voilà ! »
Ignorant le gémissement déconfit de Fumble, notre invitée surprise détale du côté de la rue menant aux portes de la ville. Amusé, je la suis des yeux...
...et me fige face à une apparition.
Non. Non, ce n'est pas possible. La lumière doit me jouer des tours, ou bien c'est à cause de la distance. Ça doit être un souvenir, c'est forcé : l'image ressuscitée d'un passé enterré qui s'imprime sur les traits d'une pauvre elfe inconsciente de cette méprise. Elle ne mérite certainement pas que je l'afflige de ces yeux ronds, de cette expression purement conne, entre choc et incrédulité, elle n'a pas à récolter les débris d'une vie qui n'est pas la sienne. Des elfes brunes comme elle, il en existe dix à la douzaine. Celle-là doit me trouver abruti. Elle aurait raison. Je me sens vraiment abruti par mon propre souvenir, car je me revois, sur le champ de bataille, me jeter après ce crevard de chevalier qui venait de lui taillader la joue, je me revois trébucher, essoufflé, accrocher son épée avec un sort et l'empaler au travers de son aisselle exposée. Je me revois jurer et chier sur son cadavre, parce qu'elle gardera cette marque à vie ; joyeux cadeau des sauveurs à ceux qu'ils auraient dû aider, et qu'ils préféraient massacrer sans vergogne. Parce que les nations du Sud ne font pas plus cas des esclaves que Tévinter, quand il s'agit de guerre.
Ça ne peut être qu'un souvenir. Peut-être qu'elle revient me hanter. Me maudire de n'avoir jamais retrouvé l'endroit où leurs restes ont été balancés.
Mais ni les souvenirs, ni les apparitions ne vous regardent comme si, devant eux, s'était dressé un fantôme.
« Quintus ? »
Je ne trouve rien de mieux à répondre que de battre des paupières. C'est bien sa voix. C'est bien cette même tonalité calme et résignée, celle que j'ai su faire rire et qui m'exhortait à tenir. Cette voix résolue à sa fatalité, où a fini par percer une lueur d'espoir.
Quelque chose se débloque subitement dans ma poitrine. « Par tous les vents de la Fortune... Nona ? »
Mes yeux ont beau soutenir mordicus à ma tête ce qu'ils voient, je n'arrive pas à leur faire confiance. En fait, si : je les crois, mais je n'arrive pas à comprendre pourquoi. Pourquoi ? Comment ? Comment là, ici, maintenant, à la fin du monde ?
Elle aussi, elle ne semble pas vouloir croire l'espèce d'improbable machination que nous inflige le destin. « C'est... c'est vraiment toi ? » Elle s'approche, un tout petit peu, mais son regard me lorgne de biais. Ses iris jonglent entre moi, mon griffon et mon uniforme dans un ballet teinté de méfiance. « Je comprends mieux, » poursuit la voix de mes souvenirs, cette voix qui n'a pas besoin de s'élever bien haut pour que j'en conçoive l'émotion, et surtout pour que je ressente de la honte. « Je comprends pourquoi tu n'es jamais revenu... même si tu étais... vivant.
– Non non non non ce n'est pas ce que... » Je sens les prochains mots se fissurer dans ma gorge et je les retiens, au risque de briser ce moment surréaliste ; je crois que la vérité ne lui ferait pas plus de bien à entendre, de toute façon. Pas cette vérité-là, en tous cas. « Je vous ai cherchées ! Pendant des années... J'ai couru... J'ai couru les rues à la recherche de tout ce que je pouvais, les mercenaires, les criminels, les vétérans de guerre, même certains hauts-placés, j'ai... j'ai couru partout, mais... » Alignés comme ça, sans dessus dessous, débordant de ma bouche tremblante comme si, plus j'en disais, plus je permettais au mirage de se prolonger, mes arguments me paraissent bien mous, et malhonnêtes. Pourtant, le Créateur sait que cette fois, je ne mens pas : tout ce temps décompté à fuir la vengeance et poursuivre des chimères... La douleur constante, cet éclat dans la plaie jamais refermée... C'était plus facile de l'anesthésier à coup d'ignorance. Ne plus la regarder pour continuer de marcher, et finir par oublier qu'elle lance à chaque pas. Je secoue la tête. « ...mais tous disaient qu'il n'y avait aucune chance. Impossible de survivre à... » Pas à une attaque si bien coordonnée, orchestrée par des gens entraînés. Mais est-ce qu'ils savaient, tous, quelle formidable combattante Nona pouvait être ? Qu'elle avait survécu à une Marche Exaltée ? Non. Moi, oui.
« Ils m'ont envoyé faire leur guerre. Encore. Je n'avais plus le pet d'une piste, rien ! »
Alors, j'ai fait ce que je savais faire de mieux, et je me suis remis à courir. J'ai choisi de survivre.
Des années, je me suis persuadé que je n'aurais rien pu faire de plus, que c'était logique, pour ma raison et pour ma survie, de tirer un trait sur tout ce qui avait eu lieu là-bas, dans ce substitut de bonheur que j'ai fini par soupçonner n'être qu'un rêve. C'était horrible, oui, mais je serais hypocrite si je disais que c'était plus difficile que de s'accrocher. J'aurais aimé avouer que j'ai eu du mal à lâcher prise, mais non. J'ai lâché. Je voulais vivre.
Et maintenant, ces yeux bruns on ne peut plus vivants transforment toutes ces constatations en excuses pathétiques, assèchent les justifications dans ma gorge.
Je n'arrive pas à déchiffrer son expression. Nona me fixe. Je n'ai pas l'impression qu'elle juge, mais son attention me paraît si lourde que je n'arrive pas à la soutenir. Je ploie dessous. « Je te pensais mort aussi... » Elle parle avec retenue, à moins qu'elle n'ait déjà trop pleuré autrefois pour verser des larmes aujourd'hui. Sa peine, s'il en reste, se devine, comme une cicatrice effacée. « Tes informateurs n'ont pas raconté n'importe quoi. Nous n'aurions pas pu survivre si nous étions restées.
– Vous avez fui Tévinter ?
– Oui. Que voulais-tu que nous fassions d'autre ?
– Je... je ne sais pas. Je ne sais pas. » La réalisation souffle ses bourrasques sous mon crâne. Je me prends le front entre les mains. « Je ne sais pas ! Je...
– Quelqu'un veut bien m'expliquer ce qui se passe ?! » L'exclamation, rendue quasi stridente par la détresse, nous détourne de nos regrets, à moi et Nona. Je vois l'adolescente de tout à l'heure, ses prunelles sombres captant la lumière dans leur blanc exposé, et je me demande comment j'ai fait pour ne pas le voir - ses traits se sont donc si vite dissipés de ma mémoire ? Une fois encore, la culpabilité mord. Je n'ai pas pu inventer le moment où je l'ai tenue dans mes bras, lorsqu'elle venait à peine de découvrir la lueur du jour. Je n'ai pas pu fabriquer ceux où je l'ai bercée, où j'ai apaisé comme je pouvais ses pleurs la nuit, ceux où j'ai chanté une berceuse aussi fausse qu'une panoplie de casseroles. Je n'ai pas pu imaginer avoir cru en son avenir... et au nôtre...
En l'observant dans ces prunelles sombres qui me sont similaires.
« Naja... »
Elle se contracte. « Vous connaissez mon nom ? »
D'une main prévenante, Nona effleure l'épaule de l'adolescente - seize ans... évidemment. Elle consent à ébaucher quelques pas vers moi, l'entraînant à sa suite.
« Naja... c'est le premier à connaître ton nom. C'est ton père.
– Pas possible. » Elle répond du tac au tac, ce qui n'empêche pas le trouble de gagner du terrain sur son visage livide. « Papa est mort. Je me souviens pas de lui.
– Naja... » Aïe. Son affirmation me transperce à l'image d'une dague, et je ferme les yeux sur le coup. Cependant, ce ne serait pas cruel de lui en vouloir ? Si Nona est un fantôme, Naja, cette Naja grandie, presque adulte, est une inconnue. Elle s'est créée sans moi. Combien d'années nous ont été volées ? « Naja... Je dis rarement ça, mais c'est la vérité. Je ne comprends pas ce que vous faites là, maintenant, comment ça... ç'a pu se produire, mais c'est la vérité. Je suis... » L'affolement que je lis sur ses traits me vrille l'estomac. Fumble émet un ronronnement inquiet, à la frange de l'audible.
« C'est pas possible. Tu m'as dit et répété qu'il était mort. À chaque fois que j'ai espéré, t'as insisté ! » Elle se rabat sur sa mère, qui ne lui rend qu'un sourire triste. Le genre que j'ai trop bien connu, quand nous rêvions d'une existence meilleure.
« Je le pensais. Et tu avais raison... Je ne sais pas par quel miracle, mais tu avais raison. Maintenant... que veux-tu en faire ? »
La jeune fille est complètement déboussolée. Je vois les éclats de lumière s'accentuer dans ses yeux humides - mais que faire ? Je ne parviens pas à m'approcher. Je rêverais de la prendre dans mes bras, comme à l'époque où je chassais ses chagrins au cœur de nuits interminables ; sauf qu'elle n'est plus ce bébé-là, et moi - c'est peut-être le pire - je ne suis plus cet homme, jeune et pétri de belles intentions.
« Je voulais pas le croire... Je t'ai... imaginé de plein de façons, si t'étais resté avec nous, si t'avais refait ta vie ailleurs... Je... pensais pas que t'étais réel. »
Oh, si, je suis réel. Réellement stupide. Je me suis arrêté si vite, avec une telle facilité. Est-ce que Naja aurait dû m'inventer autant d'existences, si j'avais persévéré ?
Tout à coup, elle avance. Je ne bronche pas. Bien qu'ils ne bougent pas non plus, Nona et Fumble paraissent se mettre en retrait, cèdent leur place aux deux acteurs principaux qui, frappés de stupeur, jouent leur part avec une malhabileté d'amateurs. Je n'ai pas l'habitude des grandes effusions, des retrouvailles émouvantes et toutes ces conneries. Les fins heureuses n'ont jamais fait partie de ma vie. Je ne sais pas ce que je dois dire ou faire ; je ne sais même pas ce que Naja attend, ni ce qu'elle amène en s'avançant d'un deuxième pas, puis d'un troisième, avec autant de prudence qu'elle en a montré devant mon griffon. Je ne bronche toujours pas. Je sens mon cœur battre très fort, au point de secouer mes épaules - c'est sa faute à lui, n'est-ce pas ?
Elle se tient assez près pour me toucher le bras. « Tu es réel. »
Je ne suis pas le dernier à avoir la langue dans ma poche, pourtant la faire fonctionner relève tout à coup d'une magie insurmontable. Seule ma tête oscille en réponse à mes ordres.
Naja pleure pour de bon. « C'est... c'est vraiment toi. C'est vraiment toi qui... qui as choisi mon prénom ? »
Je lutte contre ma gorge nouée. Ma voix s'éraille. « C'était celui de ma mère. »
Elle laisse échapper un sanglot. Je ne sais pas ce que je dois faire, alors je ris, et quelque chose de mouillé roule sur ma joue.
« Tu vas... revenir ? »
J'écarquille doucement les yeux. Un jour, Nona m'avait affirmé que la véritable liberté n'existait pas. « C'est un beau rêve, plaisant, mais intangible. Nous ne pouvons espérer être libres, seulement choisir nos longueurs de chaînes. Parfois, nous ne pouvons pas choisir du tout. » Des années, je n'ai pas été en accord avec sa vision des choses. J'ai fait tout mon possible pour prouver au monde que je possédais cette liberté, que je la revendiquais, quel que soit l'avis des autres et quel que soit le prix à payer. Au nom de la liberté, j'ai accompli mes pires erreurs, et je me suis enchaîné davantage à tout ce que je désirais fuir. Désormais, je n'ai plus le loisir de choisir mes liens.
Naja se tient juste là, frissonnante, les larmes naissant en silence au bord de ses yeux où tourne, broyé, le sentiment à l'intersection de l'espoir et du désespoir. Elle m'en voudra peut-être, elle en aura le droit ; mais je surmonte l'épreuve, et je l'attire dans mes bras. Ses cheveux secoués de pleurs dérobent ma propre tristesse aux yeux du monde. Tout s'arrête de tourner.
Si c'est ma dernière opportunité de choisir, je m'y attacherai jusqu'à la mort.
Il n'y a pas de liberté, seulement des longueurs de chaînes.