Type de RP Classique
Chapitre concerné Chapitre 3
Date du sujet 4 Réconfort, 5:13 des Exaltés
Participants @Vera & Cadwell
TW mention de prostitution et d'un mouvement de foule, de morts et de blessés
Résumé Suite aux tristes événements qui ont eu lieu aux portes du Laurier Carmin, et à la fermeture de ce dernier, Cadwell décide de s'y rendre afin de prendre des nouvelles de sa mère.
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>4 Réconfort 5:13 des Exaltés</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1926-premiers-pas-vera-cadwell">Premiers pas</a></li></ul><p><u>Vera, Cadwell</u> Suite aux tristes événements qui ont eu lieu aux portes du Laurier Carmin, et à la fermeture de ce dernier, Cadwell décide de s'y rendre afin de prendre des nouvelles de sa mère.</p>[/code]

Jamais, ô grand jamais, ne verrait-on un templier en armure au Laurier Carmin. Du moins était-ce la conviction de Cadwell, malgré les récits que des camarades, souvent plus âgés, laissaient entendre après quelques verres. Ils n'oseraient pas. L'affront serait trop grand. Cadwell espérait de tout son coeur que ce n'étaient que des vantardises de templiers un peu trop ivres et probablement ennuyés par un quotidien rébarbatif. Même s'il ne voyait pas très bien en quoi il y avait raison de se vanter d'une chose qui pouvait mettre en péril sa réputation et celle de tout un Ordre. Il était en revanche très au fait des raisons qui pouvaient pousser autrui à se vanter d'entrer au Laurier tout court, a fortiori pour des templiers jeunes, pas très bien gradés, qui possédaient peut-être, pour la première fois de leur vie, la position sociale et la paye capables de leur ouvrir les portes d'un établissement digne de ce nom.

Cadwell avait la chance et le privilège de n'avoir besoin ni de l'un ni de l'autre pour entrer dans le Laurier comme s'il était le plus fidèle de ses clients depuis des années. Cela ne l'empêcha pas d'attendre quelques minutes dans la ruelle adjacente, nerveux, à espérer que Miche ne serait pas là pour le juger avec son regard lourd de sous-entendus, qu'aucun passant ne le verrait entrer, qu'il tomberait sur un ou une employée qui saurait immédiatement qui il était afin de s'éviter une situation gênante, et que sa mère, enfin, serait présente, afin de ne pas avoir subi les craintes susmentionnées pour rien.

Quand il lui parut évident qu'il faisait du surplace, il prit son courage à deux mains et se dirigea vers l'entrée du Laurier Carmin. La démarche n'était pas naturelle, malgré tous ses efforts pour ne pas avoir l'air louche, ou remarquable, ou simplement trop gêné. Il était trop pressé d'entrer, de peur qu'on le voit faire. Pour ne rien arranger, ses prières n'avaient pas été entendues, puisqu'il se trouva nez-à-nez avec Miche en poussant la porte. Cadwell le salua d'un hochement de la tête, auquel le grand costaud répondit sans un mot. Son regard était... moins inquisiteur qu'il ne l'avait imaginé. Presque pensif. Cela n'empêcha pas Cadwell de le sentir planté entre ses deux omoplates après lui avoir tourné le dos, mais peut-être était-ce juste la nervosité qui lui jouait des tours.

Le jeune homme marqua une pause sur le seuil. Il avait jugé plus sage de venir durant la journée, mais cela ne changeait pas grand chose puisque l'établissement était fermé depuis les tristes événements qui avaient eu lieu à ses portes, quelques jours plus tôt. L'endroit était moins calme que Cadwell ne l'avait imaginé, cependant - des domestiques s'affairaient un peu partout, quelques filles allaient et venaient. Il prit un soin tout particulier à ne croiser le regard de personne et se rappela mentalement toutes les raisons qui l'avaient conduit ici. De longues tergiversations et des nuits sans sommeil l'avaient mené à cette conclusion ; Cadwell avait besoin de savoir comment allait Vera, et si Vera ne pouvait pas venir à lui au Cercle, alors c'était à Cadwell de faire le premier pas.

Il redressa la tête et les épaules et marcha droit vers la première personne qui n'était pas Miche :

"Bonjour, je viens voir ma mère."

Sans être rudes, les deux derniers mots étaient prononcés de telle façon qu'on n'aurait pu se risquer à demander "qui ?" sans froisser l'invité. Invité qui devait se retenir de ne pas croiser ses mains dans son dos, comme lorsqu'il attendait un ordre, parce qu'il n'était pas dans son armure de templier. Il n'était vêtu que d'une tenue simple, passe-partout, et un peu élimée en raison du nombre d'années qu'il l'avait portée. Le tissu de la tunique était un peu trop distendu, le pantalon était devenu trop court pour lui - on voyait ses chevilles - et il regrettait très certainement de ne pas avoir accepté l'offre de l'enchanteur supérieur Vaël lorsque ce dernier lui avait subtilement suggéré de refaire sa garde-robe. De dépit, il enfonça ses mains dans ses poches.

Il se sentait un peu nu, sans son uniforme, et tout aussi vulnérable.

Un livre après l’autre, la bibliothèque se dégarnit lentement.

Un soupir, alors que les doigts saisissent un nouvel ouvrage. Le titre, dissimulé sous la première de couverture, confirme ce que l’instinct a pressenti. Alors, Vera pivote et, se portant une énième fois en direction du bureau, dépose au fond de la malle ouverte le bouquin coupable. Purge aux allures d’autodafé, encore que la maquerelle réserve un sort moins définitif aux livres ainsi rassemblés - une dizaine, pour l’heure ; il en reste autant sur les dernières étagères. La collection, ainsi, est simplement vouée à changer de domicile, pour une cachette plus discrète : Vera a tiré des leçons de l’épisode de la Corneille. Et si la menace semble désormais à distance raisonnable du Laurier, si le Prince et ses ouailles ont regagnés le palais, si la Chantrie a quitté le parvis du bordel, quelque chose, au creux des entrailles de la maquasse, invite cette dernière à la prudence. Qui sait, après tout, quels mauvais tours ses adversaires - anonymes, invisibles - préparent encore au bordel et à sa propriétaire ? Il est un Oeil, en particulier, dont Vera cherche à se prémunir de la vigilance. Consigner les grimoires d’Andra et ses propres bibelots magiques ailleurs, loin de son affaire - et de son nom - est un moyen d’apaiser, au moins un peu, son esprit inquiet.

Trois petits coups tirent la matrone de son occupation de l’instant.

« ― Vera ? Perchée dans l'entrebâillement de la porte, désormais ouverte, Lilley risque un coup d’oeil dans la pièce - curiosité mal placée - et, trouvant Vera debout près de la bibliothèque dépouillée, mine pincée, s’empresse d’ajouter : Cadwell est ici. Il te demande.
   ― Oh. »

Le reproche - qui lui a donc appris à s’inviter de la sorte ? - meurt sur les lèvres peintes, alors que Vera repose les livres tout juste saisis et, d’une main rendue nerveuse par l’imprévisibilité de la nouvelle, lisse les plis de sa robe damassée. « A-t-il donné un motif à sa visite ?  
― Seulement qu’il voulait te voir. »

« Moi aussi. » pense-t-elle sans partager son trouble à la jeune femme, qu’elle dépasse désormais et laisse dans son sillage. La porte grince doucement derrière elle - Lilley est curieuse, mais pas téméraire -, alors que ses talons claquent déjà sur les marches de l’escalier et que lui reviennent, par vagues brutales, les souvenirs du vingt-huit de Justinien dernier : le bûcher, le dégoût, la foule, l’odieux graffiti, le Prince et son cortège ; puis les cris de terreur, les corps qui s’entrechoquent et les cadavres dans la rue.

Elle avait aperçu Cadwell, dehors, lorsque la tempête était passée.
Un échange de regards au milieu du chaos.

Rien de plus malgré l’angoisse, malgré la peur irrationnelle qui lui avait vrillé les tripes lorsque, réfugiée à l’intérieur du Laurier, elle avait cru son fils pris au milieu du mouvement de panique. Rien donc. Rien, à l’exception d’un début de lettre, commencée quelques jours plut tôt, mais que sa maladresse avait rendu impossible à achever. Un brouillon aux allures de champ de bataille.

Ridicule.

Clac, clac, clac, clac. À l’escalier se succède bientôt le couloir de service, qui disparaît à son tour pour révéler le Grand Salon. Vide - chômage souhaité, sans doute souhaitable, même si ardemment regretté pour ce qu’il révèle de la situation -, à l’exception de quelques domestiques besogneux.ses et d’une silhouette familière, plantée là, mains dans les poches. Son garçon. L’est-il seulement ? Elle en doute parfois, lorsqu’elle aperçoit l’armure - remisée ici - briller de ses funestes éclats ou que les fantômes la tiennent éveillée la nuit. Ou que sifflent les démons, comme à l’instant. « S’il savait, il te tuerait de ses propres mains, mains de traître, garçon de putain, fils de lâche, il te hait, il te méprise, Béatrice… »

Elle chasse la colère d’une inspiration.

« Cadwell. » Son prénom en guise de salutations, qu’accompagne un regard scrutateur : il y a du jugement au fond des yeux pâles, une lueur de déception, qui disparaît à mesure que s’étire le silence. Et les muscles se tendent sous la robe prune. Toujours le même malaise. « Il a l’air en forme. » Ce constat lui fait du bien. Un peu.

« Il te faut quelque chose ? »

Je suis contente de te voir.
Tu aurais pu m’écrire.
N’as-tu rien d’autre à porter que ces frusques ?

Ses doigts jouent distraitement avec l’une des pierres de ses mains baguées.

Le silence.
Il n’y a jamais eu que cela entre eux.

« Ce pantalon est trop court. » Sa voix est sèche, bien plus qu'elle ne l'a voulu. « On voit tes chevilles. »

Je me suis inquiétée, tu sais.

La nervosité, grandissant au rythme de l'attente, lui rappelait vaguement leur dernière entrevue. Il se sentait bête d'avoir tant redouté son invitation, alors. La soirée s'était bien terminée, et à présent ses craintes lui semblaient stupides. Comparées à aujourd'hui... comparées à la semaine passée. Il ne s'était pas écoulé beaucoup de temps, entre ce jour et le Cadwell du restaurant, mais le jeune templier portait sur ce dernier un regard peu amène. Qu'il avait été idiot de s'inquiéter pour son armure, et son retard, quand il y avait plus important maintenant. Avant, il se serait peut-être questionné sur son allure débraillée. Il aurait regardé autour de lui et constaté qu'il ressemblait à l'un des domestiques... non, même eux étaient plus soignés - sûrement parce qu'ils travaillaient pour Vera - mais aujourd'hui tout cela passait complètement au-dessus de la tête de Cadwell, qui bouillonnait de questionnements plus existentiels.

Sa mère apparut, avec son habituel regard scrutateur, qu'il remarqua à peine ; trop occupé à la dévisager lui-même, comme s'il pouvait s'assurer, par ce simple examen superficiel, qu'elle allait bien. Il se racla la gorge avant de la saluer à son tour :

"Bonjour."

Il ne savait pas comment aborder le sujet qui l'inquiétait, bien qu'il ait répété plusieurs fois le message dans sa tête. C'était celui qu'il comptait écrire, avant de se raviser. Il ne pouvait pas confier ces informations à un coursier, tout loyal qu'il soit au Laurier. Il devait parler à sa mère en face, et de préférence, en privé. Alors qu'il hésitait sur la marche à suivre, elle coupa le silence en lui demandant ce dont il avait besoin.

"Je suis désolé de venir à l'improviste."

Andrasté savait qu'il l'était ; il détestait mettre un pied dans cet établissement à moins d'y être forcé... Enfin. Aux grands maux, les grands remèdes, songeait Cadwell, même si c'était un peu dramatique. Après les événements terribles qui avaient eu lieu sur le seuil du Laurier, il pensait qu'ils avaient tous le droit d'être un peu dramatiques.

"Je voulais juste..."

M'assurer que tu allais bien. Il empêcha les mots de franchir ses lèvres avant de se sentir parfaitement ridicule : sa mère avait certainement mieux à faire que le rassurer, elle devait être bien occupée. Un petit silence s'installa. Pourquoi avait-il toujours tant de mal à trouver les bons mots ?

"Ce pantalon est trop court. On voit tes chevilles."

La critique l'arracha à ses pensées. Cadwell ne pensait pas être, un jour, soulagé par ce ton sec et pourtant, il ressentait bel et bien de la reconnaissance : il était coutumier de ce genre de remarque, surtout venant de sa mère. Elle était bienvenue : c'était familier, et surtout, ça lui évitait de penser. Il baissa les yeux sur son pantalon, sans pouvoir retenir un bref sourire.

"C'est vrai..." Il aurait pu s'arrêter là, comme à son habitude, et clore le sujet sur ce simple constat, mais il se surprit à justifier son choix : "Comme je ne le porte pas souvent, j'espérais l'user encore un peu avant de le changer. "

À quoi bon se débarrasser d'un vêtement en bon état tant qu'on continuait de grandir ? Il n'avait pas envie de changer sa garde-robe tous les six mois. D'ailleurs, c'était sa seule tenue "de ville". Il n'alla pas jusqu'à rappeler ce fait à sa mère, ou pire, mentionner son armure, elle avait déjà fait sa petite impression lors du dîner avec Andra et Cadwell n'avait pas envie de gâcher le souvenir somme toute plutôt agréable qu'il en conservait par pure provocation. Il se contenta donc d'ajouter, l'air de rien :

"Je suis content de voir que tu sembles en forme."

Si la première chose à laquelle Vera pensait en voyant son fils débarquer dans son établissement était la longueur de son pantalon, alors la situation était moins dramatique que Cadwell l'avait imaginée. Cela dit, son regard redevint grave, et son ton légèrement pressant, même s'il ne souhaitait pas l'affoler :

"Est-ce que tu as cinq minutes à m'accorder ? Il y a quelque chose dont j'aimerais te parler en privé, si c'est possible."

Ce n'était pas un problème urgent, du moins il l'espérait... mais il ne voulait pas courir le risque d'ébruiter ce qu'il avait vu et entendu dans la ruelle près du Laurier en cette fin de Justinien.

Il y a de la douceur dans sa voix, un soupçon de bienveillance au fond de ses yeux bleus qui entame, par petits coups timides, l’angoisse qui la tenaille. Et les mains se décrispent un peu, tandis que le fils se livre à la mère, dans cette pudeur des sentiments qui les caractérise tous les deux. « Je suis content de voir que tu sembles en forme. » Elle n’en espérait pas tant, et sa sollicitude la touche pour quelques instants sincères, avant que couperet, brusquement, ne tombe :

« Est-ce que tu as cinq minutes à m'accorder ? Il y a quelque chose dont j'aimerais te parler en privé, si c'est possible. »

Son air grave lui est bien sûr plus familier, mais sa requête, elle, ne l’est pas. Cadwell, après tout, n’est pas un garçon très bavard, pas avec elle. Et s’il arrive au jeune homme de rendre visite à sa mère, ce n’est jamais que par absolue nécessité, la bouche fleurie de banalités échangées sous la contrainte - il est trop gentil pour assumer la honte qu’elle lui inspire. Aussi l’entendre solliciter une entrevue laisse-t-elle Vera quelque peu surprise, et sensiblement inquiète.

« Bien sûr. Suis-moi. »

Elle chasse son trouble d’un geste de la main, retrouve son masque d’assurance du claquement sec de ses talons. Clac, clac. Sans se retourner - elle le sait dans son sillage -, Vera conduit son fils jusque dans son cabinet, dont elle veille à refermer la porte une fois le garçon engagé dans la pièce.

« Est-ce que… tout va bien ? » La question lui brûle les lèvres depuis cette requête imprévue. Quelque chose, au fond d’elle, remue. Un arrière goût de peur : pour elle ou pour lui ? « Qu’est-ce qui te préoccupe ? »

Vingt ans, et il lui semble pourtant endosser pour la première fois le rôle de confidente avec lui. Toutes les mères ont-elles autant de peine à communiquer avec leurs fils ? Ou s’agit-il d’une tare qui lui est propre, développée dans l’ombre de cette Chantrie qui lui a tant volé ?

« Assieds-toi, je t’en prie. » souffle-t-elle en désignant l’un des sièges à proximité du bureau. Elle-même, pourtant, ne bouge pas.

Cadwell n'était pas un très bon fils, pas de ceux qui rendaient souvent visite à leur mère, écrivaient pour prendre des nouvelles et envoyaient des fleurs aux anniversaire. Il avait tellement l'habitude d'être consigné en un seul endroit – couvent, monastère, Cercle – qu'il oubliait parfois que c'était à lui d'aller vers elle, comme elle l'avait fait quand il était plus jeune, au fil des ans. Ces visites, quoique irrégulières, constituaient une des bases les plus solides de son enfance, une habitude inaltérable à laquelle se raccrocher, qui n'avait jamais failli, même s'il avait souvent douté.

Certainement, un jour ou l'autre, elle finira par se lasser.

C'était donc au tour de Cadwell de venir, à présent, et son regard parcourut l'étendue du cabinet de sa mère avec une certaine pudeur. Sa question l'arracha à la contemplation, et à ses souvenirs d'enfance :

"Est-ce que… tout va bien ?"

Il aurait aimé lui assurer que ça allait, mais il n'était pas certain que ce soit le sens que Vera donnait à sa question. Après tout, Cadwell n'était pas entré au Laurier pour parler de lui. Il préférait aller droit au but, mais il savait que ce n'était pas uniquement pour la prévenir au plus vite, afin qu'elle puisse prendre les dispositions qui incombaient. Il était encore mal à l'aise, juste un peu, de se confier à elle. Je vais bien, aurait dit un bon fils pour rassurer sa mère, même si ce n'était pas la vérité.

"Qu’est-ce qui te préoccupe ?"
"Eh bien..."

Il s'assit dans le siège que sa mère lui désignait, même si elle ne l'imita pas. Il posa ses mains sur ses genoux et se sentit soudain comme un enfant près à réciter sa leçon. Il croisa les bras.

"Lorsque le Prince s'est sentit mal devant le Laurier, j'ai aperçu des plumes noires et j'ai fait le lien avec les caisses de lyrium qui avaient été retrouvées après la Marche d'Andrasté."

Il commença posément son récit, prenant soin de n'oublier aucun détail. Des plumes de corbeaux avaient été aperçues près des caisses de lyrium qui avaient causé tant de malaise, dont celui de sa mère. Le jeune templier n'avait pas oublié ce détail. Voyant Kendric Vaël s'effondrer, il s'était demandé si le même stratagème n'était pas à l'oeuvre devant le Laurier. Mais c'était surtout ce qu'il avait découvert ensuite qu'il désirait raconter à sa mère :

"En cherchant en marge de la foule, j'ai aperçu des silhouettes vers la ruelle, derrière le Laurier. Je les ai suivies et je suis tombé sur deux personnes à l'air louche."

C'était un euphémisme.

"Peut-être que tu les connais. Il y avait une fille rousse et un elfe pâle aux cheveux très clairs."

Restait la possibilité qu'il s'agisse d'employés de sa mère ou d'habitués du Laurier, et si tel était le cas, il ne voulait pas se mêler de ses affaires. Mais vu la dégaine du duo, Cadwell en doutait.

Il prend place comme elle le lui a indiqué, sans protestation aucune, la laissant là, debout à son côté. « Eh bien… » commence Cadwell, tandis qu’elle renonce à sa cathèdre, la jugeant par trop sévère, et s’installe finalement contre son bureau, face à lui. « Lorsque le Prince s'est senti mal devant le Laurier, j'ai aperçu des plumes noires et j'ai fait le lien avec les caisses de lyrium qui avaient été retrouvées après la Marche d'Andrasté. »

Elle grimace à la mention de la Marche, et il lui semble, l’espace d’un court instant, sentir à nouveau le lyrium saturer ses poumons. Une pensée lui vient alors sans effort :  « Ce n’était pas comme à la Marche, ou je me serais effondrée aussi. » ; la remarque, bien sûr, lui brûle les lèvres, mais elle préfère la taire, au risque de trop en dire. Alors elle la détourne, la tord sous sa langue : « Nous n’avons constaté aucun autre malaise, à l’exception de celui du Prince… Le lyrium, pourtant, semble assez volatil. Si le piège était comme celui de la Marche, ne crois-tu pas que d’autres, dans la foule, auraient été touchés ? »

Vera s’interrompt pour le laisser poursuivre. « En cherchant en marge de la foule, j'ai aperçu des silhouettes vers la ruelle, derrière le Laurier. Je les ai suivies et je suis tombé sur deux personnes à l'air louche. Peut-être que tu les connais. Il y avait une fille rousse et un elfe pâle aux cheveux très clairs. »

La matrone se fige, bras croisés sur sa poitrine, alors que les visages - proches, amis, clients, connaissances, partenaires, rivaux… - défilent. Aucun, hélas, ne paraît correspondre aux descriptions de Cadwell, qu’elle accable d’un “non” de la tête. « Je ne crois pas. » La partie, pourtant, n’est pas perdue : « Mais je dois pouvoir activer quelques contacts pour les retrouver. À moins qu’ils n’aient déjà quitté la cité, ce dont je doute. » L’Enclin peut avoir quelques avantages…

Un soupir. La nouvelle, sans la surprendre - elle s’était attendue à quelque complot de la sorte - l’indispose franchement. S’imaginer le pantin docile de quelque marionnettiste est une chose ; se l’entendre confirmer, même à demi, en est une autre.

« As-tu remarqué d’autres choses sur ce gens ? » Le moindre détail pourrait être important, ou au moins faciliter la tâche à ses oisillons. « As-tu pu leur parler ? »

Une question s’impose soudain à elle :
Ont-ils déjà été aussi complices, tous les deux ?

Le jeune homme réfléchit soigneusement aux questions de sa mère avant de répondre. Il avait élaboré plusieurs hypothèses de son côté, mais en l'absence de déclaration officielle sur la présence de ces plumes près du Laurier, il n'avait pas réussi à lier cet événement à la Marche d'Andrasté. Dans le feu de l'action, cependant, il ne s'était pas posé de questions. Une erreur qu'il avait regretté pour d'autres raisons, mais puisque sa curiosité et son inquiétude l'avaient mené sur la piste de ces deux personnes à l'air louche, tout n'était peut-être pas perdu.

Il aurait pu comprendre qu'il ne faisait pas uniquement cela pour aider sa mère s'il avait pris la peine de faire une introspection un peu plus poussée, mais sur le moment, il était content de se persuader qu'il faisait ce qu'il fallait.

"Je pourrais difficilement te les décrire davantage, en dehors de leur allure. C'était des gens modestes, voire pauvres. J'ai essayé de leur barrer la route. Ils n'étaient pas très bavards, ils se sont tout de suite montrés méfiants."

Mais Cadwell était en armure de templier, évidemment.
Cela dit, des gens honnêtes n'auraient eu aucune raison de s'en inquiéter.

"Ils ont prétendu qu'ils avaient vu des plumes eux aussi et qu'ils cherchaient leur origine. Je leur ai proposé de chercher ensemble pour les garder à l'oeil, et nous avons trouvé une caisse entourée de plumes noires dans un cul-de-sac. À ce moment-là, on a entendu des cris, et ils en ont profité pour fuir par les toits."

Donc clairement pas Monsieur et Madame Tout-le-Monde à Starkhaven. Cadwell grimaça au souvenir, un peu ridicule. Il ne précisa pas qu'il les avait laissés fuir puisqu'il ne pouvait pas les suivre en armure. Ni sans armure, d'ailleurs. Il n'était pas acrobate. Le jeune homme décroisa les bras et joua un instant avec ses doigts. Il n'avait pas de preuve tangible à présenter à sa mère, c'était juste une impression, son instinct... et peut-être n'était-ce pas suffisant. Peut-être la menait-il sur une fausse piste.

Comme il s'était laissé berner dans la ruelle ce jour-là.

Il devait être parfaitement transparent.

"Ils n'avaient même pas l'air agressifs, tu sais ? juste... particulièrement pressés. Je me suis demandé ensuite si les plumes – et ces gens, même sans le savoir – ne servaient pas simplement à détourner l'attention du Laurier pendant que... Enfin. Voilà."

Cadwell baissa les yeux sur ses mains. Il n'avait pas très envie de mettre des mots sur ce qu'il avait vu lorsque les cris l'avaient ramené près de la maison close. S'il ne le disait pas à haute voix, les souvenirs resteraient probablement sagement de l'autre côté de la barrière rationnelle où il les avait confinés.

Elle l’écoute sans mot dire, pesant en silence chacune des révélations de son garçon avec la gravité d’un général. Cette offensive, comme tant d’autres choses, n’aura, hélas, pas le lustre des grands champs de bataille : aux manœuvres torves, la sentence de l’oubli. Rien qui ne perturbe la matrone, rompue aux menées - Noble Jeu et jeux moins nobles ; mais Cadwell ? « Saura-t-il tenir sa langue ? Ou leur a-t-il déjà parlé ? » Le souvenir de l’incursion de Farwell, alors qu’elle était absente du Laurier, lui revient logiquement en mémoire, et l’humeur de Vera s’assombrit. Un prétexte : le nain n’a pas besoin de davantage.

« ― Ils n'avaient même pas l'air agressifs, tu sais ? La voix de Cadwell la tire de son amertume, qui l’éclabousse au passage. Juste... particulièrement pressés. Je me suis demandé ensuite si les plumes – et ces gens, même sans le savoir – ne servaient pas simplement à détourner l'attention du Laurier pendant que... Enfin. Voilà.
  ― C’est une pensée raisonnable. »

Son propre agacement, surgi de l’ombre de Farwell, s’étiole à mesure que la sagacité du garçon lui semble disparaître derrière un voile de… honte ? Crainte ? Trouble ? « Allons donc ! » qu’elle s’étonne sous cape, tandis que ses yeux cherchent ceux de son fils, sans succès. À l’irritation pressentie - que diable lui cache-t-il ? - s’impose bientôt une frustration mêlée d’inquiétude qu’il lui semble découvrir, avec lui, pour la première fois. Celle d’une mère devinant quelque plaie dans cette chair autre qui demeure sienne.

Elle a besoin de savoir.

Son corps agît presque malgré elle, dans un moment de clarté de l’instinct qu’elle ne songe plus à combattre - par curiosité ou affection, elle tranchera de sa nature plus tard - : d’une poussée légère, Vera abandonne l’assise de son bureau pour se hisser calmement au côté du garçon ; ses doigts glissent sous le menton de Cadwell, l’invitant, par une pression douce, à relever son visage vers elle.

Chair de sa chair.

« Parle-moi. »

S'il te plaît.

Ce n'était peut-être même pas la Corneille, songeait Cadwell. Pourquoi Jenny ou les personnes qu'elle avait rallié à sa cause s'en seraient-elles pris au Laurier ? Cela ne faisait aucun sens. Mais quelqu'un continuait bien de répandre les plumes noires et la haine à Starkhaven et ce jour-là, la population innocente avait fait les frais de tout ce chaos. Les souvenirs frémirent à la lisière de son esprit. Cadwell croisa ses mains pour les empêcher de s'agiter et trahir son trouble, mais il était un peu tard pour cela.

"Parle-moi."

Le geste de Vera aurait dû le surprendre, y'avait-il jamais eu un contact physique entre sa mère et lui ? Qu'il fût forcé de se poser la question y répondait déjà. Mais ses mots agitaient les souvenirs par-delà la frontière où Cadwell les tenait tranquilles depuis ce jour-là, pour ne pas ressasser les images horribles. Ou simplement lui permettre de dormir la nuit.

Il savait que fermer les yeux sur des atrocités ne les faisait pas disparaître. Elles ressurgissaient dans le noir telles des images rémanentes collées à la rétine.

Parler était moins aisé, mais était-ce plus efficace ?

"C'est juste que... Tu as vu ce qui s'est passé."

C'était une évidence. Cadwell se rappelait son soulagement quand il avait vu sa mère debout, hors du Laurier, bien après que la foule soit passée. Il détourna légèrement la tête, incapable de regarder Vera dans les yeux à ce moment-là. Il avait eu peur. Pas pour lui.

Pour les mages.

Pour Isbeil à ses côtés.

Pour Katriel à sa charge.

Pour Alzyre et son ami blessé.

Pour sa mère, réfugiée au Laurier.

Cadwell serra ses mains plus fort l'une contre l'autre à mesure que les souvenirs remontaient contre son gré. Il revoyait une masse informe et gémissante qu'il avait mis quelques secondes à identifier comme des personnes.

L'émotion n'aurait pas dû le submerger alors qu'il n'avait pas encore mis des mots sur ce qu'il avait vu, mais Cadwell n'avait jamais pris le temps de réfléchir à ce qui s'était passé et à ce qu'il avait ressenti à ce moment-là. Il n'avait pensé qu'à se rendre utile, aider les autres, et quand tout s'était terminé, il avait enfermé l'événement avec les autres choses désagréables auxquelles il n'aimait pas penser. Celui-ci était simplement trop frais pour qu'il puisse mettre consciemment de la distance entre son ressenti et ses pensées.

Il avait été naïf de croire que les choses horribles s'oublieraient facilement en les refoulant et en priant assez fort.

Aucune prière n'effacerait jamais ce qu'il avait vu.

Cadwell prit une courte inspiration, hachée, et se força à parler avant de s'épancher d'une manière moins plaisante qu'il ne pourrait pas contrôler :

"Parfois, je me réveille au beau milieu de la nuit et je sens comme une odeur de brûlé. Je sais que c'est dans ma tête, mais je ne peux pas m'empêcher de me lever pour vérifier que tout va bien."

Ses camarades de chambre s'agaçaient peut-être en silence à chaque fois qu'il se levait, mais Cadwell savait que la plupart avaient été présents lors de l'exécution de Jenny. Ils savaient. Peut-être même rêvaient-ils, eux aussi, de bûchers. Lors du mouvement de foule, en revanche...

"Et parfois je... revois tous ces gens à terre. Je n'arrive pas à les distinguer. C'est juste... une masse informe et... ça me fait mal de ne pas réussir à les différencier."

Sa voix se cassa sur les derniers mots, mais Cadwell releva les yeux sur sa mère dans une question muette. Les voyait-elle aussi ? Ou savait-elle comment les tenir éloignés de son esprit ?

L'interrogation était difficile à formuler et s'ouvrir davantage en cet instant aurait été compliqué. Par la suite, Cadwell aurait probablement du mal à repenser à ce moment sans ressentir de la gêne devant la vulnérabilité dont il avait fait preuve face à sa mère, et pourtant... Pourtant, il en retirait aussi un étrange réconfort, que seules les conversations à coeur ouvert savaient offrir.