Type de RP classique
Chapitre concerné Chapitre III
Date du sujet 25 Longnuage 5:13
Participants @Miche – @Marigold
TW baston, vieux aigris, langage cru (insultes, allusions sexuelles)
Résumé Suite à l'incident près de l'ambassade tévintide, Miche s'est fait un devoir de retrouver chaque malfrat et d'en finir avec eux discrètement. Alors qu'il tombe enfin sur le dernier, il le passe à tabac, non sans attirer l'attention ..
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>25 Longnuage 5:13</en3> : <a href="LIEN DU RP">Règlement de compte dans la nuit folle</a></li></ul><p><u>Miche, Marigold.</u> Suite à l'incident près de l'ambassade tévintide, Miche s'est fait un devoir de retrouver chaque malfrat et d'en finir avec eux discrètement. Alors qu'il tombe enfin sur le dernier, il le passe à tabac, non sans attirer l'attention .. </p>[/code]

Il est là, ce vaurien.

Après des heures à le suivre à la trace, des heures minutieuses à prendre les ruelles détournées, à attendre, à repartir, à s’arrêter, à se planquer, à le pister, le voilà coincé avec moi dans un cul-de-sac.

Et cet avorton va déguster.

- « Puisque j’te dis que c’est un malentend- »

Pas le temps d’écouter. Une bonne grosse mandale en pleine mâchoire, et le voilà à tituber, à s’écraser contre un des murs pour ne pas trop perdre l’équilibre. C’est vrai, il en va sûrement de son honneur. Je l’empoigne par le col, le plaque contre ledit mur, toise un regard d’enfer dans ses petits yeux fragiles.

- « La ferme, chien. »

Un autre coup dans l’estomac, et le voilà qui tousse, plié en deux. Je lui assène alors un coup de coude dans la nuque, le lâche, et il s’effondre bêtement.

C’était le dernier.

Ça m’a pris des heures et des heures, beaucoup d’énergie et de manœuvres, mais je les tiens tous. Voilà ce qu’ils reçoivent, à s’en prendre aux mauvaises personnes – les plus faibles que soi. Chiens d’Orlésiens. Tous les mêmes. Je lui crache dessus par simple pulsion irrésistible, avant de l’empoigner par le col pour le redresser. Le regarder une dernière fois. Profiter de la terreur sur le visage défiguré du blondin.

Je sors un couteau de ma poche. Mais un bruit m’interpelle. Un bruit qui n’a rien à faire là. Mes yeux se précipitent vers la sortie du cul-de-sac. Un garde ? Il semblerait que non. Pas la moindre armure en vue, ou en ouïe. Mais une silhouette se dessine bel et bien.

Et merde.

La taverne le recrache dans la touffeur de la nuit, le laissant soudainement seul au milieu de la venelle. Derrière la porte, trop peu épaisse, la soirée continue : cris et éclats de rires, qu’accompagnent les notes d’un musicien plutôt habile. Marigold soupire. Sa bourse est vide, il est temps de rentrer.

D’un pas tranquillisé par l’alcool, le contrebandier s’engage plus avant dans la ruelle, les échos du bouge sur les talons. Il n’est pas seul, bien sûr : d’autres chats errants traînent leurs savates le long des pavés crasseux de Clayrak. Des voyous désoeuvrés, ergotant tout bas sous les torches fauves ; des filles aux épaules nues, le sourire charmant. L’une d’elle, d’ailleurs, l’interpelle : invitation coquette, qu’il repousse d’une mou navrée. « Hélas ! Une autre fois, lorsque j’aurais plus d’économies. ». La promesse ne lui coûte pas grand chose, elle.

Marigold continue son chemin, l’esprit divaguant doucement au gré du tapage nocturne. Il est encore des affaires qu’il n’a pas tout à fait réglées, des contrats qu’il doit encore honorer, des billets qu’il doit écrire… La fille, rencontrée plus tôt, lui revient à l’esprit. L’étreinte de Luz vient soudain à lui manquer, comme celles de tant d’autres femmes. Peut-être devrait-il faire un détour par le Bascloître pour la retrouver ?

Une nouvelle rue, plus étroite, discrète. Marigold ralentit à mesure que s’impose à lui l’évidence : sa vessie est capricieuse et n’entendra pas un détour supplémentaire. Pas le choix - l’occasion est trop belle. Un coup d'œil à droite, commandé par la prudence, un second à gauche, un brin de dignité. Il s’avance dans la venelle, mains déjà arrangées pour mener à bien - vite fait, bien fait - son affaire. Mais à peine s’apprête-t-il à détacher le premier bouton de ses chausses qu’un bruit l’interpelle.

Il tourne la tête en direction de l’extrémité aveugle de l’impasse.
Un homme se tient là, dague à la main. Dans l’autre, la silhouette confuse de ce qu’il devine être sa victime.

« Merde… » Les doigts de Marigold remontent instinctivement à sa ceinture, cherchent le contact de sa dague, s’accrochent à sa fusée. Et le sang palpite à ses oreilles. Que faire, à présent ?

Un silence.
Fuir lui semble plus prudent. Et malgré tout…

« Hé ! » L’apostrophe part presque malgré lui. S’entendre interpeller l’inconnu a l’avantage de le tirer de sa torpeur. Une vague de puissance le saisit brusquement - ce que sa voix résonne bien dans ce cul-de-sac ! « Qu’est-ce que tu fous ? » La formulation n’est pas très heureuse, mais il s’en contente pour l’instant.

Et après ?
« Mince. » réalise-t-il soudain.

Il n’a pas réfléchi à la suite.

La silhouette s’immobilise, et la scène surréaliste se suspend bêtement. Surréaliste, oui. Car me voilà, sur le point d’égorger un énième pleutre dans une ruelle abandonnée, avec un gueux qui tente de jouer aux héros.

- « Hé ! Qu’est-ce que tu fous ? »

Mes sourcils se haussent de dépit, mais je veux bien accepter que la nuit noire n’aide pas à discerner les actes.

Ne pas le tuer. L’attention est déjà captivée, probablement. Et ce n’est honnêtement pas le meilleur moment pour faire de la prison. Je soupire, cogne une dernière fois le poltron dans les côtes avant de le lâcher.

- « Je lui suce la queue, ça se voit non ? »

Le blondin s’écrase contre le sol, tousse un peu, je m’en fiche. Puis, avec une certaine lenteur, je pars à sa rencontre, histoire de découvrir quel visage ose me déranger en pleine besogne. Peut-être que si j’arrive à le faire fuir tranquillement je pourrai finir mes petites affaires sournoises.

Une fois à sa hauteur, je constate non seulement l’âge avancé de l’homme qui me fait face, mais aussi son état de sobriété actuel. Un vieil ivrogne qui veut me faire la morale ? Comme c’est touchant. Mais les traits de son visage me renvoient un autre message. Celui qui sait dans quel merdier il vient de tomber. Je garde mon couteau le long du corps, sans m’en servir pour quelconque menace stupide.

- « Un problème ? »

L’inconnu relâche sa prise sur le garçon qu’il tient entre ses griffes - un coup dans les côtes, du poing, en lieu et place du tranchant de la dague. Une première victoire au goût du contrebandier : si le motif du règlement de compte lui échappe, il se félicite de son issue, assurément plus heureuse grâce à son intervention avisée. Le soulagement, hélas, s’évapore lorsque la brute, percluse de frustration, tourne soudain son attention vers Marigold. « Je lui suce la queue, ça se voit non ? » crache l'homme en s’approchant lentement, suffisamment pour dévoiler davantage de son allure : un homme grisonnant, robuste, aux épaules larges.

Le poignard est toujours dans sa main.

« Un problème ? » Le bestiau aboie, désormais perché à une petite coudée du contrebandier, qui l’observe sans répondre. « Quel con. » qu’il pense, alors que lui revient sa quête initiale : celle, simple, sincère, de vouloir soulager sa vessie. Tout ça pour ça ?

Renoncer, pourtant, lui paraît désormais impossible.
L’orgueil est piqué au vif. Ses ancêtres le regardent.
Vaincre ou périr.

« Ouais. » Il ignore à qui il s’adresse - l’homme ou sa propre conscience ? -, mais, porté par un élan de virilité éméchée, décide que l’heure est venue de porter haut les couleurs de la justice.

Alors il se lance : sa main part en premier, direction le poignet du malandrin - la main armée -, qu’il verrouille, cherche à tordre selon un angle savant susceptible de lui faire lâcher sa lame. Avec succès ! La dague tombe au sol dans un bruit métallique, rassérénant par la même l’instigateur de cette glorieuse entreprise qui, dans un élan de fureur guerrière, tente de décrocher un coup droit… sans y parvenir (jet d’attaque, 18/19, échec). Pris dans la course de son propre crochet, Marigold trébuche malgré lui, titube dans la ruelle, pour se raccrocher comme il le peut au mur de torchi voisin.

Il semblerait que le vioc saoul ait un problème.

Il pondère sa réponse un instant, comme s’il se demande si ça en vaut la peine – ça n’en vaut pas la peine. Mais un agacement certain et primaire circule le long de ses rides. Comme de ces soldats dont l’égo fragile est soudainement ébranlé par un regard de travers, et qui se doit de mordre pour défendre son honneur. J’ai suffisamment côtoyé les hommes pour reconnaître le ton de sa réponse.

- « Ouais. »

Une fierté rouillée mais belle et bien là, une fierté agaçante, une fierté ..

J’ai baissé ma garde.

En un instant, sa main a saisi mon poignet. Misant sur un jeu de force, je tente de me défaire de son emprise .. en vain. Le gaillard a une sacrée poigne pour un vieil ivrogne. Si les signaux subtils m’indiquaient précédemment qu’il savait dans quelle merde il trempait, c’est désormais clair : il n’est plus là pour déconner.

Et ça me fait perdre mon temps.

Et ça m’agace.

Dans un vif mouvement, il tord mon poignet, ce qui me fait grogner de douleur. Un battement de cils plus tard, et le son métallique qui rebondit contre le sol me parvient, la main contractée pour lutter contre la douleur. Et merde.

Mon premier réflexe est de repousser en arrière le couteau du pied, pour éviter qu’il ne mette la main dessus. Avec la force qu’il a, et certainement l’expérience qu’il dissimule avec brio, s’il termine avec mon couteau je suis foutu. Mais il ne s’en arrête pas là : me dégageant enfin le poignet, il profite de la distraction pour décrocher sa plus belle droite. Je me pousse sur le côté, et le voilà qui tangue, qui se rattrape contre le mur d’en face.

C’est ma chance.

Viande saoule : ce dernier verre était une erreur, comme celui d’avant, et celui d’avant encore. Comme le tabac dans ses poumons, le poison dans ses veines et ce goût maladif pour les bourbiers. Son sixième sens à lui. Le nez attiré par la merde, quand ce ne sont pas ses mains qui y plongent, la grattent, ongles noirs, front poisseux.

Le mur est froid contre son dos. Marigold en sent la morsure, alors que les doigts s’accrochent à sa chemise, le pressent davantage encore contre la paroi de torchi. Pression désagréable, comme celle du genou contre son entrejambe. La douleur qu’il anticipe lui arrache une grimace, mais le coup ne vient pas.

« T’as pas mieux à faire de ta putain de soirée que de te mêler de ce qui te regarde pas, le vieux ?! »

L’accent le surprend, presque autant que ce choc en sursis, de sorte que ses mains relâchent un instant leur prise. Une trêve éphémère, car l’égo ne tarde pas à ressurgir, piqué au vif par l’apostrophe. Évidemment qu’il n’a rien de mieux à faire ! Et c’est bien là tout le problème, le nerf de son état - misérable, un coup dans les parties suffirait à le faire se pisser dessus. Écumerait-il ainsi les tavernes si quelque affaire le retenait ailleurs ? Il aime à penser que non, et s’en convainc d’ailleurs, tout en mauvaise foi.

Tout ça, c’est la faute de la société.
Fichue saucisse.

Le coup part, front contre nez, crac ! et l’armoire recule, suffisamment pour laisser à Marigold l’occasion de se libérer. Il la saisit : d’une poussée sur la droite, le contrebandier s’écarte du ruffian et, relevant les poings, prêt à encaisser quelque vilaine riposte, crache dans un névarran rouillé :

« La Justice ne dort jamais. »

Un frisson lui parcourt l’échine. Comme ça sonne bien, qu’il pense, tout en regrettant l’absence de public ; ou presque, quoiqu’il doute que le garçon péniblement épargné un peu plus tôt soit en état d’admirer les dispositions martiales de son sauveur. Tant pis.

Toujours campé sur ses nouveaux appuis, Marigold darde sur la silhouette ramassée au sol son regard le plus noir. Et toujours en névarran :

« C’est bon, t’es calmé ? Ou t’en veux un autre ? »

Le vieux – appelons un chat un chat – n’a pas aimé la petite apostrophe, et l’espace d’un instant je ma jeunesse ricaner. Ricaner de provocation, ricaner d’arrogance, ricaner de fierté. Une sensation qui s’envole avec la bise nocturne, qui s’envole avec le battement de cils. L’ivrogne est furieux.

CRAC !

L’impact contre mon nez fait surgir l’enfer. Telle une gigantesque explosion, la douleur se répand dans une onde de choc qui surprend, qui crispe chaque trait de mon visage, qui arrache un cri féroce dans les ténèbres. Je peux entendre ma voix résonner, le mur maladroitement contre une partie de mon dos, chaque brique qui rappe contre mon corps. Un coup de trop. Une piqûre de rappel. Un échec familier et lointain.

Il s’attend à le voir flancher, s’imagine d’ailleurs tiré d'affaires lorsqu’il vacille contre le mur, la barbe barbouillée de sang… Mais le cri puissant, tout en rage, émousse ses convictions. Et Marigold, finalement, comprend : « Merde. - sursaut de conscience. Il reconnaît l’accent du désespoir dans le hurlement adverse, et une certitude lui vient, en même temps qu’une once de sympathie pour l’ours qui s’élance pourtant vers lui : « Un de nous deux va mourir. ». Enfoiré de suicidaire. Il les reconnaît à l’odeur pour avoir la même.

Bouf. L’épaule s’enfonce dans son ventre, lui coupe brutalement le souffle, alors que la fureur de sa course le projette à nouveau contre le mur voisin. Il sent le haut de sa colonne s’écraser contre la pierre, suivie par son crâne, épargné - un peu - d’un trop grand traumatisme par le sacrifice de ses vertèbres. Tant mieux, ou tant pis ? Il l’ignore, alors que les muscles de ses épaules se contractent, dans l’espoir, bien maigre, de le prémunir des chocs à venir. Mais la douleur est là, terrible, qui se propage dans sa nuque, ses mâchoires, ses reins.

« Les lâches dans ton genre me dégoûtent. »

Les mots ricochent entre ses tempes, le saisissent au col, comme les mains calleuses de cet autre qui lui ressemble un peu trop. Le mépris qu’on lui crache au visage l’indiffère davantage que la nostalgie étrange qui lui étreint soudain les tripes - en difficulté, depuis le coup encaissé plus tôt, merci pour elles. La faute à ce névarran soufflé sans ambage, cette noirceur dans le regard… Et peut-être, aussi, la douleur qui lui vrille le corps, et ce choc à la tête.

« Ryszard… Lehr… » s’entend-il grincer entre deux inspirations laborieuses. Un nom, un masque, jeté en désespoir de cause, faute d’énergie suffisante pour actionner d’autres leviers. Ne lui reste que la chance, qu’il cherche à provoquer. « ... tu connais ?… Névarra… ! »

Son avant-dernière carte. La dernière se résumera à tenter de lui pisser dessus, et il espère autant que possible se l’épargner.

Le connard, il m’a atomisé le nez.

Le sang bouillonne dans mes narines, s’étale en une désagréable flaque sur mon visage, tambourine dans mes tempes. Des vertiges me secouent de part et d'autre, mais ce ne sont pas ces inconvenances qui m’empêcheront de lui donner la leçon que ce pleutre mérite. J’ai donc chargé sur lui, et à entendre ses poumons expirer dans un grognement agacé et douloureux, une certaine satisfaction commence à s’installer. Les pensées ne s’écoulent plus, l’instinct prend le dessus, un instinct violent et belliqueux. Je sens son corps, qui malgré son apparence plus âgée et usée par le temps s’avère tout de même un peu imposant, se débattre et se crisper pour vainement se sortir d’affaires.

Mais un grincement dans sa voix me prend au dépourvu. Quelques paroles qui se faufilent entre ses dents serrées, quelques paroles qui me heurtent avec plus de force que son crâne quelques instants auparavant.

- « Ryszard… Lehr… »

Une onde de surprise se répand sur mon visage, tandis que je me redresse, maintenant toujours ma position. Avant de raffermir mon poids contre le sien. C’est une diversion pour se sortir d’affaires. Le salaud.

Mais ces deux mots me rappellent quelque chose. Il peut certainement voir que malgré ma prudence, mes yeux se précipitent dans ma mémoire pour trouver ce quelque chose qui m’échappe.

- « ... tu connais ?… Névarra… ! »

Mes sourcils se froncent, avant que mon regard ne croise enfin le sien, dans un choc et une colère indescriptibles. Je l’observe un instant, tandis que les pièces se reconstituent lentement, mais sûrement. Au Névarra. Un ancien, terriblement ancien souvenir.

Les courses-poursuites à Combrelande. Les diversions odieuses. Ce verre de jäger que nous avions partagé dans ce bar miteux.

Mais oui, putain.

J’attrape ses bras pour le fracasser une fois de plus contre le mur.

- « N’essaie pas de me berner, enfoiré. D’où tu tiens cette info ? »

Avec le nombre croissant de problèmes du passé qui me reviennent en pleine gueule, je ne peux pas risquer la chance de trop en dire. Ni de le laisser s’en sortir aussi facilement. Je ne sais pas ce qu’il me veut, mais rares sont les individus à pouvoir me sortir une telle vieillerie du placard.

Ma prise se relâche légèrement, tandis que la réflexion se poursuit. Personne ne serait capable de générer une telle connexion. Sauf s’il est allé voir la vipère de lui-même. A accepté un contrat avec elle pour me retrouver. Ma poigne retrouve de sa fermeté.

Pourquoi me ferait-il une chose pareille ? Pour l’argent ? Serait-il à ce point devenu opportuniste ? Enfin, non qu’il ne l’était pas déjà, mais .. Après tout ce que je lui avais confié. Il me ferait un coup pareil ? Alors que j’étais au fond du bac et que nous avions finalement décidé d’une trêve ?

- « Qui t’envoie, fumier ? »

Un mélange visible de surprise, de choc de le revoir, de haine, de confusion et de désillusion parsème mon visage dans une drôle de mosaïque ; celle d’un homme brisé dont les morceaux tranchants sont retrouvés à même le sol, tandis que l’on y passe pieds nus.

Son pseudonyme, dégainé en désespoir de cause, fait sur le taureau névarran l’effet d’un chiffon rouge. La bête s’ébroue. Coincé contre le mur, le colosse pour étai, Marigold grimace alors que lui semble s’accroître la force de son adversaire. Lui n’en a presque plus, mâché par le coup précédent ; à peine assez de vigueur pour se maintenir à flot, malgré la pression contre son torse et ses vertèbres qui hurlent.

« ― N’essaie pas de me berner, enfoiré. D’où tu tiens cette info ? Qui t’envoie, fumier ?
   ― De quoi… tu… »

Il ne parvient pas à finir sa phrase, mais constate que l’homme relâche légèrement sa prise - trop peu pour lui permettre de s’en défaire, mais suffisamment pour dégager ses poumons. Et l’air reflue doucement. Douloureuse victoire : chaque inspiration est coûteuse, mais au moins ne risque-t-il plus de s’évanouir, suffoqué par la poigne de l’autre. Son regard, d’ailleurs, cherche le sien, en quête d’un signe, pour comprendre ou s’enfuir. En vain. Marigold ne voit que de la haine, au fond des yeux ambres. Une colère sourde et… autre chose, derrière le masque de chair enflée. Un éclat familier, passé l’hostilité et l’irritation, la gueule pleine de sang et les ridules au coin des yeux.

Le visage d’un gamin, insupportable et cabossé.
Et tout, soudain, fait sens.

« Mikaal ?! » Sa voix trahit la surprise qui l’étreint soudain : s’il s’estime bon menteur, singer pareille stupeur lui serait impossible. Visage stupéfait, d’un homme confronté à un fantôme. « C’est toi… ? »

Un silence… puis un éclat de rire - Ha ha ha ha ha ! - franc, désespéré, douloureux. Pour peu, il en pleurerait. « C’est trop bête… »

Une de ses mains vient rudoyer l’épaule du garçon, plus cordiale que menaçante. « Lâche-moi, tu veux ? Tu m’as suffisamment esquinté, salaud. »

La confusion éclabousse son visage d’une eau glacée, tandis que je l’observe balbutier, le regard qui cherche, qui cherche encore. Ne prends pas l’air de ne pas me connaître, Ryszard. Loin de moi l’envie de me sentir important, voire indispensable dans la vie d’autrui, mais un sale gosse dont le cœur chouine au premier verre n’est pas un souvenir qui disparaît de la mémoire, même après plusieurs décennies. Ne fais pas mine de ne pas me reconnaître.

Ai-je tant changé depuis ? Probablement oui. Heureusement, même.

J’ignore sur quel pied danser. Ce peut être une ruse pour me déstabiliser – et il semblerait que ça marche. Je profite de ses réflexions internes pour faire le tri dans mes pensées, explorer la moindre et fourbe possibilité de sa raison d’être dans un tel nid à rats. Tandis qu’il sonde mes yeux en quête de réponses, je sonde les siens en quête de dangers.

Et puis, tout semble faire sens dans ces traits qui se dérident. Une lueur scintille dans l’écorce de ses pupilles – comme une pièce maintes et maintes fois apprise. Après tout, comment faire confiance à un roublard de son espèce ? Un amateur du mensonge et des problèmes, un rat qui a toujours su comment prendre la poudre d’escampette. Mais cette lueur se répand, illuminant son visage tandis qu’il énonce ce qui est une évidence depuis quelques mois – quelques longs, pénibles, bienheureux, angoissants mois.

- « Mikaal ?! C’est toi… ? »

Je ne réagis qu’à peine, tandis qu’une partie de mes pensées a retrouvé Combrelande, ses rues splendides, ses vipères, et cet homme. Cet homme au sourire toujours malicieux, cet homme qui avait réponse à tout, cet homme qui se fichait bien de prendre un verre avec la justice, comme il se souciait de ses ennemis comme aucun ami n’avait su le faire à cette époque. Un simple verre, une simple trêve, une pause dans le temps et le devoir. Je ne réagis qu’à peine, mais un soupir franchit mes lèvres, tandis que je retrouve une fois de plus ce fantôme que j’avais délaissé au cœur d’une guerre travestie.

Un rire s’échappe de ses poumons, un rire de lassitude. Comme un chercheur qui trouve enfin, ou comme un moyen de se remettre d’une telle apparition surnaturelle et improbable. Oh oui, improbable. Sa main se fracasse avec gentillesse contre mon épaule, tandis qu’il essaie une fois de plus de se faire la malle.

- « Lâche-moi, tu veux ? Tu m’as suffisamment esquinté, salaud. »

Mais les années et les horreurs ont assassiné ma naïveté d’antan.

- « T’as pas répondu à ma question. »

Je n’ai pas de temps à perdre. Si on m’a en effet retrouvé, et qu’en plus ils envoient la pègre rouillée, c’est que ma situation est des plus menacées. Et je ne laisserai pas un très lointain souvenir briser le peu qui me reste.