Type de RP classique
Chapitre concerné  chapitre 3
Date du sujet 13 Floraison 5:13
Participants Lachlann Vaël, Aethra
TW aucun
Résumé Lachlann accompagne un ami (?) chasseur d'apostats dehors. Une émeute attire ledit ami (?) plus loin, laissant le mage seul - avec les démons et les autres qui les entendent.
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>4 Floraison 5:13</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1701-miroir-mon-beau-miroir-aethra">Miroir, mon beau miroir</a></li></ul><p><u>Lachlann Vaël, Aethra</u> Lachlann accompagne un ami (?) chasseur d'apostats dehors. Une émeute attire ledit ami (?) plus loin, laissant le mage seul - avec les démons et les autres qui les entendent.</p>[/code]

La faim me tiraillait plus que d’accoutumée ce jour-là. Je m’étais naïvement dit que me rendre au quartier du Mudshelf me permettrait de mettre directement la main sur quelque chose susceptible de me remplir l’estomac. En temps normal, je me contentais de ce que quelques piécettes ramassées ou volées me permettaient de m’acheter au marché… mais pas aujourd’hui.

Là où certains ne sentaient que l’odeur nauséabonde des défections d’origine animale dans ce quartier pauvre, mon odorat me faisait parvenir les senteurs plus alléchantes de la viande dont j’étais bien souvent privée. J’en avais l’eau à la bouche rien que de passer proche des abattoirs. Malheureusement, ma tendance à rôder proche de l’atelier de découpage provoqua la méfiance du boucher. Et, au moment de mettre la main sur un bout de viande bien juteux, celui-ci se retourna vivement en vociférant. « Voleuse ! Reviens ici ! » La capuche rabattue sur mes yeux, je me volatilisai à toute vitesse pour me soustraire prestement à sa vindicte.

Un petit cri presque animal m’échappa quand un couperet s’abattit non loin de ma tête pour aller se ficher dans le mur proche de la sortie de l’abattoir. Muée par un réflexe de pure survie, mes traits s’effacèrent peu à peu pour revêtir l’apparence d’un félidé roux et noir. Le précieux bout de viande atterrit entre mes crocs, subitement si gros qu’il manqua de me faire basculer. Ca ne m’empêcha pas de me carapater à toute vitesse.

Malheureusement, le boucher m’aperçut grimper dans les hauteurs et il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre la supercherie. « Une mage ! Arrêtez-la ! » Mes poils s’hérissèrent sur mon dos de chat à le voir me pointer du doigt, m’offrant aussitôt à la vindicte populaire. « Tu es sûr de toi ? » Le boucher perdit patience : « Puisque je vous le dis ! »

Je me laissai retomber plus loin du toit pour courir encore plus vite, avant de me figer subitement en tombant dans les pattes d’un homme planté devant moi. Lui ne bougeait pas, mais son regard pénétrant ne me disait rien qui vaille. Il semblait lire clairement en moi et me barrait ostensiblement la route.

Il y eut un moment de flottement, sans que je ne sache quelle échappatoire prendre. Un feulement courroucé m’échappa quand l’homme m’attrapa par la peau du cou, comme une mère l’aurait fait avec un chaton trop turbulent. Le juteux morceau de viande tomba à terre, ôté de ma gueule par la même occasion. J’eus beau m’aplatir, puis ruer et me débattre, rien n’y fit. Mes griffes et mes crocs ne pouvaient pas se planter dans sa chair, dans cette position humiliante. J’aurais bien entendu pu reprendre forme humaine pour l’invectiver aussitôt, mais il aurait fallu que je sorte à nouveau les griffes pour tenter d’y réchapper, et les gardes étaient à mes trousses.

Et il ne pouvait pas savoir que j’étais un mage tant que je ne reprenais pas forme humaine, n’est-ce pas ? …N’est-ce pas ? Le doute s’insinua peu à peu en moi, tandis qu’il me demandait sans détour de cesser de me débattre. Qu’allait-il seulement faire de moi maintenant ? Il m’emporta à sa suite sans attendre. Mon regard lorgna vers le morceau de viande échoué, si convoité, et bien vite abandonné. Je m’étais mise en danger pour rien, avec toujours le ventre aussi vide. J’allais peut-être en payer le prix cher, cette fois.

Mais, enfin, la pression sur ma nuque disparut. Je me réfugiai aussitôt à l’ombre des ronces, dans l’espoir de me soustraire à tous les regards. Recroquevillée sur moi-même sous ma forme féline, mon regard curieux se tourna néanmoins vers mon vis-à-vis qui m’intima de rester ici. Vraiment ? Avais-je seulement envie de lui obéir ? Rien ne me disait qu’il n’allait pas chercher les templiers sans attendre, criant avoir débusqué une apostate voleuse. La raison me donnait envie de fuir aussitôt sans me retourner, mais une vive inquiétude me fit me terrer davantage dans le renfoncement de ce jardin secret. Des hommes venaient de passer à vive allure dans la même ruelle d’où je provenais. Ils l’invectivaient déjà pour lui demander où j’étais passée.

Je n’entendis la teneur de la conversation. Une certaine angoisse m’étreignit, avant de le voir revenir, seul. Je n’avais pas bougé. Je tremblai en vérité. Il me fallut un certain temps pour daigner sortir le museau de mon couvert et le détailler plus longuement. Son costume propre et son apparence soignée n’avaient rien à faire dans la fange de Mudshelf. Est-ce qu’il traquait le démon par ici ? Ou plutôt l’apostat…

Je grondai un peu, pour la forme. Je risquai un regard vers le portail, avant de revenir à lui. Est-ce qu’il pouvait seulement m’assurer que c’était sans danger maintenant ? Est-ce qu’il comptait encore m’emmener ailleurs ? J’hésitais encore à reprendre forme humaine, sans bien savoir si je devais me fier à lui.

Nous n’allions pas encore nous regarder en chien de faïence bien longtemps, n’est-ce pas ? Pourtant, il semblait jauger ses possibilités tout autant que moi en cet instant, sans bien savoir quel choix retenir. J’aurais pu m’enfuir sans demander mon reste, surtout que mon regard félin accrocha la silhouette d’un bâton de mage à son dos. Mes craintes, envers lui, étaient fondées.

Je grondai de plus belle, feulant même à plusieurs reprises. Mon pelage écaille-de-tortue s’hérissa en signe d’avertissement. Oh je ne devais pas lui faire bien peur sous cette apparence… mais le message était clair. Je n’avais clairement pas envie qu’il me remette encore la main dessus. Il risquerait de me traîner de force jusqu’à son Cercle ou son chien de garde de templier. Je fuyais l’un comme l’autre comme la peste, parce qu’ils étaient synonymes de mort pour moi. Il ne pouvait pas le comprendre, lui qui avait sans doute grandi dans cette belle cage dorée.

Pourtant, sa proposition aussi soudaine qu’inattendue me stoppa net dans mes tentatives d’intimidation qui auraient eu juste de quoi le faire rire. Un vrai repas ? J’en rêvais. Depuis combien de temps n’avais-je pas mangé à ma faim exactement ? Les temps étaient durs actuellement. Je n’avais pas eu l’occasion de mettre suffisamment de côté. Je m’étais faite plus audacieuse et intrépide, poussée par la faim. Et l’idée même d’un bout de viande me faisait saliver…

Mais s’il voyait mon vrai visage, est-ce qu’il n’en profiterait pas pour me dénoncer ? Ce serait contreproductif après s’être donné tant de mal pour me mettre à l’abri des regards de mes poursuivants, n’est-ce pas ? Je pesai encore le pour et le contre, tout en m’extrayant lentement du refuge des ronces pour me tenir à côté de lui. Il n’avait pas l’air de m’empêcher de partir non plus. Je tendis les oreilles en avant, en direction du portail rouillé, pour m’assurer que nous étions bien seuls… puis je me décidais enfin à reprendre forme humaine sous ses yeux. Inutile de lui faire croire que j’étais autre chose qu’une apostate, il le savait déjà.

« Je ne te suivrais pas à ton Cercle. » Lui assénai-je aussitôt, sur la défensive. Je rabattis ma capuche sombre sur mes mèches rousses, le détaillant avec méfiance. Je finis par lui poser cette fameuse question qui me brûlait les lèvres depuis que nos regards s’étaient croisés. « Pourquoi tu m’as aidé ? »

Sous son regard appuyé, l’envie était forte de me recroqueviller pour me faire paraître plus insignifiante encore. Les vieilles habitudes avaient la vie dure, après des années à fuir et à se cacher. Le couvert de ma capuche ne me paraissait pas suffisant pour qu’il ne devine pas les traits qui s’y dissimulaient encore, et qu’il finirait bien par reconnaître au détour d’une ruelle un autre jour…

Mais, d’une manière étrangement féline, je me révélais bien trop curieuse pour partir sans demander mon reste. C’était la première fois que l’occasion m’était donnée d’adresser la parole à un mage du Cercle. Je ne devrais pas me sentir proche de lui. Nous avions aussi peu en commun que le chat sauvage et le chat domestiqué. Je tenais bien trop à ma liberté, même si la faim me tiraillait bien souvent, quand lui préférait la sécurité et le confort de sa haute tour, prisonnier de ses murs.

Mais il avait raison. Un mage restait un mage également à mes yeux. Je me serais certainement précipitée pour aider l’un d’entre eux, captif ou pas, parce que nous partagions finalement les mêmes craintes et les mêmes aspirations, même si nous empruntions deux voies différentes pour les obtenir. Un sourire entendu me vint, à l’entendre se cacher derrière le hasard pour justifier son geste irréfléchi qui en disait finalement long sur lui. Il m’avait aidé, après tout.

Je devrais certainement refuser cette main tendue, et pourtant… mes doigts se refermèrent timidement sur ce pain qu’il partageait avec moi. Je mordis avidement dedans, sa garniture éveillant mes papilles. J’oubliais aussitôt ma réserve et ma méfiance, m’asseyant en tailleur à même le sol envahi d’herbes sauvages, pour savourer pleinement mon repas.

Quand sa question tomba, pleinement légitime, je n’y répondis pas immédiatement. Peut-être qu’une part de moi craignait qu’il m’ôte le pain de la bouche selon ce que je risquerais de lui répondre. Il serait assez patient pour attendre que j’aie le ventre plein, n’est-ce pas ? Sauf si son geôlier le cherchait déjà…

« Je ne suis pas à mettre en cage. » Lui soufflai-je finalement, en m’assurant d’avoir bien fini jusqu’à la dernière miette de son pain garni. « Je n’ai pas besoin de votre Cercle. J’ai appris seule. » Ou presque, il n’avait pas besoin d’en savoir plus. « Je survis depuis presque trente ans maintenant. » Qu’auraient-ils donc à m’apprendre que je ne savais pas déjà ? Les mages étaient dangereux quand ils se déclaraient, mais un apostat ne survivait jamais aussi longtemps dans la nature s’il n’avait pas appris à se maîtriser lui-même. Celui qui me faisait face ne devrait pas avoir à s’inquiéter : je n’étais pas un danger pour lui, pour moi, ou pour les autres. « Pourquoi vous les supportez ? Pourquoi vous les laissez-vous enfermer ? Vous n’avez rien à leur prouver, non ? Ou plus maintenant. » Ma méconnaissance des Cercles était grande. Le peu que j’avais entendu sur eux me terrifiait et m’inspirait tout autant que ces esclavagistes lancés sur mes traces, des années auparavant. « Ils cherchent toujours à nous enfermer, pour contrôler ce qui les dépasse en réalité. Ils convoitent un pouvoir qu’ils n’ont pas. Vous ne vous êtes jamais demandés à quoi ressemblerait votre vie, si on vous avait seulement laissé le choix ? »

Quelle impatience. J’avais beau engloutir mon repas à une vitesse prodigieuse, l’homme qui me faisait face ne voulait pas attendre pour obtenir les réponses à ses questions. Pour autant, il ne cherchait pas à relever ma capuche qui dissimulait mes traits, comme si tout ce qui l’importait était mon discours. C’était presque saugrenu à mes yeux. Qui s’était un jour intéressé à ce que je pouvais dire, ou faire, hormis mes plus proches et rares amis ? Encore davantage quelqu’un vêtu de pareils atours… il avait tout du nobliau qui ne voudrait certainement pas frayer avec la plèbe en temps normal.

Et son assurance venait en forcer le trait, mais également me le dépeindre moins charmant qu’il ne l’était en réalité. Je fronçai les sourcils, dans une expression quelque peu contrariée. Ne m’en déplaise… ? Un souffle ironique s’échappa de mes lèvres pour toute réponse. « Un choix dicté par les autres. » Il cherchait à me convaincre qu’il avait fait le bon choix, car prétendre l’inverse remettrait en cause tout ce qu’il avait connu jusqu’à maintenant. Mais c’était pareil pour moi. « Contrairement aux petits sorts des gens comme moi ? » Répétai-je, outrée. Il venait de m’insulter ouvertement, comme si être une apostate faisait de moi une espèce de sous-mage. Il me donnait furieusement l’envie de sortir les griffes pour lui faire comprendre ce que ma magie serait capable de lui infliger en représailles.

Je me retins pourtant de le faire, car céder à la colère ne serait que lui donner raison, en faisant de moi une folle furieuse bonne à neutraliser. Je n’usais pas de ma magie à tort et à travers sans aucune considération. Si ma forme de chat était innée, le reste avait demandé un entraînement de longue haleine pour parvenir à ce stade. Et peut-être qu’une part de moi lui restait redevable pour m’avoir sorti de ce mauvais pas, suffisamment au moins pour me forcer à conserver mon calme. « Qu’est-ce que tu en sais, du meilleur endroit pour vivre ? Tu n’as connu que la captivité ou la liberté sous surveillance. Tu es comme un animal domestique qui n’a jamais vu l’existence que par une étroite fenêtre. C’est facile de se convaincre qu’on est à sa place là où on se trouve, si on ne cherche pas plus loin. Ils vous apprennent à avoir peur de franchir les limites de l’Immatériel, plutôt que d’en apprendre les secrets les mieux enfouis. »

Mais son attitude contrastait avec ses paroles. Je marquai un temps d’arrêt, à le détailler longuement, quand il s’intéressa subitement davantage à ma magie. « Oh… mes petits tours de passe-passe t’intéressent finalement ? » Lâchai-je avec un semblant d’ironie. Il ne devait pas être familier des métamorphoses pour qu’elles l’intriguent au point de relâcher sa vigilance et d’abandonner un temps ce débat enflammé. « La transformation me permet de rester discrète, mais je n’en maîtrise pas tous les rouages. Elle est seulement utile à ma survie. » J’aurais adoré apprendre à me métamorphoser en oiseau, mais il fallait encore des années et des années de maîtrise pour seulement y parvenir… « Et toi ? Ta haute magie doit bien t’ouvrir des portes… n’est-ce pas ? » Persiflai-je. « Tu comptes me forcer, si je ne veux pas te suivre ? »

« C’est ce dont tu cherches à te convaincre ? » Sifflai-je en réponse. « A quel point est-il difficile de reconnaître que toute sa vie a été bâtie sur un tissu de mensonges ? » Je n’arriverais certainement pas à le convaincre en faisant preuve d’agressivité envers lui, mais c’était plus fort que moi. Il me poussait dans mes retranchements par son discours, alors j’en faisais de même. L’envie de le secouer était forte pour le forcer à voir la vérité en face. A moins que ce fût moi qui était incapable de la discerner correctement ? Il réussit à me faire douter, non pas de mes convictions farouches, mais vis-à-vis de sa participation réelle à la formation des Cercles. Il en parlait comme s’il faisait partie de ceux qui les avaient érigés, mais c’était impossible n’est-ce pas ? Il était peut-être bien sûr de lui, mais il me paraissait ironiquement trop jeune pour détenir autant de pouvoirs. « Tu traques les autres mages comme moi pour les enfermer ? C’est bien ce que tu veux dire ? » Il ne pouvait pas en être autrement. Mais s’il faisait partie de ceux-là, il n’y avait effectivement aucun espoir de retour pour lui. Il avait sacrifié déjà bien trop de vies – en plus de la sienne – pour être capable d’ouvrir les yeux. Je le détaillai longuement, avec un dédain profond.

Un soupir agacé franchit la barrière de mes lèvres, semblable à un feulement, quand il insulta une nouvelle fois ma magie. Il cherchait à me faire sortir de mes gonds, mais il ne connaissait rien de moi ni de mon parcours. J’avais appris des meilleurs et le sang d’un Altus coulait dans mes veines. Je n’avais rien à prouver, encore moins à un mage qui se satisfaisait de chaînes. Le Cercle n’avait rien de différent à mes yeux que les esclavagistes tévintides qui nous avaient pourchassé dans mon enfance, mais je ne pouvais pas lui en souffler un mot. Et à quoi bon ? Il ne comprendrait pas. « Personne ne ressort du Cercle sans l’avoir intégré, alors évidemment que non. Et je suppose que ceux qui refusent de vous suivre connaissent uniquement un destin tragique… n’est-ce pas ? De combien de mages as-tu le sang sur les mains exactement ? »

Sa suffisance m’horripilait. Il faisait preuve de curiosité l’espace de quelques secondes à peine… seulement pour mieux me rabaisser ensuite. Pourquoi m’avait-il sauvé la mise s’il était à ce point convaincu que le Cercle était la solution ? Il aurait mieux fait de m’assommer d’emblée plutôt que de me proposer sa pitance. Peut-être avait-il espéré m’amadouer de la sorte ? Les choses lui auraient semblé bien plus simples si je m’étais contentée de le suivre sans faire d’histoires, ce qui lui aurait évité de se salir les mains.

Et moi, pourquoi je m’évertuais à tenter de le convaincre qu’il faisait fausse-route ? Je ferais mieux d’étouffer dans l’œuf cet espoir imbécile. Il n’était pas le sauveur que j’aurais espéré. Et, plus j’apprenais à le connaître, plus son arrogance me sortait par les yeux. Il devait être né avec une cuillère en argent dans la bouche, contrairement à moi. Que nous restait-il en commun que cette magie latente qui parcourait nos veines ? « Tu es si convaincu d’avoir la bonne réponse que tu ne vois pas plus loin que le bout de ton nez. » Je lui souhaitais bon courage pour tenter d’estimer le nombre d’apostats dans la nature et leur niveau réel. Nous avions tellement pris l’habitude de nous cacher qu’il n’en apprendrait pas plus sur ma magie, sauf à me pousser dans mes derniers retranchements en m’attaquant directement.

Il ne se cacha même pas de songer à cette éventualité. Le nom de la Corneille qui filtra d’entre ses lèvres me fit froncer les sourcils avec perplexité. « La Corneille fait dans le meurtre de masse, pas dans le vol à l’étalage pour un morceau de viande. J'ambitionne juste de rester en vie. » C’était inutile de le contredire sur ce point, ce qui me desservirait plus qu’autre chose, même si son ton moqueur ne m’échappa pas. « Je te remercie pour le pain – et la proposition d’embauche – mais je vais me devoir de refuser. J’aimerais autant éviter que nous en venions aux mains alors… je te conseille de me laisser repartir sans faire d’histoires. » Je reculai déjà de quelques pas, dans l’espoir de pouvoir tourner les talons et m’enfuir au pas de course en un battement de cils ensuite.

Sa suffisance me sortait par les yeux. Sans doute que j’aurais remarqué qu’il cherchait autant à dissimuler des informations que moi, si la colère ne m’aveuglait pas. Je lui rendis pourtant un regard incertain, alors qu’il se contentait de me répondre d’une manière bien nébuleuse à ma dernière attaque. Qu’étais-je censée comprendre par-là exactement ?

« Je ne m’approche pas des templiers. Jamais. » Lui soufflai-je en réponse, alors qu’il ripostait. La meilleure défense n’était pas l’attaque, selon moi. J’étais bien inoffensive, la plupart du temps. Si personne ne cherchait à m’acculer, je n’avais aucune raison de m’en prendre violemment à eux. Je fuyais les templiers comme la peste, le plus clair du temps. Ils n’étaient pas si difficiles à esquiver, vu comment ils arboraient fièrement leurs insignes… et je n’étais pas le genre d’apostate à jouer de la magie sous leur nez. Le seul sort que j’utilisais – et il l’avait bien compris – était celui qui me permettait de me métamorphoser en chat pour passer plus discrètement. Le reste ? Mystère. Il n’en saurait rien à moins de me pousser dans mes retranchements et de me forcer à sortir les griffes.

La surprise pouvait se lire dans les quelques traits visibles sous ma capuche, m’ouvrant la bouche avec étonnement quand il m’invita à me rassoir. Il s’en était fallu de peu qu’on en vienne aux mains, ou que je prenne la fuite, mais il avait aussitôt désamorcé la situation. Mon regard s’évada aussitôt vers le portail rouillé, où son compagnon pouvait surgir à tout moment. Était-ce vraiment raisonnable de rester ? Le problème était que j’avais également hérité de la curiosité d’un véritable félin. Tant qu’il n’essayait pas encore de m’attraper par la nuque, pourquoi ne pas écouter ce qu’il avait encore à dire ? Le mage savait déjà qu’il n’obtiendrait rien de moi s’il venait encore à me parler de son Cercle. D’ailleurs, il me rassura bien vite à ce sujet : m’y emmener ne l’intéressait pas vraiment.

Je me détendis un peu, ce qui se remarquait dans mes épaules qui s’affaissèrent doucement. Il rangea son sarcasme pour me poser avec sérieux une question qui m’intrigua aussitôt. « Est-ce que tu penses que la Corneille est une mage qui a obtenu ce surnom en se transformant en l’oiseau du même nom, à tout hasard ? » Il semblait réellement s’intéresser à elle, sûrement à cause de tous les grabuges qu’elle avait causée. « Ce n’est pas une bonne image pour les mages du Cercle, n’est-ce pas ? Elle ne l’est pas non plus pour les apostats. » Elle attirait l’attention sur nous. « Je n’ai pas envie de revivre une nouvelle guerre des rats qui se transformerait en chasse à la sorcière non plus. » Nous pouvions au moins s’accorder sur ce sujet. « Je peux reconnaître n’importe quel mage métamorphosé, oui. Pas toi ? » Je marquai un silence, le fixant quelques secondes sous le coup d’une intense réflexion. « Tu as bien réussi avec moi, non ? »

Je le fixai sous le renfort de ma capuche, tête basse pour que celle-ci continue à dissimuler mes traits tant bien que mal. Je ne faisais sans doute pas beaucoup illusion, mais que le mage ne cherche pas à me l’arracher me donnait un sentiment de relative sécurité. Mon identité réelle ne semblait pas l’importer tant que ça. Ce qui l’intéressait réellement était plutôt les informations que je pouvais détenir. « Si ce n’est pas pour la Corneille, pourquoi veux-tu en apprendre davantage sur la magie de métamorphose ? » Un sourire un rien narquois vint ourler mes lèvres. « Serais-tu… envieux ? » Ainsi, on ne leur apprenait pas la magie sauvage au sein du Cercle. « Ils auraient trop peur que vous vous échappiez de votre prison dorée ? Pourquoi vous la refuser exactement ? Qu’a-t-elle de si… préjudiciable ? » Ma question, presque innocente, laissait entrapercevoir une certaine curiosité. « Que vous apprend-t-on exactement là-bas ? » J’avais répondu à ces interrogations sans broncher jusqu’à maintenant, le mage du Cercle pouvait en faire de même pour moi, n’est-ce pas ?

Si je n’avais aucunement envie d’entrer dans le Cercle de Starkhaven, savoir que je possédais peut-être un infime avantage sur eux m’intéressait subitement. Si les mages qui le fréquentaient n’étaient pas familiers de ma magie, ils ne représenteraient pas une réelle menace pour moi aux côtés de leurs chiens de garde. Jusqu’à maintenant, j’avais pourtant toujours craint qu’ils ne me repèrent et ne leur en soufflent un mot… alors je m’étais bien gardée de les approcher également. En trouver un, seul, sans son geôlier pour l’escorter, était suffisamment rare pour que l’envie me prenne de m’attarder davantage à ses côtés. Si nos avis divergeaient sur les Cercles, nous avions peut-être cette même curiosité pour ce qui avait attrait à la magie. Elle faisait partie intégrante de nos vies, après tout, non ?

« C’est vrai que la Corneille laisse entendre qu’il s’agit d'une mage, mais ce n’est qu’un nom de volatile, une bannière brandie, rien de plus. » Je m’étais toujours demandée s’il s’agit d’un ou d’une mage doué·e en magie de métamorphose… mais je préférais assurer l’inverse à mon interlocuteur, par mesure de sécurité, en étant une moi-même. Je n’insistais donc pas outre-mesure sur ce point. « Qu’a-t-elle fait exactement ? » Lui demandai-je sans détour. « Je voudrais avoir votre version, au Cercle. » Rajoutai-je rapidement, avant qu’il ne se demande d’où je pouvais bien sortir pour ne pas déjà le savoir. Le problème était que tout le monde en parlait et chacun avait son propre avis sur la question. La vérité se noyait dans un flot de rumeurs, certaines parfois très abracadabrantes.

Je fermai la parenthèse, quand la magie sauvage revint dans la discussion. « Les autres animaux nous détectent comme étant… différents. Mais nous percevons les autres mages métamorphes sans grande difficulté. Nous pouvons nous reconnaître entre nous. Mais quand je suis sous forme féline, je suis un chat. Et jusqu’à preuve du contraire, un chat ne parle pas. » Un mince sourire vint ponctuer mes paroles. « Une corneille en est capable. Il paraît que ces volatiles savent imiter la voix d’un être humain… mais prendre l’apparence d’un oiseau n’est réservé qu’aux plus grands maîtres. » Je marquai un silence, après lui avoir fait part de quelques secrets concernant ma magie. « Et toi, lesquelles maîtrises-tu ? » C’était donnant-donnant, et je ne me suffirais pas d’un pain farci pour ne pas poser de questions en retour. Ou alors, il avait intérêt à me payer une nuit à l’auberge s’il ne voulait pas parler.

Ce dédain dans sa voix me renfrogna aussitôt. Peut-être avais-je visé juste, ou non. S’il paraissait curieux d’en apprendre davantage, il restait enlisé dans les mêmes stéréotypes que le Cercle avait dus lui servir à tort et à travers, cette pratique magique n’avait rien de faible, ni de sauvage ou de simpliste. Comme toute école, elle avait tout un éventail de déclinaisons. « La métamorphose permet de transformer tout ou partie de son corps, mais également de communiquer avec le règne animal. Certains mages sont capables d’appeler à eux un animal et de le garder sous leur contrôle, par exemple. » J’aurais presque pu me vanter d’en faire partie, mais je n’avais eu aucun maître en la matière. L’autodidaxie avait ses limites. Entrer en contact avec un esprit animal échappait encore à ma compréhension pleine et entière.

Ce que le mage me confiait sur son Cercle me paraissait particulièrement barbant. Des prières ? Beaucoup de prières ? Nous ne partagions déjà pas la même vision de la Chantrie, mais je n’allais pas m’engager sur ce terrain glissant. Les rares enseignements religieux que j’avais eu me venaient de ma mère, que j’avais eu tôt fait de jeter aux oubliettes dès que ma magie s’était révélée dans un déferlement de puissance. Les exercices mentaux me parlaient peut-être davantage, parce qu’il fallait sans cesse résister à l’attraction exercée par l’Immatériel. Ne pas céder à ses pulsions était une question de vie ou de mort pour tout mage. « La Confrontation ? » Il ne détaillait pas, comme si c’était l’évidence même. Mon interlocuteur avait l’habitude d’échanger quotidiennement avec des mages de tout horizon, contrairement à moi qui n’avait eu qu’un seul autre exemple en la matière… et pas le meilleur : Karl.

« Aucune magie n’est chantriste… » Soufflai-je à voix basse, lorsqu’il me mit en garde concernant mes pratiques magiques. « La magie est la magie. Elle n’est ni bonne, ni mauvaise. Elle est uniquement ce que l’on décide d’en faire, tant qu’on ne se laisse pas contrôler par elle. » Peut-être que mes paroles sonneraient comme une hérésie à ses oreilles, mais je ne changerais pas d’avis aisément à ce sujet.

Sa vision, même étriquée à mon sens, m’intéressait malgré tout. Mais il appréciait un peu trop me renvoyer mes questions sans y répondre, ce qui m’arracha un sourire. « J’étais la première à demander, non ? » Et quand il n’esquivait pas les questions, il se permettait des traits d’esprit pour le moins agaçant. Mener une conversation avec ce curieux personnage pouvait être harassant. « Le temps ? » Je marquai une hésitation, sans pouvoir m’empêcher de me demander quelle forme cette magie revêtait. « Tu l’as figé pour échapper à la vigilance de ton chien de templier ? » Lâchai-je avec humour. Celui-ci n'était étrangement pas encore revenu. « Je connais le Voile. » Finis-je par lui confier. « Enfin… J’ai un ami qui le connaît très bien. Il m’en a souvent parlé. Je ne l’avais jamais traversé moi-même. Et toi ? »  

Je marquai un silence, à la simple évocation de la magie du Sang. Mon regard sur le mage était un peu changé. Il avait une attitude aussi prudente que provocatrice, mais son esprit n’était finalement pas aussi étriqué qu’il n’y paraissait. Est-ce que je pouvais réellement le compter comme… un allié ? « Que penses-tu de la magie du sang ? » Est-ce qu’il serait prêt à s’ouvrir à moi sur le sujet ? Après tout, il ne risquait rien. L’apostate en fuite que j’étais ne risquait pas de le menacer, depuis sa haute tour. Il pouvait parler librement en dehors des murs qui l’emprisonnaient habituellement entre bien-pensants.

Sa curiosité trouvait un écho curieux chez moi. « … non, ça ne fonctionne pas sur des esprits trop complexes, trop éloignés de leur nature animale, ou je ne connais personne qui ait réussi jusque-là. » Ses questions étaient pertinentes et démontraient une volonté de repousser les limites de l’acceptable.

Je souris un peu, sous le renfoncement de ma capuche. Le mage démontrait enfin un peu d’antipathie envers ses geôliers qui le limitaient dans ses pratiques de la magie. C’était peut-être ce qui me convainquit de rabattre ma capuche pour enfin révéler mes traits. Il avait raison sur un point, parfois la fuite n’était pas préférable. Si je ne prenais aucun risque, je resterais à jamais figé à un stade de ma vie. « Je m’appelle Aethra, et toi ? »

J’étais envieuse de l’entendre me parler de l’Immatériel. J’aurais voulu en apprendre davantage encore… le fouler de mes pieds était resté un rêve inatteignable pour le moment. Je n’en conservais qu’un vague souvenir, issue de quelques songes. « Ça doit être autre chose d’en arpenter les secrets dissimulés à l’état d’éveil. » J’avais du mal à en vouloir à mes plus vieux ancêtres, avides de s’en approprier les mystères les mieux gardés… même si les conséquences avaient été désastreuses. L’évocation des démons me jeta dans un bref trouble. « Oui. Très bien même... »

Son masque d’arrogance s’étiolait pour révéler quelques fissures dans ce discours lissé que le mage avait dû répéter maintes et maintes fois par le passé. Mes yeux s’agrandirent un peu sous le coup de la surprise, alors qu’il prononçait des mots que je ne m’attendais plus à entendre. Ainsi, l’étude de la magie du Sang l’intéressait, tout comme celle de la Métamorphose dans une moindre mesure… Il avait beau défendre bec et ongle les valeurs de son Cercle, il en restait conscient des failles, des limites imposées. J’étais rassurée d’apprendre que, même pour un frère du Cercle, elles n’étaient pas si légitimes. Au fond, nous n’étions pas aussi différents qu’il aurait bien voulu le croire.

« La magie du Sang n’est pas plus mauvaise – ou dangereuse – qu’une autre. Je ne comprends pas cette interdiction. » Lui confiai-je, sans détour, même si je restais prudente dans mes paroles. Je craignais de trop en dire, de me condamner pour de bon par une parole malencontreuse.

J’avais décidé de lui faire confiance, même si nos premiers échanges avaient été placés sous le signe de la défiance. Les premières réactions défensives passées, j’entrevoyais une personne à l’esprit bien moins étriqué que je l’avais tout d’abord supposé.

J’allais pour lui répondre quand un cliquetis métallique me parvint dans une rue attenante. Le geste du mage me confirma mes craintes, le danger se rapprochait pas à pas.

« J’espère que nous nous reverrons, Lachlann. » Sans attendre, je repris ma forme féline sous ses yeux. Les sens en éveil, j’entendis plus nettement son garde se rapprocher de l’endroit où nous nous trouvions. Il était probablement temps pour moi de filer, même si je ne pouvais m’empêcher de lancer un regard en arrière, à la dérobée.