Type de RP Classique
Chapitre concerné Chapitre 3
Date du sujet 9 Longnuage 5:13 des Exaltés
Participants  @Lachlann Vaël et Cadwell
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Résumé Le Cercle manque de certaines fournitures pour accueillir dignement les mages et les templiers réfugiés d'Antiva, notamment des draps et des vêtements. C'est l'Enchanteur Supérieur qui est chargé de cette mission et Cadwell l'accompagne.
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>9 Longnuage 5:13</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1612-les-kings-du-shopping-lachlann-cadwell">Les kings du shopping</a></li></ul><p><u>NOMS DES PARTICIPANTS.</u> Le Cercle manque de certaines fournitures pour accueillir dignement les mages et les templiers réfugiés d'Antiva, notamment des draps et des vêtements. C'est l'Enchanteur Supérieur qui est chargé de cette mission et Cadwell l'accompagne.</p>[/code]

Grande mission que celle de Cadwell aujourd'hui qui, une fois n'est pas coutume, avait été chargé d'escorter un mage en dehors du Cercle. Et pas n'importe quel mage. Le jeune templier était bien content que la mission lui ait été annoncée avant le repas, il n'était pas sûr que son estomac aurait supporté le petit pic d'anxiété qui s'était installé là depuis l'arrivée des réfugiés d'Antiva. Une anxiété passablement apaisée la veille, qui lui avait permis de dormir, c'était déjà ça. Le dos encore un peu courbaturé mais tout à fait droit comme à son habitude, Cadwell s'était présenté devant les appartements de l'Enchanteur Supérieur et sitôt que son occupant était apparu, le jeune homme lui avait emboîté le pas tel une ombre silencieuse - enfin légèrement cliquetante, mais parfaitement muette. Un bon templier savait protéger, mais surtout, il savait le faire sans se faire remarquer et Cadwell n'était pas mauvais en observation prudente et discrète. C'était d'autant plus vrai lorsqu'il se trouvait en présence de Lachlann Vaël.

Quitter le Cercle en compagnie d'un Enchanteur n'avait rien d'anodin, et si Cadwell ne parvenait pas à se rappeler quand il avait déjà escorté un mage si important, ni pourquoi cette responsabilité lui était tombée dessus sans prévenir, il ne pouvait nier que la mission chassait très efficacement ses appréhensions personnelles. Sur le trajet, il en oublia même les raisons qui les poussaient à aller en ville, tant il était concentré à l'idée de ne pas faire de faux pas. Presque littéralemment, étant donné que vous ne vouliez pas coller de trop près votre mage, au risque de vous cogner s'il ralentissait sans prévenir, ou pire, de marcher accidentellement sur sa robe, ou sa cape, ou les deux.

Bref, les missions d'escorte n'étaient pas données au premier venu, bien sûr, et si Cadwell appréciait cette marque de confiance de la part de sa hiérarchie - une partie de lui se demandait s'il était en fait en train de remplacer un soldat plus haut gradé qui se serait cassé la jambe pendant la nuit - la majorité de son esprit était focalisée sur son devoir, à savoir : protéger le mage des dangers extérieurs, repérer les foules avant de s'y perdre, faire attention aux plumes de corbeaux suspectes et éviter de lui marcher sur les pieds. Voilà qui expliquait en partie pourquoi, après avoir traversé presque tout le Clattercraft animé et bruyant, et arrivé devant l'établissement d'un tailleur spécialisé dans la confection de robes, Cadwell transpirait sous son armure comme en plein Réconfort.

L'autre raison tenait à la présence de Lachlann Vaël, simplement, mais le jeune homme se rassurait en se disant qu'avec un peu de chance, il n'aurait pas à lui parler directement. Oh, il ne le détestait pas, au contraire. Une partie de lui espérait qu'ils pourraient échanger plus de deux mots, quand il aurait retrouvé son souffle évidemment. Il sentait qu'il n'aurait pas besoin de cela pour se ridiculiser.

Surtout ait l'air naturel.

Cadwell s'avança vivement pour ouvrir poliment la porte, et s'effaça devant l'Enchanteur Supérieur. La boutique laissa échapper une senteur délicate, semblable à des fleurs séchées... ou à un pot pourri. Cadwell fronça le nez, avant de jeter un oeil curieux à l'intérieur. Il ne voulait pas s'imposer, mais il ignorait si le mage avait besoin de lui ou s'il était censé monter la garde près de la porte. Dans le doute, il restait un peu entre les deux, attendant des instructions supplémentaires. Ou le silence. Il se contenterait du silence, vraiment.

Cadwell s'était promis d'agir le plus naturellement possible auprès de l'Enchanteur, mais il découvrit que c'était plus facile à faire quand il marchait derrière lui, plutôt que lorsqu'ils étaient face à face. Le mage l'encouragea à entrer et Cadwell s'exécuta en retenant un "oui, pardon". Il se décala juste assez pour que la porte puisse se refermer sans encombres et patienta quelques secondes, les mains dans le dos, tandis que le propriétaire de la boutique venait à leur rencontre. Il s'adressa directement à Lachlann, reconnaissant en lui l'autorité de leur duo, tandis que Cadwell zieutait les étagères en essayant de ne pas avoir l'air complètement déplacé. L'endroit lui semblait familier, pourtant il était certain de n'avoir jamais mis les pieds chez un tailleur. Pourquoi en aurait-il eu l'utilité ? La Chantrie assurait qu'il soit logé, nourri et vêtu depuis qu'il avait rejoint l'Ordre des templiers, et avant cela, il mettait les vêtements que les Soeurs du Couvent des murmures lui donnaient sans poser de... oh.

C'était probablement cela. Il écoutait la conversation d'une oreille et lorsque l'Enchanteur sollicita son avis, une expression embarrassée traversa ses traits habituellement calmes. Il n'aimait pas se trouver incapable de répondre à une question, pourtant, il devait se rendre à l'évidence : le prune, l'aubergine et le violet ne faisaient pour lui aucune différence. Comment pourrait-il aider le mage dans son choix ? La seule chose qu'il savait des tissus, c'était s'ils étaient confortables, pratiques ou s'ils tenaient assez chaud l'hiver. La couleur était un élément secondaire et parfaitement superficiel à son goût.

Mais allez dire cela à un mage sans le vexer.

"Je crains que mes connaissances ne soient limitées, messer."

N'aies peut-être pas l'air si naturel se morigéna-t-il immédiatement. Il tenta de se rattraper, mais sans réfléchir à la façon dont il devait le dire - oui, il était nerveux. Pour sa défense, son élocution n'était pas plus brillante devant le Chevalier-Commandant Molony.

"Dans ce domaine précis, je veux dire. Non pas que…"

Voilà qui sonnait comme de la vantardise, à présent. Cadwell laissa sa phrase en suspens, cherchant visiblement ses mots. Il ne voulait pas couper court à la conversation de façon aussi brutale. Peut-être qu'il n'avait en effet aucune connaissance en matière de robes, mais… Il jeta un oeil vers le propriétaire de la boutique. Hors de portée d'oreille pour le moment. Cadwell se décala légèrement en direction de l'Enchanteur, afin d'être aussi hors de vue du tailleur, et dit plus bas :

"Les Soeurs du Couvent venaient souvent ici avant, car le tailleur leur donnait volontiers ses invendus ou des chutes de tissu pour les orphelins. Je pense que si vous lui précisez la raison de notre venue, il pourrait être enclin à… discuter son prix."

Si le tailleur consentait à revoir son tarif habituel, ils pourraient acheter plus de robes, ou se servir de l'argent économisé pour les draps qu'ils devaient également commander ce jour-là. Il pouvait aussi être sage de le conserver pour des dépenses plus essentielles, comme la nourriture. Cadwell ignorait ce qui devait être fait exactement mais il tentait de garder un oeil critique et pragmatique sur la situation. S'il osait, il aurait même suggéré de laisser tomber les robes colorées pour des tissus plus chers mais plus épais, sauf que les jolis tissus  semblaient être importante au Cercle. Une sorte de marqueur social. Bonus si vous aviez de jolies broderies. Et on ne pouvait décemment pas vêtir les mages réfugiés moins bien que les havenois. S'il s'écoutait, cependant, tout le monde serait en robes de lin. Que Cadwell soit tout en bas de l'échelle de commandement du Cercle était probablement une bonne chose. Lui-même reconnaissait que son jugement n'était pas pertinent dans ce genre de situation. Il croisa les bras et fit un signe de la tête en direction des rouleaux :

"En ce qui concerne le choix des tissus, je suis sûr que votre expertise sera bien meilleure que la mienne, messer."

Le templier hocha légèrement la tête lorsque son aîné lui fit patiemment remarquer que peu de gens au Cercle possédaient ce genre de connaissances, ce qui rattrapa légèrement la maladresse du jeune homme et apaisa quelque peu son embarras. À l'évidence, l'Enchanteur Supérieur n'attendait pas de lui une dissertation avec argument, contre-argument et conclusion au sujet du style vestimentaire le plus approprié au Cercle. Il était vrai que l'institution n'offrait pas à ses hôtes une grande liberté dans ce domaine, qu'ils soient mages ou templiers. Ce n'était évidemment pas la fonction première du lieu, et il était évident que les templiers devaient porter l'uniforme et l'armure pour faire leur devoir, mais quel mal y aurait-il eu à laisser les mages s'exprimer dans des tenues plus colorées ? Ils étaient, après tout, ceux qui jouissaient du moins de liberté. On aurait pu leur accorder quelque chose d'aussi inoffensif. Bien entendu, ce n'était pas la priorité - ce n'était jamais la priorité - elle allait cette fois aux réfugiés.

La réponse encourageante - et enthousiaste - de Lachlann arracha à Cadwell un sourire bref mais surpris, qui s'effaça quand il réalisa qu'on l'appelait par son prénom. Le mage enchaîna sur quelque chose à propos des orphelins que Cadwell perçut à grand-peine, à la fois parce qu'il parlait tout bas, et parce que le jeune homme ne savait plus où se mettre. Et bien qu'il ne se rappelait pas que les Soeurs soient venues récemment, même dans son souvenir - il ne les avait accompagnées qu'une fois, plus jeune - il ne pensait pas que la remarque murmurée appelait une réaction de sa part. Peut-être Soeur Silence avait-elle trouvé meilleure offre ailleurs ? Ou peut-être le marchand avait-il cessé de faire des dons au Couvent ? Cadwell priait pour que ce soit la première option, sans quoi sa proposition tomberait à l'eau et le peu de fierté qu'il avait ressentie à l'énoncer s'envolerait à nouveau.

L'Enchanteur Supérieur l'encouragea à nouveau à donner son avis, sur un sujet qu'il maîtrisait peut-être davantage. Cadwell hocha sérieusement la tête, conscient qu'il avait raison : il pouvait donner son expertise minime sur l'utilité qui serait faite des tenues. Ses yeux parcouraient les rayons de rouleaux de tissu qui semblaient tous parfaitement ordonnés dans un éventail bigarré qui suivait les teintes de l'arc-en-ciel. À portée de main, les bruns, les ocres, les gris et le terne. L'usuel et le commun. Il n'osait pas les toucher, mais même visuellement il pouvait évaluer l'épaisseur du tissu et imaginer son contact, rugeux pour la laine, doux pour le coton et... pour ces tissus qui brillaient légèrement, dans le fond. Aucun idée du nom. De la soie ? Non, peut-être pas...

Ce n'était pas important : il fallait quelque chose de solide, pour résister à l'usure pendant plusieurs mois, mais aussi d'ambivalent, pour servir encore durant les chauds mois d'été, et peut-être lorsque le temps se rafraîchirait, puisqu'ils ne pouvaient pas prévoir l'état de leurs finances à ce moment-là - qui savait si une autre ville ne tomberait pas ? D'autres réfugiés arriveraient et alors les nouvelles tenues ne pourraient être qu'un luxe face à des besoins plus urgents comme les lits et de la nourriture. Même sans une nouvelle attaque d'envergure, avec l'Enclin approchant et la dévastation d'Antiva, il ne fallait pas parier sur une économie florissante pour Starkhaven - Cadwell n'y connaissait pas grand-chose en économie, mais il savait que les grandes actions avaient de lourdes conséquences.

"Peut-être quelque chose qui puisse se porter par-dessus une tenue légère."

Le jeune homme imaginait que plusieurs réfugiés d'Antiva étaient arrivés en haillons, mais que d'autres possédaient encore leurs vêtements, probablement plus légers, mais aussi facilement réutilisables au besoin. Et ils pouvaient toujours les mettre sous une robe plus épaisse, et ne porter que la seconde en été. Il n'était pas sûr du tissu approprié, cependant, alors il garda encore un peu son hypothèse pour lui. Il ne voulait pas lâcher des idées qui ne mèneraient à rien. Il réfléchit à ce que le mage lui avait dit : lui-même portait des vêtements, bien sûr. Quel tissu préférait-il ?

"Du lin. C'est plus solide, bien que plus cher que le coton... mais s'il est possible de tisser les deux matériaux ensemble, cela pourrait réduire les coûts", répondit-il après réflexion. "C'est ce que je porte, en tout cas. Ce n'est pas inconfortable, et cela donne moins chaud que le coton sous une armure, c'est donc idéal pour superposer les couches."

Les rouleaux de tissus beiges et tristes l'appelaient, mais Cadwell résista à tâtonner le matériau pour vérifier qu'il s'agissait bien de ce dont il parlait. Il ne visualisait pas le lin autrement que dans ses tenues sobres et mornes - mais bien pratiques - de soldat.

"Je ne sais pas s'il serait possible de les colorer, en revanche... Qu'est-ce que vous portez, vous ? Messer", ajouta-t-il précipitamment.

La politesse adoucissait un peu l'incongruité de la question.

Cadwell se surprenait à prendre mentalement des notes de ce que l'enchanteur lui disait, comme si c'était à lui de gérer les stocks alors qu'il ne faisait que l'accompagner pour sa mission. Solliciter son avis avait fini par piquer sa curiosité et, même si le domaine ne relevait ni de son expertise, ni de ses intérêts personnels, le jeune templier y voyait une occasion de développer ses connaissances. Et puis, n'encourageait-on pas la collaboration entre mages et templiers ? Il hocha la tête, nota ce qui avait été retenu de sa proposition et la raison pour laquelle le reste avait été écarté, songea qu'il devrait intégrer ces contraintes aux prochaines réflexions. Les limites de ses connaissances se firent rapidement sentir, tant en matière de vêtements qu'en matière de récit pour enfant, et Cadwell fronça les sourcils, pensif.

"Oui... peut-être ?" Il ne se rappelait pas des images mais l'histoire lui disait quelque chose, alors peut-être une Soeur la lui avait-elle lue. "J'aurais juré qu'il s'agissait d'un hérisson. Il troue tous ses vêtements à cause des poils sur son dos, alors finalement il en casse un et s'en sert comme aiguille pour faire des vêtements à ses amis... non ?"

Cela ne disait peut-être rien au mage. Il était possible que cette histoire soit contée uniquement au Couvent... pour expliquer aux enfants qu'ils avaient de la chance d'avoir des habits, même rapiécés, sur le dos. L'un dans l'autre, Cadwell connaissait la valeur des vêtements, et des différents tissus qu'on pouvait employer. Le chanvre lui paraissait un peu rêche et, s'il ne pouvait pas deviner quelle matière avait été utilisée pour fabriquer la cape de  l'Enchanteur, il pouvait aisément parier sur son prix. Ce qu'il fit, mais pas tout haut, pendant que le mage approchait du commerçant afin de rendre son verdict. Cadwell observa, de loin d'abord, l'assurance avec laquelle l'Enchanteur Vaël faisait l'inventaire de ce dont ils avaient besoin, de ce que pouvait leur fournir le tisserand, et du prix qu'il était prêt à leur en proposer. Là, les négociations pouvaient commencer, et Cadwell se rapprocha, intéressé. Évidemment, l'homme était dans une situation tout aussi délicate que les autres, avec l'approche de l'Enclin, la chute d'Antiva, l'arrivée des réfugiés, et tout un tas d'autres arguments que le jeune templier pouvait aisément deviner. Il ne s'attendait pas à l'approche choisie par le mage, mais fit de son mieux pour n'en rien montrer.

Il n'était certes qu'un garde-du-corps mais, si le vendeur les avait entendus discuter, autant montrer qu'ils faisaient front commun.

"J'ai entendu dire qu'il avait augmenté", commenta calmement Cadwell.

L'artisan leur confirma que les choses n'étaient pas aisées, en ce moment, et tandis qu'il s'épanchait sur ses différents malheurs, Cadwell hocha poliment la tête pour lui montrer qu'il écoutait. Quand il eut fini, il demanda :

"Mais donc, vous ne l'avez pas encore payé ?"

Parce qu'avec tout ça, il n'avait pas répondu à la première question. Le soliloque était peut-être sincère (et touchant), mais il était trop facile pour détourner leur attention. Cadwell s'interrogea : l'homme avait-il compris que l'Enchanteur lui faisait une proposition ? Pourquoi cette réluctance à l'accepter ?

"Ce n'est pas une menace", précisa-t-il, alors même que son regard se tournait vers Lachlann pour s'assurer qu'il avait bien compris le sous-entendu. "Nous représentons la Chantrie, pas l'Office. Si nous pouvons vous aider, peut-être auriez-vous les moyens de nous rendre service en retour ?"

Là, il ne pouvait pas traduire plus clairement la proposition de l'Enchanteur. L'homme sembla enfin se détendre, et jeta un regard nerveux vers la sortie, comme pour s'assurer que personne d'autre ne pouvait les entendre.

"Je... suppose que ce serait un engagement équitable... et parfaitement légal..."
"Parfaitement légal", répéta Cadwell, presque avec enthousiasme.

Quelle sorte de chantage ce pauvre homme avait-il donc vécu pour s'imaginer des choses pareilles, provenant de deux représentants des mages et des templiers qui plus était ? Cadwell préférait ne pas y penser pour le moment. Tant que leur but était atteint...

"Je vais voir ce que j'ai dans l'arrière boutique", conclut le vendeur, à présent plus assuré.

Le templier attendit qu'il eut disparu de leur champ de vision pour sourire au mage, plutôt fier de leur réussite.

Si Cadwell avait su à l'avance qu'il aurait une conversation sur les livres pour enfants avec l'Enchanteur Vaël, il aurait certainement été plus détendu à l'idée de l'accompagner au-dehors. Ou alors, il aurait révisé son sujet avant de venir. Plus probable, oui. Il s'imaginait déjà se rendre à la bibliothèque et demander à un Edmund complètement impassible s'il pouvait lui résumer les aventures du petit hérisson tailleur et de ses amis. Le sujet était peut-être léger et amusant, voire puérile, mais Cadwell le traitait avec sérieux.

"Je ne sais pas", avoua-t-il, après avoir pris quelques secondes de réflexion, l'air concentré, pour se rappeler s'il avait déjà entendu parler de cette série de récits.

Il réalisait que les histoires qui avaient fait son enfance étaient moins peuplées d'animaux de la forêt et plus teintées de morale, voire de chants du Cantique qu'on leur faisait joyeusement répéter tous en choeur. S'ils ne comprenaient pas toujours la conclusion de ces récits, au moins les enfants pouvaient-ils les apprendre par coeur. Cadwell se rappelait encore de la comptine du hérisson qui trouait ses vêtements avec ses piquants. Elle rimait avec "générosité", avec "piété", et avec "sacrifié". Et certains se demandaient pourquoi il avait choisi d'être templier.

Enfin, l'Enchanteur avait raison, ce n'était pas ce genre de réflexions qui les aiderait à convaincre l'artisan, plus préoccupé par ses finances que par une quelconque morale. Et si la perspective de se montrer généreux avec le Cercle le touchait, c'était parce qu'il pouvait en retirer un bénéfice autrement plus terre à terre que le salut de son âme. Parfois, dans ses moments de doute les plus moroses (et dramatiques), Cadwell se demandait s'il n'était pas le seul à faire des choses sans penser aux avantages qu'il pouvait en retirer. Mais c'était prétentieux de le penser, même partant d'une bonne intention.

Au final, qu'importaient les raisons de l'homme, s'ils avaient sa coopération ? Cadwell n'était là ni pour le juger, ni pour sauver son âme. Il se tourna vers l'Enchanteur, satisfait du résultat, mais sans pouvoir cacher son étonnement :

"Je me demande bien pourquoi."

Le jeune templier savait pourquoi sa présence était requise, mais il n'avait pas l'habitude que sa présence soit vue comme rassurante, aussi ouvertement. Pas quand il accompagnait plus gradé et plus expérimenté que lui. La position était inédite.

"C'est-à-dire qu'entre votre statut et mon âge, j'aurais pensé qu'il vous considérerait comme une figure d'autorité."

Il ne l'aurait peut-être pas dit devant un de ses supérieurs directs, mais le fait de se trouver dans une hiérarchie distincte de celle du mage lui permettait de ne pas tirer d'embarras de la situation. Il était aussi plus facile de discuter avec l'Enchanteur Vaël que ce qu'il avait imaginé. S'il avait été face au Premier Enchanteur, il aurait peut-être craint qu'il ne raconte tout au chevalier-commandant, mais Lachlann était différent. Et oui, Cadwell était conscient qu'il avait des a priori sur Nucci Mansilla, mais il avait ses raisons et il n'était pas disposé à les remettre en question.

Un petit silence s'installa alors que l'artisan fouillait son arrière-boutique pour leur dénicher de généreuses donations. Cadwell patientait comme il savait très bien le faire, dans une posture un peu militaire, mais sans pouvoir s'empêcher de regarder autour de lui d'un air vaguement intéressé. Quitte à faire le piquet, il préférait que ce soit dans une boutique de vêtements, plutôt que devant les appartements d'un mage. Il connaissait par coeur les imperfections de tous les murs de la tour, à force. La question de l'Enchanteur le tira un peu abruptement de sa réflexion.

"Moi ?"

Il n'avait pas tort, Cadwell n'avait pas grand-chose à se mettre, mais ils n'étaient pas ici pour lui. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre où il voulait en venir, et pour réfléchir à la réponse adéquate. Le jeune templier ne portait pas constamment son uniforme, mais il lui était difficile de définir ce que le mage entendait par "tenue de sortie".

"Non, en effet - ils n'en fournissent pas. J'ai quelques tuniques, bien sûr..." Il n'allait quand même pas dormir en armure, ou pire, la renfiler à chaque fois qu'il devait se lever pour aller au petit coin durant la nuit... "C'est suffisant. Je ne sors pas vraiment."

Si par "sortie" on entendait "mettre le pied dehors pour ne pas faire de ronde ou escorter un mage", alors non, il ne sortait pas beaucoup. Ou irait-il, de toute manière ? À part le Couvent des murmures, où il apportait volontiers son aide durant son temps libre, il n'y avait aucun endroit qui l'attirait, et personne là-bas ne se formaliserait qu'il vienne en armure ou en tunique simple. Il avait bien fait quelques détours par les tavernes avec ses collègues, parfois, mais c'était toujours entre deux rondes, ou sur chemin du retour au Cercle, et Cadwell était en uniforme, ce qui lui donnait une bonne raison pour refuser de boire.

"Et vous ? C'est la première fois que je vous accompagne... Vous sortez souvent ?"

Lachlann Vaël ne semblait pas être le genre de personnes à se contenter du même "uniforme" tous les jours, qu'il se trouve à l'intérieur ou à l'extérieur du Cercle. Pour être honnête, Cadwell l'imaginait avec une penderie immense et une couleur de robe par jour, ou par humeur, pour rivaliser avec celle du Premier Enchanteur.

Peut-être était-il trop habitué à être la cible des rumeurs qui concernaient sa mère d'un côté, et à porter sa jeunesse sur son visage, de l'autre, caché sous un casque qui semblait trop grand pour lui aux yeux de certains. Il imaginait toujours le pire, parce que s'il partait du principe qu'on le sous-estimait, alors il n'était jamais déçu. Et il pouvait leur donner tort. Ainsi, Cadwell n'avait pas envisagé que l'inquiétude du tisserand pouvait être liée à l'autorité de son aîné. La présence de personnes importantes, qui savaient quoi faire, quoi dire, et qui ne se laissaient pas déstabiliser, était le genre de choses auxquelles il se raccrochait pour se rassurer. Et peut-être aussi pour s'élever. Il les observait intensément, comme si passer du temps à leurs côtés pouvait lui donner la confiance qu'il cherchait lui-même à matérialiser.

Aussi, bien que sa présence soit bénéfique à leur petite mission, le tisserand n'était pas le seul à en tirer un avantage. Cadwell était satisfait d'accompagner le mage, et pas uniquement parce qu'il en retirait la satisfaction du devoir accompli. Mais tout cela était bien enfoui, et même s'il avait voulu partir dans une introspection, il n'y aurait pas inclu l'Enchanteur Supérieur Vaël. Il répondit par une légère plaisanterie :

"C'est pourtant tout ce à quoi on s'attend en voyant un templier n'est-ce pas ? Un mage à ses côtés. Disons même l'inverse, dans notre cas."

Cadwell avait conscience que ce n'était pas ce que l'Enchanteur Vaël essayait de dire, mais il lui arrivait d'éviter volontairement les sous-entendus, quitte à passer pour légèrement naïf, plutôt que de s'engager plus allant dans une conversation dont il ne maîtrisait pas les enjeux - le résultat pourrait lui déplaire. Peut-être que son jeune âge avait quelques avantages, oui.

Et il n'avait pas toujours besoin de faire semblant, car quand le sujet de la discussion s'éloignait de ses compétences, son manque de connaissance et de contrôle devenait évident. Cadwell tint bon, parvint à ne pas afficher un air surpris, voire interrogateur : oui, des tuniques. Quel problème avec les tuniques ? Il avait sûrement proféré une stupidité, eh bien... Le manque d'anticipation l'agaçait toujours un peu, mais il ne pouvait pas savoir ce qu'il ignorait. Apprendre, et faire mieux la fois prochaine. C'était aussi pour cela qu'il était là.

"Vous avez sûrement raison..."

L'embarras l'empêchait d'élaborer une meilleure réponse, et il était bien soulagé que le tisserand revienne à ce moment-là, parce qu'il ne savait pas quoi dire. Il ne se voyait pas sortir autrement qu'en tenue de tous les jours ou en armure. Il n'imaginait pas qu'il puisse être sollicité officiellement quelque part sans son armure. Toutes les sorties où on exigeait de lui d'être présentable étaient liées à son rang de templier. Heureusement que l'Enchanteur Vaël n'était pas dans sa tête, ses soupçons se seraient confirmés... Cadwell savait bien qu'il n'avait pas une grande vie sociale, mais il n'en retirait aucun déception et il aurait été bien embêté qu'on le prenne en pitié. Il s'imaginait le genre de soirées où l'enchanteur devait se présenter, les affaires importantes qu'il disait vouloir gérer en personne, mais tout cela ne lui parlait pas. Il devait manquer d'imagination. La seule chose qu'il comprenait était l'envie de faire soi-même ses achats. Au-delà des vêtements, bien sûr - puisqu'il n'y connaissait rien - Cadwell trouvait dommage d'envoyer des domestiques faire vos quatre volontés. À moins d'être très occupé, mais tout de même... Quel dommage de ne pas saisir cette occasion pour se reconnecter à la vie extérieure au Cercle.

Un bon bain de foule un jour de marché et l'odeur du crottin, rien de mieux pour s'ancrer dans la réalité.

Ses pensées divaguèrent tandis que le mage et le dénommé Fern causaient tissus. Cadwell devait avouer qu'à partir d'un certain moment, il cessa complètement de les écouter, et même de feindre l'attention. Il se mit à faire les cent pas dans le reste de la boutique. À chaque fois qu'il tendait l'oreille, il avait l'impression que les négociations étaient très compliquées, comme si le choix du tissu pour les gants des mages relevait d'une importance capitale. Il ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel lorsqu'ils se mirent à débattre des chaînettes et des boutons pour les capes, et il leur tourna le dos afin de ne pas exprimer clairement son agacement. La discussion sembla durer des heures, mais enfin, les deux hommes parvinrent à s'accorder sur tout, et Cadwell se dirigea vers la sortie en essayant de ne pas avoir l'air pressé. Il avait besoin de se dégourdir les jambes. La clochette suspendue au-dessus de la porte de la boutique carillonna gaiement lorsqu'il ouvrit le battant :

"Je n'ai pas fait grand-chose", répondit-il sobrement, presque sur un ton d'excuse.

À part être là et... tenter de comprendre un sujet qui lui échappait. Il s'effaça pour laisser passer l'Enchanteur en premier, et se figea presque à entendre sa proposition.

Bien sûr, il semblait logique que certains mages aient leur mot à dire sur les templiers qui les accompagnaient, mais l'idée qu'ils puissent choisir leur escorte ne lui avait jamais traversé l'esprit. Il ne regrettait pas d'être venu, au contraire. Il avait eu de la chance. Il avait entendu des camarades se plaindre de passer de très mauvais moments à n'être que les ombres vigilantes des mages qu'ils escortaient, et qui faisaient probablement de leur mieux pour les ignorer. Sans vouloir être mesquin, Cadwell ne pouvait s'empêcher de penser que, connaissant les caractères de certains de ses camarades, il y avait sûrement de la mauvaise volonté. Mais lui, il avait appris beaucoup de choses, et la sortie n'avait pas été désagréable du tout.

Le bon sens aurait voulu qu'il recommande à l'Enchanteur Vaël un templier plus à-même de le conseiller la prochaine fois qu'il irait chercher des habits - Etienne, ou même Alzyre, avec leur bonne éducation, devaient s'y connaître mieux que lui - afin de maximiser leur efficacité. Mais après tout, ils avaient été productifs, non ? Et si c'était l'Enchanteur qui le demandait... De toute façon, il aurait l'air de se déprécier s'il le disait à haute voix. L'autocritique était une pratique saine, mais Cadwell avait trop de fierté pour se remettre ouvertement en question. Il laissa donc le bon sens de côté pour se concentrer sur ce qu'il avait vraiment envie de répondre, et les mots au final lui vinrent plutôt facilement :

"Si cela ne vous dérange pas, oui."

Cela me ferait plaisir aussi. Toujours cette fierté. Il devait faire un effort supplémentaire pour exprimer clairement ce qu'il ressentait sans avoir l'impression d'en faire des caisses.

"C'était très instructif. J'ai beaucoup appris et je vous en remercie."

Mais pas d'inquiétude : les Soeurs du Couvent vous inculquaient bien la sobriété.

Il était vrai que les Soeurs apprenaient la bonne volonté, et l'humilité - tout était lié. L'important n'était pas de réussir mais de vouloir faire l'effort d'essayer, et d'y aller en toute bonne foi, sans se forcer. Cadwell n'était pas sûr que la dernière partie pouvait s'appliquer à son rôle de templier, mais la volonté et le devoir étaient censés s'accorder. Il ne pouvait manquer de l'un s'il avait l'autre, n'est-ce pas ? Et la bonne volonté était toujours là. Essayer quoi qu'il arrive, sans se soucier des conséquences, permettait aussi de masquer la peur de l'échec. Échouer était possible, tant qu'on refusait d'abandonner. En tous les cas, il aimait bien la façon dont Lachlann le formulait, sa façon de dire "vous êtes plein de bonne volonté" sans avoir l'air d'y toucher. Cadwell aurait bien  voulu savoir s'exprimer de cette façon. Trop de temps passé avec les Soeurs lui avaient enseigné la franche honnêteté - et la honteuse confession - pas l'art du compliment détourné. Une chose de plus à ajouter à la liste de ce qu'il pouvait apprendre en accompagnant ses aînés.

Cela ne dérangeait pas l'Enchanteur, ce serait même un plaisir. L'information passa outre le tutoiement pendant quelques instants, car Cadwell, qui n'avait pas osé aller si loin dans sa franche honnêteté, en fut touché. Il sourit sincèrement. D'abord soulagé, puis dubitatif. Pas sûr de comprendre en quoi accompagner Lachlann Vaël en dehors du tailleurs devait le déranger. (Pas sûr qu'il ait son mot à dire, non plus.) Parce que les sorties ne se faisaient pas au nom du Cercle ? À celui de l'Enchanteur supérieur, donc ? Ou fallait-il comprendre son autre nom, le vrai, celui qu'il portait depuis sa naissance ? Cadwell se demandait à quel point le nom des Vaël pouvait porter un message différent de celui du Cercle. Au-delà de ce qu'ils représentaient, ils tiraient tous à la même corde, non ? Personne ne voulait voir le Cercle échouer dans sa mission, surtout pas la famille princière... En tous cas, c'était ce qu'il croyait. Les Soeurs ne vous apprenaient pas l'art de la politique non plus.

"J'imagine que non", fut sa réponse la plus diplomate, même si la sincérité lui aurait intimé "j'imagine que je n'aurais pas le choix quoi qu'il arrive".

Mais que pouvait-il bien arriver ? À quoi l'Enchanteur Supérieur pouvait-il occuper son temps hors du Cercle, si ce n'était pour se promener en ville, rencontrer sa famille ou des amis ? L'imagination de Cadwell n'allait pas au-delà, et il pensait que rien ne serait plus ennuyant que le magasin de vêtements. Il aurait pu demander conseil aux autres templiers qui l'avaient accompagnés par le passé, mais Cadwell était plutôt confiant. Il sourit. Quelles que soient les occupations du mage, cela ne pouvait pas être si terrible et puis, ils s'entendaient plutôt bien. Tant que ses sorties étaient approuvées, lui-même n'avait rien à y redire.

La curiosité le poussait à demander, cependant...

Mais ce n'était pas sa place. Cela ne le regardait pas. Il apprendrait en temps et en heure où Lachlann Vaël se rendait sur son temps libre et en son nom, s'il voulait toujours de lui à ce moment-là. Il se racla la gorge et décida d'exprimer plus franchement son entousiasme. Disons, aussi franchement que sa personnalité réservée le lui permettait :

"Je me réjouis plutôt de passer encore du temps avec vous, et si c'est en apprenant de nouvelles choses, c'est tant mieux. Quelles que soient... euh... ces choses que vous faites."

Non vraiment, retiens-toi.

La discrétion était une des premières qualités que l'on recherchait chez un templier. La discrétion et l'observation. Faites-vous oublier, mais n'oubliez pas de rapporter tout comportement suspect. La règle d'or d'un garde du corps bien avisé.