Type de RP Classique
Chapitre concerné RP
Date du sujet 15 Floraison 5;13 des Exaltés
Participants  @Miche & @Ilenia
TW Langage vulgaire, meurtre, sang, combat, violence, blessures, traumatisme.
Résumé Ilenia accepte un contrat, transmis au réseau hors-la-loi. La mission est simple, récupérée une note avant qu'elle atteigne son destinataire. Le nom du client n'est pas très clair mais le payement est suffisamment onéreux pour qu'elle ne pose pas de question.
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>15 Floraison 5:13 des Exaltés</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1591-l-appat-du-gain#18596">L'appât du gain</a></li></ul><p><u>Miche et Ilenia</u> Ilenia accepte un contrat, transmis au réseau hors-la-loi. La mission est simple, récupérée une note avant qu'elle atteigne son destinataire. Le nom du client n'est pas très clair mais le payement est suffisamment onéreux pour qu'elle ne pose pas de question.</p>[/code]

Un contrat. Tout droit sorti du réseau hors-la-loi. Ilenia a besoin d’argent. Dans l’optique de retrouver sa vie d’autrefois et de quitter Starkhaven. Les parages ne sont plus sûrs. Pour combien de temps encore, avant que l’Enclin ne leur tombe dessus ? Elle l’a fait une fois. Une fois de trop. Elle ne recommencera pas l’expérience ayant bien trop perdu. Elle se l’est promis, de filer avant que les choses ne dégénèrent.

Pourtant, elle est loin de pouvoir retrouver sa liberté en mer. Quelques économies lui permettent de vivre convenablement, mais au lieu de s’organiser, elle les dépense dans l’éphémère et le superflux. Alors elle se rabat sur les gros contrats. Sans s’inquiéter de l’identité du client. Tout ce qui l’intéresse c’est l’or qu’on lui promet. La somme. Plus elle est importante, plus elle accepte et ne chipote pas sur le job.

Cette fois-ci, les murmures parlent d’une personne à retrouver, où du moins le message qu’elle porte. Retrouver un bout de papier lui semble être une bonne affaire. Quelque chose de rapide. D’autant plus que les pistes s’arrêtent au port. Indéniablement, un des endroits qu'elle connaît sur le bout des doigts.

Le soir, après avoir terminé son spectacle à la Compagnie, elle se change pour une tenue d’ébène, couvrant ses cheveux et son visage. Seules ses iris brillent lorsqu’elles rencontrent les reflets de la lune.

Elle s’infiltre comme une ombre dans les ruelles discrètes du port, là où les sentiers sont dénués d’âmes vives. Elle ne fait pas un bruit, veille à sa respiration, pour n’être que le fantôme de la soirée. Un être invisible, capable de récolter ce pour quoi elle est venue. Elle longe les quais, avant de rejoindre une embouchure où elle perçoit une silhouette qui ressemble à la description qu’on lui a donné. Tout se passe comme prévu. Elle n’a plus qu’à s’approcher pour lui faire les poches. À la lisière entre le port et l'embranchement des eaux, la silhouette semble accroupie mais plus Ilenia s’approche, plus l’intuition est mauvaise. Quand elle parvient jusqu’à la cible, elle se rend compte que le corps est mort. Le tissu de ses gants se tachent de sang sous son contact. « Merde » souffle-t-elle. Malgré tout, elle tente à retrouver la fameuse note dans ses poches, mais son estomac se noue sous la pensée qu’on vient de la devancer.

Lancer de dés : Échec.

Soudain, un bruit de pas fait craquer la terre et frémir l’herbe. Elle relève la tête mais elle ne voit rien. Le vent, un chat ? Peu importe, elle est bien trop occupée par sa recherche où la panique commence à naître. Il y a un cadavre et pas une note. Si elle ne parvient pas à la trouver, c'est elle qui va être fichue.

Une souris. Un animal si petit, mais qui par sa seule existence, sa seule présence, peut causer les pires épidémies. Un petit mal qui s’incruste sans mal au cœur même des Hommes, sur les navires, par les petites ouvertures, ou simples défauts du bois. Une bête bestiole qui transporte en son pelage sale les prémices d’une peste inévitable et destructrice, si on ne s’en débarrasse pas à temps.

Ce soir, c’est une souris que je traque.

L’air frais de la nuit effleure mes traits sans les altérer. Les sourcils froncés, l'œil agile, en quête d’une petite vermine bien trop rapide pour son propre bien. Les instructions de la patronne sont claires : nous ne sommes pas dans ces rues. Nous n’existons même pas, à vrai dire : une ombre pâle qui erre, qui fauche, qui se dématérialise sous la lumière transparente de la lune. Le temps est compté, mais je ne me presse pas ; il n’y a pas de raison de courir, n’est-ce pas ? La traque n’en est que plus amusante, même si je n’y prends aucun plaisir. Pourquoi se fouler les pieds pour une si petite inconvenance ?

Et le voilà, pied au mur, le souffle bruyant, les yeux écarquillés. Une victime de pièges dont il ne comprend pas l’ampleur, pris dans les feux d’un conflit muet, lui qui ne cherchait sûrement qu’une solution de facilité pour s’en sortir indemne. Je m’approche, le pas lent, et le voilà qu’il flanche. Il essaie de s’extirper de ce mauvais plan, mais rien à faire. Un choc contre son crâne. Une fouille minutieuse, mais rien ; imprévu. Il a un complice, qui a forcément pris la poudre d’escampette depuis le temps. On règlera ça plus tard. Un solide pavé en main, l’autre le traîne contre le sol, immobile. Un bête noeud autour de ses poignets, et ..

Un bruit. Je me redresse.

Scheiße.

Le pavé presque jeté dans la rivière, je me redresse, observe les alentours. Trop tard. Le crime ne sera pas aussi parfait que je l’aurais désiré. Je regagne les ombres. J’ai un puceron à trouver, après tout. Mais quelqu’un vient, un curieux de trop. Je profite de sa mégarde pour me faufiler entre les ruelles crades et salées. Il ne doit pas être bien loin.

tw, sang, mort, meurtre.

Ils sont deux sur la même piste. Peut-être même plus. Chacun représente son employeur. Le top chrono est lancé. La course. À celui qui remporte le prix et donne l’avance à celui pour qui le paye. Ilenia est indépendante. Peut-être trop. Capable de représenter l’un puis l’autre au gré des récompenses. Jeu dangereux où elle y risque sa peau, mais elle se persuade qu’elle est assez maligne pour passer entre les filets.

TW sang, mort
Rayons de lune comme projecteur de la scène, les gants qui tâchent de sang et la panique qui enfle, elle s’agace sur le corps mort de ce malheureux dont elle ne respecte pas la dépouille.

Lancer de dés, Perception : Succès.

TW description meurtre
À force d’acharnement, elle repère de justesse la cause du décès.  La boîte crânienne est brisée et le sang se déverse avec plus d’amplitude. Son œil capte la pierre utilisée, jetée à quelques centimètres. Le liquide se répand et sa chaleur lui indique que le meurtre récent.

Elle n’arrive pas à se décider si son timing est correct ou catastrophique. Si c’est une chance pour elle de pister le meurtrier et au meilleur cas, de récupérer son dû, ou si elle est en danger. Dans tous les cas, avec ou sans contrat, sa vie est constamment menacée. Elle a accumulé au fil du temps, une longue liste d'ennemis.

Elle décide de suivre les traces de sang. Le meurtrier n’est pas loin, mais elle n’entend rien hormis le claquement lointain des navires du port. Comme une douce mélodie qui la disperse de son objectif. Son chant des sirènes à elle : l’envoûtement de l’océan.

Le déplacement léger, les pas feutrés, elle reste cachée sur les sillons de la nuit. Un meurtre vient de se produire et l’acteur de cet acte n’est pas loin. Ilenia est un obstacle à sa course, mais elle a peut-être l’avantage de ne pas avoir été repérée. Du moins, elle le croit. C’est alors qu’elle distingue au loin une silhouette massive. Elle grimace en voyant la montagne de chair qui se dresse entre elle et son objet de quête, mais il lui reste peut-être l’effet de surprise.

Les idées se bousculent dans sa tête sur le meilleur scénario à adopter afin d'éviter le même sort que l’homme sur la baie. Elle peut choisir de sortir de l’obscurité et de tenter un assaut à la dague. Ou alors, elle peut le suivre, et attendre le bon moment. Seulement, existe-t-il un bon moment dans ce genre de situation ?

Lancer de dés, Volonté : Échec

Alors qu’elle s’apprête à s’élancer, le courage lui manque et elle se stoppe dans son élan. Mauvaise idée Ilenia, ça ne vaut pas le coup d’y laisser sa peau. Elle préfère poursuivre sa traque dans le silence, espérant qu’une opportunité s’offre à elle.

Sans se douter un seul instant, elle suit l’individu à travers les ruelles, persuadée de n'’être que l’ombre de lui-même. Mais ce soir, sa perception est faible, troublée, l’esprit ailleurs. L’inquiétude de ne pas venir à bout de ce contrat la pousse aux erreurs et aux maladresses. Il la balade, ridiculisant ses années d’expériences, en une fraction de secondes…

Au virage d’un passage, la présence a disparu. Elle se retrouve au centre, sans mur ni protection, comme prise en flagrant délit. Elle peste intérieurement, la main vient frotter nerveusement sa tempe. Il y a des jours avec, et en l’occurrence des jours sans. La place du marché est trop vaste et la dévoile avec danger.

Lancer de dés, Agilité : Échec.

Alors que son instinct de survie tire la sonnette d’alarme, elle se retourne, comme en prenant conscience du piège dans lequel elle est tombée. Mais elle n’a le temps à rien, en une poignée de secondes, elle se sent percutée d’un choc, d’un poids, qui la déstabilise et la fait tomber sur le dos. Un mini black-out. Sonnée, elle ne parvient pas à s’extirper sous le poids massif qui l'écrase. Sa gorge est retenue d’une main, narguée par la froideur d'une lame de l’autre. Sa respiration devient de plus en plus difficile. Bouge-toi Ilenia, où tu risques d’être la seconde victime de la soirée.  

Lancer de dés, Corps à Corps : Réussite.

Une voix résonne, le timbre est familier, mais elle ne parvient pas à le restituer, l’esprit trop embrumé. Pourtant, elle parvient à rassembler toute son énergie pour saisir sa dague et lancer le premier coup. La cuisse, le flanc, le dos, peu importe, quelque chose pour le surprendre et la permettre de filer.

L’intrus est étrangement silencieux, pour quelqu’un menacé d’une lame et en très mauvaise posture. Ou alors serait-ce de la panique ? Décidément, qui que soient les gueux à nos trousses, ils n’ont pas choisi leur meilleure chair à canon. L’intrus ne répond pas à ma question, ne semble même pas l’entendre. Un bleu ? Ou simplement un jeune ? Quelque part, je suis un peu déçu.

Je ne baisse pas ma garde pour autant.

tw, violence, blessure, sang, meurtre, traumatisme, langage vulgaire.

D’ordinaire extravagante et dans l’exagération, clouée au sol, le meurtrier à son cou, elle dépeint un portrait d’elle à l’opposé de ce qu’elle montre habituellement. Pas un mot ne s’échappe. Tout ce qu’elle pense, c’est à sa survie. À se tirer d’affaires. Ce n’est pas la première fois qu’Ilenia se trouve confronter à ce genre d'évènements, mais cela n’enlève rien à l’adrénaline qui s'agite.

TW meurtre, violence, traumatisme
Face à lui, ses compétences sont inutiles, ridicules. Elle aurait mieux fait de s’en tenir aux infiltrations. Sans meurtre. Le corps sur la baie aurait dû la mettre en alerte. Le point d’honneur à arrêter le contrat. L’argent ne vaut pas la peine d’être reçu si sa carcasse est vidée de sa vie.

Alors que sa main parvient à se détacher pour frapper, elle est interceptée. Son agilité est réduite en cendre sous la force qui riposte. Elle gronde sous ce raté. Une fois de plus. De nouveau, c’est elle, que la lame taquine.

Une sensation de déjà-vu flashe dans son esprit et son corps se raidit. Ce sentiment d’humiliation qui se mêle à l’arme dansante. Son identité se découvre peu à peu sous la rencontre du tissu et du métal. Ses cheveux et son visage apparaissent réduisant à néant son anonymat, et par la même occasion sa fierté. Sentiment douloureux pour un pirate dont il ne lui reste plus que son orgueil après l'effacement d'une vie, d'un navire et de son équipage. À la croisée des regards, ces yeux ambrés lui gèle le cœur. Lui ? Sa respiration se coupe et elle s’immobilise.

La confusion la frappe. Comment peuvent-ils se retrouver dans deux contextes si distincts ? Elle ne bouge plus et ne dit plus rien. Cherchant à remettre de l’ordre dans son esprit, mais elle n’y parvient pas.

Depuis leur rencontre, elle n’est pas retournée au Carmin. Pourquoi ? Elle ne le sait pas. Ils ne sont pas engagés, chacun libre de reprendre leur vie où ils l'ont laissé, mais depuis quelques jours, Ilenia a l’esprit agité, dissipé.

TW blessure, sang, violence, traumatisme
Le souvenir s’efface après que la plaie se trace. « Aïe » souffle-t-elle, les sourcils se froncent sur la douleur plus vive. L’entaille est profonde, une larme de sang s’en écoule. Le flashback lui revient. Ces dix ans plus tôt. La vingtaine à peine atteinte, le visage mutilé sous les caprices d’un monstre.

Les effluves du passé remontent et son estomac se tord. Lorsqu’il se relève, elle redresse le dos, une main appuyée au sol, l’autre essuie cette lèvre coupée, faisant perler au sol quelques gouttes de son carmin.

Alors qu’elle ne bouge pas, elle le regarde s’éloigner, sans perdre de vue son objectif. Il est peut-être aussi cruel que le fantôme de son passé, ou peut être pas, mais elle ne peut le laisser filer sans un mot. Sa rage éclate. Sa voix est teintée d’une noirceur qu’elle pensait enterrée « Rends-moi cette putain de note ! » Les jambes en coton, elle se force à se relever. Mission de merde. Elle ne sait pas pourquoi, mais elle ne peut pas s’arrêter là. Elle doit aller au bout des choses. Par honneur. Par fierté. Pour retrouver sa gloire passée qui vient d’être piétinée. Elle le suit. Elle ne sait pas encore ce qu’elle peut ou va faire, mais il lui faut absolument aller au bout de ce contrat.

J’aurais pu la tuer. C’est vrai, une nuisance de moins, un obstacle de moins dans ma mission. Une tâche simple, je suis armé, elle est à ma merci. Un simple coup, une simple ligne écarlate et tout est fini pour elle.

Et pourtant, rien de tout ça ne s’est produit. Pour une raison, toute simple : ses yeux. L’effroi dans son regard. Une peur silencieuse, étranglée. Je connais ce regard. Cet affreux regard, qui apparaît quand je ferme les paupières. Les larmes sèches. Les cernes pour un si jeune âge. Une terreur sans nom, avant que ce regard ne perde sa lumière. Que le sang ruisselle de son ventre. Que ses épaules se relâchent. Que son souffle s’écoule une dernière fois dans un tremblement sinistre.

Je secoue la tête, la respiration plus rude. Mais si je me croyais tiré d’affaires, sa voix me parvient. Un cri tout droit sorti du cœur, la peur dans son plus pur état.

Rends-moi cette putain de note !

Sa voix continue de résonner dans mon crâne, tandis que je parcours rapidement les rues. Et ses yeux ne me quittent plus. Le son se tord, le sens de chaque parole, de chaque mot, de chaque syllabe s’envole. Il ne reste que cette plainte qui a déchiré le ciel aveugle, ce désespoir et cette rage indescriptibles, et pourtant si explosives.

Je m’essouffle. Me réfugie dans l’ombre d’une ruelle. M’effondre contre le mur, le cœur en feu. Le monde bascule autour de moi. Se compresse contre mon crâne. De la sueur froide perle de ma nuque, tandis que mon corps chute lourdement contre le mur. Le souffle court soulève péniblement la cage thoracique. Merde. Merde merde merde. Pas ici. Pas maintenant. Pas pour elle.

Mais ce regard.

Peut-être l’aurait-il tué ? Une fin si dramatique à une rencontre amusante. Aux jeux de regards qui s’éteignent sous la cendre d’un enjeu qui les dépasse. Elle a signé pour un contrat, probablement qu’il en est de même pour lui. Elle n’en sait rien. Elle ne sait toujours rien de lui, sauf le surnom qu’elle lui a donné.

Alors que la scène fait écho à des souvenirs qu’elle aurait aimé enterrer, où le palpitant saccade comme étouffé d'un cauchemar ressuscité, leurs iris se fixent dans une toute autre atmosphère. Elle voit se superposer sur lui, le fantôme de son passé.

Mais sans comprendre ce qu’il se passe, il la marque sur son visage et prend la fuite. Une nouvelle cicatrice qui s’ajoute à l’ancienne. Creuser dans une situation similaire. Ou presque.

Alors que le revers de sa main essuie le sang qui coule sur son visage, elle puisse dans toute sa force pour se relever. Elle ne peut pas le laisser filer ainsi. Elle doit récupérer la note, et sur l’ordre qu’elle fait résonner de sa voix, il n’en reste qu’un silence assourdissant.

La nuit est tombée, et même si son esprit est secoué, elle parvient à courir le long des rues, toujours animée d’une même adrénaline pour le rejoindre et récupérer la note qu’il a prise sur sa cible.

Pour autant, alors qu’elle titube sous l’émotion, elle le retrouve effondré contre un mur. Que fait-il ? La situation n’a plus aucun sens. Ilenia est partagée par un amas d’émotions. La rage, la haine, la confusion. Ses pas claquent jusqu’à se trouver face à quelques centimètres de lui.

Elle reconnaît cette réaction. Un corps qui tremble sous une respiration qui disparaît. Est-ce une blague ? Une blague de mauvais goût pour la piéger ? Elle pourrait lui rendre la monnaie de sa pièce. Abattre le coup de poignard pour lui ôter la vie et remplir son contrat. N’est-ce pas là ce qu’il a voulu faire ? Pourtant, malgré la folie qui vient de se passer, la colère qu’elle ressent, elle n'est pas un assassin. Elle s’accroupie, se met à son niveau et l’observe silencieusement en retirant l’un de ses gants. Sa main se glisse sur le front masculin et elle y décèle de la sueur.

Les lèvres toujours closes, elle reconnaît ce type de réactions. Elle l’a déjà vu, auprès de son équipage, où certains matelots n’ont pas supporté les aléas de leur vie, de la violence et de la cruauté dont ils sont parfois confrontés.

Dans cet état, ils ne peuvent rien faire, et si elle souhaite qu’il lui donne plus d’informations sur ce qu’il se passe, elle doit l’aider. Alors Ilenia reprend ses vieilles habitudes de Capitaine. Ses mains viennent se poser autour du visage du Loup, afin de la relever lentement vers elle. « Regarde-moi » le souffle court, elle tente de le faire revenir. Son expression est neutre, elle n’exprime ni peur, ni joie, juste de la fatigue. Alors elle inspire, longuement et à plein poumon comme pour lui montrer la marche à suivre « Inspire, expire » puis elle souffle et recommence plusieurs fois jusqu’à temps qu’il l’imite et revienne à lui-même.

Le monde commence à m’échapper. Comme ce cercle vicieux où on s’interdit de penser à quelque chose, et que ce cerveau têtu et stupide le fait par cette seule évocation. Il me semble presque sentir l’humidité et la chaleur, le soleil matinal qui effleure mon visage .. Mais quelque chose de froid se pose contre mon front. Je recule dans un réflexe, réalisant, en me cognant assez fort l’arrière de mon crâne, que je ne peux pas reculer. Une douleur vive, mais qui réveille. Réveille un peu trop, peut-être.

C’est alors que je la vois. Ou plutôt, c’est alors que ses mains encadrent mon visage avec une douceur singulière, que mes yeux sont remontés vers les siens. Elle peut arrêter cette comédie et me tuer, à la place. Mais ses yeux sont sans vie, comme un fantôme qui me toise. Je lève les yeux ; ils papillonnent, se baissent, glissent sur la droite.

- « Regarde-moi. »

Un ordre qui claque sèchement. Une inquiétude qui transcende ses paroles. Mon souffle devient plus bruyant. D’un mouvement pas si brusque que ça de la tête, j’essaie de me défaire de son emprise, de lui échapper. De fuir. Encore. Mais ses mains tiennent bon, non sans manquer de compassion, de patience. Elle sait ce que c’est. Tout comme moi, je le sais. Réhabiliter un soldat qui en a trop fait, qui perd le contrôle de son corps et de son esprit. Demeurer ferme, quoiqu’inquiet, mais impassible, inébranlable pour le rassurer. Lui souffler les bonnes paroles, le ramener sur terre.

Ses mains insistent sans forcer pour autant, et mes yeux se ferment, brouillés ou simplement ailleurs. Elle ne doit pas voir ça. Personne ne le doit. Je serre les dents, ravalant un râle amer, tordu. Mais le chaton ne se décourage pas pour autant ; sa voix, ses mots, sa douceur et sa fermeté me parviennent à nouveau.

- « Inspire, expire. »

Une certaine folie m’incite à essayer. Mais ça fait mal. Mon coeur va exploser. Ou si ce n’est pas mon coeur, ce seront mes poumons qui vont se compresser à leur paroxysme. Je relâche la cadence amoindrie, essoufflé. Je porte alors une main tremblante à ma poitrine, comme pour empêcher mon cœur de performer mon sternum et de se jeter à l’eau.  L’autre s’accroche à elle, n’importe où, je m’en fiche. Mais je m’ancre. Je m’extirpe de cette chute dans le temps, me raccroche à elle car ma vie en dépend. Mon corps se penche, mon front s’appuie également contre elle, et je sens son souffle effleurer ma peau. Un air si tranquille, si stable. Je réessaie à nouveau. Manque de souffle. Avale péniblement ma salive. Soupire comme si j’avais suffoqué dans la mer pendant plusieurs minutes. Je réessaie encore. Mes épaules se relâchent, et mon attention est entièrement accaparé par cette femme. Ce parfum d’épices qui virevolte, ses doigts qui vont et viennent contre mes joues, sa chaleur, son parfum.

Je soupire une dernière fois, avant d’ouvrir à nouveau les yeux.

Les siens m’observent avec attention, et de m’y loger enfin me détend pour de bon. Je renifle péniblement, passe une main tremblante sur mes yeux, les retrouve. La nuit retrouve son silence. Nous sommes au port de Cairnayr. Je ferme les yeux un instant pour pleinement retrouver mes esprits.

- « Pourquoi ? »

Ma voix est malade, irrite la gorge, plus grave que d’habitude. Ma voix est vide, monotone, lente. Je ne sais même pas à quel “pourquoi” je tiens à ce qu’elle réponde.

Un traumatisme qui s’éveille contre un autre. Ilenia a pourtant appris à faire face à ses peurs. À transformer cette émotion en une rage qu’elle utilise comme moteur pour avancer. Elle s’est construite elle-même, s’est retrouvée confrontée aux épreuves avec dureté, sans échappatoire. Là où il faut y faire face ou couler.

Alors qu’elle se sent encore imprégner d’une présence dont elle ne pourra jamais totalement se défaire, elle refuse que son ombre prenne possession d’elle. Elle refuse à lui donner ce pouvoir. Elle prend sur elle, puise dans ses profondeurs pour se relever et s’attarde sur sa rage, comme elle le fait depuis des années.

Elle s’accroche aveuglément à ce contrat. Un mélange de cupidité, d’orgueil et d’entêtement. Un but, un tracé droit qui l'empêche de s’égarer.

Pourtant, en le retrouvant à terre, elle ne cherche pas à l’évincer. Ilenia est peut être égoïste mais elle n’est pas cruelle. Ses mains encadrent d’abord son visage, poussant de son pouce les cheveux collés sur le front humide. Elle l’appelle. Devient un phare dans la tempête. Le guide à revenir à lui. À se calmer. À s’apaiser. Ils discuteront après.

Les premiers instants, Miche semble résister à l’aide qu’elle lui propose, mais étant du même bois que lui, elle ne se dérobe pas et continue. Concentrée et minutieuse, consciente de l’intensité que le corps traverse dans ce genre de crises, elle lui donne toute son attention et se fait pilier dans sa noyade. Elle lui tend une voie, une issue où il n’y a que lui pour choisir si oui ou non, il l’accepte.

Son regard le fixe avec intensité, alors que les siens se couvrent de leurs paupières. Deux mots s’alternent doucement, lui indiquant la marche à suivre, à accueillir un air nouveau dans ses poumons, à revenir à la surface.

« Même si ça te fait mal à en crever, respire, tu ne vas pas en mourir, je te l’assure. » Elle le sait. Que sous la panique, les illusions sont menteuses. Miche a besoin de prendre part à cet acte de courage pour s’extirper de son cauchemar. « Je sais que tu en es capable » elle en est même persuadée. Elle a déjà été confrontée à sa force et à sa volonté.

Elle l’observe reprendre contrôle de son corps. La main de l’homme s’accroche sur le cœur, l’autre reste auprès d'elle. Il tremble toujours mais elle ne flanche pas. « Allez, tu peux le faire » souffle-t-elle. À demi-mots. Parle-t-elle à Miche ou à elle-même ?

Il s’accroche, penche puis son front tombe contre le sien. Elle reste immobile, avant de faire retomber ses mains sur son avant-bras. Il est revenu.

Quand Miche ouvre les yeux, elle brise leur contact physique, leurs peaux s’éloignent l’une de l’autre mais leur proximité est intacte. Lui, cesse le silence d’une voix rocailleuse. Pourquoi ? Le mot résonne dans les échos de la nuit. Elle se perd un instant dans ses pensées, ses yeux se baissent et deviennent vagues. Elle ne le sait pas.

Incapable de l’avouer, elle retourne vers la réponse qui l’a poussé à le suivre. Après une longue inspiration, quelques mots lui échappent. « Je suis sur un contrat, j’ai besoin de récupérer la note que tu as prise sur le mec de la baie » mais son expression la trahit. « Aide moi et on sera quitte. Je ne te tiendrais pas rigueur de ce qu’il s’est passé plus tôt. » Les mots se succèdent sans qu’elle ne prenne la peine de réfléchir, demandant pour la première fois de sa vie, de l’aide.  

Je sais que tu en es capable.

Cela pourrait n’être que des paroles en l’air. De faux encouragements pour rassurer. Un prétexte pour que la douleur passe. Qu’on passe enfin à autre chose. Que tout s’arrête. Pourtant, je la crois, oui. Je l’ai vu dans son regard de vin sophistiqué, dans ses gestes. Elle sait ce que c’est. Mais comment peut-elle être si certaine que je vais m’en sortir ? Que j’ai les épaules encore suffisamment solides ? Comment peut-elle être si certaine que j’en suis capable ?

Mais en effet, je m’en suis sorti. Mon souffle s’agite encore un peu.

Je ne peux que contempler ce présent à présent suspendu. Lorsque ma question, dans un murmure raclé contre l’air, s’envole de mes lèvres, cette étincelle dans ses yeux s’envole. Je regrette presque d’avoir parlé. Ne serait-ce que pour émettre un seul mot. C’est à mon tour de remonter les mains vers son visage, mais ces dernières se figent lorsqu’elle retrouve enfin l’usage de la parole.

- « Je suis sur un contrat, j’ai besoin de récupérer la note que tu as prise sur le mec de la baie. »

Mes sourcils se froncent, mes bras retombent lentement. Oui. Les infos. Putain. Mais un rire amer entrouvre mes lèvres, tandis que je lui adresse un regard qui accorde la pitié à celui ou celle qui en a besoin. Mais le chaton n’a pas fini de surprendre, évidemment.

- « Aide moi et on sera quitte. Je ne te tiendrais pas rigueur de ce qu’il s’est passé plus tôt. »

J’avale ma salive, passe une main sur mon visage pour ne pas perdre en rigueur. Je ne veux pas penser à ce plus tôt. Mais surtout ; elle me demande de l’aide, maintenant ? Je peste d’un rire rauque plus dissonant que le précédent.

- « Tu te fous de moi, là .. »

Je me pince l’arête du nez, ravalant ces paroles dans un souffle de dépit. Les doigts glissent sur mon visage, remontent dans mes cheveux. C’est vraiment une satire, cette vie.

- « Je ne suis pas sur un contrat, chaton. Ces informations, ce sont les miennes. Et je ne les ai pas sur moi. Il faut croire que l’autre rat avait un complice. »

J’observe sa réaction, relève un sourcil.

- « Il semblerait que cette information ne t’a pas été communiquée. C’est dire l’étendue de leur confiance. »

Ce ne sont pas des informations cruciales, mais il est nécessaire de ne pas se laisser dominer. La pègre est un milieu suffisamment complexe, si en plus on se repose sur nos lauriers, .. Je hausse des épaules, ma vigueur précédente retrouvée pleinement.

- « Écoute, nous allons faire simple. T’en veux pour ton argent, je veux mes informations dérobées. Et la seule chose que tu obtiendras à te dresser sur mon chemin c’est la mort, ou pire. Par conséquent .. si je te paie, on s’en débarrasse ensemble. Ça te va ? »

Faire pour le plaisir de faire, je n’y crois pas. La patronne a toujours eu cette philosophie de l’argent, que ça peut tout acheter. Les silences, les confessions, les mensonges, les avances, .. Et il faut dire que parfois, elle vise juste.

- « Par contre, il va me falloir un petit remontant, après toute cette agitation .. »

Je tends la main devant moi, signe désuet pour signifier notre accord potentiel. J’attends sa réponse à ma proposition. Ou plutôt mes propositions.

Elle s’applique, à le tirer hors de l’eau, à le faire revenir à la surface, à apaiser cette panique qui le dévore. Elle ne sait pas trop pourquoi et quand il lui demande, elle ne parvient pas à y répondre, perdant de son assurance.

Le sérieux revient sur le plateau, comme pour balayer toute trace de vulnérabilité. Elle veut, ce pour quoi elle est là. La franchise cisaille. Remettant chacun dans son rôle de départ. Pourtant, Ilenia ne ferme pas la porte, elle lui propose un marché, un deal. Une alliance pour cesser ce combat qui ne leur sert pas. Mais à observer le visage du Loup, elle se rend compte qu’elle fait fausse route.

À sa réponse, ses traits se durcissent. Elle se relève et soupire bruyamment. Ça lui apprendra à demander de l’aide. Et la suite ne vient que la crisper d’autant plus. Il n’est pas sur un contrat, il veut récupérer des infos qui lui appartiennent. Quand il lui précise qu’il ne les a pas sur lui, elle tourne la tête, comme pour chercher dans le paysage, une trace, un indice pour repartir. Putain, elle vient de perdre son temps avec lui pour rien. « Ce n’est pas une question de confiance, on nous file des contrats, on accepte ou non et on ne pose pas de question. » Son regard revient à lui « La preuve, je ne t’en ai posé aucune depuis notre rencontre, et ça t’arrange comme ça m’arrange. » Le ton est sec, sa patience diminuée. À quoi joue-t-il ?

Alors qu’elle pense être à terme de cet agaçant échange, elle manque de s’étouffer sur la suite de ses mots. La seule chose que tu obtiendras à te dresser sur mon chemin c’est la mort, ou pire. Sérieusement ? Après lui avoir tendu une main alors qu’elle aurait pu en tirer profit ? Son rire claque, son visage s’arme d’aigreur et sa colère, prête à exploser « La mort ? Vraiment ? » Furieuse, elle s’approche de lui, la main s’agrippe autour du cou épais et ses lèvres se plaquent contre son oreille « Vas-y, termine ce que t’as commencé. »

Mais il cherche à lui proposer un deal qu’elle ne veut pas entendre, bien trop contrariée de l’avoir aidé pour se prendre ce genre de menace dans la figure. « Tu me dégoutes, même les pirates ont un meilleur sens de l’honneur. J’aurais dû te laisser par terre. » Son cœur et son estomac se serrent. Elle se relève de nouveau, réajuste ses cheveux, dont la couverture a été détruite plus tôt. Quand elle l’entend lui réclamer un remontant, alors qu’elle s’est éloignée de quelques pas, elle lui répond de toute sa fierté « Ouais c’est ça, c’est moi qui ai besoin d’un remontant, après cette soirée de merde. »

L’agacement se lit à la révélation que je lui fais. A quoi pensait-elle, que ce travail serait facile ? La pauvre, ça se voit qu’elle n’a pas l’habitude de travailler à Starkhaven. C’est à s’en arracher les cheveux. Lorsqu’elle s’éloigne, je me redresse dans mon assise, dos au mur, le regard à nouveau impassible. Qu’espère-t-elle, que je vais la laisser si aimablement me prendre ce qui est à moi ? On n’est pas dans un conte, tout de même.

- « Ce n’est pas une question de confiance, on nous file des contrats, on accepte ou non et on ne pose pas de question. La preuve, je ne t’en ai posé aucune depuis notre rencontre, et ça t’arrange comme ça m’arrange. »
- « La preuve, t’es maintenant aux trousses de ton propre allié qui ne l’est pas vraiment, et tu ne toucheras pas ta récompense. »

Je hausse des épaules. On ne peut pas être à ce point entêté, si ? Mais bon, pour alléger sa peine, et surtout mettre un terme à cette histoire, autant lui proposer un contrat pour contrer l’inutile qu’elle ne remplira pas, n’est-ce pas. Sa réaction, une fois de plus, me prend de court. Elle .. s’énerve ?

- « La mort ? Vraiment ? »
- « Le travail, c’est le travail, chaton. »

Mais à peine le temps d’émettre cette si courte phrase qu’elle m’attrape à la gorge et se presse contre moi avec une certaine vigueur. Mon souffle est avalé de travers, tandis que son parfum épicé envahit mes sens. Que je sens son souffle effleurer mon oreille. Un souffle sec, nerveux. La pression qu’elle exerce sur ma gorge en effrayerait plus d’un, mais en l’occurrence, sa main est si petite, si délicate, comparé à mon cou. Une pression non négligeable, sans pour autant se révéler dangereuse. Ce n’est vraiment pas le moment de se laisser aller dans ces réflexions mielleuses. Mais elle est encore plus attirante quand elle est furieuse. Je peste en silence.

Putain, cette femme.

- « Vas-y, termine ce que t’as commencé. »

L’ordre sonne d’un claquement aride. Les précédentes pensées sont loin de s’arrêter, déterminées à me retourner le cerveau alors qu’elle s’oppose parfaitement à l’ordre des choses. Que je vais devoir me débarrasser d’elle une bonne fois pour toute si elle n’arrête pas d’être autant butée. Mais elle en rajoute une couche, une couche qui à mon tour m’agace.

- « Tu me dégoutes, même les pirates ont un meilleur sens de l’honneur. J’aurais dû te laisser par terre. »

Les pirates, hein. Un sens de l’honneur, hein. Ce n’est pas parce que je ne suis pas la première inconnue qui vient à moi pour passer la nuit la plus torride qu’il m’ait été donné d’avoir que je n’ai pas de sens de l’honneur. C’est même l’entier inverse. J’en viens presque à regretter ce bon temps, cette nuit ardente, si c’est pour me mêler à une femme qui, dans le fond, joue contre moi. Le travail aurait été bien plus simple.

Elle s’éloigne.

Je me relève pleinement, l’observe un instant, et parle de mon petit remontant nécessaire de par cette nuit catastrophique. Sa réponse, bien que vive dans sa fureur, m’amuse un peu dans le fond.

- « Ouais c’est ça, c’est moi qui ai besoin d’un remontant, après cette soirée de merde. »
- « Parfait, ça nous fait un autre point commun. »

D’où vient cette irrésistible envie de flirter avec le danger même ? Aucune idée. Peut-être que c’est à force de travailler à Starkhaven, on commence à agir de façon totalement stupide et imprévisible. Je roule des épaules, reprends mon souffle, et part dans une direction totalement autre du chaton trop sûr de lui qui s’éloigne.

Il me faut me concentrer. Je ne peux pas la laisser mener son contrat à terme, mais la tuer n’est pas non plus la meilleure option. Et puisqu’elle refuse une compensation pour le contrat qu’elle ne finira jamais, eh bien .. Je vais devoir redoubler d’ardeur pour retrouver le puceron, qui a sûrement filé des quais depuis un moment. Une nuit désastreuse, clairement. J’aurais perdu mes infos, et elle ne toucherait pas son argent. A qui la faute, on se le demande.

Je me faufile dans les ruelles, alerte au possible. Il avait fui dans cette direction, précédemment. La nuit retrouve son calme appréciable, le vent porte les échos des pas de chaton qui s’éloignent toujours plus. Enfin la paix. Putain.

Un marché lui est proposé, mais elle ne l’entend pas. Obstinée par sa propre façon de faire. Embrouillée par les aléas que cette nuit a enchaîné. Pourtant, ne dit-on pas l’on va plus vite tout seul mais plus loin ensemble ? Un concept qu’elle conçoit difficilement.

Il revient sur sa pensée. Ils sont alliés. Bien que leur notion d’alliance soit ponctuée sous la crise de leurs égos. Aucun des deux ne veut lâcher le morceau. Chacun possède ses propres conditions.

Le Loup du Carmin lui propose de l’argent. Une proposition honnête qu’elle aurait pu accepter dans d’autres circonstances, mais elle s’agace. Elle s’agace de son incandescence, comme un vilain reflet d’elle-même.

Alors elle s’en va, préférant se concentrer sur l’essentiel, et tenter de réparer les pots cassés d’une traque ratée. Enfin, pas totalement ratée, elle a intercepté le bon type et a même obtenu des informations utiles. Certes, pas celles dont elle s’attendait, mais utiles.

Ilenia est un intermédiaire dans cette course. Que la note revienne dans un camp ou l’autre, finalement, elle s’en fiche. Tout ce qui l’intéresse, c’est de ne pas y laisser sa peau, et si elle peut toucher la somme prévue, c’est le combo est gagnant. Si elle s’associe au Loup, son client risque d’envoyer des représailles, et si elle reste fidèle au contrat, elle risque la colère du vigie.

Des hypothèses se dessinent dans son esprit, des scènes, qu’elle balaie de la main pour reprendre sa concentration. Dans le fond, elle l’apprécie, mais elle n’est pas sûre de pouvoir lui faire confiance.

Alors qu’elle remet sa capuche et ses gants, Ilenia reprend la route. Elle connaît un passage dans les ruelles, qui permet de rejoindre les réseaux souterrains. Elle a peut-être une chance de retrouver le messager. Des bruits de pas sonnent en écho, comme quelqu’un qui se rapproche. L’adrénaline reprend comme un souffle d’espoir. Sous la bonne intuition, elle aperçoit une silhouette qui s'anime et elle s'active pour le rejoindre, mais d’autres pas sonnent derrière elle.

Le messager prend conscience que sa sécurité tient sur un fil. Que sa mission peut s'écourter en un fragment de seconde. Conscient des risques, il file sur la droite, longe une rue étroite, prend sur la gauche et s'élance à plein poumons à l'arrière du port. Un endroit caché par une masse rocheuse, où une petite barque l'attend, comme un plan de secours. Ilenia redouble d'effort pour l'atteindre. Son poids plume est un avantage dans sa course et alors que sa main effleure le dos du messager, elle remarque qu'un autre complice l'attend dans leur embarquation. Ce dernier s'élance et ils prennent le large, faisant vibrer les ondes de l'eau.

Son coeur tape puissamment dans sa poitrine, elle tente de reprendre son souffle mais se murmure à elle-même « Je sais par où ils vont passer ». Idéalement, il lui faudrait un bateau pour ça. Elle connaît les routes maritimes sur le bout des doigts, et la rivière est un terrain prévisible, elle pourrait facilement reprendre la main.

Enfin la paix, mais je ne suis pas tiré d’affaire pour autant.

Je poursuis ma route, fouine où je peux fouiner, longe les docks. Pour se tirer d’affaires rapidement, la rivière est une bonne approche, et c’est la direction qu’il a prise à l’origine sans se méfier. Je remonte donc les nombreux quais des alentours, et alors que mes nerfs s’impatientent gentiment, j’entends des pas. Plusieurs, même. Oh ? Je prends ce bruit en filature dans une rue parallèle, avant d’apercevoir la scène : chaton l’a trouvé avant moi, ce qui m’emmerde, mais aussi, une barque l’attend. Une barque qui se met en route, alors que la belle impertinente s’arrête.

Une aubaine.

Sans réfléchir davantage, plus par fierté que par obligation, je m’élance à vive allure sur le quai, le souffle court. Je le traverse, la devance sans peine, et m’élance du quai avec l'espoir d’attraper ces salauds.

Alors qu’elle cherche mentalement, la meilleure option entre se jeter à l’eau, voler une barque, ou courir le long de la baie, elle voit une ombre s’élancer devant elle. Le poids entre en contact avec l’eau et provoque un bruit assourdissant. La vue du spectacle la laisse bouche bée. Le Loup Blanc a raté son saut. Le genre d’épreuve qu’elle et son équipage donne à tous ceux qui veulent monter à bord du Silver Blade, et là, c'est un beau raté. Alors qu’un sourire commence à se tracer, il s’efface quand elle s'aperçoit le Capitaine de la barque, lui donner un coup de rame. Est-ce que le destin ne lui rend-t-il pas un peu monnaie de sa pièce ?

L’hésitation se naît à lui porter secours. Elle le sait, si elle le fait, elle n’y gagnera rien. Il a été très clair là-dessus, mais encore une fois, il faut croire qu’elle a d'autres motivations...

Elle balaie la scène d’un œil rapide et attentif, et repère un vieux bateau de pêcheur. Sans tarder, elle grimpe et s’active à les rejoindre, arrivant sans trop de difficulté à la hauteur de son rival. « Vite, monte, je vais faire diversion. »

Lancer de dés, Agilité : Échec.

Aussitôt, elle se lève, l’équilibre bon, l’appuie sur les deux pieds, mais au moment de s’élancer, Miche fait trembler son navire de fortune et elle retombe sur les fesses. Ce mec lui porte la poisse.

Lancer de dés, Chance : Succès.

Prête à marmonner tout un tas de jurons, frustrée par ces performances de la soirée, elle arque d'un sourcil lorsqu'elle aperçoit une petite caisse. En l’ouvrant, deux petites fioles y sont rangées, une abimée et une intacte. Coup de chance, le matériel est encore là, comme pour assurer le pêcheur d'une protection en cas de soucis. Dans l’urgence de la situation, elle se positionne, tire Miche vers elle et lui crie « À terre ! » avant de lancer l’objet en direction de la barque. Le verre se brise et un nuage de confusion s’en disperse. Pas d'explosion ? Non ? Un peu décue, bien qu'elle ne traîne pas, Ilenia retire sa cape et la tend à Miche pour qu'il se cache la bouche et le nez « Prends ça et va chercher ce putain de papier. » Elle contourne le nuage de fumée et navigue de sorte à permettre à Miche, un accès efficace.  

Suis-je péniblement têtu ? Assurément. Lorsqu’on m’assigne une tâche, je la mène jusqu’au bout, quitte à mourir d’hypothermie à la fin. Est-elle plus péniblement têtue que moi, mais plus raisonnable ? Certainement. Car la voilà qui débarque à ma hauteur, me prenant en pitié une fois de plus. Je ne vais pas lutter plus longtemps, car mes muscles fatiguent, mon souffle s’use, et honnêtement, je crois bien que mes os ont glacé à ce stade.

- « Vite, monte, je vais faire diversion. »

Je pousse un râle tremblant, mais accepte quand même son coup de main, même si ça va me valoir une raillerie ou une dette, selon son humeur. Mais mon regard ne manque pas sa tentative de sauter, et une idée émerge dans mon esprit. Je prends bien le temps d’appuyer maladroitement tout mon poids sur la barque, histoire de la faire chavirer un peu. Ce qui marche très bien. Je la regarde tomber, sourire aux lèvres, avant de me laisser retomber dans la barque, sur le côté. Les planches heurtent mon bras et ma tête, mais honnêtement je ne suis plus à ça près. Mon souffle est incontrôlable, mon corps complet tremble, et je suis là, à moitié à l’ouest, les yeux rivés vers ce ciel obscur.

J’entends chaton jurer, avant de se faufiler ailleurs. Je me redresse du mieux que je peux, observe avec autant de mal que de curiosité ce qu’elle fabrique. Mais pas le temps de poser la moindre question qu’elle m’attrape et me ramène en bas. Son “À terre !” résonne, avant un bruit de verre brisé. Lorsque je relève la tête, la barque d’à côté est noyée d’une fumée relativement épaisse. Je secoue la tête, cherchant à retrouver une certaine vigueur, mais déjà elle arrive vers moi, plaque un tissu contre mon visage. Probablement histoire de me faire comprendre où c’est censé aller.

- « Prends ça et va chercher ce putain de papier. »

Oh. je souris.

J’enroule son offrande sèche et chaude autour de ma nuque, et réalise avec un effroi ravi que son odeur est ancrée dans ce tissu, même légèrement. Mais hélas, ce n’est pas le moment de se perdre dans ses sens. Mais peut-être après. A voir si mes talents de négociateur existent toujours. Je secoue un peu mes bras et mes jambes pour les raffermir, et lorsqu’elle s’approche de l’autre barque, je m’élance cette fois-ci avec nettement plus d’aisance. J’inspire lentement, expire sur la même cadence, et m’élance.

J’atteins le premier à l’arrière du genou, d’un coup de pied habile. Puis, après quelques pas de recul pour éviter des assauts au couteau, j’attrape l’autre rame, la brandit devant moi. Oh oui ça va chier. Une première parade, une autre, et un coup dans la gorge pour le complice – ce n’est pas du tout gratuit. En soi, le papier doit être écrit grossièrement, donc un peu d’eau et le message est complètement foutu. Je fracasse la rame sur son crâne, avant de le pousser, le bout de la rame plantée contre son sternum, hors de la barque. Je lâche mon arme, me retourne vers le second qui tente de fuir à la nage. Ha, quel abruti. Mais évidemment, je l’attrape par la jambe, le traîne dans la barque, qui tangue sous nos activités physiques. Le puceron retient un cri d’épouvante, les yeux sur le point d’exploser tant ils sortent de leurs orbites. L’attrapant à la gorge, je hausse des épaules avant de fracasser sa tête contre la barque. Son visage se ferme aussitôt, son corps se ramollit, mais heureusement pour lui, j’y suis allé tranquillement. Juste de quoi le sonner. Puis commence la minutieuse tâche de fouille, dans ses poches, dans ses bourses.

Le voilà, ce petit con.

Je le garde bien en main, vu comment je suis trempé de chez trempé. Mais une putain de bonne chose faite bordel. Je me relève, titube un peu, regagne l’autre barque. Je l’observe, hausse des épaules, me laisse tomber dans la barque, qui chahute sous l’impact. Oh putain j’en peux plus. Quelle putain de journée.

- « Ma proposition tient toujours, au fait. »

Pourquoi il faut toujours que je m’attarde, avec elle ?

Une longue soirée. Mouvementée. Animée. Pleine de contre-sens et d’émotions. À tout moment, elle aurait pu reprendre l’avantage. Durant sa crise de panique, ou durant sa noyade. Mais elle ne l’a pas fait. Elle ne sait pas trop pourquoi. Peut-être par nostalgie. Une nostalgie d’aventures. De ses chasses aux trésors. De ses guerres des mers. Elle retrouve chez le Loup, un compagnon de fortune. Un allié à la tête aussi brûlée qu’elle. Peut-être même qu’elle s’est amusée. Trop longtemps sur les routes solitaires. Elle ne partage pas ce genre d’expérience avec la Compagnie. Elle préfère leur cacher cette partie d’elle, elle préfère les préserver de ses déboires.

Alors qu’Ilenia navigue pour frayer un chemin à Miche, celui-ci ne rate pas l’occasion et se faufile avec l’amertume de faire payer le coup qu’il a pris. À cause du brouillard, la Roue ne voit rien, mais elle entend le bruit des os et des coups. Les grognements et les gémissements. Dans l’attente qu’il récupère le message, elle s’allonge sur la barque et fixe les cieux. Elle ne sait pas ce que contient ce bout de papier, peut-être même qu’elle s’en fiche, mais elle devra assurément répondre de son échec. Et si elle partait ? Si elle quittait Starkhaven ?

Elle s’extirpe de ses pensées quand son acolyte revient dans la barque. Elle ne bouge pas, reste allongée, et l’observe longuement. Il semble afficher un air victorieux, qui lui provoque un sourire. Il se laisse tomber à côté d’elle et son poids secoue le navire qui les porte. Sa voix perce le silence. Un silence sourd après le grabuge qu’ils ont fait. Sa proposition tient toujours. La tête féminine pivote légèrement vers lui, le ton taquin. « Tu parles du remontant ou de l'argent ? » Elle sourit, sans vraiment y mettre du cœur, pensive. « Il me faut surtout quelqu’un pour me protéger de possibles représailles. » Sa main vient se caler sous son menton. « Ou alors si tu me payes la somme que je devais percevoir, je pourrais quitter Starkhaven. » Une solution difficile mais possible si les choses dégénèrent. « On verra bien. » Elle soupire, ce n’est pas comme si son sort lui importait vraiment.

Pour le moment, elle ne préfère pas y penser, elle n’a pas l’énergie à ça. Ilenia roule doucement pour se caler contre lui. Son index vient tapoter sur sa bouche. « Tu ne veux pas plutôt me remercier, de t’avoir sauvé deux fois ? » Et sous les mots un large sourire se fend sur son visage laiteux, au point où la cicatrice fraîchement tracée lui fait mal sous l’expression. « Et t’excuser pour ça. » Son doigt quitte les lèvres masculines pour se poser sur la coupure avec douceur. « Je suis sûre qu’on peut trouver un terrain d’entente, non ? »

Une fois la tempête passée, le doux visage de chaton retrouve sa splendeur et son air taquin, enjôleur. Haa, si elle pouvait arrêter d’être aussi .. Enfin.

- « Tu parles du remontant ou de l'argent ? »
- « Les trois. »

Je me souviens très bien avoir laissé une porte pour elle, porte ouverte qu’elle n’a jamais osé franchir en quoi, deux semaines ? Deux longues et honteuses semaines, à guetter son arrivée du coin de l'œil, mais rien. Tristement rien. Mais bon, nous sommes tous deux dans un bateau, je suis trempé d’eau froide, et la mission est terminée. Mais sa tête est ailleurs.

- « Il me faut surtout quelqu’un pour me protéger de possibles représailles. »

Je hausse des épaules, les yeux rivés vers le ciel. Une protection, hein ? C’est qu’elle s’est mise dans un sacré pétrin, la petite. Mais la suite m’arrache un râle presque automatique.

- « Ou alors si tu me payes la somme que je devais percevoir et je pourrais quitter Starkhaven. »

Quitter Starkhaven. Pour aller où ? Et pourquoi ? Des broutilles, voilà pourquoi. Je m’indigne en silence, même que bon ; en quoi ça me regarde ? C’est vrai, elle fait sa vie, je fais la mienne, .. Mais elle a sûrement dû y déceler quelque chose, dans mon râle, car la voilà à tempérer ses propos.

- « On verra bien. »
- « C’est la merde partout, de toute façon. Partir ou rester ne changera pas grand-chose. »

La seule différence étant que je ne serai plus là pour l’emmerder et combler ses nuits. Et ça, ce n’est pas une vision qui m’enchante. C’est vrai, maintenant que la soirée est passée, finalement on s’était bien amusé. Mais de là à craindre à ce point les représailles .. Je fronce les sourcils.

Mais dans un lent geste relativement grâcieux – nous sommes dans une barque –, la voilà qui roule pour se blottir contre moi. Mon bras l’accueille dans un réflexe, presque une habitude, et je me demande sincèrement si c’est autant confortable que ça les habits trempés et froids. Et là voilà, à nouveau joueuse, comme si le reste de cet immense chaos n’avait pas eu lieu. Son doigt parcourt mes lèvres avec attention, et à croiser une fois de plus son regard, je réalise que oui, c’est bien au même endroit qu’elle tapote, là où je me suis énervé précédemment.

- « Tu ne veux pas plutôt me remercier, de t’avoir sauvé deux fois ? Et t’excuser pour ça. »

A voir son doigt remonter cette fois-ci sur sa fraîche coupure, une malsaine bouffée d’envie de mordre cette cicatrice monte en moi. Je serre la mâchoire, dépité par cette fâcheuse simplicité qu’elle possède à me séduire de la sorte. Quelle garce.

- « Je suis sûre qu’on peut trouver un terrain d’entente, non ? »
- « Mmh, je crois bien que j’ai ma petite idée. »

Elle veut jouer aux allumeuses, elle va être servie.

Je me redresse et pivote pour finir au-dessus d’elle, sourire aux lèvres. Mon nez plus crochu effleure le sien, mes lèvres se rapprochent et, suspendues devant celles absolument envoûtantes de chaton, elles laissent filer un ricanement.

- « Même que tu le mérites, pour m’avoir laissé poireauter deux semaines. »

Pressant davantage mon corps humide contre le sien chaud, je glisse mes lèvres dans le creux de son oreille, laisse mon souffle effleurer sa peau un instant.

- « Et si tu me dis pas qui est ton employeur, je ne vais pas simplement me contenter de te faire poireauter. »

La pression redescend, comme une quête achevée, bien qu’elle n’en connaisse pas l’issue. Quelques scénarios se dessinent dans la tête mais elle s’égare sous la contemplation de la nuit. De la toile d’ébène qui couvre le ciel, où les rayons de la lune s'amusent à imiter le phare.

Alors qu’elle questionne sur les deux propositions qu’il lui a faite, il la reprend sur le nombre. Trois. Elle arque un sourcil, amusée. Oh, il parle de ça. Un léger rire franchit la barrière de ses lèvres. Il est vrai qu’elle a déserté le Carminles semaines suivantes leur rencontre. « Tu pouvais passer à Cairnayr si je t’ai manqué. » La taquinerie flotte bien que la proposition est sérieuse. « C’est pour ça que tu es au port aujourd’hui ? Tout de suite, ça fait semblant d’avoir de grandes missions alors que ce n’est qu’une excuse. » Ilenia gère la chute de son adrénaline en le provoquant gentiment. Après tout, il l’a bien cherché.

Mais quand elle lui annonce son hypothèse à quitter la ville, elle intercepte un râle. Il proteste ? Intriguée, elle se tourne vers lui après avoir tempéré ses propos. Dans sa fuite, elle y perdrait un partenaire de jeu, en plus de la Compagnie. Mais est-ce que ça vaut vraiment le coup ? De rester, de s’attacher ? Rien n’est fait pour durer éternellement.

Le ton devient trop sérieux, elle a envie de changer ça. Se retrouver sur les flots, dans un navire (bien que ne soit qu’une barque), et en charmante compagnie lui suffit à retrouver un brin de plaisir.  

Quand elle réduit la distance entre eux, elle sent sur sa taille, un bras qui s’y blottit. Le geste est presque trop naturel, comme une vieille habitude. Ses vêtements sont froids, et l’humidité commence à s’imprégner sur les siens, mais elle est trop occupée à reprendre son jeu pour estomper le drama qui les a précédé.

L’index tapote la bouche masculine avant de revenir à la sienne. Elle capte dans son regard un éclat brutal et la mâchoire qui se crispe. Alors qu’elle lui réclame justice, il ricane et revient sur son absence de ces derniers jours. Elle s’approche un peu plus de son visage pour lui souffler « Je vois, je t’ai vraiment manqué. Fais attention, à ne pas tomber amoureux. » Elle cherche à retourner la situation sur lui, alors que son absence en dit bien plus long sur ses sentiments. Cette gêne à l’avoir dans la tête, qui l’empêche de franchir le seuil du Carmin pour s’amuser. Après tout, si elle ne s’en souciait pas, elle viendrait sans se poser de question.

Alors qu’il vient presser son corps contre le sien, les bras féminins s’agrippent à son dos où les doigts s’enfoncent dans la chair. Au contact de son souffle, un léger frisson la parcourt pendant qu'elle cueille ses mots à son oreille. Il veut connaître son employeur et une menace s'en suit. « J’allais te le dire sans protester, mais j’ai bien envie de voir jusqu’où tu es prêt à aller. » Alors que ses mains suivent la ligne de son dos jusqu’à sa nuque, où elle vient les nicher dans sa chevelure grise, ses dents attrapent sa lèvre inférieure sans lui donner de baiser.

Chaton s’amuse, maintenant que le danger est passé. Que les incertitudes sont balayées – à peu près. Elle s’amuse, au détriment de ma personne, mais bon ; que faire face à une femme pareille ?

- « Tu pouvais passer à Cairnayr si je t’ai manqué. C’est pour ça que tu es au port aujourd’hui ? Tout de suite, ça fait semblant d’avoir de grandes missions alors que ce n’est qu’une excuse. »

Mais quelle petite saloperie. Je ricane à cette remarque, convaincu à présent qu’elle avait simplement peur de me retrouver au Laurier, mais que, dans le fond, elle n’avait attendu que ça. Cela dit, je me garde cette pique en réserve, on ne sait jamais. Je n’affirme ni ne nie rien, en conséquence. C’est sûrement mieux.

Ce sujet réapparaît plus clairement, un peu plus loin. Et elle s’amuse, une fois de plus, mais évoque le mot interdit ; ces sentiments qu’on croit ou espère émotions frivoles et folles ; situation fâcheuse et douloureuse, mais également d’une beauté incomparable, quand on lit trop de bouquins. Son ton taquin est toujours de mise, mais la logique de ses pensées la trahit. Tout comme elle me déstabilise. Elle n’a pas osé.

- « Je vois, je t’ai vraiment manqué. Fais attention, à ne pas tomber amoureux. »

Je plante dans le fond de ses iris un regard incertain. Pire ; effroyablement surpris. Je jongle entre ces deux yeux bien trop amusés pour l’évocation faite. Réfléchis rapidement. Peste pour moi-même. Ridicule. Absurde. Impossible.

- « Quelle idée. »

Mais maintenant qu’elle l’a affirmé si haut et fort, cette idée ne fait pas que me déranger. C’est pire que ça : car maintenant que j’y réfléchis, elle me dérange justement car je sens le piège du cœur se refermer lentement, mais sûrement. La question stupide étant : Chaton est-elle hors ou piégée avec moi ?

Mais elle enchaîne avec ses pitreries, insouciante du danger redoutable qui nous guette à l’horizon. Ou alors je suis le seul abruti à ne plus marcher droit. Je ne sais même pas ce qui me dérange le plus, entre être le seul à faillir, ou simplement le premier. Allons. C’est ridicule. J’ai passé l’âge pour ces coquetteries sans importance.

C’est ce que je me répète en boucle, penché au-dessus d’elle ; à sentir son souffle se mélanger au mien, sa douce odeur qui virevolte autour de nous ; à apercevoir ce regard qui ne fait que s’amuser et me dévorer en avance, ce petit réflexe qu’elle possède, à se mordre la lèvre si subtilement, cette chevelure en pagaille, et pourtant aux boucles toujours aussi parfaites. C’est ce que je me répète en boucle, lorsque j’essaie de maintenir le cap sur mes intentions, à jouer à son petit jeu pour moi aussi obtenir l’information qui m’intéresse – car c’est bien là tout mon intérêt, n’est-ce pas ? C’est ce que je me répète en boucle, lorsque son souffle effleure mon oreille, que sa chaleur effleure mon corps et mes pensées, que sa voix effleure mes sens.

- « J’allais te le dire sans protester, mais j’ai bien envie de voir jusqu’où tu es prêt à aller. »

Je saisis l’opportunité du petit flirt puéril pour me sortir de cette situation désastreuse. Démasqué pour un crime que je n’ai pas commis. hanté par des émotions que mon coeur ne renferme pas. Ridicule, vraiment.

A ces mots, à ces putains de mots, tandis que ses doigts de fée parcourent ma carrure, avant de plonger dans ma vieille tignasse terne, ses dents se plantent dans ma lèvre. Je souffle du nez bruyamment, ferme les yeux subitement, me colle davantage contre elle pour savourer cet échange. Comme une plaie vive sur laquelle on déversait une sacrée dose de désinfectant, triplant la douleur initiale avec espoir que tout s’apaise rapidement. je pousse un râle, le front appuyé contre le sien, avant d’attraper sa nuque pour la remonter à moi. Elle fait les choses à moitié, évidemment. Comme toujours. Je la remonte à moi pour m’emparer de ses lèvres, ou de ce que je trouve dans les alentours. Difficile de se concentrer, il faut dire. Elle n’a rien de spécial pourtant. Des femmes comme elle, il en existe à la pelle. Aux quatre coins du monde.

Je recule lentement, détaille son visage, retrouve cette ville dans laquelle nous sommes toujours. Dans cette petite barque, qui oscille au fil de l’eau. Près de cette autre barque, que j’observe un instant.

- « T’as conscience que .. Non, bien sûr que non. Je reviens. »

Me redressant, j’observe les corps gentiment remuer. Il faut dire que je les ai assommés, pas tués. Mais pas de chances pour eux, je déteste avoir des témoins. Alors des spectateurs .. De retour sur l’autre barque, j’attrape une rame à deux mains, et la fracasse sur le crâne de l’un comme de l’autre. Puis je regagne notre transport de fortune, et prends soin d’appuyer avec force pour faire basculer leur barque. Deux corps qui flottent, avant de gentiment gagner les profondeurs de la rivière, .. Je déteste les témoins. Je m’assieds alors, observant la scène, pensif. Je ne devrais pas m’attarder ici, non ? Je ne devrais pas céder à ses avances aussi facilement, et pourtant .. J’inspire longuement, avant de soupirer, le regard au loin.

Ilenia cherche à éclipser la question principale, celle de ne pas être revenue au Carmin et tente de se tirer d’affaires en centralisant tout sur le vigie. Elle pousse juqu’à le taquiner d’être amoureux. Phrase prononcée sans réfléchir. Elle a pris cette sale habitude de se concentrer ailleurs plutôt que sur elle-même, afin de ne pas vivre toutes les émotions qui la dérangent. Certainement que l’amour en fait partie. Elle ne sait d’ailleurs pas ce que c’est. Elle en a entendu parler, mais le perçoit comme un mythe, quelque chose qui n'existe pas. Pour elle, le monde est cruel et il faut savoir naviguer avec. Pourtant l’impact de ses mots ont plus de force que sa lame. Les iris se fixent longuement et pour la première fois, Miche laisse apparaître une surprise qui fait naître un éclat de panique dans le ventre d'Ilenia. Il ne l’a pas prise au sérieux tout de même ?

Alors que la voix rauque retentit et appelle à la sottise, un soupir de soulagement s’échappe. Il lui aurait presque fait peur… Pourtant, une étrange sensation s’installe et ne semble plus les quitter. Elle en serait presque mal à l’aise.

De nouveau, pour échapper à ses propres tourments, Ilenia se laisse aller à la légèreté. Une situation plus confortable, une situation qu’elle connaît. Alors qu’elle tait le nom de son employeur, elle parcourt son dos de ses mains, tracent des lignes invisibles et prennent refuge dans ses cheveux. La distance qui les sépare s’efface, leurs lèvres se joignent mais la douleur de sa blessure lui fait légèrement lever la tête.

Deux barques se côtoient. La Roue est persuadée qu’ils sont seuls, mais cette idée s’efface quand le Loup se lève et disparaît de l’autre côté. Elle se redresse, la main sur le rebord, et l’observe alors que le brouillard s’est quasiment dissipé. Ah. Non. À priori, les deux hommes ont été épargnés. Une surprise, vu l’état de celui qu’elle a trouvé sur la baie. Mais la surprise est de courte durée, un nouveau fracas retentit, et elle découvre une barque retournée, expédiée dans les abysses de l’eau. « Ah. » La voyelle lâchée dans les airs. des funérailles express. Elle reste un instant interdite. Un peu confuse.

Pourtant, un silence s’installe dans la barque. Elle l’observe, assis, pensif. N’a-t-il pas demandé un remontant ? Elle hausse les épaules, peu importe. Tout devient beaucoup trop sérieux et dans ce genre de situations, elle a tendance à s’enfuir. Mais elle est au beau milieu de l’eau. Sur une barque. Avec lui. Épuisée, elle préfère s’éviter de nager jusqu’à la ville. D'autant plus que cette sortie serait vraiment dramatique. Ils ne sont pas si loin, mais elle n’a pas la force à faire cet effort. Alors elle reprend le contrôle de la barre et les fait naviguer en direction de la ville.

Elle pourrait briser le silence, reprendre la parole, raconter une histoire dont elle seule à le secret, mais elle est si confuse, qu’elle préfère se concentrer, une nouvelle fois, sur quelque chose qu’elle connaît.

Le silence s’est installé, malheureux avare qui s’étale sans vergogne, sans la moindre considération. Mon regard erre, ou cherche une porte de sortie, tandis que mes songes peinent à s’aligner. Il y a eu trop d’éléments en une nuit, ou plutôt, elle en a trop vu. Beaucoup trop. Mais après réflexion, moi aussi, j’en ai probablement trop vu. Ce regard, cette terreur ..

Comme attirés, mes yeux la retrouvent tout naturellement, tandis que la barque s’active gentiment. Elle rame. Elle aussi doit avoir vu, compris, ou alors ce souvenir la hante encore. Comment savoir ? Je ne vais pas poser de questions intrusives à, finalement, une simple inconnue. Une belle nuit, mais une seule. Et c’est sûrement mieux ainsi.

Mais un nœud dans l’estomac me retient, un nœud tenace et stupide. Un nœud qui tord mes yeux de peine, qui joint mes mains nerveusement, qui espère une conversation, un mot, un son, un bruit. Un nœud qui agite, qui tourmente, qui agace. A chaque interminable seconde qui défile et me ronge, j’hésite. Tantôt un peu plus, tantôt un peu moins, au rythme calme et irrégulier de cette barque qui oscille tranquillement. Je la détaille une fois de plus, cette charmante minette bien trop silencieuse, et à la mine trop perdue contrairement à précédemment. Cette lueur dans le regard qui avait quitté le navire, celle plus espiègle qui semblait la rajeunir.

Après une impulsion stupide, je me redresse, m’avance, attrape ses mains pour arrêter son geste, les yeux plantés dans les siens.

- « Hey. »

Quel geste particulier et pourtant banal, que d’envelopper ainsi ses mains des miennes, plus grandes, plus carrées, plus rustres. La fraîcheur et la douceur de sa peau glisse sous la mienne marquée par l’âge et le travail, et l’espace d’un instant, j’en oublie presque qu’elles tiennent encore quelque chose. Une envie soudaine d’enrouler mes doigts dans les siens, de les caresser distraitement, d’en prendre le plus grand soin. Mais ce n’est pas le moment. Je glisse un hochement de tête là où nous étions précédemment, pour indiquer les précédents témoins.

- « Bon. On a eu une longue nuit compliquée. Et présentement t’es dans la merde au pire, sans solde au mieux. J’ai moyen de te faire une fleur pour rattraper le coup, Chaton, mais il me faut savoir qui t’a engagée. Si possible alors qu’on est encore entre nous. »

Je marque une petite pause, ne romps le contact sous aucun prétexte futile. Je hausse des épaules, le ton moins sérieux qu’avant – quoi que ça veuille dire pour quelqu’un comme moi.

- « Une fois ces quelques détails réglés, on peut oublier cette soirée à la Naine Détrousseuse, qu’en dis-tu ? C’est moi qui offre. »

Je lui dois au moins ça, avec la nuit que nous venons de passé, tous les deux.