Type de RP classique
Chapitre concerné Chapitre III
Date du sujet 13 Floraison 5:13
Participants @Miche – @Ilenia
TW Prostitution, harcèlement, violence.
Résumé Alors que le travail de Miche est redondant, mais fort apprécié pour ladite redondance, un jour cette monotonie se brise avec l'arrivée d'une nouvelle cliente, que Miche repère aussitôt. Au fil du temps, de petits rituels se mettent en place – un bête échange de regard – et c'est lorsque la mystérieuse jeune femme manque à cet appel que Miche comprend qu'une menace la guette.
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>13 Floraison 5:13</en3> : <a href="LIEN DU RP">Jeu de regards</a></li></ul><p><u>@"Miche" – @"Ilenia"</u> Alors que le travail de Miche est redondant, mais fort apprécié pour ladite redondance, un jour cette monotonie se brise avec l'arrivée d'une nouvelle cliente, que Miche repère aussitôt. Au fil du temps, de petits rituels se mettent en place – un bête échange de regard – et c'est lorsque la mystérieuse jeune femme manque à cet appel que Miche comprend qu'une menace la guette.</p>[/code]

Les soirées du Laurier s’éclaircissent toujours un peu plus. Les clients défilent toujours dans ce brouhaha de pulsion ardente ou d’interdit, les verres aussi, d’ailleurs. Un brouillard qu’il faut filtrer pour chasser les détraqueurs et autres soulards qui ne viennent que pour causer des ennuis. En soi, rien ne change dans ce métier : on botte des culs, on surveille avec attention, on attrape les mains un peu trop lestes, on pousse des ivrognes qui tombent sans trop de peine. Les soirées se ressemblent toutes dans ce métier, et c’est pas plus mal. Je n’aime pas les changements trop brutaux.

Mais un soir, le paysage du Laurier laisse passer dans sa monotonie colorée une silhouette intrigante. Une silhouette qui passe, comme toutes les autres évidemment, qui fait son commerce charnel dans une des chambres à l’étage, et réapparaît des heures après, quitte les lieux sur le même pas assuré. Elle n’a accaparé mon œil qu’un bref instant, et probablement que ce serait tout.

Et pourtant, cette silhouette est revenue. Et une fois de plus. Et une fois encore. A chaque passage, mon regard traîne des pieds dans sa direction, caresse avec pudeur la longue chevelure claire qui virevolte après ses pas. Puis il s’attarde ailleurs, la regarde gravir les marches en bois sombre et verni. Une élégance dans le déhanché qui ne laisse certainement pas indifférent, et à regarder la tête d’autres clients autour d’elle, non seulement mon avis est plus que partagé, mais elle doit s’en douter également.

Cet étrange phénomène se reproduit certains soirs. Elle émerge du vestibule, promène ses yeux pourpres autour d’elle, ajuste ses cheveux d’un geste rapide de la main, esquisse un sourire ou fait la moue selon les soirs, gravit les marches, disparaît. Puis elle revient, descend avec élégance, s’attarde pour trinquer, quitte les lieux comme si le monde lui appartenait. Il y a bien une fois où son regard a croisé le mien, impassible malgré cette pression dans la poitrine à en couper le souffle. Un regard clair, perçant, déterminé. Un regard bien trop captivant pour mon bien-être.

Elle est belle.

Cet étrange rituel recommence presque chaque soir. Elle émerge, elle observe, elle me trouve, elle me regarde un instant, et elle disparaît à nouveau par les escaliers tantôt aux bras d’un homme, tantôt d’une femme, mais satisfaite du petit jeu qu’elle s’amuse à instaurer. Un petit rituel inoffensif, mais dont les dérapages peuvent rapidement surgir. C’est une cliente. Je suis de service.

Plus étrange encore, le reste du monde ne semble pas aussi perplexe que moi face à ces petits épisodes. Le monde continue d’avancer, de faire sa vie, et moi, je suis distrait. Parfois, quand c’est trop agaçant, je me change les idées en extérieur, ou je m’octroie une pause dans les cuisines. M’occuper l’esprit à gérer la vermine dehors m’aide bien, aussi. Mais à présent, je ne sais pas ce qui me tracasse le plus : que ses yeux plongent dans les miens avec une telle aisance, ou qu’elle ne soit pas là. Un mystère qui m’habite chaque soir, me déconcerte. Mais je crois bien que ce soir, j’ai la réponse définitive.

C’est une période où elle vient chaque soir, à peu près à la même heure, et repart à la même heure. Des fois elle s’attarde un peu, mais à peine une heure de plus. Je vois qui entre et qui sort, naturellement que je connais son emploi du temps au Laurier. Ce soir, elle n’a pas croisé mon regard. Mes sourcils se froncent. J’observe. Quand je remarque l’élément perturbateur, je m’avance.

Cet élément perturbateur qui a mis court à ce petit rituel inoffensif, c’est un homme sur son dos. Il se colle à elle, essaie de la renifler, de plaquer ses mains un peu n’importe où. Ce n’est donc pas une perte d’intérêt que de manquer à notre rituel : c’est une cliente qui a affaire à un gros lourd.

Starkhaven. Le soupir s'échappe de ses lippes quand elle réalise qu'elle est de retour aux Marches Libres. Le pincement au coeur, elle n'est plus qu'une inconnue, sans navire ni équipage. L'Enclin et la tempête ont balayé tout ce qu'elle a construit ces dernières années. Alors qu'elle prend ses marques avec la Compagnie, elle termine ses soirées au Laurier Carmin. Comme un besoin de se détendre et d'oublier le chaos du quotidien. Bien qu'elle n'a pas mis les pieds dans ce type d'établissement depuis plusieurs mois, les habitudes reprennent rapidement jusqu'à devenir quotidienne.

Ilenia aime l'attention et d'ordinaire, elle en fait des tonnes pour entretenir ses entrées fracassantes. Pourtant, son approche au Laurier est beaucoup plus discrète et directe. Elle entre, le pas franc, évitant tout contact avec les autres pour rejoindre hâtivement l'étage supérieur.

L'atmosphère la réconforte. Ce bruit. Environnant et grognant. Il enveloppe le monde d'une couverture assourdissante. Sous l'effluve de l'alcool, certains parlent plus fort que d'autres. Chacun se sent roi dans la maison des Carmins. Une ambiance qui lui gonfle le coeur de plaisir.

Chacune de ses entrées sont ponctuées par la présence d'une même personne. Intérieurement, elle l'a renommé le Loup Gris. Ilenia a toujours eu un faible pour rebaptiser les gens. Un homme massif, charmant, posté à la porte pour surveiller l'établissement. Le Loup. Le protecteur des employés. Veillant à ce qu'aucune limite ne soit franchie. Bien qu'elle ne lui a pas adressé de regard direct jusque là, elle s'est pourtant tournée vers lui le jour où il s'est rendu auprès d'un client, l'attrapant par le col et jeté à l'extérieur comme un vulgaire sac à légumes, décrochant le sourire amusé de l'ex-Capitaine.

Au fur et à mesure de ses venues, elle se laisse prendre à ce petit jeu qu'il a lancé. Pour s'amuser et se laisser porter d'une certaine légèreté. Elle en a entendu, quelques mots sur ce Loup, il est d'ordinaire impassible. Impassible, vraiment ? Quand ses iris pourpres s'ancrent dans les ambrées, elle lui adresse parfois un clin d'oeil, avant de disparaître à l'étage.

Ce soir, elle n'a pas le temps de l'apercevoir qu'un client décide de la choisir comme si elle travaillait ici. Alors qu'elle tente de s'extirper au bar, elle sent la désagréable présence se coller contre elle. Ilenia voit rouge, ce genre d'individus, elle les a croisé toute sa vie. Alors qu'elle s'apprête à tirer sa dague pour se charger de lui, elle remarque que la charge se fait plus légère. En se retournant, elle croise le regard du Loup qui tient solidement l'individu par le col. « Je peux me joindre à toi pour lui régler son compte dehors ? » Non vraiment, elle tient à coeur de faire danser ses lames sur cet imbécile ou de lui coller un crochet comme lui a appris autrefois Carreau, l'un de ses anciens sous-commandants. Elle n'a pas le temps d'y songer que le Loup s'écarte avec le client. Il ne lui a pas décroché un mot, ou alors elle croit l'entendre grogner, mais cela ne l'empêche pas de le suivre. Le temps n'est plus au jeu de regards, mais à la rencontre.

Il ne me faut que quelques pas pour atteindre leur hauteur, et attraper le bougre par le col pour le tirer en arrière, puis le soulever. Il peste, mais son visage tourne au blanc le plus pâle lorsqu’il se rencontre que c’est moi qui l’empêche de frôler le sol du moindre orteil. Il sent à mon regard assombri qu’il a merdé, et c’est bien.

D’ordinaire, ce genre de gueux ne sont pas une réelle menace, dans le sens où on leur dit simplement qu’il s’agit là d’un ou d’une cliente, et qu’ils devraient plutôt focaliser leur attention sur les réels employés, mais je n’étais pas d’humeur. Je le repose par terre, à son plus grand soulagement, avant de le pousser d’un geste brusque vers la sortie. Il manque de heurter son crâne contre l’encadrement en bois sombre qui mène à l’entrée, mais se rattrape quand même à celle-ci, s’arrête pour me regarder, se fait empoigner par l’épaule pour franchir le seuil pour de bon. Il tombe cette fois-ci, grogne un peu mais n’en fait pas plus.

C’est alors que je remarque sa présence derrière moi. La jeune femme m’a suivi à l’extérieur, et sa question parvient enfin à mon crâne : “Je peux me joindre à toi pour lui régler son compte dehors ?” On ne fait pas ça au Laurier, question de réputation. Ce qui est bien dommage. Après, si elle veut régler ses comptes, ..

- « Faites-en ce que vous voulez, mademoiselle, mais songez à privilégier une rue plus loin.  »

Je ne lui accorde aucun regard, essaie de ne pas paraître trop pensif. Mais sa question revient à nouveau en mémoire, davantage sa mélodie que son sens. Une voix légèrement rauque, agacée mais fluette, un accent léger, très léger, qui souligne qu’elle n’est pas Havenoise. Une voyageuse, alors ? Ou une expatriée ? Il est vrai que l’orient n’est pas la destination de rêves, en ce moment. Ce doit être ça.

Mais à peine tiré de ma réflexion que l’homme se relève, paniqué. Il a dégainé un maigre couteau et le brandit face à nous, ou plutôt face à moi. Je fronce les sourcils de dépit et de confusion. Il n’a vraiment que ça à faire, hein.

- « Si tu penses que j’vais m’laisser faire, salopard !! »

Je soupire, alors qu’il charge en ma direction. Le Laurier Carmin ne s’attaque pas brutalement à ses clients les plus désagréables : en général, on laisse la rue s’en charger à notre place. La seule exception étant de la légitime défense. Je m’écarte d’un pas sur le côté, lui attrape le poignet, le lui tords, puis plaque l’autre main contre son épaule pour le propulser contre le sol. Je lui tords le poignet solidement, au point de le sentir craquer sous mes doigts. Le désagrément du soir beugle de peur ; je lui assène un coup de coude dans la mâchoire. Il parle un peu moins, maintenant. Je me relève, ajuste mon pourpoint aux fines broderies, remonte la manche de ma chemise qui était un peu redescendue lors de l’impact, l’observe un instant.

Cette fois-ci, je me tourne vers la jeune femme. Je l’ai visiblement privée de ce petit plaisir, mais c’est pour le mieux. Un homme de ma profession se doit de s’imposer pour rester craint. Enfin, il n’est pas totalement hors d’état de nuire. Mes yeux profitent de la situation pour détailler les doux traits de son visage, la courbe modeste de son nez, celle plus généreuse de ses lèvres légèrement pincées. Je tourne la tête pour me contraindre d’arrêter.

- « Comme je disais .. Faites-en ce que vous voulez. »

Et je retourne vers mon poste, à la frontière entre le vestibule d’entrée et la salle principale. Mes pas hésitent. Je les contrains à avancer.

Les deux silhouettes s’éloignent d’elle, sans un mot, ni un regard. Pourtant, l’instinct la pousse à les suivre, prête à dégainer la lame de son couteau et de faire crier la véracité aux vieilles rumeurs racontées sur le Capitaine du Silver Blade.

Ce jour marque ses dix ans de mariage. Jour heureux ou malheureux, personne n’en sait trop rien, mais une chose est sûre, cette date marque le basculement de sa vie qu'elle a envie de le fêter à sa manière, dans un bordel. Elle refuse, qu’un client trop abreuvé, se joue au roi avec elle. Tout ce qu’il gagnera c’est à devenir le roi des crétins.

Finalement, le Loup prend la relève, malmenant le client comme un pantin désarticulé. Elle en tire une légère satisfaction, mais préfère obtenir la satisfaction du coup final. La réponse à sa question sonnent lorsque leurs pas atteignent l’extérieur. Elle peut faire ce qu’elle veut, loin de l’établissement. Ses mains se posent autour de sa taille et le soupire s’échappe. Il n’a pas compris la notion de se joindre à toi. Pourtant, elle ne compte pas se priver de lui donner une leçon. Au client. Pour le Loup, elle s’en chargera plus tard. Alors qu’elle s’apprête à passer devant pour s’exécuter, l’homme trouve la force de se relever, couteau à la main, hurlant quelques grands mots contre celui qui l’a jeté à terre. Ilenia ne peut s’empêcher de rire face au spectacle et dans ces brèves minutes de corps-à-corps, elle distingue les mouvements du vigile. Une pensée fugace lui traverse l’esprit, il n’est pas qu’un simple agent de sécurité.

Lancer de dés : Volonté, Échec.

Alors que le Loup Gris se relève, Ilenia est appuyée contre le mur, l’excitation au combat nettement moindre sous les gémissements apeurés du perdant. L’ex-Pirate lève les yeux au ciel « Même un cochard a plus de courage que ça ! » et l’idée de perdre son temps dans un combat qui n’apporte aucune gloire l’ennuie. Elle préfère fêter ce jour dignement comme elle l’a initialement prévu, dans les vagues du plaisir de l’étage. Quand son regard quitte celui de l’homme à terre, il s’arrête sur celui de Miche, qui trace d’un pas décidé jusqu’à l’établissement. La Roue de la Fortune garde le silence un instant, avant de rentrer à son tour.

Elle se dirige là où tout à commencer, au bar et commande un whisky pour se détendre. Après quelques minutes, elle se penche vers le.a serveur.se pour lui murmurer quelques mots. Un rire s’échange, puis elle quitte sa place pour prendre le chemin de l’étage. Pour emprunter l’escalier, elle passe devant l’entrée, où est assigné le Loup, à qui elle adresse quelques mots. « Je t’ai payé un whisky, inutile de me répondre que tu es de service, tu le prends quand tu veux. » Une façon de le remercier, bien que ce mot ne franchisse jamais la barrière de ses lèvres. Dans un geste mécanique, elle lui tape l’épaule d’un geste franc puis s’apprête à rejoindre l’étage. Elle a besoin de décompresser, cette date et cette altercation commencent à l'agiter.

Elle peut en faire ce qu’elle veut, mais elle ne bouge pas de sa place. Une étrange moue secoue ses lèvres charnues, mais son regard ne s’intéresse déjà plus au malheureux qui prend les jambes à son cou. Elle m’observe avec attention, observe mes gestes, et ce regard qui oscille entre le rouge et le violet me met autant mal à l’aise qu’il me plait. Mais je suis de service. De service. Et c’est une cliente. Vera va me tuer si elle apprend que ..

Depuis mon poste, en retrait des festivités, je la vois me dépasser pour atteindre le bar. Mon regard balaie la foule, se pose à nouveau sur elle, s’envole vers les escaliers subitement, retombe sur elle .. Je souffle du nez face à une attitude si incontrôlée et puérile. Ce n’est vraiment pas l’endroit, et encore moins le moment.

Une règle assez simple que j’avais pourtant toujours respecté à la lettre : on ne baise pas avec les clients. Ça leur donne du pouvoir, ça me rend moins craintif, et ça fait perdre de l’argent. C’est comme baiser son commandant, à l’armée. C’est réprimandable. Et puis bon, il y a assez d’employées qui sont payées pour prodiguer ce genre de services, ici. Voler la vedette, ce n’est pas chouette.

Mais la voilà qui s’approche à nouveau, qui roule des hanches sans non plus exagérer sa démarche. Je l’observe, ma foi, la mâchoire serrée.

- « Je t’ai payé un whisky, inutile de me répondre que tu es de service, tu le prends quand tu veux.»

Mes sourcils se froncent de surprise, mais je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit – en avais-je seulement envie – : elle me glisse une tape sur l’épaule avant de monter les escaliers.

Seule.

Elle y monte seule ?

Je l’observe gravir les marches, avec toujours – et encore, et toujours – la même grâce dans ses pas. Je jette un œil du côté du bar, et sa tenancière est appuyée contre sa main, un grand sourire aux lèvres, avant de me lancer un clin d'œil. Il n’y en a jamais une pour rattraper l’autre. Mais elle monte seule ? Elle n’a quand même pas l’audace d’en faire une invitation. Si ?

Mon regard balaie la foule avec une certaine nervosité. Enfin, pas exactement de la nervosité, disons un certain malaise. Accepter me foutrait dans une merde noire. Refuser serait la solution appropriée, d’autant plus que ce n’est pas la première fois que je dois rembarrer une cliente bien trop intéressée. Le problème actuel c’est qu’a contrario des dernières fois, cette femme m’intéresse également.

Une idée traverse mon esprit.

J’attends encore un peu, et profite des festivités de plus en plus enjouées pour monter à l’étage sans attirer l’attention. Il m’arrive de le faire : d’emprunter une chambre pour parler affaires avec des gens, les menacer, ou les deux. Arrivé dans le couloir, les différents échos de plaisir servent de bonne couverture pour les murmures discrets. C’est dans le genre assez pratique. Et puis, ce n’est pas usuel de me voir rôder dans les couloirs : parfois, il faut intervenir dans les chambres lorsque les clients malmènent les filles. A ce but, je possède donc un trousseau de clés sur moi, toujours. Je sonde donc le couloir, à la recherche de la bonne porte. Celle-ci est repérée bien rapidement, puisqu’elle est une des rares ouvertes. Et à l’intérieur, posée sur le lit, cette fameuse dame qui paraissait attendre.

Je passe le pas de la porte, la referme derrière moi, et la boucle à double tour.

La soirée prend une tournure inattendue. Une beuverie écourtée. Une bagarre improvisée. Une rencontre interposée. Les jeux de regards cessent. Ils se parlent. S'adresse deux trois mots sans que ça n'aille plus loin. Après tout, ils sont dans une maison de plaisir et ne sont pas des bardes. Mais Ilenia a le sens de l'honneur, bien qu'elle déteste qu'on vienne la protéger, elle sait reconnaître et remercier un allié. Après tout, intervenir dans ce genre de situations est le métier de Miche. Pas le sien. Ici, elle n'est pas le Capitaine de son bateau, juste un client. Traitée comme n'importe quel client. Pourtant, ce traitement ne lui convient pas. Elle déteste qu'on lui viennent en aide et préfère régler ses soucis par elle-même. Ce client, elle aurait pu s'en charger. Certainement pas à la manière de l'établissement. Le Pirate fait couler le sang et ça, Miche a dû le flairer.

Alors qu'elle tente de noyer son agacement dans un whisky bien fort, elle prévient tout de même son aillé du jour de sa récompense : un verre pour lui aussi. Puis, elle prend la fuite à l'étage, comme à son habitude, dans l'attente de retrouver un ou une partenaire pour la prochaine heure. Arrivée dans la chambre, elle fait le tour. Il n'y a pour le moment personne. Elle s'étonne de ne pas voir ceux qui sont attribuer à la pièce et patiente en espérant ne pas avoir à attendre trop longtemps. La patience n'est pas son fort.

À son grand étonnement, c'est une silhouette massive qui fait son entrée, faisant jouer le tour de clés dans la serrure. Ce n'est ni celui, ni celle qu'elle s'attendait à voir passer le pas de la porte. Lui, dont elle a entendu tant d'histoires, comme le garde impassible qui veille sur les lieux vient d'entrer dans sa chambre de fortune.  

Ilenia se relève et s'approche de lui. Est-ce là le cadeau de l'établissement pour ses dix ans de mariage. Si c'est le cas, elle n'a aucune idée comment la nouvelle a fuité. Est-ce elle ? Un jour où la boisson a trop coulé ? Peut-être. Peut-être pas. Elle ne s'en souvient pas.

Je passe la clé dans le verrou, et entrouvre la porte pour quitter la pièce, d’abord sur un pas hésitant, pour ne pas dire tremblant d’un désir si brutalement refoulé, puis d’un pas pressé, qui ne demandait qu’à quitter cet étage. Je vais avoir besoin de prendre l’air, .. ou d’un bon verre de whisky bien sec.

La déception dans sa voix essoufflée résonne encore dans mes oreilles.

Me voilà, cloîtré à l’extérieur, à aligner mes pensées. A repenser aux trente secondes les plus fougueuses de ma longue existence. A repenser à ses lèvres légèrement tremblantes, suspendues, qui n’attendaient qu’à être prises. A cette main sur ma nuque, à cette caresse discrète, à cette légère pression qu’elle exerçait contre ma peau, pour m’intimer à m’avancer encore un peu, à combler cette distance atroce, à m’emparer de ses lèvres, à les goûter sous toutes ses facettes, à ..

Mais bon sang, qu’est-ce qui m’arrive ?

Je peste en silence, retourne à l’intérieur.

Le temps s’écoule au ralenti depuis mon départ de cette chambre. Le temps, ce malin démon qui change la cadence comme ça l’arrange. Les bons moments s’envolent au plus vite, tandis que les moments plus mornes, plus ennuyeux, durent une éternité et demi. Un véritable calvaire, mais peut-être que ce temps laissera le temps à son ardeur de se calmer, ou à la mienne.

Mais elle m’attend. Et je suis un homme de parole.

Je me promène, jongle entre la grande salle, l’entrée et l’extérieur. Je regarde sans voir. J’entends sans écouter. Le Laurier me semble être un brouillard de sons et de rires, qui ne veut jamais s’arrêter. Les clients ne font qu’affluer, naturellement, ce qui m’agace. Je sors à nouveau.

Le froid de la nuit effleure mon visage, et je recommence la boucle dans laquelle je suis depuis .. une éternité et demi. Pour ne pas dire un peu plus d’une demi heure. Je songe alors à comment elle compte passer ces deux heures interminables. Un anniversaire, hein ? Avec les avances de l’autre bougre, tu parles d’un cadeau. Elle doit très certainement s’envoyer en l’air à l’étage, se vider la tête pour laisser ses sens prendre le dessus, et c’est tant mieux. Célébrer comme il se doit cet anniversaire, c’est-à-dire en oubliant tout pour le plaisir douillet du Laurier Carmin.

Une certaine image s’impose à mon esprit malgré moi. Sa robe qui tombe à même le sol. Son souffle plus bruyant dans le creux de mon oreille. Cette voix envoûtante qui se plaint de plaisir. Ces formes à présent libres que je dessine du bout des doigts. Ces lèvres qui s’ouvrent, se pincent, se mordent pour se contraindre au silence. Ce frisson qui parcourt sa peau claire. Cette si longue et si belle chevelure, retenue en poigne dans une main. Je serre la mâchoire, ferme les yeux quelques secondes le temps de retrouver contenance.

Ça ne me ressemble décidément pas.

De retour à l’intérieur, je me pose près du bar. La tenancière me regarde, comme surprise de me voir là, s’approche discrètement, me tend un verre de whisky.

- « Déjà là ? »
- « Je travaille, Ellen. »

Elle rit, appuyée contre le comptoir tandis que je m’empare du verre avec désinvolture. Je ne bois pas pendant le service, d’habitude, mais il va bien me falloir un verre pour tenir le coup. Après un long silence, je complète mes propos.

- « Elle m’a pris pour un gigolo. Ce n’est pas la première fois qu’on me fait le coup. »

Simple, rapide, efficace. Elle hausse des épaules, nettoie un verre avant de le remettre en place.

- « C’est vrai. Dommage, elle est charmante. »

Je ne commente pas cette dernière remarque – quoique très juste. Je m’enfile ce verre d’une traite, lui rends le verre, mais avant de partir, je dépose deux pièces sur le comptoir.

- « T’as qu’à lui en faire un aussi. Et pas un mot. »

Son sourire s’élargit, tandis que sa main glisse sur le comptoir pour empocher les deux pièces avec grande joie. Je m’éloigne alors du bar, me mélange à nouveau à la foule, puis observe le grand escalier avec une certaine appréhension. Je les monte tout de même, car il faut bien s’assurer que tout aille bien à l’étage. Mais l’idée de la croiser, ou pire : de l’entendre .. Je serre la mâchoire, parcours le couloir, fais demi-tour une fois le fond atteint, redescends. Rien d’anormal, le travail bat son plein, comme d’habitude. En dehors de l’altercation d’avant, il ne se passe rien au Laurier, et pour une fois, ça m’emmerde.

Après une éternité et demi à tourner ainsi en rond, les clients commencent à gentiment partir. On atteint la fin de la soirée, ce qui est un immense soulagement pour la première fois en cinq ans de travail ici. Je peux enfin me faufiler dans les coulisses, souffler un peu, et troquer ma tenue pour quelque chose de nettement moins coloré, emmitouflé dans une longue cape sombre. Je salue les filles, les employées, sors par l’arrière, fais le tour du bâtiment, et me place près de l’entrée.

Elle n’est pas encore là. Enfin, à se demander si elle viendra.

Capitaine sans navire, menée en bateau. Elle reste quelques instants dans la chambre à méditer sur ce qu’il vient de se passer. Ilenia n’a pas l’habitude que ça se passe ainsi. Un inédit qui la secoue autant qu’il l’amuse. Elle a trouvé un joueur à sa taille. N’est-ce pas une façon innovante de célébrer cet anniversaire ? Elle s’assoit, remets ses cheveux en place et s’observe dans le miroir. Le sang aux joues, la tension est toujours palpable. Un rendez-vous donné dans quelques heures, vont-ils garder parole ?

Pendant un moment, elle cherche quelqu’un de disponible à l’étage, plus par envie de vider son sac plutôt que de consommer une relation charnelle. La tête en vrac, les questions plein la tête, elle tourne à l’étage sans trouver de quoi se satisfaire.

Elle soupire, hésitante à descendre, à le voir, à le croiser. Il y a comme un certain malaise alors que d’ordinaire elle s’en amuserait. Ce Loup est parvenu à lui faire son effet, elle est tombée dans le panneau. Elle se frotte le visage pour revenir à elle, s’ils se rejoignent plus tard, cette sensation s’estompera et elle pourra conter ce récit auprès de la Compagnie. D’ici là, Ilenia prendra la liberté de réarranger quelques passages pour masquer son déroutement. Elle a une réputation à tenir.

Elle termine par descendre, la tête haute, ignorant comme les premiers jours la présence du vigile. Elle retourne à son endroit de prédilection, le bar, où Ellen lui tend un verre. « Ah, il me renvoie le verre payé c’est ça ? » Elle tire une moue fatiguée, décidément, ce personnage est plein de mystère mais la serveuse secoue la tête « Détrompe-toi, il l’a bu et t’offre celui-ci. » Son sourcil s’arque avant de retenir avec force un sourire qui prend place. « Qu’est-ce qui s’est passé ? » Ilenia ne répond pas à la question mais ne peut s’empêcher de laisser filer un rire satisfait.

Les heures passent au comptoir dont elle ne se détourne pas jusqu’à l’heure de fermeture. De temps à autre, elle discute avec un ou une des employés, pourtant dans l’attente, l’heure ne s’écoule pas plus vite. « Merci Ellen. » Le clin d’œil adressé, elle lui glisse une pièce en guise de pourboire. La bonne femme l’a supporté, écoutant ses histoires de navire, qu’elle rabâche par habitude.

Elle quitte l’établissement, et se surprend à aller dans une rue calme, où les étoiles sont scintillantes. Elle fait le tour du quartier, l’air lui fait du bien.

Quelques minutes plus tard, elle se rend à l’entrée de l’établissement où elle perçoit une silhouette encapuchonnée. En s’approchant, elle perçoit les mèches d’argent qui encadrent le visage de l’homme, Miche est toujours là. Elle s’approche de lui, l’attrape par la manche et l’attire vers elle.  « Viens » elle l’emmène sur les routes de Cairnayr, sans prendre la peine de lui demander son avis.

De la sortie de l’établissement s’enchaîne une longue marche jusque Cairnayr. Nuit d’été, le ciel n’est jamais totalement couvert, la brise est légère. Malgré la distance, ils ne cherchent pas à combler le silence de longs bavardages, au contraire. Une mélodie du calme comme un passage transitoire entre la folie du Carmin à l’endormissement de la ville.

Décor portuaire les accueille, c’est là qu’Ilenia se sent véritablement chez elle. Entre le bruit des eaux et les claquements des navires postés. Pourtant, elle n’y glisse aucun regard et se contente simplement de profiter de l’atmosphère. Ils terminent par longer le chemin des loges et des tentes avant d’atteindre le terrain de la Compagnie du Chant des Rêves.

Quand elle l’invite à entrer, elle montre un environnement mis à son goût, où les odeurs d’encens retentissent et les teintures chaudes couvrent les murs. Un savant mélange de culture antivane et rivenienne. Des territoires qu’elle a aimé et apprécié, au point d’en faire de l’un d’entre eux, son identité actuelle.

Alors qu’elle se retourne vers lui, en lui demandant avec sarcasme s’il est satisfait de l’environnement où ils se trouvent, elle se surprend à lui proposer quelque chose à boire. D’ordinaire, elle ne prend pas cette peine, hormis pour ceux qu’elle apprécie.

Mais ils ne sont pas venus jusqu’ici pour bavarder, sinon ils l’auraient fait bien plus tôt. Alors que les regards se recroisent après s’être évité, quelque chose se réveille. Il ne lui répond qu’un mot à sa question, qui sonne comme un mot de passe à faire sauter toutes les barrières.