Lachlann marchait d’un pas décidé, aussi bien mis que son statut le permettait, un templier de confiance sur les talons. Avec l’Enclin étaient venues des décisions, pour tous, et il fallait bien choisir ; le passé, poids inoubliable, n’en pouvait pas plus ronger l’avenir. Ou était-ce l’inverse ? Le plan était aussi flou que le but, mais l’intention non.

L’amour, les reproches – il aurait donné cher pour les deux, plutôt que cette portée fermée depuis des années. Aurait-il fait mieux ? Pouvait-il, aujourd’hui, faire mieux ?

Les rues se vidaient à vue d’œil à l’approche du Palais, plus propres et plus polies – quelques nobles, la plupart s’il comptait, ralentit même pour un salut muet, sans l’interrompre pourtant. Fallait-il y voir un signe, et si oui de quoi ? Une porte grande ouverte ou un prince en colère, peut-être ; il n’y prêta pas grande attention, concentré sur l’allure princière qu’il voulait – devait – présenter et refusant de se laisser distraire. Aujourd’hui, il verrait son père. Pour dire quoi, il verrait bien… Pour l’instant, le voir suffirait.

Qu’il aurait aimé une tiare, n’importe quoi de plus respectueux et plus respectable, quand même, pour avoir plus l’air d’un fils que d’un problème… En l'état, il remplaçait juste la tête nue de Tiarnan.

Il dépassait juste le dernier coin de rue, présentation et demande d’audience au bout de la langue, quand un éclat de voix lui parvint, bientôt suivi d’une haute silhouette en visible altercation avec un garde. Markham. Que voulait-il, lui ? Quelques pas de plus et son propre bâton était tiré, interposé entre le duo. Combien avait-il hésité, conscient des conséquences à se présenter en mage en même temps que fils… pour estimer le moment venu qu’il était moins venimeux que l’épée à sa hanche. Il est vrai qu’en l’état il n’était pas bien menaçant, simplement présent – et surtout, pointé dans le bon sens.

« Vous gênez, messer. »

Il empoigna le bras du Vaël pour le trainer plus loin, notant au passage qu’il était plus petit – de pas mal, d’ailleurs. Eibhlin Byrne n’était pas grande non plus, et ce qu’il avait aperçu de Tiarnan Vaël ne contredisait pas la tendance. Le père était-il pareil ? La première fois qu’il l’avait vu il avait paru insurmontable, comme la roche qui l’entourait ; mais il n’était qu’un homme, et un nevarran pouvait bien le dépasser. Aisément. L’idée était particulière, enrageante par l’injustice d’un tyran si faible mais pas désagréable. Tout serait plus facile si le père était comme le fils.  

Sans laisser au mage l’occasion de se libérer, main si serrée qu’il sentait le muscle sous les couches de vêtement, il le tira jusqu’à une cour deux rues plus loin, à côté d’une Chantrie. Un immense feu de camp s’y épanouissait, la fumée brunâtre s’élevant au ciel dans un rappel de chaleur, entouré de quelques, peu nombreuses, sœurs. Lâchant le bras de son compagnon d’infortune, il se tourna vers lui.

« Votre père. Il – »

Une quinte de toux l’interrompit.

« Venez par-là. »

L’ordre claque sans même être pensé ; Lachlann n’est certes pas porté esprit, mais il reconnaît les hommes qui ne réfléchissent pas, et Arnth van Markham, avec toute l’envie distillée sur chaque mot, en faisait partie – des impulsions qui prennent le pas sur la raison, et font oublier que les autres ne ressentent pas les mêmes. Il n’a rien contre le nevarran, en soi, si ce n’est qu’il est au mauvais endroit au mauvais moment – les deux à la fois, ensemble et séparément, un petit exploit dans un monde où la concordance des deux faut souvent aux gens normaux. Il se satisferait de le voir revenir une autre fois, pourtant, à défaut de le voir dans un lieu plus approprié – qui sait, peut-être sera-t-il un allié appréciable dans quelques jours, ici même ? –, et s’apprête à le lui dire quand il attrape son bras pour l’entraîner ailleurs.

Il serre les dents, accélérant la cadence pour rester à sa hauteur et ne pas avoir l’air de se laisser traîner comme il le fait en réalité, visage fermé dans un mélange d’urgence et d’autorité visant à préserver sa dignité. Il prévoit de poliment le planter là dès qu’il sera libre, comme se doit devant chaque gênant égaré, quand le soldat fige ses pas pour tourner dans une cour et que… il se rappelle que le laisser irrésolu est la pire idée au monde, en plus d’être impossible. Diplomatie.

Un instant, il est de toute façon trop surpris pour riposter, fut-ce par geste ou par mots. Quel choix de lieux curieux, pour une nature aussi belliqueuse, que des funérailles ; les soldats n’évitent-ils pas ces événements, d’ordinaire ? Comme tout le monde ? Son bras se porte à son pendentif en un respect de réflexe, yeux s’arrêtant une seconde sur le bûcher avant que la voix impatiente ne les rappelle.

« Votre père. Il – »

La toux n’est qu’un signe du Créateur qu’il faut se taire.

Est-ce signe pour Lachlann de parler, ou de rendre un silence d’hommage au défunt ? Signe qu’ils peuvent encore partir et faire comme si cette escale n’avait été qu’un repos nécessaire ? Les sœurs les ignorent, toutes à leur tâche, et il s’assied finalement, faisant signe au nevarran d’en faire de même. Ils attireront moins l’attention ainsi. Il se garde bien de faire remarquer qu’une audience serait facile à obtenir s’il ne menaçait pas le personnel, et de partager ses propres pensées, plus intéressé par l’écoute pour l’heure ; le passage du glacial de l’air à celui du bois y est peut-être pour quelque chose.

« Que vouliez-vous dire à propos de mon père ? »

Sa voix est ferme sans se hausser, assez retenue pour ne pas déranger, inaudible à qui n’est pas proche par-dessus les craquements de bois.

La fumée était épaisse, lourde de cendres ; elle brûlait la gorge au lieu d’y laisser un arrière-gout de bois et de confort. Plus qu’une cheminée elle lui rappelait le porc dévoré par les flammes à la fête annuelle, si souvent oublié qu’on ne prenait plus que le plus gros de la région pour s’assurer que racler le brûlé laisserait plus que les os. Arnth aurait plutôt changé de maitre cuisinier, mais chacun sa méthode.

Yeux plissés vers la pyramide, il imita l’ancien prince et s’assit, soudain silencieux. C’est vrai. Ils les brûlent, ici. En secret, avec les sœurs pour seuls témoins. Et une urne pour… Enfin. Au moins le défunt réchaufferait-il quelques mains et leurs visages glacés, en dernier acte, il avait de la chance d’être mort en hiver.

« Que vouliez-vous dire à propos de mon père ? »

C’est un con, faillit-il dire. La docilité du mage le surprit, habitué à une coopération plus fière, mais le rappel de feu sa question le dissuada de s’y attarder. Il est fou, hésita-t-il aussi à dire, et vous y tenez ? – mais il effaça ces mots et bien d’autres. Certains noyaient le poisson, Arnth estimait que moins on disait, moins on risquait de sortir le mot de trop.

« Qui le remplacera et quand ? »

Le militaire semble comprendre, dans une certaine mesure, et accepter la discrétion qu’exige la situation ; mentalement, Lachlann soupire de soulagement, le lieu mal choisi plus tôt devenu aubaine étonnante ; faudrait-il un mort pour adoucir chaque rencontre, il l’envisagerait.

« Qui le remplacera et quand ? »

Comme s’il le savait, pense-t-il, malgré tout flatté qu’on le pense si au fait des choses privées du palais. Malheureusement, il doute que les plus proches du Prince en aient une vraie idée – Tiarnan parti, la certitude qu’il pouvait s’autoriser n’est plus, et quel bien aurait un souverain à nommer ses vautours ? Les plus bourgeoises des matrones n’en disent rien, par peur, ni les plus aimés des pauvres, pour ne rien souiller – s’il reste de l’humain en Kendric, et Lachlann ne connait d’homme qui le soit plus que lui, il n’aura rien dit. Par habitude. Par politique. Par fierté. Pourquoi le fils ainé en saurait-il plus que les autres ?

(La réalité brûle, et il préfère remonter le fil jusqu’à la satisfaction initiale.)

« Ce ne sont pas des informations à communiquer à l’étranger, messer. Je peux vous assurer que ce sera fait en temps nécessaire et par des gens compétents, le Créateur sait que nous n’en manquons pas – la régence de la princesse ces dernières années l’a prouvé. Pour ce qui est des noms, il vous faudra parier et espérer. »

Osera-t-il demander son soutien ? Moins à double tranchant que Keith, il n’en reste pas moins une menace, moins pour ce qu’il pense que ce qu’il fera. Il faudra bien t’associer à quelqu’un un jour.


« Rien n’est marqué dans le marbre, toutefois. Si un héritier a votre affection plus que l’autre, je ne doute pas que votre voix puisse… Influencer. »

Sa voix ou son épée ? Que la seconde aille aux Byrne.

« Pourquoi cet intérêt soudain ? »

Lachlann met un moment à répondre, le regard à la fois pointé sur lui avec la précision d’une lance et distant, dans un vague qu’il ne comprenait pas. Qu’y avait-il à réfléchir ? La question était pourtant simple, sans indiscrétion. N’importe quel paysan pouvait se la poser.

« Ce ne sont pas des informations à communiquer à l’étranger, messer.
– Vous admettez donc que le Nevarra n’est pas de chez vous, assena-t-il sans récolter plus qu’un froncement de sourcils du noble peu prêt à interrompre son discours.
– Je peux vous assurer que ce sera fait en temps nécessaire et par des gens compétents, le Créateur sait que nous n’en manquons pas – la régence de la princesse ces dernières années l’a prouvé. Pour ce qui est des noms, il vous faudra parier et espérer. »

La Princesse Eugénie, à la large robe rouge ; aux motifs lourds, à la couronne imposante, aux bagues épaisses et aveuglantes malgré les années qui avaient terni leur éclat. Voilà ce qui lui venait à son évocation, même si avec un effort il aurait pu se souvenir de la coiffure sous la coiffe et du visage au-dessus des joyaux. Il ne gardait de sa présence qu’un souvenir très vague, puisque ce n’était pas elle qui l’intéressait alors, mais celui-ci était plein de fierté, de protocole et d’apathie. Et c’était à elle qu’ils voulaient laisser la cité ? Enfin, peut-être se trompait-il. Rien en elle ne l’avait inspiré, mais après tout il ne l’avait vue qu’une fois, des années plus tôt. Qu’elle ne l’ait jamais contacté pendant sa régence, comme l’appelait Lachlann, ne jouait pas en sa faveur, mais le peuple avait semblé satisfait. Peut-être était-elle des rares qui brillaient en l’absence de leur mari ?

« Rien n’est marqué dans le marbre, toutefois. Si un héritier a votre affection plus que l’autre, je ne doute pas que votre voix puisse… Influencer.
– Comptez-vous faire de même ? Votre mère apprécierait sans doute le soutien. À moins que votre choix ne se porte ailleurs. »

Il n’ignorait pas les ambitions du mage, bien sûr – il aurait fallu être sourd. Pour autant il ne pouvait pas être sans avis sur la question.

« Pourquoi cet intérêt soudain ? »

Une garde des ombres m’a dit d’y aller en force et votre interruption m’inspire. Sa patience était à son bout, mais l’information restait précieuse pour la suite. Voire l’avant, si prendre deux jours pour informer le ou la concernée le plaçait dans ses bonnes grâces…

« Ses jours sont comptés, dit-il honnêtement. Je préfère savoir qui flatter quand ce sera fait. »

Parce qu’exprimer ses condoléances à la mauvaise personne pouvait insulter un jeune Prince. Parce que se montrer surpris d’une Princesse ou d’un mage serait fort malvenu. Foutus Vaëls.

Le rappel du Nevarra ne l’amuse pas, vu le contexte, et il remet l’habituation à l’idée de cette indépendance à plus tard – sans doute faudra-t-il l’accepter avec l’aide d’Arnth si elle vient, mais une chose à la fois. Il a déjà assez à faire avec le chant funéraire, sombre et entêtant, et la conversation devant eux pour ne pas se dissiper avec celle qui n’a pas lieu. Le soutien qu’il lui a tièdement assuré la première fois qu’ils se sont vus devra suffire.

Il ne répond pas non plus à la question de son propre soutien, mi-amusé, mi-agacé par cet interrogatoire qui ne cesse de rappeler à quel point le nevarran serait meilleur général que politique et à quel point Lachlann ne sait rien. Il a promis son soutien, un jour, sans en penser un mot ; il vient de le refaire presque sans le vouloir… La question, qu’il évite depuis vingt ans, est omniprésente – tout sauf Tiarnan, tant que c’est un Vaël, ce qui lui laissera la place en premier, aucune n’est tout à fait vraie mais en ces temps il faut bien se placer. N’est-ce pas pour cela qu’il est venu aujourd’hui ?

Il n’est pas au fait du fonctionnement du feu, n’a jamais été intéressé par son appétit particulier, alors il ne saurait dire de quoi vient le nuage gris sombre qui vient accompagner les mots suivants, brouillant sa vision sans cacher la moindre syllabe. Mauvais présage.

« Ses jours sont comptés. Je préfère savoir qui flatter quand ce sera fait. »

Le chant des sœurs se fait plus soutenu, l’harmonie fin trouvée rappelant qu’au-delà d’un corps c’est un homme qu’elles envoient au Créateur. Son père sera-t-il un jour à sa place ? Bientôt ?

« Vous en savez plus que moi, répond-il sèchement. La dernière fois que je l’ai vu il était plein de vie. »

Quand il hurlait dans une cathédrale. Mais est-ce qu’Arnth l’a vu depuis ? Probablement pas. Non, c’est une menace en bonne et due forme. Le crépitement familier au bout des doigts revient, qu’il n’a plus senti depuis… depuis longtemps, renforcé quand le poing serré rapproche les doigts. La force respecte la force. Il secoue la tête, le souvenir d’un abruti à l’arrière de l’esprit, un brûlement salé au cœur. De la magie dans Sa demeure, quelle idée ? Aussi que ce soit Ta volonté, Créateur et Créateur de nos pères, de nous pardonner et de nous faire grâce pour toutes nos fautes…

MAIS QUEL GRAND MALADE. Plus qu’en colère il est – énervé, d’accord, mais d’une exaspération particulière, au fond de laquelle brille une mince lueur d’espoir. Peut-être ?

« Vous savez aussi bien que moi que personne ici ne veut de votre Nevarra. Le mieux que vous aurez est une ambassade que personne n’écoutera. Si vous voulez plus, rendez-vous donc utile auprès de quelqu’un qui l’appréciera plus qu’un Byrne déjà populaire – trouvez une armée, revenez, perdez et on s’arrangera. Vous avez bien pris quelques cours de théâtre ? »

« Vous en savez plus que moi. La dernière fois que je l’ai vu il était plein de vie. »

Mallory aurait été fière – il sut sans hésiter que le Vaël avait compris. Il n’en doutait même pas. Pour autant, il ne le laisserait pas même faire semblant de l’ignorer – il refusait la moindre ombre de malentendu.

« Plus pour longtemps. »

S’il ne récolta pas plus qu’un hochement de tête en réponse, ça ne le surprit pas – les aristocrates avaient cette habitude d’ignorer tout ce qui ne les arrangeait pas. Il y eut une suite pourtant, qui transforma lentement la frustration en colère, le sang impatient en lave rageuse.

« Vous voulez que je quoi ? »

Il s’était levé, main levée et serrée autour du col du mage encore assis.

« Vous voulez que je vous donne mon pays pour faire joli sur votre biographie ? Vous voulez – messer, s’il faut vous faire disparaître pour mettre un gamin trop généreux sur le trône je serais plus aisément convaincu. Vous êtes – »

Un claquement de main impérieux l’interrompit, accompagné du regard noir d’une sœur qu’il n’avait pas vu approcher.

« Pardon. »

Honteux, il lâcha le col et fit un pas en arrière. Elle resta un instant de plus, expression inchangée, pour s’assurer que le message était clair avant de retourner au bûcher.

« Vous voulez une alliance, trouvez mieux. »

« Vous voulez que je quoi ? »

Lachlann se sentit décoller du banc et le souffle chaud du névarran l’envelopper. Bien sûr, regretta-t-il aussitôt, quelle idée avait-il eu de négocier avec des barbares ? À affaire havenoise, acteurs havenois ; cette alliance était infructueuse avant même d’être évoquée.

Cela changeait-il quelque chose ? Il avancerait, avec ou sans Markham. Il aurait pu en profiter – tant pis pour lui. L’intervention de la religieuse le mit de pire humeur encore, étouffant toute envie qu’il aurait pu avoir de le convaincre. Le défunt n’avait plus besoin de silence ni de respect, mais Andrasté, présente en chaque cérémonie…

Pardonne-nous nos offenses, car nous ne voulions pas t’offenser. Pardonne les errances de ceux qui connaissent trop la terre et trop peu Ton monde, et permets à leurs oreilles indignes de mieux entendre Ta voix…

Libéré, il s’était instinctivement levé, regard bas de repentir, et quand la femme partit et qu’il fut laissé face à l’étranger son ton était redevenu sec, regard trop clair pour être sombre mais assez froid pour être glacial.

« Vous comptez tuer mon père, ser, en oubliant que c’est son indulgence qui excuse votre présence chez nous. Je vous conseille de trouver une vraie armée, si vous ne voulez pas le suivre dans l’immatériel. »

S’était-il rendu compte du repos peu enviable qu’il offrait à son père ? Il n’en était lui-même pas sûr, tout à la fois conscient de ses mots et occupé à autre chose qu’à se les reprocher. Il était temps pour lui de reprendre le chemin du palais, avec en récompense de sa patience l’avertissement d’un coup imminent ; il allait laisser Arnth là quand quelque chose arrêta ses pas. Non, ça n’allait pas. Arnth n’avait jamais été très diplomate, mais il avait été volontaire, même patient. Il avait beau le respecter tout juste plus qu’un paysan, il connaissait son intellect, et il n’était pas absent.

« Un instant, murmura-t-il pour lui-même avant de se retourner vers lui. Vous êtes ici depuis des années, et ce n’est qu’aujourd’hui que vous vous souvenez de la violence. Que s’est-il passé ? »

Brève pause.

« Qui vous a mis sur la voie ? »

Les Gardes des Ombres n’avaient pas le droit de se mêler de politique, et Andra méritait de ne pas être radiée pour lui – à moins que ce ne soit une récompense, un billet vers la liberté, enfin ? De mémoire d’homme ce n’était jamais arrivé, un tabou si puissant que même les fables fermaient les yeux.

Il parvint à se tourner pour faire dos au rituel proche de la fin sans pour autant s’exposer aux regards de la rue.

La colère était retombée aussi vite qu’elle était venue, laissant derrière elle une inquiétude saupoudrée de regret. Le raisonnable, caché sous une table, peinait à se montrer, mais la lame contre le noble cou n’était bien qu’une transaction froide et réfléchie.

« Si ma méthode ne vous plait pas, plaignez-vous à votre père. Personne d’autre n’est responsable de ses erreurs. »

S’il insistait – il ne voulait aucun mal à Lachlann, en réalité, mais s’il fallait un coup pour s’en débarrasser il s’y résoudrait. Cette rencontre était déjà un échec : il ne connaissait pas d’héritier, n’avait pas plus d’alliés, n’avait même pas approché Kendric. Tout ce qu’il avait était un prince déchu soudain devenu défenseur de son vieux père. Même plus d’effet de surprise. À lui le retour à l’aide des diplomates, à attendre ce qui ne viendrait jamais… Ouais, non.

« Personne d’autre n’est responsable de ses erreurs. »

La lame contre sa gorge l’inquiétait moins que le bâton suppliant de l’utiliser. Et celui-ci inquiétait sûrement le nevarran moins que le risque de gardes armés lancés contre lui au moindre geste. Derrière eux, les sœurs s’étaient tues, attendant sûrement que le passage se libère. Le crépitement du feu avait faibli, lui aussi, et donnait à sa voix un ton plus menaçant que toute son autorité réunie. Leurs visages étaient si proches qu’il n’avait pas à la lever très haut pour se faire entendre.

« Vous devriez quitter la ville, » siffla-t-il.

Lui non plus n’allait pas parler au prince aujourd’hui, finalement, Arnth avait trop ruiné l’ambiance – un simple message aux gardes postés à l’entrée suffirait.