Toi qui passes libre, souviens-toi — Libre
Dès la mi-Longnuage, la petite place sur laquelle siégeait la chapelle de Niklaus avait été prise d'assauts par les arrivées successives et continues de malheureux et malheureuses fuyant l'Enclin. Et si la garde locale faisait de son mieux pour chasser ces nouveaux venus et tenter de garder sous contrôle les pavés du port, pour une personne de délogée c'était inlassablement deux qui s'y installaient le lendemain. D'autant plus que chaque semaine l'endroit se transformait inlassablement en capharnaüm de gens lorsque les marmites étaient de sortie sur le parvis et qu'une queue toujours plus longue que la précédente s'entassait jusqu'aux portes de son église.
Ah clairement il n'était plus question seulement de recueillir les chats.
- Ne poussez pas pour l'amour d'Andraste. Tonnait inlassablement la grosse voix du prêtre en tête du rassemblement de religieux. La phrase était répétée plusieurs fois dans un antivan puis un rivenien écorchés, entrecoupée de poignées de mains, d'ordres invectivés à droite à gauche et de « Bonjour, que le Créateur vous bénisse » murmurés avec un regard las tandis que s'enchainaient sans fin les bols remplis de bouillasse couleur aussi brune que le sol et les petits pains qu'une armée de doigts voraces s'arrachaient presque les uns aux autres.
Mais nonobstant son allure grisâtre, ses cernes marquées et sa voix qui s'écaillait au fur et à mesure que le soleil déclinait, il y avait encore comme une sorte de lumière dans l'oeil clair du chantriste. Un halo de poussière, d'air marin et de fraîcheur au dessus de sa tête.
Il semblait être à sa place. Pire il semblait presque comme épanoui dans cette misère nouvelle et pourtant familière. Lui qui avait tant voyagé, tant connu la laideur aux abords des batailles, des grandes migrations, des tragédies humaines, il était peut-être réellement pour la première fois depuis des années chez lui.
- Hé vous là-bas ! Oui vous ! Approchez. Difficile de déterminer pourquoi exactement ce prêtre était en train de vous interpeller vous qui ne faisiez que passer dans le coin mais difficile également de vous soustraire à cette paire d'yeux rivés vers vous ainsi que ce doigt presque accusateur. À peine avez-vous fait deux pas dans sa direction que plusieurs casseroles plus ou moins sales s'échouèrent entre vos bras démunis et que le frère en question reprit après s'être raclé la gorge : Auriez-vous l'obligeance d'emmener tout ceci à l'arrière ? Soeur Mireille vous les remplira. Et impossible de lui dire non maintenant que vos mains étaient remplies.
En revêtant son armure, ce matin-là, Islan se para du même temps d’un cœur d’acier. Il était ce matin envoyé au port de Cairnayr, lieu privilégié d’arrivée les migrants fuyant l’Enclin, où il devait endiguer ces arrivées trop nombreuses, faire fuir les manants et maintenir l’ordre souhaité par la couronne. Islan effectuait la sale besogne, comme toujours, c’était les Elfes qu’on envoyait aux tâches ingrates, c’était les petites gens qui devaient recevoir les foudres du peuple, sous le regard inquisiteur de la hiérarchie. Face à ces démunis, Islan se sentait tout puissant, personne ne lui en voudrait si un coup de pied lui échappait, on ne le reprendrait pas s’il emmenait une jeunette chez lui, pire, on encouragerait son sens du devoir.
L’oreille plate tirait de la satisfaction à devenir enfin le prédateur, à être du côté des puissants. Enfin, il se trouvait du bon côté de la barrière.
La petite troupe d’une dizaine de gardes s’éloigna de la garnison dans un silence uniquement déchiré par des phrases destinées à réchauffer l’ambiance. Le groupe allant bon train, ielles mirent moins d’une heure à rallier le port. Une heure parsemée de taudis construits de bric et de broc, des regards fuyants face à l’autorité représentée par les gardes aux armoiries de Starkhaven et de sanglots étouffés. Islan toisait les hommes et femmes qui se trouvaient là, mais avait un sourire amical pour les oreilles pointues qu’il apercevait. Arrivé·e·s au cœur du grand port hurlant et puant, les hommes et femmes armé·e·s se divisèrent et commencèrent leur tâche. Usant du manche de leur arme, ielles repoussaient les hères et troubles-faites.
Islan participa à cette fête funèbre, de son fourreau, il fit dégarpir cette femme sale au regard désespéré. Le malaise s’estompait au fur et à mesure des actes de répression, plus ou moins violents. Le groupe de gardes faisait bloc, mâtait les rebelles et fermait le clapet des quelques héros qui se levaient contre elleux. Leur mission se répétait, Islan prit sa part dans un corps à corps qui l’emmena au sol face à une humaine hors d’elle, la gadoue emplit ses narines et son souffle coupé net. Il se débattit un instant avant qu’un collègue ne vole à son secours.
« _ Vas-y Islan, montre-leur ! »
Islan ne prit pas le temps de remarquer le visage de détresse de la femme, il l’empoigna par le col. Des vêtements trop grands et rapiécés, un poids associé à une sous-nutrition forcée et quelques gémissements. Islan était en colère, les encouragements des autres attisèrent cette haine, il voulait leur montrer, prouver qu’il avait sa place. D’abord, son front rencontra le nez de sa victime, dans un craquement assourdissant, après un silence, les rires et les hourras de ses comparses résonnèrent, alors qu’elle cherchait à couvrir son visage de ses mains, Islan ne la laissa pas faire et raffermit sa prise sur son col. La mâchoire serrée, il la fit valser dans une foule qui s’écarta sur le passage de la blessée avant de s’enquérir de son état.
Pour la première fois de sa vie, Islan remarqua les diverses réactions, les regards assassins qu’on lui lançait, les yeux qui s’abaissaient face à lui et le sentiment galvanisant d’appartenir au groupe. Il sortit de là d’autant plus déboussolé. La nouvelle de la présence d’un régiment de gardes de Starkhaven à Cairnayr se répandit comme une traînée de poudre et si certains préférèrent prendre la fuite, d’autres trouvèrent malin de les confronter. L’acier parla, mettant en déroute les nouveaux dissidents.
Le groupe se trouva bientôt sur un parvis remplit, attendant patiemment une pauvre pitance. C’était ça, l’Enclin. Islan se sentait heureux de ne pas être des leurs et il serra d’autant plus fort son fourreau. Les gardes se disloquèrent pour traverser la place, Islan perdit de vue la garde qu’il suivait pourtant un instant auparavant, puis il se fit bousculer, dans un grognement, il se dégagea accompagnant son coup d’épaule d’un regard assassin.
Sa journée prit alors une tournure inattendue, un homme à la crinière noire l’interpella, un saint-homme, à en juger par son habit. Islan ne portait pas les Chantristes dans son cœur mais on ne créait pas de vagues entre les gardes et la Chantrie. Alors, il s’approcha et, à peine deux pas parcourut, qu’on lui fourra de vieilles écuelles ragoûtantes.
« _ Eh, mais j’chuis pas… »
Il ne put terminer sa phrase alors que le Frère l’incitait à retrouver Soeur Mireille, à l’arrière. Déboussolé, l’Elfe resta un instant coi. L’autre n’avait-il pas vu son habit rouge ? Sa cape couverte de boue n’aidait en rien. Il hésita, machinalement, il se dirigea vers l’arrière, après-tout, il voulait se débarrasser au plus vite de ces encombrantes casseroles. A peine quelques mètres plus loin, la voix de la fameuse Soeur Mireille résonna.
« _ Pose-ça là, allez, on a encore tant d’estomacs à remplir. »
Islan se débarrassa de son encombrant paquet et tourna le dos tout aussi vite. Il se trouva nez-à-nez avec le Frère qui l’avait interpellé.
« _ J’ai une vraie mission, mon Frère… commença-t-il »
Quoique... Lorsque le garçon revint quelques minutes plus tard les mains vides et la mine encore plus renfrognée qu'auparavant, Frère Niklaus ne put que lui adresser un long regard dubitatif.
- Vous n'avez pas ramené la fournée suivante ? Les militaires de cette ville ne tenaient jamais leur propre mess de temps à autres ? Il y a vraiment des valeurs qui se perdent.
Les pupilles bleu froid du prêtre restèrent inchangées face au commentaire du garde. Pas un nuage sur la figure du bon père Niklaus qui toisa le brun d'un air que la fatigue rendait certainement plus dur et par conséquent plus incisif que d'ordinaire. L'homme de foi ne manqua pas de remarquer les traces sur la figure de l'autre, la saleté sur ses gants, la façon dont ses cheveux étaient emmêlés. Il baissa même un instant les yeux sur le fourreau accroché autour de sa taille et l'espace d'une demi-seconde sembla être sur le point de froncer les sourcils, comme s'il s'apprêtait à sermonner cet elfe qui avait certainement l'air d'être tout droit sorti d'une esclandre.
Il pensa à la grande marche de Drakonis, à la garde qui avait fendu la foule à coups de fer et de crosse. Aux cris, aux pleurs, aux chants, l'odeur du lyrium dans le fond de l'air, toute cette lumière haute dans l'horizon. Et il éteignit ce souvenir comme un vieux rêve d'un clignement d'oeil. Un rideau noir de cils tombé sur ce tableau vieux de plusieurs semaines.
Puis, son visage se décrispa soudainement, fendu d'un sourire déconcertant tandis que s'allumait dans ses yeux mornes une lueur insolente :
- Une vraie mission ? Comme celle de servir et de protéger la cité et ses habitants mon fils ? Rétorqua le chantriste sur le ton du cynisme avant de se pencher au-dessus de sa marmite pour en racler le fond et servir un bol qu'une femme visiblement pressée lui arracha presque aussitôt des mains. La foule était vorace aujourd'hui et nul doute que la présence de ce milicien n'aidait en rien à la rendre plus patiente. Bien au contraire.
- Et quelle est-elle cette mission ? L'interrogea-t-il en s'écartant d'un pas pour laisser place à Soeur Mireille qui venait de débarquer sans prévenir.
La soeur s'interposa entre eux deux dans un claquement de sabots et un froissement de tissu. Elle était armée d'une lourde marmite fumante qu'elle semblait tenir par la force d'Andraste entre ses paumes mains ridées :
- Dis donc on t'a jamais appris qu'il faut jamais avoir les mains vides dans le service ? Avec une vitesse presque déconcertante compte tenu de son âge avancé et de son épaisse silhouette engoncée dans sa robe et de ses rides sévères, la Soeur interchangea les marmites sans cesser de grincer : Me faire porter tout ça avec mon dos !
- Il est nouveau. Répliqua son confrère quand bien même la nonne fonçait déjà de nouveau vers l'arrière, sans se soucier d'une réponse.
- Prophétesse, j'espère avoir sa fougue quand j'aurais son âge. Pensa Niklaus à haute voix avant de revenir au garde.
Se saisissant d'une louche en plus, il désigna la pile de bols lavés à la vite à leurs côtés et reprit : Allons, plus vite cette marmite sera vide, plus vite vous pourrez revenir à votre véritable mission mon fils.
Il était évident que Niklaus se fichait autant du glaive à sa ceinture que des évidentes traces d'affrontement sur ses habits. Pour lui compassion ne faisait aucune distinction d'insignes ou de formes d'oreilles. Ici, en bas monde, tout le monde saignait de la même couleur. Et ici, en plein Enclin, tout le monde pouvait se retrouver du jour au lendemain dans la misère. Alors autant mettre à profit le temps que le Créateur leur accordait encore pour mettre la main à la pâte.
Car mieux valait mettre les doigts dans la soupe que dans la figure de son adelphe.
CT : 14
End : 13
For : 12
Perc : 16
Ag : 14
Vol : 10
Ch : 14
C’est le boulot qui a poussé les pas de Yara jusqu’à Cairnayr ce jour-là. Le soleil est bas sur le grand-port, les nuages encore plus, mais la misère n’a pas besoin de lumière pour ressortir comme une plaie. Elle se lit sur les visages creusés, trouble les yeux hagards, et s’accroche aux fils des haillons dans un spectacle désolant – épouvantable même pour une gosse du bascloître. Est-ce vraiment là qu’elle a passé les deux premières années de sa vie ? Dans l’une de ses ruelles que l’on a retrouvé le corps de sa mère ? Dans l’un de ces taudis qu’elle vivrait encore, si le meurtre n’avait pas eu lieu ?
Elle a beau ne pas – ne plus – le regretter, ce passé empli de possibles s’évertue à l’assaillir ; inscrit sur chaque pavé, chaque bateau de pêche. Est-ce parce qu’elle a quitté le lit qu’elle partage avec Ielvin à l’aube plutôt que l’une de ces piaules qu’elle squatte parfois ? L’humidité fraiche du printemps ne suffit pas à laver l’indigence des rues et son esprit des pensées parasites. Pire : elle s’accompagne d’une gêne désagréable dans ses doigts et ses orteils ; le tout l’empêchant de se concentrer correctement sur sa mission. Petit à petit, son humeur venteuse devient exécrable ; s’aggrave encore lorsqu’un chahut attire son attention. D’ombrageux, son regard se teinte d’une animosité glaciale car là, au-devant d’elle, des réfugiés en sont venus aux mains avec la garde.
Encore et toujours cette saloperie de garde.
Impossible de dire qui a commencé, mais la bataille se révèle vite inégale. Les bras maigres se brisent sur l’acier, les soldats rient, s’interpellent, ne retiennent pas leurs coups. Se joindre à la rixe serait stupide – vraiment stupide vu ce qui l’amène ici – et pourtant les doigts de Yara la démangent, se dirigent vers sa poche avant de se figer brutalement.
Elle a cru reconnaître l’un des hommes en armes.
Islan.
Oui. C’est bien lui, aux prises avec une femme qui doit peser moins de la moitié de son poids. Lui qui assène à la malheureuse un coup de boule qui propulse sa tête en arrière avant de la jeter à terre sous les vivats de ses camarades. En retrait, les poings et les dents serrés à craquer, Yara observe et attend que la garde se soit éloignée pour approcher la femme qui tient à peine sur ses pieds, soutenue par des hommes au regard haineux, dégoutté, résigné.
« Pour ton nez. » déclare-t-elle avant de lui tendre un tissu et de glisser discrètement une pièce dans sa poche.
Puis elle se met à suivre l’elfe, sans trop bien savoir pourquoi elle ne se montre pas. Le choc de ce à quoi elle vient d’assister ? Le récit que Ielvin lui a fait de la répression ? La curiosité malsaine de voir ce qu’il compte faire ensuite : se choisir une nouvelle victime ou enfin avoir un putain d’éclair de lucidité ? Yara attend toujours qu’il fasse son choix quand l’univers décide brusquement pour lui par l’intermédiaire d’un homme qui lui colle des écuelles entre les bras. Un homme qui, d’après sa tenue, appartient à la Chantrie.
Trop concentrée sur sa filature, la voleuse n’a pas tout de suite réalisé qu’elle s’était aventurée sur le parvis d’une chapelle modeste. Au milieu de ce qui ressemble à une distribution de soupe populaire, Islan se déplace maintenant avec un air coi qu'elle pourrait trouver comique s’il n’y avait eu ces débordements plus tôt, puis se retrouve de nouveau face au frère vêtu de rouge. Là, alors, son expression se ferme. Pas besoin de saisir les mots qui quittent les lèvres pour deviner leur message.
Ce foutu crétin.
Malgré son désir initial de discrétion, malgré son rejet de tout ce que représente la foi chantriste, Yara sort des ombres, fend le flot de badauds attendant leur pitance – juste à temps pour surprendre la réponse du religieux – et, avant qu’il n’ait encore eu le temps de protester, abbat brutalement sa main sur l’épaule d’Islan :
« Oh, mais vous avez raison, mon frère. Il va vous aider. »
Avec sa tenue sombre, son couteau dans sa botte, sa fronde bien dissimulée et ses poches remplies de pierres trouvées sur le chemin, la demie-elfe se sent plus proche de préparer un mauvais coup que de secourir son prochain. Mais les apparences semblent tenir à se montrer trompeuses, aujourd’hui : pour preuve le visage plutôt rude du frère andrastien, et cette carrure que l’on imaginerait plus à sa place dans l’armure que dans la bure. Yara le regarde bien en face ou plutôt essaie, car le bougre – fait rare – la dépasse – avant de déclarer :
« Moi aussi, d’ailleurs. Pas vrai, Islan ? »
Et de se fendre d’un sourire tordu à l’adresse du concerné, les yeux brûlant d’un défi muet :
Va y. Ose me contredire. Donne-moi une bonne raison d’exprimer ma colère.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : c’est bien parce qu’elle l’aime qu’elle ne lui laisse rien passer. Hors de question de laisser l’enfant de ses souvenirs se comporter comme le pire des connards venus. Et si cela implique de donner du « mon frère » souriant à un frappé du Cantique, qu’à cela ne tienne.
Alors Islan, que choisis-tu ?
A Cairnayr depuis le bon matin, Yara assiste à la rixe entre la garde et les réfugiés. Dégoûtée par les agissements d' @Islan lors de celle-ci, elle glisse secrètement une pièce à sa victime puis décide de lui donner une bonne leçon, lui forçant la main pour qu'il se décide à venir en aide à frère @Niklaus.
She broke the rest.”
V.E. Schwab, A gathering of shadows
Yara râle et s'esclaffe en #996699
Islan n'était pas croyant. Jamais une quelconque force supérieure ne l'avait aidé. Sa famille avait toujours été miséreuse, qu'elles qu'aient été leurs actions. Quel divin laissait des orphelins dans son sillage, des enfants sans figures parentales, livrés à eux-mêmes ? Si des dieux existaient bel et bien, ils étaient égoïstes et mues par un idéal biaisé où les parents d'Islan n'avaient pas leur place. Où il n'aurait jamais la sienne. Donc, la Chantrie, ses cantiques et l'ensemble de ses représentants, Islan n'en avait cure et se portait très bien sans ce caillou dans sa botte. Alors, quand le regard clair du frère le transperça et l'apostropha de son ton moralisateur, remettant en question sa mission, Islan sentit ses muscles se tendre.
Ainsi, Sœur Mireille sauva probablement le nez de Niklaus en lui fourrant une nouvelle marmite dans les bras. L'elfe étouffa un juron, ce truc était lourd, en plus !
Il grogna une nouvelle réponse inaudible, roula des yeux pour marquer son mécontentement et hésita un instant à retourner le contenant de soupe sur la tête du Chantriste. Il n'en fit rien, même à ce moment il lui restait une âme qui se souvenait de ces nombreuses nuits à se tordre de faim sur sa couche. Il devait s'employer à une autre stratégie.
« _ J'nie pas l'importance de vot’tâche, mais que j’dois assurer la secu… commença-t-il »
Une main se posa brutalement sur son épaule. En un coup d'œil, Islan reconnut Yara. Yara, toujours en train de traîner dans des endroits louches. Si l'immense contenant n'avait pas été dans ses mains et Niklaus en dehors du champ audible, il l'aurait sans doute questionné sur ses affaires du jour. Mais voilà qu'elle l'engageait dans cette tâche qu'il s'était efforcé à esquiver. A nouveau, il leva les yeux au ciel. Islan voulu répliquer, mais, il croisa le regard de celle qu'il eut considéré comme sa sœur, ces yeux pleins de haine où brûlait l'envie de lui faire mordre la poussière.
Il sût.
Elle l'avait vu.
La honte grimpa jusqu'à la pointe de ses oreilles. Chose qu’il chercha à cacher, il bourra Yara de son épaule, la marmite entre les mains pour se diriger vaillamment vers les hères. Puisqu’on semblait vouloir de lui ici, maintenant, pour cette tâche ingrate, il rangea sa fierté et décida que toustes seraient étonné.e.s de sa promptitude à servir de la soupe, sans en laisser une goutte tomber au sol.
« _ Soupe ! Soupe qu’est bien chaude ! hurla-t-il à travers la place et les personnes se précipitèrent autour de lui, sans prendre garde à sa tenue, ou l’épée à sa ceinture. Tendez vos bols bien hauts, oui, là, comme ça. Bien sûr, il s’y prenait comme un pied sans la moindre organisation ou vision de répartition de sa soupe. Bon, Yara, c’est qu’elle va pas se servir toute seule, cette soupe. Tu viens ou quoi ? Il fronça les sourcils en fustigiant du regard la demie-elfe. »
Cairnayr est un peu triste, aujourd’hui. Pourtant, l’énergie folle et humaine se déverse dans les rues, dans les tavernes, sur la place du marché, ou dans ses ports. J’aime beaucoup Cairnayr, ça me rappelle un peu la maison. Très différent et bien plus froid, mais c’est une nostalgie déformée qu’elle m’inspire. Le vent salé, les bateaux qui chavirent en douceur, les marchands et marins qui se promènent d’un bout à l’autre, ..
Mais depuis la terrible nouvelle, Cairnayr perd de son charme pour mettre les mains dans la boue. Et il est de mon devoir de ne pas laisser ce petit coin de paradis modeste se débrouiller tout seul. J’ai donc pris ma roulotte, comme à mes habitudes depuis quelques temps, pour déambuler en ville en quête d’une bonne place. Réchauffer les coeurs, les faire rire ne serait-ce qu’un peu, échanger un peu, raconter des histoires, amuser les enfants. Prendre soin des autres n’est pas une tâche des plus simples, mais c’est quelque chose que j’aime faire. J’aime bien Starkhaven dans le fond, et si chacun peut avoir un peu de lumière dans sa vie, alors le monde s’en portera que meilleur.
Comme je le fais parfois, je gagne la place de la petite église – église ? chapelle ? ils ont tant de noms différents. Mais à mon grand désarroi, elle déborde d’individus, impatients et affamés. Pire : des hommes armés encadrent les lieux, perturbent la docile file, et mes dents se serrent. Est-ce dont une façon de protéger son peuple, que de le brutaliser ? N’y a-t-il donc que la peur pour régner en paix ? Je secoue la tête. Ce n’est pas le moment de se laisser aller au pire : ce n’est pas mon travail, que de ressasser le mauvais.
Je ne vends pas mon café, dans ce genre d’endroits. J’en fais don, car ils en ont besoin. Un peu de chaleur humaine, un peu de merci, de gentillesse. L’amertume du café pour ne pas oublier, mais son énergie pour s’électriser et continuer d’aller de l’avant. Ce n’est qu’un modeste petit café, mais je sais qu’il accomplit bien des miracles.
Depuis longtemps que je voulais aider cette triste foule qui s'amasse ici chaque jour. Ils me font de la peine, mais ce n’est rien à côté de celui en longue robe qui doit orchestrer tout ça. S’assurer que toutes et tous ne manquent de rien. Garder une façade rassurante pour eux, leur donner espoir. Ça fait un moment que je l’observe de loin, observe ses actions, ce sourire imperturbable, et je ne peux qu’en être admiratif. Alors, aujourd’hui j’avais décidé de faire un premier pas dans sa direction. Lui filer un coup de main comme il le méritait, et peut-être le récompenser d’un petit café bon chaud ?
Je m’approche donc, grand sourire aux lèvres, plein d’espoir et d’énergie, prêt à en découdre. Malgré la foule, je le repère aisément, lui la grande silhouette aux couleurs vives, face à deux individus avec qui il semble discuter. Une énergie curieuse et mystique émane du grand personnage – religieux ? –, une sagesse sans borne, un calme contagieux. Mais rapidement, un de ses deux interlocuteurs, en tenue plus militaire, part subitement avec une grosse marmite entre les mains. Ooooh, pleins de gens viennent l’aider, c’est super ! Le monde déborde de personnes si généreuses !
Et me voilà, qui arrive avec ma petite roulotte à café, qui fais un signe de la main très nerveux à l’intention de l’homme en longue robe. Nerveux, c’est en effet le cas de le dire : je ne sais même pas comment me présenter, comment je dois m’adresser à lui, si je peux venir aider avec mon café. Et s’il me trouve maladroit ou malintentionné ? Ou alors si je fais une bourde ? Mince, comment on les appelle, les gens comme lui ? Oh la bourde .. Un monsieur suffira ?
Mais trop tard, avec la distance toujours plus courte. Il va me falloir faire preuve de calme, de sérénité, de respect, de ..
- « BONJOUR !! »
.. de pas trop de spontanéité, peut-être. Je me racle la gorge, très très trèèèès visiblement mal à l’aise. Je frotte mon pied contre le sol, me frotte doucement la mâchoire d’un doigt replié, le regard presque dans le sien – vers son front, son nez, .. Je ne suis pas très doué pour regarder dans les yeux, je trouve ça très intimidant.
- « H-heum je suis venu donner un coup de main ! Je fais don de mon café certains jours dans les rues de la ville, e-et ça fait un moment que je vois tout ce que vous accomplissez ici et je voulais vous donner un peu d’aide ! »
Mince ! Peut-être manque-t-il de soutien pour la distribution de la soupe ! Quel égoïste, oh là là, décidément je fais bien n’importe quoi aujourd’hui !
- « Enfin si vous avez besoin d’aide aussi pour votre soupe, je suis votre homme ! »
CT : 14
End : 13
For : 12
Perc : 16
Ag : 14
Vol : 10
Ch : 14
Parce qu’elle le connait bien, Yara perçoit le moment où Islan s’apprête à répliquer quand, soudain, quelque chose passe dans le regard bleu et réhausse les tâches de rousseur d'écarlate... Une émotion visiblement désagréable, puisque c’est brusquement que l’elfe se dégage, envoyant un coup dans son épaule qui la fait grimacer avant de se mettre à hurler :
« Soupe ! Soupe qu’est bien chaude ! »
Il a cédé plus facilement que prévu. Elle qui s’attendait à devoir insister se retrouve aussitôt plantée comme une idiote, à ravaler ses arguments puis palper son articulation douloureuse d’avoir crapahuté sans relâche pour surveiller la fripouille citadine ; et le tout devant le frère Chantriste ! Une situation qui ne manque pas de la faire bouillir, surtout quand son ami d’enfance décide de faire le malin :
« Bon, Yara, c’est qu’elle va pas se servir toute seule, cette soupe. Tu viens ou quoi ?
— Je vais tuer ce crétin. »
Le marmonnement fuse d’entre ses dents serrées alors qu’elle s’éloigne sans plus de cérémonie du religieux. Ce dernier va de toute façon avoir à faire avec le nouveau venu qui approche, et dont le salut aussi enthousiaste que strident menace de les rendre sourds. Bonté divine ! Tous les ahuris du coin se sont-ils donnés rendez-vous sans qu'elle le sache ? Le reste des paroles candides entrecoupées d’hésitation continuent de lui parvenir tandis qu’elle contourne la roulotte à l’odeur étrange et, si elle ne peut s’empêcher de les trouver ridicules, elle n’en montre toutefois rien. Peut-être est-ce ce dont cette foule malheureuse a besoin : un benêt qui lui sourit largement, et avec comme un éclat de soleil dans la voix pour chasser cette pluie qui n’en finit pas de tomber.
Une lumière d’autant plus bienvenue qu’ils ne sont pas près de la trouver chez-elle.
« Non, non, pas comme ça ! Tu crois que c’est le sol qui crève de faim ? » qu’elle râle en attrapant la louche pour interrompre les gestes brouillons d'Islan. « Tu vas finir par en foutre partout ! Faut donner la même portion à tout le monde ! C’est pourtant pas compliqué, bon sang ! »
D’aucun pourrait juger puéril que Yara poursuive les chamailleries devant tous ces gens affamés. Et évidemment qu’il ne s’agit pas du meilleur lieu où régler ses comptes. Evidement que se retrouver face à ces visages creusés et fiévreux lui fait quelque chose. Ce n’est pas qu’elle est insensible, juste qu’elle ne connait pas ces personnes comme elle connait l’elfe à ses côtés. Ce frère dont elle ne comprend pas qu’il ait conservé son épée après la Guerre des Rats ; comprend encore moins qu’il soit devenu comme ceux qu’il disait vouloir combattre et détester : un outil de violence de plus, dirigé vers ceux qui ont le malheur d’être moins chanceux que lui.
« Vous-là, formez une ligne ! Voilà, comme ça. On s’y retrouve plus sinon. Et toi ! Oui, toi ! Tu crois que je t’ai pas vu tout à l’heure ? C’est un bol par personne ! Bon, écoute : tu prends les écuelles, je remplis et tu distribues, ou on y s’ra encore demain. »
Rejetant sa tresse en arrière d’un mouvement vif, Yara dégage les quelques mèches que la bruine a collé sur son front. Le service est plus sportif comme prévu – la marée humaine se fracassant contre leur table de fortune comme les vagues sur les digues du port. Port où elle est, d’ailleurs, venue ce matin comme tant d’autres auparavant non pas pour donner des leçons, mais bien parce que les criminels ont tendance à s’accrocher à la misère comme un chien à son os. Ah ! Qu'Islan soit maudit de lui avoir forcé la main dans cette galère car voilà que, plutôt que de se mêler au brassage des réfugiés et à son désordre si propice à la dissimulation, elle reste coincée ici ! Que, non content de titiller son estomac vide, chaque sploch de soupe brunâtre vient souligner ce contretemps dans ses efforts pour débusquer la Corneille !
Cet ivrogne de Bardane a intérêt d’avoir plus de succès avec le lyrium et les mages du Cercle !
Le raclement de la louche contre le fond de la marmite se pare de sonorités vindicatives ; la frustration de la demi-elfe d’autant plus grande que son compagnon lui a imposé un rythme infernal :
« T’es plein d’entrain, dis-donc. Déjà envie d'une nouvelle femme à brutaliser, ou t’es juste pressé de te débarrasser de moi ? »
Agacée par le comportement d' @Islan, Yara prend le contrôle de sa distribution de soupe avant de le provoquer.@Niklaus, @Tiaru Tohopka, venez et empêchez ces deux là de s'entretuer svp.
She broke the rest.”
V.E. Schwab, A gathering of shadows
Yara râle et s'esclaffe en #996699
Islan et Yara. Elle n'avait ni la taille, ni les oreilles d'une elfe et pourtant elle semblait bien le connaître. Son nom aussi faisait elfe. Mais il n'eut guère le loisir de les détailler plus longtemps qu'une voix enjouée le fit sursauter :
- B-bonjour ? Répondit-il en tournant la tête vers cet éclat de soleil qui venait d'apparaitre comme par un miracle du Très-Haut devant sa personne. Il ne lui fallut pas longtemps pour reconnaitre la bouille de ce bon samaritain qu'il avait déjà observé plusieurs fois distribuant un breuvage chaud aux hères du port.
Le jeune homme semblait nerveux. Mais comme à chaque fois qu'il l'avait vu de loin se mêlant aux réfugiés, il lui semblait qu'il transpirait la gentillesse. Niklaus lui sourit.
- Bien sûr mon fils. Toute aide est la bienvenue. Faisons une autre file pour votre café. Posant une main sur son épaule et haussant la voix pour s'adresser à la foule : S'il vous plaît, faîtes la queue ici si vous voulez de quoi boire. Oui ici !
Il se répéta plusieurs fois, agitant le bras pour séparer la masse en une nouvelle ligne et jeta un coup d'oeil au couple de nouveaux volontaires, soucieux de s'assurer qu'ils n'étaient pas en train de vider la marmite sur la tête d'un pauvre badaud.
- Merci mon fils. Un instant, je vous rejoins. Souffla-t-il au jeune homme avant de s'approcher du drôle de duo, ouvrant déjà la bouche pour suggérer à l'elfe d'aller plus doucement mais de mieux doser ses portions quand il fut pris de court par la demoiselle qui le corrigea sur un ton si autoritaire que lui-même préféra ne pas intervenir, ayant compris qu'avec elle la soupe serait entre de bonnes mains.
Ainsi le reste de la maraude s'acheva sans autre événement notoire. Comme souvent, les marmites se vidèrent avant les files et il fallut s'excuser platement auprès des malheureux restants, leur promettant que la prochaine fois il y en aurait pour tout le monde même si tout le monde savait qu'il n'y en aurait jamais assez. Mais il fallait persévérer, continuer de sourire, prendre les mains, bénir, regarder dans les yeux, écouter. Et demain tout recommencer.
Alors qu'enfin le rassemblement se dispersait et que les soeurs s'évertuaient à entasser casseroles, bols et marmites sur une petite chariotte qui filerait au couvent, Frère Niklaus interpela à nouveau ses trois recrues improvisées, leur faisant signe de rester encore un moment sur la place.
- Merci à vous trois. Vous n'imaginez pas à quel point vous nous avait sauvé la vie aujourd'hui. Suivez-moi. Il ouvrit les portes de la chapelle et à l'intérieur leur demanda d'attendre un bref instant où il disparut à l'arrière pour réapparaitre avec quatre gobelets et une bouteille de vin.
- Asseyez-vous si vous le souhaitez. Il remplissait déjà les contenants, tendant un premier verre. Je n'ai pas grand chose à vous offrir pour vous exprimer ma gratitude mais tenez, réchauffez-vous et désaltérez-vous avant de repartir je vous prie. Ce n'était pas une tâche facile. Toujours en souriant : Mes excuses, je n'ai pas eu le temps de me présenter correctement : je suis Frère Niklaus, soyez bénis par le Créateur.
Il ne les avait jamais vus à sa messe, se doutait qu'ils n'étaient pas de fervents croyants ce qui le touchait d'autant plus. Que la bienveillance puisse venir d'autre chose que de l'adoration divine.
- Cela me fait toujours grand plaisir de constater qu'il n'y a pas que les membres de la Chantrie qui se préoccupent des nécessiteux.
Que peu importait la race, les croyances, les origines, ils étaient tous là. Vivants.
(On peut finir là-dessus ou continuer un peu c'est comme vous voulez !)
« _ Hâte qu’te voir essayer. qu’il réplique à la menace de tentative d’assassinat de Yara avec un sourire espiègle. »
Ainsi voit l’entrée d’un nouveau larron avec une odeur amère qui supplante toutes les autres, sans compter une voix suraiguë tout aussi capable d’occulter le brouhaha de la place. Islan est bien trop concentré dans sa nouvelle tâche pour vraiment calculer l’arrivée du marchand de café, ce n’est de toute façon pas à lui de gérer cette situation. Il plonge la louche dans la marmite, fait déborder la louche, en renverse un peu par terre et étale le tout dans une écuelle sale mais désormais remplit. Le geste est tremblant mais la bonne volonté transpire. Il fait la moue quand Yara le recadre et lui vole sa louche.
« _ Mais ça va t’y pas ! C’est t’y pas qu’à moi qu’tu vas crever l'œil ! Qu’te foutrai d’un borgne, en plus ? Les mains désormais libres, il singe en cachant l’un de ses yeux et en faisant le pitre. Fais genre qu’tu t’y connais ! Et il attrape l’un des bols de bois tendu au moment où la soupe allait atterrir dedans et la soupe s’en va nourrir les pavés. Attention, toi aussi ! C’est t’y pas précieux la soupe du vieux ! Il continue de recueillir les bols et de les tendre à Yara, dans un balai incessant où leurs deux égos sont mis en compétition pour servir le plus grand nombre de soupes possibles. »
Yara donne de la voix pour continuer à arranger l’organisation, cela fait rouler les yeux d’Islan. Bien sûr, elle a toujours les bonnes idées et il passe pour un glandus.
« _ Ben ça va hein, t’as t’y pas inventé la roue. Tu crois quoi ? Il roule encore obstinément des yeux et accélère la cadence des bols. »
La file ne semble pas vouloir trouver de fin, les vieux, les pauvres, les elfes, les nain·e·s et même les humain·e·s, les femmes, les hommes, les autres, tout le monde en a après leur soupe. Pourtant, elle n'est guère appétissante et Islan se ravit des plats qui leur sont servis à la garnison. Tout le monde semble avoir besoin de cette maigre pitance pour survivre. Parfois, le garde offre un sourire empathique à la personne qui se présente mais, est-ce par ses oreilles pointues ou ses armoiries du Prince que les visages se ferment face à lui ? Alors que le chaudron arrive à son terme, Yara en remet une couche.
« _ Pff. Même que t’y comprend rien. Et c’est vrai, Yara ne sait pas ce que c’est d’avoir les oreilles pointues dans un monde rempli d'humains. Elle ne sait pas ce qu’est l’humiliation de venir du Bas-Cloître quand on aspire à une justice plus grande. Pourtant, elle vient de toucher un point sensible. Le Islan sauvant les démunis n’aurait pas cassé ce nez, tout à l’heure. La ferme. T’as raison, je finis ça, et c’est t’y pas que j’me casse. »
Islan tendit des bols et des bols, jusqu’en avoir des ampoules aux mains et que l’ensemble des soupières soient définitivement vide, ou la foule, lassée d’attendre. Le Frère Chantriste les remercie chaleureusement et l’elfe ressent une émotion oubliée : de la fierté. Celle qu’il avait avant quand il pensait pouvoir servir la justice en étant garde de la ville. Il reste muet et ne prête même plus attention à Yara qui, il est sûr, est prête à en profiter. Il pénètre dans le lieu sacré sans même râler. On lui tend un verre et du vin qu’il boit d’une traite. Il comprend vaguement qu’il s’agit de Frère Niklaus et que le type du café, est un certain Tiaru. Les yeux dans le vide, il finit par se redresser. Islan a besoin d’être seul, de réfléchir. De comprendre où sa route a déraillé. Pour ça, il n’a pas besoin d’une Yara pleine de remontrances ou d’un Frère d’une religion en laquelle il ne croit pas, il a juste besoin de s’éloigner. Il abandonne le gobelet s’échappe par l’entrée.
A peine arrivé dehors, il contourne l’église, prend appui sur un muret pour se hisser sans mal sur le toit d’une maison. Il grimpe quelques toits plus haut jusqu’à avoir une vue dégagée sur la place où il a travaillé toute la journée. Il s’assoit sur le rebord et inspire. Ça lui fout les larmes aux yeux. Il a raté et ses parents ne seraient pas fiers de lui. Il a cru bien faire mais s’est lamentablement fourvoyé. Il se sent nul et complètement à côté de ses chausses. La petite voix de sa mère résonne au creux de son oreille.
« _ Islan, qu’est-ce qui compte vraiment, pour toi ? »
CT : 14
End : 13
For : 12
Perc : 16
Ag : 14
Vol : 10
Ch : 14
De méchante humeur, Yara l’est face à cette soupe renversée juste à côté de ses bottes ; le devient un peu plus devant cette pitrerie avec les bols. Peut-être qu’elle devrait rire. Peut-être que s’en abstenir fait même d’elle une sale grincheuse, seulement l’œil masqué lui rappelle trop Lugh alors, oui, elle reste de méchante humeur. De bien trop méchante humeur, et cela sans compter la réaction de l’elfe face à sa tentative – réussie par ailleurs – d’organiser la foule :
« Ben ça va hein, t’as t’y pas inventé la roue. Tu crois quoi ?
— Ah ouais ? Bah au moins pas la peine d’inventer le roi des glands, vu qu’t’es là. » le tance-t-elle vertement avant de craquer, peu après, sous l’afflux toujours plus soutenu des écuelles.
« Pff. Même que t’y comprend rien. »
« Explique-moi alors ! » qu’elle voudrait répondre, hurler avant de le secouer. Mais ses mains sont prises. Mais ils ont un public et cela risquerait de trahir ce que toute cette situation, au-delà de l’aigreur, laisse de sensations bien plus désagréables dans sa poitrine. Les brimades subies dans son enfance le lui ont appris : montrer ses plaies n’implique pas toujours que l’on va être soignée. Non, cela marque votre faiblesse, vous trace une cible dans le dos.
Alors on dissimule, puis on attaque :
« J’ai pas inventé la roue, j’y comprends rien… C’est pas que tu m’prendrais un peu pour une bonne grosse conne, Islan ? Chier ! Tu crois pas qu’y s’rait temps de grandir et d’arrêter d’te jouer plus couillon qu’tu l’es ? »
De devenir l’homme qu’elle a un jour vu en lui. Avant, quand il venait de prendre son épée et qu’elle le pensait, naïvement, encore capable de changer les choses.
« Putain, mais tu trouves vraiment pas que tu vaux mieux qu-
— La ferme. T’as raison, je finis ça, et c’est t’y pas que j’me casse. »
Voilà qui arrondit les yeux de la voleuse et la laisse soudain à court de mots. La ferme. Evidement qu’il ne veut pas rester avec elle. La ferme. Le poids de la louche s’est alourdi dans sa main. Cette dernière la démange de verser le reste de soupe sur son crâne, mais le prêtre arrive au même moment, les invitant tous deux à le suivre. La ferme. Elle s’exécute d’un pas presque mécanique ; son regard brûlant le dos du garde d’une flamme désormais non plus ardente, mais aussi froide que le crachin qui souffle sur le port.
La ferme.
Après la cohue, la sérénité que d’autres trouveraient à la petite chapelle n’est d’aucun effet. Le religieux – Niklaus leur apprend-il – fait tout pour les mettre à l’aise, mais peine perdue : Yara reste trop peu habituée à ce genre d’endroit pour s’y sentir autrement qu’étrangère. La bénédiction glisse sur un scepticisme trop ancré pour atteindre. La mâchoire ne se décrispe que pour accepter le gobelet et y plonger les lèvres, toujours en silence.
Si seulement son contenu pouvait apaiser plus que sa gorge trop sèche.
« Oh vous savez, tous les Chantristes s’en préoccupent pas. » s’entend-elle ensuite rétorquer à Niklaus lorsque ce dernier achève de les remercier, l’esprit toujours à moitié accaparé par la dispute, avant de grimacer.
Le silence étouffé du lieu saint lui paraît soudain trop fort. Peu importe la véracité de ses propos : pour une rare fois, son intention n’était pas d’être provocante ; encore moins de se montrer ingrate avec ce prêtre qui lui, au moins, semble sincère.
Et puis, il a tort : c’est par pure mesquinerie qu’elle a agi, certainement pas pour lesdits nécessiteux.
Du coin de l’œil, Yara voit Islan franchir la sortie. Elle pourrait le suivre, chercher à comprendre, mais se découvre encore trop énervée, trop fière pour le retenir.
Fuis Islan. Ta famille. Ton amour propre. Fuis comme le couard que tu es.
Danylle n’aurait peut-être pas lâché, mais elle n’est pas Danylle, aussi est-ce d’un ton neutre qu’elle ajoute, les pieds fermement ancré au sol et le regard résolument braqué au fond de son verre :
« Merci pour le vin. »
Peu importe ce que ce crétin pense. Elle, en tout cas, vaut mieux que ça.
La tension entre @Islan et Yara escalade jusqu’à la rupture, et c’est d’une humeur sombre que la demie-elfe suit ensuite @Niklaus jusque dans la chapelle, puis réagit gauchement à ses remerciements.
Si personne ne la retient, elle s’en ira probablement sur ça. A ceux encore présents d’en décider !
She broke the rest.”
V.E. Schwab, A gathering of shadows
Yara râle et s'esclaffe en #996699
Résumé rapide :
Si le frère Chantriste est pris au dépourvu par la spontanéité peut-être trop .. spontanée ? du jeune Rivénien, il accepte son aide avec plaisir, et Tiaru en est comblé. Il met en place sa roulotte avec entrain, tandis que la foule se divise gentiment pour tantôt demander de la soupe, tantôt se changer les idées avec un bon café.
La journée a été des plus productives, et Niklaus est très satisfait de l’aide apportée aujourd’hui. L’elfe avec eux est étrangement silencieux, lui précédemment des plus vulgaires et bruyants. Il se retire rapidement de la chapelle, alors que Tiaru commençait à peine son propre verre. Quelque chose ne va pas ? Mais ce n’est malheureusement pas quelque chose de son essor, et il le laisse s’enfuir avec le vent. La jeune fille qui l’accompagnait est également dans une certaine mesure, bien que plus loquace. Elle s’attarde plus longtemps, mais prend aussi son envol bien vite. Quelque chose s’est produit entre eux ?
Tiaru remercie à son tour le monsieur de la soupe pour le verre, mais lui s’en va sur un pas serein. Conscient de sa bonne action. Un sentiment d’accomplissement qui le rend fier. Il a hâte de raconter tout cela à ses parents dans une longue lettre chaleureuse. Il remercie encore le frère, toujours aussi maladroit et nerveux, et repart avec sa roulotte et son café.