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Le regard des autres - Ailis Treglown

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Le regard des autresCHAPITRE DEUX : CEUX QUI MARCHENT DANS LES PAS D'ANDRASTÉ

Type de RP Classique
Date du sujet 8 Marchiver 5 : 13
Participants Ailis Treglown, Andra Valheim
TW Handicap
Résumé Andra, en visite au Cercle pour consulter sa bibliothèque, croise Ailis qui chute devant elle, un des livres d’Andra à la main.
Pour le recensement


Code:
[code]<ul><li><en3>8 Marchiver 5 : 13</en3> : <a href="https://ainsi-tomba-thedas.forumactif.com/t1143-le-regard-des-autres-ailis-treglown#14896">Le regard des autres</a></li></ul><p><u> Ailis Treglown, Andra Valheim</u> Andra, en visite au Cercle pour consulter sa bibliothèque, croise Ailis qui chute devant elle, un des livres d’Andra à la main..</p>[/code]

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La vue des armures rutilantes et des épées au côté resterait à jamais frappée du sceau de l’horreur. Andra n’aimait guère avoir affaire à des templiers, même si avoir été forcée à côtoyer tant d’entre eux lors de la Marche Exaltée lui avait permis de mieux se contrôler. Désormais, elle affichait cette même rigidité froide à leur approche, les toisant de son œil unique. Mais chaque cliquetis lui rappelait d’autres scènes, appartenant à sa vie d’avant. Elle se souvenait de la pointe effilée face à son cou. Ce n’étaient pas des souvenirs qui s’effaçaient aisément, pas quand ils l’avaient menée à ce qu’elle était désormais, à une existence qu’elle n’avait pas plus choisie que son enfermement au sein du Cercle, que sa nature de mage. Elle avait appris à faire avec. Comme dans la plupart de ses interactions avec d’autres êtres. Son attention s’attarda néanmoins sur un visage familier, et si elle n’en laissa rien paraître, elle se souvenait parfaitement de ces traits-là. Leur propriétaire aussi, puisqu’elle vit le choc se peindre sur la face altière, avant que la surprise ne s’exprime et que la templière ne déclare, s’attirant les regards des deux comparses qui la flanquaient ?

« Andra ? »

« On ne peut rien te cacher. »

L’autre s’accorda un mince sourire, qui bascula rapidement dans la gêne en voyant les mines interrogatives des deux autres. Avec une certaine curiosité, la mage se demanda comment son interlocutrice allait se sortir de cette soudaine association avec une apostate de son acabit. Déjà qu’on lui infligeait ces escortes ridicules à chaque fois qu’elle mettait un pied dans un Cercle … Il en allait ainsi en Orlais, un peu moins en Nevarra, où elle n’avait généralement qu’un seul garde-chiourme. C’eut pu être flatteur : elle devait être terrifiante, cette mage spécialisée dans la guérison qui n’avait aucun appétit pour les sorts destructeurs, et dont la carrure caractérisée par une maigreur héritée de la mauvaise nutrition de son enfance n’avait rien de bien menaçant, hormis sa haute taille. Mais enfin, on ne prenait jamais assez de précautions, n’est-ce pas, envers ceux qui avaient osé s’extirper de la sainte justice ? Finalement son interlocutrice reprit, pour ses compères :

« Nous nous sommes croisées … durant la Quatrième. »

« En effet. Tu as bien récupéré, à ce que je vois. »

« Oui. Tes soins ont été … efficaces. »

Les deux autres comprirent, ou en tout cas, affichèrent une expression pénétrée, et chacun s’en tint là. Même si Andra était relativement heureuse d’être tombée sur une figure connue, et qui lui était redevable. Avançant avec les trois templiers jusqu’à la bibliothèque, la mage essaya de chasser le sentiment d’étouffement qui l’envahissait en remettant les pieds dans un Cercle, ainsi que les nouveaux souvenirs qui affluaient. Finalement, ils arrivèrent dans le dernier couloir les menant à son objectif … lorsqu’une silhouette arrivant en sens inverse manqua les percuter dans un très beau plongeon vers l’avant. Par réflexe, la Garde des Ombres tendit ses bras pour attraper la jeune femme par la taille, lui évitant de justesse le contact avec les dalles du sol. L’effort manqua lui couper le souffle, mais elle réussit à ne pas rompre ce dernier et remit aussi délicatement que possible l’apprentie, à en juger par sa robe, sur pied. La jaugeant de son œil, Andra ne put s’empêcher de lui dire, un fin sourire aux lèvres :

« D’ordinaire, je n’ai rien contre les jeunes femmes charmantes qui se jettent dans mes bras mais j’ai l’impression que ce n’était pas voulu. »

Deux des armures à glace derrière toussotèrent en l’entendant parler à l’apprentie, mais la troisième larrone haussa les épaules, et attendit que l’échange se termine. Andra quant à elle, n’avait pas pu s’empêcher de remarquer le livre qui se trouvait dans la main de l’apprentie, et une lueur brilla dans ses yeux, tandis qu’elle demandait :

« … Philosophie des soins palliatifs … Un livre à la thématique délicate. J’ignorai que les apprentis s’y intéressaient encore. Il est à votre goût ? »
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Ailis avait passé beaucoup trop de temps à contempler les étagères de cette section pour y trouver un livre. Ses yeux allaient finir par être fatigués avant même d’avoir commencé à lire, quand enfin ses doigts effleurèrent la tranche d’un ouvrage dont les mots captivèrent son attention.
Un soupir content s’échappa de ses lèvres tandis qu’elle saisit d’une main le livre et de l’autre reprenait sa canne en main. Une table libre au fond semblait prête à l'accueillir, ainsi elle s’élança, impatiente de commencer, malgré le désaccord de ses jambes qui ne semblaient pas partager son enthousiasme. Ces dernières qui l’abandonnèrent lâchement quand elle fut prise de court par un groupement de personnes qui surgirent sur sa droite, occulté par le rayonnage qu’elle venait de quitter. Ses faibles appuis ployèrent sous la surprise mais l’élan toujours là, elle tomba sans aucune grâce vers l’avant, digne des plus beaux plongeons d’oiseaux lorsqu’ils prenaient  leur envol depuis le plus haut mur du Cercle, sauf qu’elle ne savait pas voler.
Alors dans sa chute, elle ne put qu’admirer, anticiper, la douleur et la honte qu’elle ressentirait à avoir ainsi attiré l’attention sur elle. Peu importe le nombre de fois où ça lui arriverait, elle détesterait toujours autant ça.
Le sol stoppa pourtant net son ascension vers elle, alors l’apprentie sentit une paire de bras entourer sa taille et l’arrêta sa lancée. Ses mêmes bras la remirent sur pied et elle put récupérer l’appui sur sa canne, rapidement, ne voulant pas abuser de la stabilité de son sauveur. Son cœur était encore en alerte, toujours dans l’expectative, et elle prit quelques secondes pour respirer à nouveau, le sang battant ses tempes enveloppant les sons autour d’elle qui lui paraissaient faussement lointains.

« D’ordinaire, je n’ai rien contre les jeunes femmes charmantes qui se jettent dans mes bras mais j’ai l’impression que ce n’était pas voulu. »

Les remerciements qu’elle allait témoigner à sa sauveuse se stoppèrent au coin de ses lèvres, et un rougissement involontaire empourprait ses joues tandis que les hommes derrière elles semblaient rire de la situation. Elle réussit néanmoins à retrouver un semblant de calme après tout ce tumulte, « merci… vous m’avez évité bien des tracas » répondit-elle dans un souffle, problème aurait été plus juste mais elle ne se sentait pas de rectifier. « Je suis désolée, je ne vous avais pas vu » conclue-t-elle en redressant enfin la tête vers l'inconnue.

Elle avisa la femme en face d’elle, la malice dans l’unique orbe qui la scrutait était en accord avec son sourire amusé par la situation, le visage émacié montrant toutes les courbes de son profil singulier. Son regard se fit plus discret sur la partie cachée de son visage, mais elle comprit en discernant les éclairs d’un blanc plus pâle que sa peau, des cicatrices, témoignaient d’un souvenir douloureux, quel qu’il fût.

L'œil de son vis-à-vis fut soudainement attiré par le livre entre ses mains, faisant prendre conscience à Ailis qu'elle faisait face à une mage encore jamais rencontrée. Un coup d'œil rapide à sa tenue et elle comprit qu’elle appartenait à la garde des ombres. Un frisson lui parcourut le dos, pas mal de rumeurs circulaient sur l’organisation. Cependant, la femme en face d’elle n’avait pas l’air méchante, atypique certes, mais pas méchante. L’apprentie garda donc son appréhension de côté, pour se faire son propre avis sur cette femme, elle détestait les préjugés dont elle-même en était trop souvent victime. Après tout, elle ne connaissait pas son histoire. Elle reporta son attention sur le présent, et la femme qui regardait avec intérêt son livre,  elle l’inclina légèrement le livre pour lui faciliter la tâche.

« … Philosophie des soins palliatifs … Un livre à la thématique délicate. J’ignorai que les apprentis s’y intéressaient encore. Il est à votre goût ? »


Le changement soudain de sujet lui redonna de l’assurance et l’aida à oublier sa mésaventure. « Je n’ai malheureusement pas encore eu le temps de le lire, mais la thématique m’a attirée. » Un sourire impatient sur les lèvres trahissait sa curiosité « Vous connaissez cet ouvrage ? » Ne put-elle se retenir de demander, peut-être aurait-elle droit à quelques informations ou conseils, toujours les bienvenus, et son interlocutrice avait l’air fort aimable, elle espérait juste ne pas l’ennuyer avec sa question.




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« Mais il n’y a pas de mal, en l’occurrence, tout le plaisir était pour moi. »

Comment résister à l’appel de ce joli rougissement, et d’oublier dans un badinage innocent au compliment troussé avec aisance la présence désagréable des templiers qui patientaient derrière, et le retour entre les murs oppressants d’un Cercle ? L’œil d’Andra se posa sur la canne entre les mains de la jeune fille, et elle regretta encore moins. Même en ces endroits où se réunissaient ceux que la société mettait à l’écart, il demeurait douloureux de vivre avec une différence. Elle ne le savait que trop bien. Les reniflements moqueurs des autres apprentis, à son arrivée au Cercle, résonnaient encore dans sa mémoire. Mal peignée, fille de ferme, ignare, œil-qui-fuit, que n’avait-elle entendu. A l’extraction sociale modeste s’était ajoutée le visage marqué, et le reste du corps qui, à l’époque, l’était tout autant, guérissant doucement de ce qu’il avait enduré. Ses premières haines, elle les avait forgées à cette époque. Saine expérience. Elle fut néanmoins rattrapée par le cliquetis d’une armure de templier, et sentit l’impatience irradier derrière elle. Réprimant le soupir d’agacement qui lui venait, elle éluda la question de la jeune femme quant à son ouvrage et lui offrit son bras, un rien galamment, expliquant :

« Je pense que nous allons dans la même direction. Permettez-moi de vous aider. »

Et pour la détendre, elle ne résista pas à un trait d’esprit en indiquant :

« Après tout, à nous deux, nous avons cinq jambes et trois yeux, c’est une association enviable, n’est-ce pas ? »

Le trait d’esprit fit sourire imperceptiblement la templière, qui fit un léger signe de tête à ses deux acolytes, notamment le plus jeune qui dardait un œil furieux sur les deux mages, désireux manifestement de s’en tenir à la lettre à sa mission de convoyer son encombrant paquet à sa destination et à ne surtout pas la laisser deviser avec un autre mage, sans parler d’une apprentie, quelle horreur ! Néanmoins, le rappel dépréciatif sur leurs faiblesses avait aussi pour effet de diminuer le danger apparent de sa présence, et d’une telle association. Ils les laissèrent passer, bien que le trio reprit sa marche derrière, avec peu de distance. Se laissant guider par Ailis, elle accompagna la jeune femme où cette dernière le désirait et relâcha son bras une fois parvenue à destination, effleurant ce dernier une ultime fois avant de se retirer. Se tournant vers son escorte, elle leur tendit la liste des livres qu’elle était venue consulter, indiquant :

« Voici les opus demandés, avec les signatures réglementaires, comme vous pouvez le constater. »

Bien entendu, on ne l’aurait jamais laissé fureter seule dans les étagères des réserves du Cercle. Il avait donc fallu passer par tout un long processus, faire approuver la demande par les autorités de la Garde des Ombres, que la requête parvienne au Cercle, et ainsi de suite, en une sommité administrative digne de l’esprit le plus pervers. Mais enfin, elle y était, flanquée de ses gardiens. Un parti, les deux autres demeurèrent, bien qu’ils s’écartèrent un peu pour laisser un certain espace, tout en demeurant vigilant à ses moindres gestes. Reprenant la conversation là où elle l’avait laissée, Andra expliqua :

« Pour revenir à votre question … Oui, je connais assez bien ce livre. »

Son œil pétilla, tandis qu’elle indiquait :

« Je connais surtout la personne qui l’a écrit. »

Evidemment. Elle aurait pu dire la vérité, mais ne résista pas à cette taquinerie sans malice, curieuse de voir si la jeune femme pousserait plus avant. Se permettant de prendre l’ouvrage avec douceur de la main de son interlocutrice, elle le feuilleta, retrouvant avec amusement certaines tournures de style qu’elle affectionnait, fut un temps. C’était un de ses premiers travaux, publié juste après sa Confrontation. Voilà qui la ramenait de nombreuses années en arrière, à une époque où tout semblait diamétralement différent. Encore que … N’était-elle pas à nouveau dans un Cercle ? L’ironie de la situation ne lui échappait pas. Un passage l’intéressa particulièrement, et elle le lut :

« L’Ecole de la Création est trop souvent pensée comme celle du soin, dans son expression la plus simple, la plus pure. Elle répare les corps, recoud les chairs, rassemble les os, débride les nerfs. Elle est l’expression même du champ curatif, au même titre que peut l’être la chirurgie, dont, dans cette composante, elle se rapproche le plus. Mais cette vision commune, et soumise à la vulgate populaire qui intime au praticien de guérir, envers et contre tout, n’est que parcellaire. Elle oublie que créer ne peut revivre, et que le vrai devoir de tout soignant, à un moment, est de savoir, précisément, qu’il ne pourra guérir. Soulager serait le terme le plus adéquat pour être associé à cette Ecole, en ce qu’il se prête davantage à l’ensemble des champs qui sont les siens … »

Le livre avait été refermé avant qu’elle ne termine sa lecture, ou plutôt sa récitation, à mesure qu’elle se souvenait de sa prose. Les mots coulaient avec l’aisance de celle qui, au-delà de les connaître par cœur, en maîtrise profondément le sens. Son regard n’avait plus quitté l’apprentie, et elle lui glissa :

« Je ne sais ce que cela vous inspire, mais à l’époque, les articles pour en discuter n’avaient pas manqué. »
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La femme en face d’elle sembla s’amuser de son rougissement, ce qui ne l’aida guère à partir. Il n’y avait guère de méchanceté dans son regard- d’après elle, alors elle se détendit. Elle n’aurait pas droit aux moqueries aujourd’hui. La mage sembla remarquer la canne entre ses mains et Ailis vit son unique œil se perdre quelques secondes dans des songes dont elle devinait la direction. Compagne d’infortune, elle comprenait que trop bien…Un mouvement la ramena au présent qu’elle n’avait pas conscience d’avoir quitté elle aussi. La femme lui tendit le bras avec un sourire sincère, compromis par l’impatience des templiers qui ne semblaient pas partager sa joie, vu leurs visages fermés, les traits tendus par l’exaspération.

Pourquoi autant de précautions, était-elle si dangereuse ? Si oui, Ailis ne se fit pas trop de soucis pour elle, vu la surveillance dont la mage était flanquée. Si non, alors elle la plaignait de devoir supporter ça. Elle ne se fiait pas aux apparences, mais elle espérait que cette femme était gentille parce qu’elle se voyait un peu en elle, et adorerait discuter un peu.

Elle accepta l’aide proposée non sans une pointe d'appréhension autant envers l’inconnue qu’envers les templiers peu aimables. La mage ne semblait pas s’en émouvoir mais elle, qu’une apprentie, craignait leur colère. Surtout que ce n’était pas les plus indulgents.
Constatant son malaise, sa sauveuse accompagna le geste d’un trait d’humour, dont l’apprentie ne sut résister. La blague trouva aussi son public chez les templiers, ou plutôt chez la seule templière du groupe, qui se poussa pour nous laisser passer. Pressée de fuir leurs regards Ailis avança vers son objectif, la femme se calqua sur sa marche sans difficulté, agréable d’avoir une personne qui pensait aux petits détails qui échappaient aux autres, ne pas démarrer trop vite- sinon bonjour le sol, ou marcher trop vite, sinon bonj- Bref. Confortable, pour une fois de ne pas avoir à le dire…ou à mordre la pierre.

Une fois installée, elle tendit une feuille que l’apprentie n’avait pas remarquée jusqu’à présent à l’un des templiers. Elles allaient donc partager leur table de travail. Rappelant à son esprit la question qu’elle avait presque oublié d’avoir posée, la mage lui prit le livre des mains. Elle connaissait l’auteur ? Elle ne manqua pas la lueur joueuse dans son regard, mais sa curiosité fut interrompue, une nouvelle fois par la voix de son interlocutrice.

Elle se mit à réciter un passage à Ailis, le sourire illuminant peu à peu son visage de mot en mot et la nostalgie au bord des lèvres. L'œil s'écartant progressivement du parchemin pour attraper les siens- sans jamais cesser de déclamer.

« Je ne sais ce que cela vous inspire, mais à l’époque, les articles pour en discuter n’avaient pas manqué. »

Malgré la question qui tournait en boucle dans sa tête, Ailis avait écouté, sans tout comprendre, sans tout retenir, une relecture serait bienvenue pour être sûre d’avoir tout en tête, néanmoins, elle en retenait une chose… on ne guérit pas toujours. Pas tout. « La guérison ne fait pas tout, il faut savoir s’avouer vaincu face à une cause perdue » Sa phrase sonnait plus pour elle-même, elle serra son poignet. « Dans ces cas-là, il ne faut pas chercher à guérir mais à soulager comme dit dans ce texte, alors là on réussira à faire quelque chose pour aider le patient. » se reprit-elle. La force et la volonté feront le reste, des mots qu’elle a trop souvent entendus, balancés avec dédain par des gens qui ne savent pas. Qui n’endure pas. Comme si c’était de leurs fautes, de sa faute, si elle était comme ça. Certes la volonté est importante, mais parfois ce qui est cassé ne peut être réparé et alors il faut compenser, et accepter ce qu’on a perdu n’est pas un manque de volonté.
S’apitoyer sur son sort, chercher à se faire remarquer, ou toutes autres conneries qu’elle a déjà entendues. Non, c’est ça la volonté, accepter ce qu’on a perdu et chercher un autre chemin.

L’apprentie avait l’impression d’être partie un peu trop loin dans ses pensées, était-ce seulement le sujet qui lui tenait énormément à cœur, ou bien était-ce la femme en face d’elle qui faisait rejaillir des souvenirs enfouis ?

Elle ne laisserait pas les souvenirs assombrirent son humeur. Pas cette fois, pas alors qu'elle avait en face d'elle une personne avec qui elle semblait partager certaines peines, et la même façon de s'en protéger, l'ironie, la dérision.  Armes qu'elle-même devait constamment aiguiser et qu'elle apprenait  à manier encore aujourd'hui. Le visage de nouveau souriant elle ne retint plus sa question.

« Vous avez dit connaître l'auteur, » le sourire taquin qui lui répondit l'encouragea, « C'est vous n'est-ce pas ? »


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« En effet. Ainsi que de quelques ouvrages supplémentaires sur la même étagère, je pense. »

En soit, Andra aurait pu faire durer le suspens davantage, chercher à induire l’apprentie en erreur ou à ne révéler des indices que pas à pas. Néanmoins, pour qu’il soit sans malice – et sans grief – mieux valait que ce petit jeu ne dure qu’un temps. Elle lui laissa un moment pour songer à ce que cela signifiait, en plus de ce que son allure pouvait déjà faire comprendre. Voir que ses livres finissaient, en dépit de tout, dans les Cercles et n’étaient pas tous frappés de censure lui avaient souvent fait plaisir. Probablement parce qu’ils étaient dédiés à une discipline prisée, qu’ils étaient étudiés par de nombreux spécialistes également, et qu’enfin, les échanges de savoirs étaient suffisamment développés pour que ce qui était produit par la Garde des Ombres puisse trouver sa place dans les Cercles. Même si ses écrits de jeunesse étaient les plus représentés, avant son départ du Cercle d’Hossburg, justement. Ils n’avaient pas le degré de profondeur de ce qu’elle était capable de produire aujourd’hui, avec l’expérience accumulée, mais la mage devait admettre une certaine fierté en reprenant les anciens tomes, précisément parce que ses premières pistes de recherche n’avaient, majoritairement, pas été démenties. Elle s’apprêtait à continuer lorsque l’un de ses chiens de garde, le plus jeune, intervint :

« Vous ne devez pas parler aux apprentis … »

Décidément … Andra adressa un regard aussi neutre que possible au templier. Elle n’avait pas de mal à deviner qu’il devait faire partie de cette catégorie de jeunes zélotes avides de démontrer leur loyauté et leur martialité. C’étaient les pires de leurs geôliers, ceux-là, parce qu’ils alliaient le rigorisme à l’idéalisme, dans une combinaison qui ne tolérait guère la contradiction, et peu le dialogue. On pouvait pardonner à un vieil abruti : il avait confi dans son fiel, comme les pruneaux trop mûrs. Mais un jeune … C’était toujours tragique. Elle le jaugea : le teint frais, la mine hardie, probablement un fils de bonne famille épris de piété, ou désireux de se tailler un nom par lui-même, ou les deux – là encore, combinaison particulièrement dangereuse. Néanmoins, son interlocutrice actuelle avait deux défauts majeurs : elle n’avait plus l’âge d’être intimidée facilement, et n’était plus sous sa juridiction.

« Si ce sont eux qui me parlent, ce serait particulièrement grossier de les ignorer. »

« Ce n’est pas … »

« Et en l’occurrence, puisque vous entendez tout ce que je peux dire, il n’y a guère de risque de corrompre de jeunes et purs esprits, vous en conviendrez. »

Le templier s’apprêta à répondre, peu perméable à la logique, mais sa supérieure l’en empêcha. Un bref instant, elle échangea un regard avec Andra qui la renvoya à d’autres années, puis lâcha un simple :

« Tant que la conversation est en commun. »

L’autre parut vouloir protester, mais l’œil d’airain de sa comparse l’en empêcha, et il s’écarta à l’autre bout de la pièce. Andra le vit grommeler quelque chose dans sa barbe, et l’image d’un gamin boudeur lui vint un instant. D’un signe de tête, elle remercia l’autre femme, avant de reporter son attention sur celle qui se tenait devant elle.

« Bien, ceci étant éclairci … »

Autant continuer à profiter d’un brin de sociabilisation, du moins, une plus agréable que ces échanges charmants avec son templier préféré du moment.

« Vous aviez l’idée générale. Du moins, une partie. En vérité, la problématique est moins d’accepter les causes perdues – fondamentalement, elles sont relativement rares, et elles ne sont guère difficiles à trouver puisqu’il s’agit tout simplement de choses qui sont hors de notre pouvoir – que d’accepter que parfois, soigner n’est pas la meilleure solution pour la personne concernée. Ou que le soin, au sens traditionnel du terme, n’est pas le seul horizon de la Création.

Cela se heurte bien entendu tant à un grand nombre de croyances et convictions qu’à une certaine idée un peu trop répandue chez certains mages que la Création est un refuge simple dans la pratique de la magie, en ce qu’elle a un but évident, et n’entraîne pas de dégâts permanents comme d’autres disciplines. »

Ce qui était un résumé très superficiel de plusieurs autres ouvrages, ce qu’elle pointa :

« Mais tout ceci est développé dans d’autres opus postérieurs. »

Bon, elle s’était peut-être un peu emportée. D’un léger signe de tête en guise d’excuses, Andra conclut :

« Navrée. La Création est ma spécialité, et je pourrai en parler pendant un peu trop longtemps pour notre bien commun.

Mais à votre âge, l’idée d’un cours magistral improvisé supplémentaire ne m’aurait peut-être pas charmé. »
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La surprise fut de courte durée puisqu’Ailis avait vu juste- et ce n’était pas son seul ouvrage apparemment, la femme en face était l’auteur du livre qu’elle venait de prendre, très cocasse comme situation. Peut-être n’aurait-elle pas besoin de se fatiguer les yeux à lire aujourd’hui, peut-être aurait-elle le droit à quelques conseils. Son enthousiasme n’eut même pas le temps d’atteindre son interlocutrice, puisqu’un jeune templier les interrompit sans ménagement.

Elle regarda le bref échange, une conversation sourde, avant qu’une templière familière à la mage étant donnée leur échange visuel, ne viennent à leur rescousse et leur permette de continuer.

Andra la reprit sur quelques points qu’elle avait expliqué avec la maladresse du débutant ou tout simplement le manque de profondeur lié à l’expérience. Les mains posées sur la table dont elle dessinait inconsciemment les aspérités, elle écoutait la mage et tentait de saisir le sens de la moindre de ses paroles. D’autres opus ? Elle allait attendre un peu avant de s’y lancer, mais s’ils étaient aussi intéressants que ses paroles le laissaient prétendre, alors elle devrait s’y plaire à les lire.

Elle fit face à la mage dont le visage respirait la joie et la passion du sujet,
« un cours improvisé ne me déplairait pas, mais je n’ai pas la présomption de vous promettre de tout retenir. » Autant d'informations étaient parfois difficiles à retenir, surtout quand on n'y voyait pas tous les sens possibles.

« Et si c’est pour mon temps que vous vous inquiétiez… ne vous en faites pas je pense que je peux me permettre de rater les cours de sport. Après tout, mon corps d’athlète parle de lui-même. »
Un sourire mutin ponctua sa phrase. Pour une fois qu’elle pouvait pleinement faire des traits d’esprit sur son physique avec quelqu’un d’autre que Lann elle n’allait pas se priver.


Un semblant de sérieux retrouvé, elle se jeta de façon littéraire cette fois… dans le vif du sujet
« Quand vous avez dit, n'entraîne pas de dégâts permanents… Voulez-vous dire que la magie de création peut dans certains cas empirer les choses ? »

Elle se reprit néanmoins avant que la conversation ne continue, consciente qu’elle ne s’était même pas présentée :

« je m’appelle Ailis Treglown. » Elle lui offrit un sourire sincère, contente de briser la monotonie de son train-train quotidien par de nouvelles rencontres, rares en ces murs.


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« Je n’avais pas la présomption de vous intéresser, alors nous devrions nous en sortir. »

Le sourire d’Andra se fit plus franc, étirant la partie rigide de son visage douloureusement. Et son rire rauque résonna doucement, en entendant la jeune apprentie moquer ses propres limitations. Voilà de l’humour tel qu’elle l’aimait, ce sarcasme pince-sans-rire qui avait toujours été la politesse des gueux et des laids. On gagnait toujours à se moquer de soi-même, plutôt que de laisser les autres le faire, parce qu’on n’était jamais mieux servi que par ses propres soins, et parce qu’ainsi, on désarmait immédiatement des langues qui auraient moins de gentillesse que celle qu’on s’offrait. C’était un moyen de faire face, et de se protéger. D’être comprise aussi, face à une personne qui souffrait d’afflictions semblables. La mage avait trop parlé ce langage de noirceur drôle pour ne pas l’appréhender avec facilité. Et se demanda de quoi souffrait exactement la jeune femme, et quand la difficulté s’était déclarée. Au Cercle, c’eut été une douleur supplémentaire. Avant ce dernier … tout dépendait de son milieu de naissance. Les nobles en concevaient de la disgrâce, mais ça n’empêchait pas d’être épousée. Pour ceux qui devaient travailler pour obtenir leur pitance, la chose était plus délicate, parce qu’on n’aimait guère les bouches supplémentaires à nourrir. Même si on savait aussi leur trouver parfois une utilité. Misère et splendeur de la solidarité paysanne, et de ses limites. Elle se souvint, brièvement, de sa propre jeunesse, de l’horreur à contempler un miroir, de la douleur de voir le regard des autres. De se voir, finalement, dans le reflet de leurs prunelles. Elle revit le visage béant, le corps perclus, l’avancée claudicante, les douleurs sans fin … et les yeux qui la suivaient, les murmures, les interrogations, les rumeurs. Le plaisir discret, néanmoins, d’apprendre peu à peu, lorsque l’âge était venu, à discerner d’autres lueurs dans les pupilles, de déceler l’attrait – intellectuel, car il était délicat d’être attiré par son physique. Pour se consoler, au moins un peu, et apprendre à s’aimer, au moins quelquefois. Et parce que les compliments avaient parfois des pouvoirs secrets, elle ne résista pas, et de son velours grave, commenta avec un rien de malice, et une once de galanterie :

« Il parle peut-être, mais je suis certaine qu’il est suffisamment alerte pour que son bavardage soit plaisant à quelques oreilles qui savent écouter. »

On apprenait à vivre avec ses failles. Ou sinon, on s’effondrait. Mais le regard des autres avait souvent des vertus pour l’acceptation. Néanmoins, la courtoisie avait ses limites, puisqu’elle céda la place à l’interrogation théorique, et Andra eut l’impression de basculer de nombreuses années en arrière, quand au sortir de sa Confrontation, elle avait commencé à être consultée par les jeunes apprentis. En vérité, sa spécialité précoce et son appétence évidente l’avaient amenée à développer très tôt certains talents pour la pédagogie, d’abord à destination de ses pairs, puis des plus jeunes ensuite. Et elle avait apprécié, profondément, l’exercice. En fait, c’était peut-être ce qu’elle aimait le plus, au Cercle, transmettre et discuter, dans des envolées intellectuelles qui, pour inutiles parfois, avaient ce parfum précieux de liberté académique, autant du moins que les barrières chantristes les autorisaient. La présentation en deux temps de la jeune femme lui arracha un sourire, et elle ouvrit le livre à la page de signature, en disant :

« Enchantée Ailis. Andra Valheim. Mais ce n’était pas très dur à trouver, maintenant. »

Quant à sa question … Avant d’y répondre, Andra tira une chaise derrière la jeune femme pour lui permettre de s’asseoir aisément, et s’assit elle-même, pour lui éviter un effort trop important, en face. Feuilletant les pages de son opuscule, elle parcourut distraitement quelques lignes, avant de le reposer et de commencer son explication :

« Pour répondre à votre question … Oui, bien entendu. Pour un certain nombre de raisons, et pas forcément celles auxquelles on pense immédiatement. Certes, comme toute magie mal contrôlée, la Création peut engendrer des dégâts. Mais tout acte de soin mal maîtrisé le peut, magique ou non. C’est là toute la responsabilité qui incombe au soignant, peu importe ses outils. Une main qui tremble, une mauvaise décision, un onguent tourné, un scalpel mal désinfecté … Ou une seconde d’inattention, et on peut faire bien plus de mal que de bien. Les erreurs, dans cette discipline, se payent très cher, et d’autant plus que ce ne sont pas nos corps qui en font les frais, mais nos consciences, et les corps des autres. »

Néanmoins …

« Cependant, il arrive également un moment où ce qu’il faut évaluer, sereinement, c’est ce qu’apporte le soin, réellement. Parce que parfois, soigner, oui, apporte plus de douleur que de réconfort. Et que souvent, soigner, c’est davantage accompagner que réellement refermer des plaies. Il faut apprendre à laisser partir.

C’est peut-être le plus difficile à accepter. Refermer une plaie, c’est simple. Mais diminuer la douleur et laisser partir … ce n’est pas forcément aisé à accepter. Pourtant, c’est parfois la seule chose qu’il faut faire. »


Une pause.

« Pour être un mage de la Création, il faut parfois être moins mage qu’aide. Et cela, bien souvent, on ne l’apprend pas. »
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Ailis décela sans mal la curiosité dans l’unique œil face à elle, détaillant tout son corps avec intérêt, et devina aisément les questions. Quand ? Comment ? Depuis quand ? Et sûrement d’autres encore, mais comme si le jeu était de mise entre elles, elle ne lui offrirait pas les réponses sur un plateau, il faudrait venir les chercher, nul doute que son interlocutrice en était capable.
Et autant se l’avouer, elle aussi était un peu curieuse de savoir, mais elle avait aussi peur de connaître la vérité derrière cette orbite vide. Le recul qu’elle avait des choses et d’elle-même témoignait d’une grande sagesse, mais cette capacité n’était pas gratuite, et elle se demandait par quelles épreuves, elle l’avait acquise. D’une certaine manière, l’apprentie espérait qu’elle avait perdu son œil par une maladie ou un accident, parce que si c’était un acte volontaire ça lui faisait froid dans le dos.

Elle n’eut pu s’empêcher un petit trait d’esprit pour essayer d’alléger un peu l’ambiance qui s’alourdissait par sa faute en elle avait peur, et la Garde des Ombres ne put s'empêcher d’y répondre.

Cette fois-ci, l’apprentie anticipa la réaction de sa comparse et bien que ces joues la picotèrent désagréablement et lui offrit un sourire de connivence, bien que les activités qu’elle sous-entendait n'étaient guère dans ses habitudes.

Andra Valheim l’évidence fut enfin confirmée et elle l’invita à s'asseoir , invitation que ses genoux accueillirent avec joie si l’on en croyait le craquement sec de ses articulations, aujourd'hui était vraisemblablement un jour de paresse pour eux. Elle se demanda une seconde si ça ne raviverait pas la curiosité de son vis-à-vis qui s’installait également sur une chaise. Non. Finalement, elle commença son cours improvisé, mais avec grand soin.
Ailis s’installa le plus confortablement possible, et se contenta de hocher la tête pour signifier qu’elle écoutait et comprenait.

C’était logique après tout, magie ou pas, si on soigne sans savoir on peut empirer les choses. Elle avait bien lu dans les livres, certains traitements sont préconisés pour certaines afflictions et grandement déconseillés pour d’autres.

« C’est peut-être le plus difficile à accepter. Refermer une plaie, c’est simple. Mais diminuer la douleur et laisser partir … ce n’est pas forcément aisé à accepter. Pourtant, c’est parfois la seule chose qu’il faut faire. »

Elle comprenait même si l’idée de devoir abréger les souffrances ou laisser partir quelqu’un auquel elle tenait lui semblait insupportable. C’était le lot des mages de Création, elle devrait apprendre à le supporter mais elle espérait ne jamais avoir à faire cela.

« Pour être un mage de la Création, il faut parfois être moins mage qu’aide. Et cela, bien souvent, on ne l’apprend pas. »

Elle hocha de nouveau la tête plutôt d’accord avec elle, même si elle n’avait que 5 ans de recul dessus. On ne leur inculquait pas vraiment la notion d’aide, seulement traiter, et il lui semblait que le système pouvait parfois être incroyablement rigide. Alors, sa vision sous un angle nouveau et sa façon singulière de penser donnait un vent frais à cette discipline qu’elle appréciait grandement, son œil attentif et sa posture droite et immobile, captivée par le récit en témoignaient.

C’est pour ça qu’elle aimait la polyvalence de ses apprentissages, éléments et soin sont étroitement liés pour elle. La maîtrise de l’air est intéressante quand on sait que certains patients souffrent de soucis respiratoires, si l’on est capable de visualiser et ressentir l’élément ne pourrions-nous pas mieux appréhender le problème ? Même principe avec l’eau, c’est pour ça qu’elle affectionnait tant ces deux éléments.

Elle se rendit compte que son questionnement intérieur devenait quelque peu long et qu’il serait impoli de rester plus longtemps dans le mutisme. Elle s'apprêtait à parler mais hésita… elle ne savait pas si ce genre de questionnements philosophiques intéresserait son interlocutrice, et elle n’était même pas sûre de savoir comment les poser. Et il y avait tant de questions…

« Comment… comment arrivez-vous à faire la distinction ? Entre une situation où la guérison est permise et là où il faut laisser aller ? »

Elle fixa le livre quelques instants, cherchant ses mots.

« Je n’en suis qu’au début, mais je n’ai effectivement encore rien lu sur l’apaisement de la douleur. Comment fait-on cela ? Les douleurs sont souvent variées.» Elle était bien placée pour le savoir, son vis-à-vis aussi, sinon elle ne serait pas autant fascinée par le sujet. « Les approches sont donc forcément différentes ? Il faut d’abord localiser et comprendre, sinon on ne sait pas où l’on va, ni ce que l’on fait. »



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« Tout dépend de notre entendement de la magie, et de notre manière de la manier. Il y a ceux qui ne voient dans la Création que l’aspect curatif, et se contentent d’une méthode … brute. Puiser dans l’Immatériel, y imposer sa volonté, et la transposer dans notre réalité grâce au pouvoir que la magie peut être, pour qui sait la manier.

C’est une vision. Je la trouve impropre à de multiples usages, et par bien des aspects, plus susceptible de dégâts qu’autre chose. »

Eut-elle tenté de masquer le mépris que lui inspiraient ces pratiques sans subtilité qu’Andra n’y serait pas parvenue. C’était là affaire de goût, peut-être, de philosophie aussi, assurément. Il en était des mages sans raffinement, et elle songea à la kyrielle d’idiots qui peuplaient les Cercles et qui se réfugiaient dans la Création en imaginant échapper à la réalité de la magie, de ce qu’elle était, de ce qu’elle impliquait. Refermer une plaie, après tout, c’était facile et gratifiant. Un sort simple, l’impression d’être dans le vrai, et pas de questions à se poser plus avant. Peut-être aussi le sentiment diffus de supériorité face à ceux qui n’étaient que destructeurs, là où eux créaient. Comme si le choix en lui-même du nom de cette école trahissait une appréhension toute particulière de leur art. Alors qu’ils ne créaient rien : ils réparaient, ils aidaient, ils tissaient … Aucune magie ne créait : toute magie s’inspirait de la réalité, y tissait sa toile. Toute magie avait sa beauté, sa force, son usage. Ne pas le voir, s’était se fermer aux multiples facettes de leurs pouvoirs. Ne pas le voir, c’était se condamner à être mauvais mage, pour s’enfermer dans une pratique étriquée. Andra s’était spécialisée par goût sincère pour sa discipline, pas parce qu’elle n’aimait pas les autres : l’Entropie avait toujours été une de ses préférées, pour la minutie avec laquelle ses mages tissaient leurs sorts, dans l’imagination qu’elle nécessitait, pour ses multiples applications. Curieux, n’est-ce pas, alors qu’on opposait si souvent ces deux écoles ? Et pourtant, elle avait toujours trouvé que la finesse de leur utilisation dépassait leurs pratiques divergentes. L’Esprit, fatalement, du fait de son appréciation naturelle pour la Création, lui venait aisément. La Métamorphose avait un impact libérateur, et son esprit scientifique y aurait trouvé de multiples mystères à explorer sur la psyché humaine et sa persistance au gré des transformations, dans les interactions entre l’animalité transformée et le cœur battant demeurant. Les Eléments, peut-être celle qui lui venait le moins aisément, avait néanmoins des applications extrêmement diverses, bien davantage que la seule magie offensive dont elle était, néanmoins, le parangon.

« On peut aussi chercher à accompagner le cycle naturel, à tisser ses sorts avec la finesse suffisante pour identifier la source du mal, à chercher comment l’en extirper presque chirurgicalement, sauf qu’aucun instrument n’est utilisé hormis la délicatesse de l’esprit, et à l’apaiser en activant les différentes options qui sont à notre disposition : stimulation des nerfs ou à l’inverse coupe au niveau le plus précis possible, renforcement musculaire ou osseux, reconfiguration cartilagineuse … »

Se rendant compte que l’explication n’était peut-être pas évidente pour une apprentie, Andra préféra, comme souvent, recourir à l’exemple :

« Pour simplifier, supposons que je cherche à soulager votre jambe. Je vais dans un premier temps chercher à identifier quelle est la source – ou quelles sont les sources de la difficulté, ce qui peut me prendre du temps, afin d’être certaine de tenter un sortilège durable.

Je pourrai, certes, avoir un usage plus direct, et en vérité, je pense que je réussirai ce que je voudrai ainsi. Mais je n’aurai pas identifié entièrement les ressorts de la difficulté, donc je peux à terme avoir endommagé quelque chose, ou tout simplement être moins efficace que si j’avais pris le temps, et donc avoir dépensé une énergie inutile. »


Point de fausse modestie. Andra avait l’orgueil des mages matures, et raisonnablement certains de leurs talents. Sa prédilection pour les usages tout en finesse de la magie n’excluait pas le recours à la puissance brute, en cas de besoin.

« Donc oui, pour résumer, à partir de là, il y a une multitude d’approches, comme je le mentionnais, puisque les ressorts, et donc les solutions, vont être différentes.

Et parfois, de facto, lorsque l’énergie à dépenser pour parvenir à un résultat correct – ou tout simplement parce qu’il est encore des afflictions sur lesquelles nous n’avons pas suffisamment de connaissances pour nous risquer à engendrer du désordre – est trop importante, il convient de privilégier des méthodes les moins invasives possibles pour le patient. »


Là encore, l’exemple avait sa pertinence.

« En un sens, il faut réussir à identifier les situations où l’usage de la magie relève d’une forme d’obstination déraisonnable.

Ce qui … est une question d’éthique parfois, ou d’évidence souvent.

Quand, face à l’engeance, un Garde tombe et que je constate que j’arrête l’hémorragie moins vite que ses organes ne lâchent … Cela ne sert à rien de m’acharner.

Parce que je ne pourrai rien de plus, et parce que d’autres auront besoin de l’énergie que je vais inutilement gaspiller à tenter ce qui n’a plus d’importance. »


Constat dur, et impitoyable. Constat simple, et sans affect. Constat de guérisseur, mais de Garde-Acolyte avant tout.

« A l’extérieur d’un Cercle, la Création a souvent moins pour objet de soigner que de choisir ceux qui meurent.
Peu, néanmoins, acceptent d’entendre cette vérité. »


Elle posa son regard perçant sur la jeune femme et commenta simplement :

« J’espère que vous n’êtes pas de ceux qui aspiraient à la Création pour des raisons de confort. Car je crains ne pas apporter grand-chose à vos aspirations. »
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« Tout dépend de notre entendement de la magie, et de notre manière de la manier. Il y a ceux qui ne voient dans la Création que l’aspect curatif, et se contentent d’une méthode … brute. C’est une vision. Je la trouve impropre à de multiples usages, et par bien des aspects, plus susceptible de dégâts qu’autre chose. »

Le sérieux avec lequel s’exprimait la mage trahissait à quel point elle était passionnée par son sujet,

« sauf qu’aucun instrument n’est utilisé hormis la délicatesse de l’esprit, et à l’apaiser en activant les différentes options qui sont à notre disposition : stimulation des nerfs ou à l’inverse coupe au niveau le plus précis possible, renforcement musculaire ou osseux, reconfiguration cartilagineuse … »

et à quel point elle était prête à défendre son point de vue.

« Pour simplifier, »

La simplification était en effet la bienvenue, car même si elle comprenait les grandes lignes, n’ayant pas autant de pratique qu’elle, s’imaginer les choses se révélait plus complexe.

« supposons que je cherche à soulager votre jambe. Je vais dans un premier temps chercher à identifier quelle est la source – ou quelles sont les sources de la difficulté, ce qui peut me prendre du temps, afin d’être certaine de tenter un sortilège durable. »

C’est drôle, les personnes quand elles prenaient exemple de son affliction prenaient toujours ses jambes en premier exemple. En même temps, c’était le plus facile, le plus accessible, le plus visible de par sa canne. Peu le savaient, ignorance parfois préjudiciable, qu’il y avait quelque chose caché sous la surface apparente. Pour cela, il fallait lui demander, et curiosité ou réel intérêt, tout le monde ne le faisait pas. Par réflexe sa main s’était mise à masser sa nuque, l’une des innombrables parties de son corps atteintes de ce mal sans nom.

« – ou tout simplement parce qu’il est encore des afflictions sur lesquelles nous n’avons pas suffisamment de connaissances pour nous risquer à engendrer du désordre – est trop importante, il convient de privilégier des méthodes les moins invasives possibles pour le patient. »

Paroles qui faisaient parfaitement écho à ses pensées et lui arracha un sourire complice. Même si les questions commençaient à émerger dans son esprit, elle laissa sa professeur d’un jour continuer ses explications, s’efforçant de garder en tête ses questions sans trop en omettre d’écouter ces paroles.

« En un sens, il faut réussir à identifier les situations où l’usage de la magie relève d’une forme d’obstination déraisonnable.

Ce qui … est une question d’éthique parfois, ou d’évidence souvent.

Quand, face à l’engeance, un Garde tombe et que je constate que j’arrête l’hémorragie moins vite que ses organes ne lâchent … Cela ne sert à rien de m’acharner.

Parce que je ne pourrai rien de plus, et parce que d’autres auront besoin de l’énergie que je vais inutilement gaspiller à tenter ce qui n’a plus d’importance. »


La phrase résonnait dur et implacable à son esprit, alors c’est ça la réalité des soins, regarder mourir les malheureux qu’on ne peut pas soigner, et espérer aider les autres ; pas qu’elle n’y avait pas songé elle-même, mais l’entendre était différent comme une vérité que l’on ne peut plus ignorer. Bien que touchée, la garde des ombres continua son récit sans accroc, bien moins impacté par les paroles maintes fois affrontées, que la jeune apprentie avait encore beaucoup à apprendre.
Dans un geste un peu nerveux Ailis croisa ses bras et tenta de suivre la suite, encore un peu chamboulée par des images horribles que son esprit imaginait comme réalité.

« A l’extérieur d’un Cercle, la Création a souvent moins pour objet de soigner que de choisir ceux qui meurent.
Peu, néanmoins, acceptent d’entendre cette vérité. »


Oh, bien sûr que l’apprentie l’entendait, mais elle n’était pas moins difficile à accepter. Et elle se contempla en silence, et repensa à ses muscles, ses articulations qui la trahissaient si souvent, et se trouva bien frêle, bien fragile pour un tel monde. Son regard se fixa sur ses mains jointes, jouant nerveusement avec ses ongles, attendant la suite.

« J’espère que vous n’êtes pas de ceux qui aspiraient à la Création pour des raisons de confort. Car je crains ne pas apporter grand-chose à vos aspirations. »

Le confort, il y a bien longtemps qu’elle ne l’espérait plus.

« Vous savez… » Elle souffla pour reprendre ses esprits, la légèreté de leurs échanges passés envolés depuis longtemps, « Je ne suis pas sûre que confort soit un mot qui puisse me définir. Quant à mes aspirations, c’est surtout d’aider. Comment… je ne sais pas encore. Je savais que les soins n’étaient pas une promenade de santé, elle ne manqua pas l’ironie de ses mots, mais j’avoue que l’entendre reste difficile, et pose la question de si on sera à la hauteur. Capable d’affronter la mort et l’échec. »

D’un coup elle se sentait bien moins assurée, elle si effectivement elle n’était pas à la hauteur ? Si son esprit, qu’elle s’imaginait plus fort à l’inverse de son corps, ne l’était pas tant que ça ? Les paroles de la Garde Acolyte sur les devoirs d’un mage, l’ont un peu fait douter.

« Mais c’est une bonne chose d’en parler, on ne le fait pas assez je pense. »

Elle se massa les tempes, cherchant à retrouver ses interrogations perdues au fil de leur discussion.

« Par contre, la question que vous avez soulevée en parlant de maladie inconnue m’intéresse… » finit-elle par retrouver « Comment faites-vous face à l’inconnu ? »


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Un instant, l’œil d’Andra se fit plus doux, plus pensif aussi, tandis qu’il se posait sur l’apprentie. Non, en effet, elle doutait que le confort la définisse. Parce qu’elle était une apprentie du Cercle. Et parce que son handicap devait l’avoir conduite à nombre de petites avanies dans sa vie d’avant. La différence se vivait toujours de manière particulière, et redoublait quand on l’affublait du don de magie. Être arraché à son foyer, quel qu’il soit, telle était l’épreuve fondatrice de tous les apprentis. Du moins, de la majorité d’entre eux. Pour certains, il est vrai, cette séparation était vécue comme une bénédiction. Et pour d’autres … la question ne se posait plus, tant l’apparition de leurs pouvoirs avait conduit à un rejet profond. Quelles que soient les circonstances de leur arrivée, elle ne connaissait pas de mage qui n’ait pas une cicatrice gravée dans son cœur quant à cette partie de son existence, lorsque la porte du Cercle se refermait derrière lui. A l’intérieur de ce dernier, de surcroît, il fallait supporter la petite société fidèlement reproduite qui s’y formait, avec ses favoris et ses déshérités. A cet égard, les tours de mages n’étaient pas bien différentes de l’extérieur. Même si les moins bien lotis obtenaient des privilèges qu’ils n’auraient jamais eu au-dehors, comme lire et écrire, à la fin, la hiérarchie demeurait, un peu atténuée par le talent, certes.

Bien sûr, son souhait n’était pas de décourager la jeune femme. Mais elle préférait toujours être franche dans ce que l’art de la Création supposait, du moins de son point de vue. En soit, qu’Ailis ait déjà ces questionnements, au vu de ses interrogations présentes comme de son choix initial de lecture, témoignait qu’elle était sans doute du bois dont on faisait les bons mages. Qu’elle doute … encore plus. Rien n’était plus dommageable qu’un soignant qui ne doutait jamais, quel qu’il soit. Le doute était sain, car il amenait sans cesse à la réflexion sur ses pratiques, sur son éthique, et évitait l’hubris conduisant à se servir de la magie sans prendre en compte la matière sur laquelle elle s’exerçait, à savoir le vivant, au sein de la Création. Le doute n’avait jamais été une preuve de faiblesse : c’était, au contraire, une preuve de force. Il en fallait pour interroger ses propres pratiques, et encore plus pour surmonter la crainte légitime de ne pas être à la hauteur. Douter, c’était se contraindre à être meilleur, et non se reposer sur son supposé talent. Et c’était cela qui permettait, justement, de faire face aux situations les plus complexes.

« Tout dépend du contexte, en toute franchise. Si j’ai un temps raisonnable devant moi, je vais analyser la situation, faire des prélèvements, sonder la personne pour déterminer ce qui, selon moi, dysfonctionne, et établir à partir de là un protocole expérimental.

Si je n’ai pas le temps … Je vais parer au plus pressé, souvent instinctivement, en fonction de mes expériences précédentes.

C’est généralement là qu’il faut faire preuve d’habileté, en Création, parce que l’on va chercher des solutions qui ne sont pas expressément dans nos pratiques ordinaires, comme s’attacher à désensibiliser un nerf pour supprimer la douleur tout en augmentant la sensation d’adrénaline pour conforter cela, plutôt que de s’attaquer directement à la source de la difficulté. »


Poussant sa réflexion, Andra expliqua :

« C’est pour cela que douter est central. Cela permet de remettre en question ce que l’on sait, et donc d’adopter des méthodes plus efficaces, car moins coûteuses en énergie.

Sinon, on peut toujours appliquer la puissance brute sur un symptôme. Cela soulagera, sans endiguer le mal, ou sans comprendre pourquoi il était présent. »

De la différence entre l’artisan et l’artiste, de son point de vue. Elle aurait aimé poursuivre davantage, mais une armure arriva dans son champ de vision, et elle comprit que l’intermède n’avait que trop duré. Avec un sourire aimable, Andra acquiesça à l’ordre muet et souligna :

« Je crains que notre discussion doive s’interrompre. »

A regrets. Se levant, Andra récupéra son bâton, mais avant de repartir, elle glissa à sa cadette :

« Pour ce que cela vaut, Ailis … vous semblez avoir de réelles qualités pour la magie de la Création.

Si jamais le cœur vous en dit, pour obtenir des conseils de lecture … la Commanderie reçoit des courriers. »

Encadrée par les templiers, Andra s’en fut, non sans un dernier sourire bienveillant, pour s’enfoncer vers les hauteurs du Cercle de Starkhaven.
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