Nucci Mansilla.

Premier Enchanteur, Antivan, des mots qu’il valait mieux ne pas penser à voix haute et d’autres qu’il aurait pu s’ils ne lui corrodaient pas tant la langue, des titres officiels et d’autres qui auraient dû l’être – les mêmes six mots dansant une moresque éternelle. Il avait pensé les comparer à une tarentelle, adéquatement antivane, mais un combat n’était-il pas encore plus approprié qu’un frôlement faussement léger ? Et l’estampie, quoique tentante avec sa doucoureuse ambigüité, n’était-elle pas trop récente pour un homme si ancré dans son temps qu’il ne connaitrait jamais les inventions orlésiennes ?

Chaque entrevue était un affrontement – comme un, aurait-on pu ajouter si Lachlann ne s’y préparait pas exactement comme si elles l’étaient réellement. Lister tout ce qui pouvait arriver de distrayant, du tonnerre aux moustiques ; enfiler sa meilleure robe, propre et brodée du fil le plus noir, du tissu le plus riche mais sans ornement superflu ; attacher les mèches récalcitrantes qui menaceraient son contrôle, le pendentif dont une branche se coinçait régulièrement sous l’ouverture de son haut, les lacets qui jamais ne devaient se défaire trop tôt et la ceinture au fourreau certes vide de couteau mais plein de graines, plumes et bouts de feuille, par ailleurs d’une couleur qui se confondait trop avec celle de la robe pour vraiment attirer l’attention. Le tout rendait, plus qu’un extérieur un peu plus méticuleux qu’à l’habitude, un état d’esprit aussi alerte que le méritait la situation – l’Antivan, aurait-il dit dans ses meilleurs jours. Aujourd’hui en serait-il un ?

Ce jour, pour changer – même si ça n’impactait pas sa routine –, il faudrait mettre de côté quelques-unes de ses réserves et faire comme si Nucci Mansilla n’était rien, pour le bien de l’apprentie qui approchait son grand jour. Guère moins concentré sur le peu qu’il avait appris d’elle ces dernières semaines que sur ce que Nucci avait fait ses dernières années, il marchait vers le fameux bureau.

Trois coups, trois secondes, et la porte s’ouvrit sur le premier enchanteur dans toute son oisiveté. Ne restait qu’à espérer qu’il avait fait ce qu’il faut quand même – il était vrai qu’il bénéficiait de chaque faux pas de l’antivan, mais il s’était habitué à le voir réussir ce genre de préparatifs. Plus de travail pour lui et plus de risques pour Mirani, mais pour Nucci… Quoique, en temps d’Enclin, tout changeait. Peut-être ne serait-il pas une si mauvaise occasion pour tomber sous la pression.

« Tout est en ordre de votre côté ? »

Les premiers mots, brillant de sincérité, scellent sa disposition sans la moindre surprise, sur un ton à la fois trop détaché et totalement dans la continuité du sien. Créateur que cet homme ne lui a pas manqué.

« Cela ressemble-t-il à un bureau en ordre, pour vous ? J’ai beau le ranger, la paperasse ne cesse de s’y empiler – à croire que le Créateur insiste pour faire de moi un homme désordonné.
– Peut-être serait-il plus rapide de la remplir que la ranger. Vous devez savoir que le moyen le plus sûr de vider son bureau est d’alourdir celui d’un autre. »

Comble des quiproquos, il ne parle même pas du sien en cet instant, les suppliques bien en-deçà de ce qu’il se permet – la raillerie de son ton se chargera d’expliquer les subtilités du reproche tandis qu’il s’installe sur le siège d’en face, l’antivan visiblement décidé à ne gagner aucune seconde de plus que nécessaire. Il doit avoir de quoi réconforter les invités les plus pressés avec son moelleux incomparable, mais Lachlann ne peut s’empêcher de compter les coussins dispersés ici, là et sur le banc dans le coin, presque invisible sous les douces teintes ocre et bleutées. C’est trop, même pour une vie aisée ; le début de débarras lui rappelle une période honteuse où son propre dessus d’armoire était envahi de couches désaccordées amassées en, il en avait eu l’impression, une nuit, trop nombreuses pour faire bon effet. Seule différence, il avait vingt ans à l’époque, mais que voulez-vous…

« Mais où sont mes manières ? Buenos días, enchanteur Vaël. Vous me voyez ravi de constater que vous ayez trouvé un peu de temps à nous consacrer, au cercle et à moi.
– De même. Je craignais qu’avec l’approche d’un anniversaire si important vous le délaissiez, mais il semblerait que cet événement au moins vous parveniez à gérer, quitte à en oublier celui qui m’amène. »

Partagé entre l’envie de rendre une salutation, celle de marmonner un « supérieur » gamin et celle maitrisée mais toujours un peu présente de gestes peu pacifiques, il ne fit aucun des trois, s’en tenant à sa décision première de s’affranchir de toute cette étape. Si l’enchanteur ne l’invite même pas à entrer, après tout, mérite-t-il encore une belle journée ?

« Prenez place, indique-t-il finalement rien d’autre qu’un torse déjà bien installé. Que désirez-vous boire, que je puisse tout naturellement vous servir ? »

La belle journée, par ailleurs, l’antivan se la créera qu’il la lui souhaite ou non ; avec son sourire, sa voix chantonnante, et plus de sourires aussi étincelants que les bagues lustrées, il n’a guère besoin de la bénédiction de Lachlann – sans que celui-ci puisse dire si elle se fera malgré ses efforts ou grâce à leur échec.

« Heureusement, je n’en suis pas encore réduit à venir jusqu’ici pour des rafraichissements. Et puis, vous importuner avec de la vaisselle alors que vous êtes si occupé ? La jeune Mirani, que vous semblez décidé à éviter, ne me le pardonnerait jamais. »

À l’écouter, on ne pourrait s’en vouloir d’assumer que c’est le dixième rappel, alors que même lui sait le contraire ; et qu’il les redirige sur le droit chemin pour éviter un futur déplaisant plus que par détresse présente.
Loin d’être – seulement – un refus de principe, il a naturellement pris ses dispositions avant de venir et parler à sec ne lui coute rien. Qu’il profite donc de sa présence pour se désaltérer, s’il attendait une excuse, mais Lachlann ne le fera pas pour lui… Tentant qu’il soit de lui demander la plus extravagante des boissons.

« Venez-vous donc de livrer la méthode secrète des enchanteurs supérieurs de ce cercle ? Leur quiétude ne vous le pardonnera jamais !
– De qui pensiez-vous que venaient ces fiches ? »

Sourire, non – même mesquin, même toutes les variations de railleur dont chacune était adaptée à la situation, Lachlann ne souriait pas, il aurait fallu être fou pour le croire.

Il était convaincu que des nombreux papiers, au moins une partie le concernait réellement – peut-être pas aussi importante qu’elle aurait pu l’être, mais suffisante à donner plus qu’un fond de vérité à sa confession. Que pouvait-il lire dans ses longues soirées en tête à tête avec son désordre ? Il aurait payé cher – ou payé tout court, parce que mine de rien ses moyens s’amenuisaient à vue d’œil – pour savoir, tout comme il aurait aimé savoir ce qu’attendait l’Antivan pour son anniversaire. Si c’était un retour au pays, il risquait d’être déçu. Malheureusement, il n’avait jamais été très doué pour les cadeaux des proches, inspirants que soient les inconnus, et en un certain sens… Il avait moins de pistes pour Nucci que pour n’importe qui d’autre. Peut-être un panier de citrons ferait-il l’affaire ; ou alors il demanderait conseil à Sertoria… Il faudrait qu’il y réfléchisse, à l’occasion.

« Bendita Andraste, enchanteur Vaël, vous avez donc retenu la date ! Quelle intention : j’ai bien hâte de découvrir le cadeau que vous me réservez, cette année. »

Ou un calendrier.

« À la hauteur de celui que vous me trouverez, j’espère. Faudra-t-il vous réveiller avec une chorale de rossignols ou vous souviendrez-vous du jour même ? » Inutile de faire semblant que la générosité pure l’animait, n’est-ce-pas. Un bureau nettoyé par le feu ? Qu’importe la masse de devoirs du premier enchanteur, il ne pouvait concevoir qu’un homme oublie un jour si important ; l’ignorer était à la limite, mais il faudrait si peu d’estime pour ne pas y penser du tout…

Heureusement, ces pensées approchant dangereusement la distraction furent interrompues par un rappel qui lui éviterait de nombreux calculs ; autant la date était restée, autant l’âge était aussi inconnu que celui de son père.

« J’aurais donc inventé les convocations adressées à votre encontre, à celle de votre collègue enchanteresse, ou encore aux templiers ? Voilà que la sénilité me guetterait, à l’aube de mes quarante-cinq ans ! À moins que vous n’estimiez que cette encore jeune fille, bientôt adulte, ne soit prête à passer sa Confrontation, malgré les recommandations que j’ai eues à son encontre ? »

Lachlann le détestait un peu pour l’agilité de chaque intonation, sans parler des mots. Combien de mages rataient leur vocation d’artiste, enfermés dans leur Cercle ? Le comédien face à lui peuplait doublement leurs rangs et l’aurait fait davantage s’il avait un talent de plus, voire – qui sait ? – un appréciable. En l’état il n’était qu’agacement et plaisir de s’écouter parler, trop conscient que personne n’avait la liberté de l’abandonner à son silence. La quantité astronomique de phrases, sans être nouvelle, le laissait toujours aussi perplexe – pourquoi, au nom du Créateur, se sentait-il obligé de séquestrer ainsi un homme qui ne demandait pas mieux que partir ?

« Ralentissez un peu l’implacable sablier de vos paroles inspirées. »

Notons que jamais Lachlann ne s’étoufferait sur un verre qu’il n’avait pas bu, ni sur un bâillement étouffé expertement joué, pour cacher ne serait-ce que le début d’une réaction à l’une des cent expressions de l’Antivan ; et il faudrait ralentir pour lui ? Vraiment, quelle tristesse que les dons aillent aux personnes qui savent le moins s’en servir.

« Moi qui les avais retenues, je n’avais pas conscience que la moindre pensée m’ait échappé. Êtes-vous sûr que c’est ma voix qui a émis ces doutes ? » A défaut de sénilité, on pourrait l'accuser de démence. Sans parler de charité, il était en son saint droit de savoir pourquoi on l’accusait si gratuitement, la rare question sérieuse – qui méritait d’être posée – enterrée sous plus de dérision. Il s’agirait d’assumer ses craintes, messer. « Je suis pour ma part tout prêt à croire ceux qui la connaissent assez pour la recommander, sans quoi je ne serais pas ici. Lui avez-vous parlé ? »

« Vous en faites trop, enchanteur : j’espérais simplement avoir droit à vos talents de soliste que je devine réellement appréciables.
– Je note l’idée. Ce sera l’occasion de parfaire mon accent. »

S’il faut appliquer une bonne foi chantriste et son honnêteté de toujours à son imagination, il voit dans l’humour plus de fuite que de provocation ; même dans ses rêves la paix prime et la vengeance ne dure pas cinq ans, seulement l’image est trop vive et le sous-entendu trop vexant pour ne pas balayer tout ce qui aurait pu donner naissance à de la compassion. Andrasté seule prétendra à ses talents de choriste.

Les dieux elfes et leurs vallaslins sont rarement évoqués, mais il a déjà lu des études au ton plus hérétique que leur sujet, fascinées – horrifiées – à l’idée de n’en honorer qu’un, comme si les hommes aimaient moins les classements. Chantriste ou pas, qui n’a pas choisi son préféré, du Créateur et d’Andrasté ? La magie ajoute une dimension aux affinités, et la vie au Cercle davantage encore, mais pour une fois les faits sont aussi clairs que les écrits : s’il est ici, avec Nucci, c’est à cause de Ses avertissements autant qu’à cause de l’apprentie, et c’est un tort qui ne se pardonne pas.

« Oh ! Il se peut que je vous aie confondu avec un autre enchanteur : il est vrai que je n’entends jamais le moindre doute franchir vos lèvres. »

Parce qu’il n’y en a pas.

« Je réserve ce droit à ce qu’il y a de plus utile, » s'entend-il sobrement et pas du tout ironiquement dire – quoi de plus utile en cet instant que de partager un bout de pensée ?

L’enchanteur installé, ils passent enfin au cœur de l’entrevue, ou son préambule au moins. Il n’a pas menti en basant sa confiance sur les autres, ne la connaissant pas assez pour juger – une faute qu’ils partagent certainement, s’il se fie à la réputation que lui prêtent les couloirs. Ce n’est pas à lui de chasser les jeunes qui l’évitent, après tout, désavantageuse que soit l’ignorance, mais éviter les reproches du plus vieux est un léger soulagement. Heureusement que le sujet compte trop pour rebondir sur chaque mot, même pour l’antivan ; peut-être a-t-il imaginé son regard baladeur, enfoncé dans son fauteuil, et sûrement a-t-il deviné plus que su la pause sur ses jambes croisées comme jamais l’autre ne réussirait, mais il n’en est pas moins à l’aise que s’il était vrai.

« Évidemment ! Je vous rassure, Mirani ne se doute de rien : au détour d’une leçon il y a plusieurs semaines, quelques innocentes questions, et enfin un devoir à faire pour taire les maigres soupçons. » Il n’en demandait pas tant, mais pas besoin de montrer trop de confiance. « Je la pense moi aussi prête pour l’épreuve, comme vous et moi à son âge, sûrement, et je n’ai en réalité pas envisagé un instant l’Apaisement.
– M’informerez-vous si vous l’envisagez pour ses camarades plus jeunes ? » répond-il enfin, haussant un sourcil accusateur.

Il regrette déjà, mais au fond rien ne garantit qu’il saurait avant les mages, alors il le faut bien. Les disparitions ont beau être rares, elles ne s’oublient jamais vraiment, et comme tout – tout comme il voudrait être au courant du Cercle – il aimerait éviter les surprises, maintenant qu’il a les privilèges des enchanteurs supérieurs. Ce mince savoir lui revient de droit, non ?

« Acceptez-vous donc de m’assister pour cette Confrontation ? Souhaitez-vous que je vous rappelle le protocole et le déroulement traditionnel ? Si cela peut vous rassurer, les instructions ne seront pas plus compliquées que pour les démonstrations du Grand Tournoi.
– La générosité vous étouffera. » Isbeil a un jour décrit ses tons comme des nuances de vertige, aspirant l’air de la pièce ; la comparaison, dix fois exagérée, lui revient soudain. « Non, je me passerai de vos explications. Sauf si vous avez besoin de vous rassurer avant de vous désister une fois de plus ? »

Le fin sourire cache une part de curiosité – comme tout le monde, il s’est évidemment demandé pourquoi Mansilla avait dédaigné le Grand Tournoi, sans le lui reprocher pour autant. Au contraire.

« Davantage que ce que je connais déjà, ce sont vos fameuses questions que vous pourriez partager. J’aimerais savoir ce qui vous permet d’égaler en cinq minutes la confiance qu’ont en Mirani ceux qui l’élèvent depuis des années. »

Personne, à Starkhaven au moins et heureusement, n’appréciait ouvertement l’apaisement, mais s’il avait fallu parier sur quelqu’un c’aurait été Nucci – Nucci et ses réputations contradictoires, ses années à céder aux besoins de solutions radicales, et ses pensées imprévisibles. Lachlann n’avait pas des sentiments aussi forts contre la pratique – tant qu’ils étaient heureux ! et d’inoffensifs ils devenaient utiles – mais il préférait un Premier Enchanteur trop réticent que pas assez ; sur ce point il était rassuré. Même si la décision finale restait hors de portée, entièrement à la merci de gens qui ne lui devaient rien et n’avaient encore tenu aucune promesse.

Pas de quoi le remercier.

« Certes, je reconnais que cela n’a pas délesté mon bureau, ni même alourdi le vôtre, mais n’est-ce pas là une manière d’appliquer votre précieux conseil avant même que vous ne me le prodiguiez ?
– J’admire votre clairvoyance, quand bien même elle ne porte aucun fruit. À défaut de calme, y avez-vous gagné autre chose ? »

Quoi qu’on puisse penser, il ne regrettait pas ses actes, récompensés par une entrevue enrichissante. Il n’y avait aucun doute sur leur choix ni leur efficacité, n’en déplaise à l’oiseau moqueur auquel il devait l’occasion ; alors loin de lui de se délester de la faute, mais il n’avait pas oublié que l’absence ne s’était pas limitée aux épreuves. Le banc obstinément vide avait fait plus d’effet qu’elles, alors pourquoi Lachlann serait-il le seul à devoir s’expliquer ?

« À cette question-là, je puis vous répondre : tout d’abord, je fais confiance à l’avis de mes enchanteurs et de mes enchanteresses, comme d’autres l’ont fait auparavant avec le mien. »

L’incapacité de répondre devait être un encens agité dans le bureau. Que venait-il parler d’enchanteurs quand il parlait de Mirani ? Il était le premier à avoir accepté leurs avis pour arguments, et on voudrait lui apprendre à quel point c’était intelligent ? Naturellement que le mécontentement se lit sur ses traits, maintenant presque actif, alors qu’il attend silencieusement la suite. Car suite il y aura, et sans qu’il la demande cette fois.

« … À titre d’exemple, la jeune Isbeil Byrne m’ayant il y a peu affirmé avec sérieux qu’elle ne connaissait aucun démon de l'inattention, croyant certainement à de drôles de rumeurs annonçant leur existence ; elle ne fait définitivement pas partie des prochaines candidates. Et le fait qu’un Enclin approche n’y changera rien.
– J’en ai entendu parler, dit-il simplement. Au contraire, de plus en plus d’apprentis trahissent des lacunes mortelles. Pourquoi les presser alors que leurs chances de réussir baissent ? »

Il n’est pas sûr de pourquoi ils en parlent ; l’Enclin est un sujet qu’il ignore et qui ignore le Cercle. Le monde doit peut-être s’adapter, mais il fait très bien sans ; Nucci ferait bien de ne pas se laisser distraire non plus.

« Ceci dit, reprend-il d’un ton plus léger (plus pointu), j’ai aussi cru comprendre que le professeur lui-même était à l’origine de ces rumeurs. Peut-être serait-il temps d’accepter que certaines apprenties seront prêtes à la Confrontation avant d’avoir la moindre connaissance d’humour ? C’est regrettable, mais vous ne pouvez guère retenir tous ceux qui n’atteignent et n’attendront jamais l’excellence. L’intelligence n’est pas ce qui est testé dans l’Immatériel. »

La méfiance. La retenue. L’intelligence, auraient dit certains dont lui et Sivoneii, de reconnaitre un démon d’une plaisanterie – mais le contrôle avant tout. « Pas que je trouve l’apprentie Byrne prête dans la moindre mesure qui soit. » Dernier éclaircissement pour éviter le malentendu qui risquerait de finir en débat, alors qu’il en a déjà bien assez pour une après-midi et qu’il commence à avoir soif, à parler de boire.

« Permettez que je me serve de quoi me désaltérer. Le temps que vous réfléchissiez à votre assentiment – mais bien sûr, rien ne vous oblige à y assister.
– Bien sûr que j’y assisterai. Je ne pensais pas nécessaire de le dire à haute voix. »

Il n’y a qu’en ce bureau qu’il peut penser sans retenue qu’il ne compte rien apprendre qu’il ne sache déjà, une pensée étrangère et proscrite dans la vie courante. L’antivan aurait pu proposer l’élixir de jouvence, et sa seule question aurait été pourquoi il n’en buvait pas plus lui-même ; il avait oublié son âge mais à en croire les débuts de rides il n’avait rien d’enviable, et Lachlann ne tenait pas assez à la vieillesse pour ambitionner cette passion du calme. Un calme qui prenait le pas sur les responsabilités publiques n’était-il pas plus proche de l’apathie ?

« Nous sommes bien d’accord sur ce sujet. J’espère que la Garde des ombres saura également s’y tenir. »

Un réel abandon serait trop beau – et à la fois un peu terrible –, surtout en ces temps où un Premier Enchanteur pouvait faire la différence entre la vie et le sacrifice. Et si l’accord est d’abord bon, le pessimisme qui suit a mal choisi son moment – s’il y tenait un tant soit peu il l’aurait secoué avant que Sivoneii même en ait l’idée. Leur parole est limitée et le plus haut mage devra s’incliner devant le premier garde venu, mais c’est vraiment cet abattement qu’ils ont élu pour les sauver ? Leone en tête, un peu plus que Senaste, il les imagine mal forcer si les mages s’affirment pas prêts. Force est de constater que sa mission a réussi à redorer le blason bleu. Il fait plus confiance à la guerrière qu’à son père, finalement, pour le laisser en sécurité ; voilà que Nucci l’aurait presque rassuré.

Il laisse toutefois le sujet s’éteindre, profitant de l’absence de question. Adviendra que devra.

« […] Oh, Créateur, que c’est ardu de définir les qualités d’un bon mage, n’est-ce pas ? À moins que celui-ci n’existe pas, et que nos vies ne sont qu’hasards bienheureux et chances divines ? Qu'en pensez-vous ?
– Que vous passez trop de temps ici. Pourquoi pensez-vous que la question se pose ? Un bon mage n’est qu’un bon homme qui sait utiliser la magie. Pour le premier, je vous laisse prendre les critères qui vous plaisent, et pour le second, tout ce qui nous est demandé n’est-il pas de résister aux démons ? C’est l’unique pilier de la confrontation pour une raison. » Une raison triste à pleurer, peut-être, mais si répétée qu’on ne s’y attarde plus. Les théories morales l’ont toujours ennuyé, et l’accent chantonnant n’y peut rien. « J’aimerais y ajouter la qualité du sort, mais ça n’engage pas plus de vertu que de forger une belle épée. Je ne vois alors pas en quoi l’humilité, » à tout hasard, « aurait une importance. Ou bien les mages n’ont-ils pas droit à la personnalité pour être bons ? »

Il a, comme trop souvent, l’impression de glisser loin de sa propre thèse, mais il se reproche trop souvent les clarifications de mauvais ton pour se les permettre ici. Est-ce bien grave si Mansilla ne trouve pas l’idée principale enfouie dans la réponse qui l’entoure ?

« Les évidences valent souvent la peine d’être énoncées, car celles des uns ne sont pas celles des autres.
– C'est vrai, je n’aurais pas dû vous surestimer. Mais je confirme, vous pouvez bien compter sur ma présence.
– Mais très bien, je suis ravi de pouvoir compter sur vous dans deux jours ! »

De quelle force fera preuve Mirani ? Intéressé qu’il soit, il l’envie de n’avoir que quelques minutes pour s’inquiéter de son propre sort. Les apprentis ne savent pas à quel point le cercle tourne autour d’eux, l’espace de quelques jours…

« J’ai, de mon côté, fait le tour des questions que je souhaitais aborder avec vous. Y a-t-il néanmoins un autre sujet que vous souhaitiez aborder, enchanteur Vaël ?
– Aucun. »

Il y a bien une réserve de potions qui gagnerait à se faire, supplée son esprit, mais rien qui ne puisse se faire par courrier.