Type de RP Classique, flashback
Date du sujet 5:04 des Exaltées, 16 de Drakonis
Participants @Lachlann Vaël et @Vera
TW Prostitution, ...
Résumé Vera répond à l'invitation (clandestine) d'un certain Enchanteur.
Pour le recensement

Code:

[code]<ul><li><en3>5:04 des Exaltées, 16 de Drakonis</en3> : <a href="LIEN DU RP">À l'ombre de Sa Lumière</a></li></ul><p><u>@"Lachlann Vaël" et @"Vera".</u> Vera répond à l'invitation (clandestine) d'un certain Enchanteur.</p>[/code]

Les yeux courent le long de la table d’étude, glissent sur le cuir des ouvrages et le papier jauni des feuilles dispersées çà et là. Les titres, bien sûr, ne lui évoquent pas grand-chose, pas plus que les notes qu’elle devine ; mais le spectacle, intime, apporte un peu de chaleur à cette cage froide dont elle abhorre déjà les pierres. Le badigeon qui les recouvre aurait pourtant de quoi égayer son cœur chagriné, mais ni ses pigments, ni les éclats de la fenêtre voisine ne parviennent à chasser de l’esprit de la cocotte cette impression tenace : ces murs, étroits, ont des allures de geôle. Et en dépit des efforts de son hôte, Vera ne s’y sent pas la bienvenue.

« Alors c’est depuis cette étude que tu m’as écrit. » La fille minaude autour du bureau, caresse du bout de ses doigts fins le dossier du siège où le spectre désincarné d’un Lachlann imaginaire s’affaire silencieusement à la rédaction d’une missive. Le tableau, bien que artificiel, arrache une lueur d’orgueil à sa peintre : c’est son nom que la plume du mage a couché sur le papier ; sa compagnie que le Vaël a cherché, au prix de quelques templiers habilement soudoyés.. Et si cette entrevue n’est certes pas la première, cette visite au Cercle, elle, est inédite - et clandestine. Après avoir découvert et profité de l’intimité de la cocotte, voici que l’enchanteur lui permettait d’accéder à la sienne, sous la forme de cette piaule dont Vera, à défaut d’en apprécier les contours, demeure consciente de la symbolique. « J’ai un matelas très confortable et une serrure solide. » lui avait-il glissé, jadis, sur le ton de la plaisanterie.

« Ta lettre m’a surprise. Je ne pensais pas que tu tiendrais parole. » La fille s’écarte lentement du siège et entreprend quelques pas supplémentaires. Son regard s’arrête sur la paillasse, dont elle suppose découvrir le prétendu confort bien assez tôt, puis s’accroche à la fenêtre, qu’elle rejoint d’un pas lascif. « Mais je suis ravie que tu l’aies fait. » Un demi mensonge. Le cadre, assurément, lui déplaît, mais pas l’homme qu’elle visite. Vera le lui assure d’un sourire mutin, tandis que ses yeux se portent à travers les carreaux de la croisée. Dehors, accrochées au chéneau qui longe les toitures biscornues du Cercle, les gargouilles observent cette visiteuse de mauvaise vie, leurs gueules en pierre recrachant la pluie froide de ce mois de Drakonis. Spectacle déprimant, qui s’alourdit encore davantage lorsque vient à retentir le carillon d’une chapelle en contrebas.

Ding ding dong. Le son, grave, fait tressaillir les entrailles de la fille. Il ricoche dans ses os, heurte jusqu’à son âme, pour finalement mourir sur les lèvres grimaçantes de la putain. « C’était une mauvaise idée. » Vera, finalement, s’écarte de la fenêtre et la moue disparaît dans un nouveau sourire. N’a-t-elle pas un rôle à tenir ?

« Tu vas rater l’office. » Voix de velours, démarche féline... La cocotte s’approche doucement du mage, jusqu’à poser ses mains sur le col de sa robe. Pression familière pour deux amants qui se retrouvent. Alors pourquoi ses doigts tremblent-ils ?

Résumé:

« ― Et je suis encore surpris mais ravi que tu sois venue. J'espère que tu n'as pas eu trop de mal.
  ― Penses-tu. Elle sourit, cherche à chasser de son esprit cette angoisse qui la ronge. Lachlann est une distraction bienvenue. Ton ami en armure s’est montré tout à fait charmant. Certains de ses collègues m’ont lancé quelques regards torves, bien sûr, mais rien qui ne mérite ton attention. Ni la mienne. »

Elle avait tremblé, pourtant. Il lui avait fallu faire preuve d’une impressionnante force d’âme pour ne pas défaillir au premier éclat de voix, à la première œillade circonspecte. L’estafette qui l’avait accompagnée avait été d’un improbable secours. Son dos, rutilant de plates, avait été sa boussole, le radeau auquel elle s’était accroché - métaphoriquement parlant, bien entendu. Impossible, toutefois, d’avouer pareille veulerie à son compagnon. Sans parler de compromission, formuler la chose à voix haute lui aurait été tout bonnement insupportable.

Ignorant tout des abysses qui la dévorent, le mage glisse un bras autour de ses hanches et l’attire doucement à lui. Vera le laisse faire, docile créature. La chaleur qui se dégage de son corps la rappelle au monde des vivants, son monde, leur monde, et ce constat l’apaise un peu.  Elle s’y cramponne comme elle s’est cramponnée à l’armure du templier, à la différence que, cette fois, ses doigts jouent bel et bien avec la robe de son partenaire. Pression discrète, mais qui compte.

« ―  Tu vas rater l’office.
 ― Toi aussi, lui répond-il avec une indifférence qui amuse sa partenaire. Tu aurais pu venir plus tard, si ça te dérangeait.
 ― Je ne suis pas une femme très pieuse, mais tu as raison. Je n’aurais pas dû compromettre ainsi ton salut. Un rire la secoue, sincère. Le Créateur nous pardonne. »

Une main vient tendrement couvrir une joue, et les lèvres rejoignent celles de l’Enchanteur. Baiser affectueux, qu’elle lui laisse le loisir d’approfondir à sa guise. Lachlann n’appartient certes pas à la gente à laquelle s’intéresse sa compagne, mais son caractère, sa belle gueule et son nom lui rendent les choses faciles. Alors, Vera s’adoucit, baisse sa garde et se prête sans difficulté à ce rôle que tous deux lui ont donné.

Dong. Nouvelle salve de carillons, qui vient fissurer l’illusion. Vera s’agite, et le voile tremble autour d’elle. « Non. Calme-toi. » s’intime-t-elle, et le baiser s’intensifie. Les doigts plongent dans la chevelure du mage, le corps se presse. Mais les murmures sont toujours là, à l’instar de ces fichues cloches. La cocotte devine les yeux qui la guettent. Ceux des démons, avides. Ceux des templiers, derrière les murs de pierre et ceux des chantristes dehors, dans leur maudite chapelle. Tous, ici, l’observent. Savent. Veillent…

Vera s’écarte brutalement, comme piquée par un insecte. Ses paupières se ferment un instant, tandis qu’elle s’efforce de calmer son souffle haletant. Hélas, le baiser n’y est pour rien. « Excuse-moi. » bredouille-t-elle avec difficulté. Et les voix résonnent, résonnent, résonnent…

Un bruit sourd, semblable au souffle d’une torche que l’on brandit. La surprise tire la fille de sa torpeur. Elle se retourne, à la recherche de l’origine de cet étrange ronflement et, se faisant, son sang se glace.

Des flammes.
Des flammes dévorant le matelas de son client.

« Je… » Impossible d’articuler davantage. Vera fixe bêtement la colonne fauve, figée d'effroi. Un cauchemar, de ceux qu’elle redoute depuis qu’elle est enfant.

Les larmes lui montent aux yeux.

Les éclats de son angoisse consument le matelas de Lachlann. Vera en observe le flamboiement vorace, pétrifiée. Ce destin qu’elle s’est échinée à fuir lui revient brutalement au visage. Abomination. Et les voix résonnent, moqueuses, sifflantes tandis qu’autour d’elle s’effondre le monde. Son monde.

Lachlann s’agite et la colonne fauve s’éteint sous un voile humide. La catin y assiste en silence, laisse le nuage de vapeur les envelopper. Les paupières se ferment, le souffle devient difficile. Au creux de sa conscience, Vera égrène les souvenirs : exil et privations, solitude, dégoût, regrets. Alors quoi ? Tout ça… Pour ça ?

« Tu peux le… faire partir ? … Vera ?  » Le mage s’est porté à son côté et sa voix la fauche, la tire hors de ce gouffre de ténèbres. Vera ouvre ses yeux embrumés, croise ceux, inquiets, perdus, de cet homme qu’elle espérait séduire. Son corps est proche, trop proche. Le désir a cédé sa place à un sentiment aigu de répulsion et un frisson d’angoisse la traverse. « Dis quelque chose ! » s’implore-t-elle. Son cœur tambourine dans sa poitrine, le sang afflue entre ses temps. Instinct de survie.

« C’était toi ? » La voix tremble, fébrile. Elle a envie d’y croire. Après tout, pourquoi pas ? L’espace d’un instant, Vera s’imagine toucher au but. Oui, c’était lui. Le mensonge est réconfortant, elle aimerait s’y blottir. Fuir comme elle l’a toujours fait, jusqu’à renier son nom. De Morrac. Oh, comme la conclusion est amère. Stupide. Stupide. Stupide.

Les jambes se dérobent. Elle tombe à genoux sur les lames usées de la chambre, aux pieds de ce compagnon qu’elle imagine déjà bourreau. « Lachlann… » Elle gémit, tandis que son corps échappe à son contrôle. Les mains s’agrippent à celles du mage et les larmes roulent librement sur ses joues blêmes. « Je t’en prie… Il ne faut pas… » Un sanglot la secoue, interrompt brièvement sa supplique. « Ne dis rien, je t’en prie ! Je t’en prie ! »

Les mêmes larmes que celles qu’elle avait offertes à son père, quatorze ans plus tôt.
La même terreur.

Ramassée sur le sol de la chambre, la putain ploie sa tête nue. La sentence est imminente, et charrie avec elle son lot de remords. « Qu’as-tu essayé de prouver en venant ici ? » Papillon attiré par la lumière. Lachlann, bien sûr, en irradiait alors. La faute à ce sang trop noble, cet esprit trop lucide, cette bouche trop douce... Oh, comme l’insecte semble ridicule maintenant que l’orgueil a calciné ses ailes. Ne reste plus, désormais, qu’à le fouler du pied. « Tout ça pour quoi ? »

Silence dans la piaule. Le couperet tarde à venir. Le mage, finalement, s’accroupit à son côté. « T’en fais pas. » lâche-t-il enfin « Je ne dirai rien. »

Sa voix a des accents sincères.
Un hoquet la secoue.

Les doigts, jusqu’ici rigides sur la chemise de son compagnon, relâchent lentement l’étoffe. Les larmes roulent toujours librement sur ses joues charbonneuses, et il lui faut encore quelques longues secondes pour ravaler la peur qui lui tiraillait si violemment les entrailles. Elle voudrait parler, mais ses nerfs, désespérément à vif, l’en empêche. Alors Vera écoute, la nuque toujours baissée, cet homme tantôt craint, tantôt désiré, chercher à adoucir son âme troublée. « C’est pas si horrible, un peu de feu. On vit très bien avec. » tente-t-il piteusement, avant d’ajouter : « Mais ça va aller, je ne le dirai à personne. Tiens. »

La fille a mal. La fille a honte. Mais elle relève sa tête et, étouffant avec peine un nouveau sanglot, saisit d’une main tremblante le mouchoir que lui tend Lachlann. « Merci. » souffle-t-elle tout bas, tandis qu’elle porte le carré de tissu sur son visage humide.

Elle renifle, grimace. Ses yeux rougis de détresse finissent par se poser sur le visage de son partenaire. « Complice, à présent. » Le sera-t-il longtemps ? Combien de temps avant qu’il ne la trahisse ? Bah… Pour cela, il faudrait être quelqu’un. Mais elle n’est que Vera, et Vera ne compte pas.

« Je suis désolée. » La voix est encore tremblante, mais elle s’efforce de la maîtriser autant qu’elle le peut. « Pour ton lit, pour… tout ça. » Un geste vague de la main. Quel spectacle pitoyable. « Les voix… Ce n’est pas si fort, d’habitude. Je sais les maîtriser. Mais ce soir… » Elle soupire, cherche ses mots puis se ravise. Les images tournent dans sa tête et le voile tremble toujours.

Le Cercle est là, tout autour d’eux. Tout autour d’eux, aussi, les factionnaires en armure et les épées chantristes. Pour leur propre bien, prétendait le Cantique. Béatrice, pourtant, avait fui ce destin avec fougue, refusant à Andrasté et ses laquais le droit de l’emmurer dans une de leurs trop nombreuses prisons. À Vera le soin d’assumer ce choix de vie.

Quatorze ans, déjà.
Elle est si fatiguée.

« Es-tu heureux, ici ? » Un murmure. La question est sincère, et elle en redoute la réponse. Tout ça pour quoi ?

Comme il lui serait si facile de se laisser sombrer.
Ce constat la terrifie.

Douceur dans sa bouche, l’amant s’est changé en confident, et cette situation n’est pas pour lui plaire. Sous les larmes et la peur, Vera réalise lentement l’ampleur de son erreur. Magie, apostasie… Pour la première fois depuis son départ chaotique d’Orlaïs, son sort est entre les mains d’un autre.  « Un homme. » Créature cruelle, dont elle a appris à se jouer. Son destin lui échappe. Encore. Lachlann, pourtant, redouble d’efforts pour tenter de la rassurer, et ses badineries, à défaut d’apaiser sa nervosité, lui arrachent bien quelques sourires. Mais la fille connaît les travers de ses congénères et le tempérament hasardeux, souvent avide, de leur cœur. La rue invite à la méfiance.

Elle n’a pas l’habitude de se confier.
Se livrer, c’est mourir.

« ― Es-tu heureux, ici ?
 ― Oui ? Assez. Pas moins qu’ailleurs. C’est pas le palais royal, mais plutôt que la rue… »

Mourir.

Un coup dans les entrailles : la gorge se serre, mais l’orgueil - ce qu’il en reste - se rebelle. Non. Les larmes ont suffisamment roulé. À l’amertume de reprendre le dessus, et la colère. Contre lui, ou contre elle ? « Je ne regrette rien. » Un mensonge, adressé au mage mais qu’elle destine surtout à son propre cœur. L’acidité du ton trahit la détresse de l’âme. Plutôt que la rue…

« Depuis combien de temps as-tu quitté Orlaïs ? » Il a la bonté de la questionner et sa mémoire, d’ailleurs, la surprend. A-t-elle mésestimé l’impact de leurs entrevues, ou l’intérêt qu’il lui porte ? Elle prend quelques secondes pour égrainer les années, et puis, d’une voix plus douce, plus triste : « Quatorze ans. J’en avais treize lorsque je suis… partie. » Enfuie serait certes plus juste, mais le mot empeste la terreur d’autrefois et Vera n’en veut pas.

Les souvenirs, pourtant, lui collent toujours à la peau.

Comme il lui plairait, en d’autres lieux et d’autres circonstances, de lui conter les détails de cette vie révolue. Lui narrer la puissance de cette famille désormais perdue, le faste de leur existence et l’exigence de sa naissance. Lui décrire les plaines ondoyantes d’Orlaïs, la beauté du lac Célestine et la robustesse des remparts de Val Firmin. Lui parler de ses ambitions d’alors, de ses rêves d’enfant. Les bals, les rires, son frère… Lui confier son nom, son vrai nom, au moins une fois.

Hélas.
Se livrer, c’est mourir.

Il lui présente un verre, qu’elle refuse d’une moue embarrassée. « Merci. » Sa gorge est toujours douloureuse, mais le désarroi lui interdit de prendre davantage de place. Alors, elle se tait, laisse le silence s’installer, tandis que l’esprit repasse le fil désastreux de la soirée. La complaisance de Lachlann, si elle lui a été d’un grand secours sur l’instant, l’indispose quelque peu à présent. Quelque chose cloche.

« Pourquoi garder tout cela pour toi ? » Toujours ramassée sur le sol de la chambre, Vera pose sur son hôte un regard interrogateur. « Ne risques-tu pas davantage à te taire qu’à me dénoncer ? » Pulsion de mort qui se manifeste. Elle a besoin de comprendre pour mieux anticiper la chute.

Elle ne croit plus en la bonté désintéressée.

La dynamique de leur échange a changé, défiance dans le regard pour l’une, sécheresse dans la voix pour l’autre. Est-ce l’orgueil qui le silencie, les préjugés ou la prudence ? « Tant mieux. » C’est bien peu - presque rien. Lachlann a rendu les armes sans combattre. Satisfaite ? Étrangement pas. Goût de cendre dans la bouche. La cocotte, pourtant, se borne à poursuivre. Il la récompense d’un nouveau trait d’esprit, de ceux dont il est le seul à avoir le secret : « J’en avais douze. En plein primeneige. On était bien contents d’avoir un feu immédiat au lieu de nous battre avec les cheminées. »

La légèreté de la remarque arrache un sourire discret à Vera, et les ténèbres s’éclaircissent  un peu. « Tu es un idiot. » murmure-t-elle avec douceur, sans animosité aucune. La remarque est tendre, à l’instar des sentiments. Méli-mélo d’émotions contradictoires ; quoique rien, dans l’attitude du mage, ne trahisse ce postulat, Vera devine la tragédie derrière le voile de désinvolture. Drame familial pour l’unique garçon d’un prince. Drame personnel pour celui que l’on destinait à régner.

Douze années de vaines promesses, et une couronne brisée.

« J’étais avec mon frère lorsque c’est arrivé. Une équipée dans un bosquet tout proche. » L’affliction qu’elle prête à Lachlann lui donne envie de se confier davantage. « Il y avait un vieux moulin hors d’usage, endormi sur les berges d’une rivière presque sèche. Antoine… » La fille marque une pause malgré elle. Depuis combien de temps n’avait-elle pas prononcé ce nom ? Elle chasse son trouble d’un léger raclement de gorge. « Antoine tenait absolument à en escalader la façade. Mais les pierres étaient humides et il a glissé. Il se serait brisé les os si je n’avais pas crié. »

Un hurlement de terreur pure, dont les échos malheureux avaient agité si violemment le Voile qu’un coussin d’impesanteur avait amorti la chute funeste de son frère.

Le soulagement, hélas, n’avait été que de courte durée.

« Qu’ai-je à gagner à te dénoncer ? Lachlann se laisse basculer contre une commode voisine. Lassitude partagée. Les voix aimeraient sûrement que je le fasse, et j’ai envie que tu survives. »

Silence. Elle a envie de l’embrasser. « Tu es un idiot. » Vera, pourtant, ne bouge pas : la fatigue et la honte lui épargnent un élan qu’elle finirait sans doute par regretter. La cocotte, après tout, a perdu de sa superbe. Terminées, les parades sensuelles et les taquineries ; le masque est tombé, et avec lui l’espoir d’entrevues futures. Les hommes n’aiment pas les choses brisées. « C’est dommage. Je t’aimais bien… »

« Il n’y a aucune autre alternative pour les égarés dans mon genre, n’est-ce pas ? » Un sourire triste étire ses lèvres peintes. Les auraient-elles considérées si on lui en avait laissé l’opportunité ? « Ma vie entre tes mains. »

Temps mort.

« Qu’attends-tu de moi, Lachlann ? »

Il l’écouta sans broncher, laissant la cocotte remonter le fil étrangement clair de ses souvenirs. De minces volutes de fumée s’élevaient encore du matelas roussis par les flammes lorsque Lachlann se risqua finalement à l’interrompre : « Ce n’est pas le pire éveil. Au moins a-t-il servi. Il t’a aidé à partir ? » Vera acquiesça d’un léger hochement de tête tandis que, sous ses yeux, la puissante silhouette du moulin, jusqu’ici encore solidement accroché à son esprit, se dérobait lentement pour céder sa place aux remparts de craie de Val Firmin. « Il m’a d’abord dénoncé à notre mère. » La voix, étrangement calme, ne trahissait aucune forme d’amertume. Vera énonçait simplement des faits, avec une indifférence digne qui la surprenait elle-même. « J’ignore exactement pourquoi, mais il a fini par m’aider à m’enfuir, oui. Mon père avait pourtant déjà… » Elle s’interrompit brusquement, mortifiée par l’aisance avec laquelle les mots glissaient hors de sa bouche. Égrainer à voix haute les épisodes de son passé l’avait plongé dans un état second, au point de la rendre négligente et volubile. Il s’en était fallu de peu avant qu’elle ne livre sa vie sans ambages, et avec elle le prestige de son nom. « À quoi joues-tu ?! »

Le destin de son père, qu’elle avait commencé à esquisser au mage, resta ainsi en suspens dans la petite chambre saturée de cendres et de vapeurs. La prudence invita l’apostate à changer rapidement de sujet :

« ― Il n’y a aucune autre alternative pour les égarés dans mon genre, n’est-ce pas ? Ma vie entre tes mains.
  ― Tu peux toujours me tuer, tu sais. Tu as un couteau, non ? »

La simplicité de la suggestion lui arracha une moue embarrassée. Un instant, Vera crut ressentir la morsure glacée de la lame qu’elle avait pris l’habitude de dissimuler à l’intérieur de sa botte droite, et qu’un fin étui de cuir protégeait du moindre contact avec sa peau nue. Cette sensation fantôme fit brusquement remonter en elle les souvenirs cuisants de ces quelques fois où, acculée par quelque vilain tour du destin, la cocotte avait fait couler le sang avec cette même dague.
Un couteau, oui, Vera n’avait pas besoin de plus. Que sa lame larde sa chair ou celle de son compagnon importait peu et la finalité, dans l’absolu, demeurerait la même - à quelques nuances près. Trépas pour elle, assuré par la puissance de Lachlann ou l’implacabilité des factionnaires qui le protégeaient ; douleur ou agonie pour l’autre, si elle jouait adroitement son coup. La perspective d’attenter à la vie du mage, toutefois, ne la séduisait guère et cette pulsion morbide, qu’ils semblaient partager, alla jusqu’à l’inquiéter. La magie n’enfantait-elle que de futurs suicidés ?

« Je n’aime pas me donner en spectacle. »

La moue se mua en sourire ; discret, triste, absurde, comme l’était cette rencontre. « Puisque tu ne veux pas mourir, il te faudra lui faire confiance. »

« Excuse-moi, mais je ne trouve rien à attendre. » La voix de Lachlann la tira doucement de ses pensées, attirant à son propriétaire l’attention de la cocotte. « Savoir qu’une mage vit là dehors peut aider. Je continue de penser que c’est dangereux, mais il faudra bien changer d’avis. Je ne peux pas être la seule exception éternellement. Alors si tu donnes l’exemple… Si je sors d’ici, je saurais au moins que c’est possible. »

Si je sors d’ici.

À son tour, Lachlann tombait doucement son masque. C’est en tous cas ce que Vera en déduisit, le cœur battant et les lèvres scellées par la surprise. Mutisme de stupeur, dont l’écho ne fit qu’amplifier encore davantage le poids de l’hypothèse. « Si je sors d’ici. » La confidence, formulée comme un blasphème, semblait revêtir une dimension intime qui la déconcerta un instant. L’espoir, qu’elle crut déceler dans les mots du mage, la transperça brutalement dans le silence de la chambre, tandis que ses mots lui revenaient : « C’est pas le palais royal, mais plutôt que la rue… »

Menteur.

L’envie la saisit de jeter au visage du Vaël ses propres contradictions, de le blesser comme ses mensonges avaient pu l’abîmer elle lorsque, tremblante, elle avait guetté dans sa bouche l’assentiment de son apostasie. « Tu es un menteur. » Oui. Un menteur. Et pourtant…

D’un geste souple, léger, Vera laissa courir doucement sa main sur les lames du parquet, jusqu’à toucher celle du mage. Les doigts cherchèrent le contact des siens, peau contre peau.

« Je serai là. Dehors. »

Pression chaude. Caresse sincère.
Peut-être la plus sincère qu’elle ait jamais donné.
Et puis, finalement, retirant lentement sa main :

« Je devrais rentrer. »