Marchons, écoutons nous et sourions.
Comme il en a l'habitude lorsqu'il n'est pas à la forge ou au couvent des murmures, le forgeron se rend dans un des marchés de la ville. Aujourd'hui c'est celui du quartier de Goldhead qui est la destination. Arrivé la bas, Bennett ressent immédiatement une atmosphère étrange. D’habitude, comme tous les marchés de la ville, c’est un lieu qui bouge, le bruit est constant et les échanges permanents. Mais pas à ce moment-là. D'un côté les marchands qui feignent la joie de vivre et de l'autre des clients aux visages fermés. Bennett s’enfonce dans le marché en quête de quelques produits et au travers de toutes ces personnes, le jeune homme aperçoit une amie, Sioned. Naturellement il s'avance vers elle et la salue.
Étrangement elle ne se retourne pas. Les yeux perdus sur une étale. Le forgeron réitère sa salutation et elle le remarque alors. A cet instant leurs yeux se croisent et le jeune homme voit directement la préoccupation dans les yeux de son amie.
« Bonjour Sioned, tout va bien ? Tu as l’air… perdue. Tu n'es pas au Laurier Carmin aujourd'hui ? »
Bennett est un peu dérouté par l'attitude de Sioned. Elle qui d'habitude est si souriante. La voir ainsi laisse à penser que la réponse à la question posée ne sera pas des plus joyeuses.
Les yeux rivés sur l’étale, Sioned n’était plus sûre si elle regardait les différents fromages, ou les divers types de saucisses étalées sur les divers petits comptoirs; ses pensées étaient ailleurs, et elle avait dû passer son tour lorsque la petite file devant elle avait maigri jusqu’à ce qu’elle se retrouve seule en face du marchand. Heureusement, celui-ci la connaissait, et ne la pressa pas, la laissant tranquille alors qu’il reportait son attention aux autres clients. Elle n’avait pas pris son grand panier, juste un tout petit, qui pendouillait d’une de ses mains.
« Sioned? »
Elle entendit son prénom, quelque part, mais c’était une sorte de sommeil, duquel elle avait du mal à sortir. Il lui fallut quelques secondes pour sortir de son abstraction, et découvrir Bennett à ses côtés. Bennett! Elle cligna des yeux, comme si elle venait de se réveiller.
« Bonjour Sioned, tout va bien ? Tu as l’air… perdue. Tu n'es pas au Laurier Carmin aujourd'hui ? »
“ Bennett… désolé je, je rêvassais- ” elle s’excusa auprès de son ami, jetant un regard de regret aussi au marchand qui avait patiemment attendu sa commande. Trop hésitante, aucun achat serait effectué cette journée-là.
Sioned se retourna vers son ami le maître forgeron. “ - non je n’y suis pas. Tout y est en ordre, de toute façon. Je n’ai pas bien dormi. ”
À vrai dire, cela faisait maintenant plusieurs soirs qu’elle n’avait que très peu réussi à dormir. Entre ses propres cauchemars et les cocottes qui elles aussi avaient eu besoin de son aide au beau milieu de la nuit, elle se retrouvait extenuée à son tour.
“ Mais je vais… bien. ” conclut-elle, essayant de forcer un petit sourire, mais ce n’était qu’une façade, que même lui décèlerait sans doute - juste, la jeune veuve ne voulait pas trop se réveler ici, entourée de tellement de gents qui pourraient la reconnaître ou simplement trop savoir sur son état d’esprit. Quoique, le marché entier semblait lui aussi cruellement en manque de vivacité. L'intendante avait fait un pas pour dégager la devanture du fromager, histoire de ne pas prendre trop de place. “ Ça fait un moment. Comment vas-tu? ”
« Oh, et bien écoute la forge tourne bien, le grand Tournoi a été un sacré évènement à ma petite échelle ! Il faudra que je te raconte quelques histoires sur ma clientèle d’ailleurs, tu ne me croiras jamais ! »
Bennett, gêné, met sa main dans ses cheveux et gratte sa tête. Il ne voulait pas revenir sur son constat et demander une nouvelle fois à Sioned si tout allait bien mais il n’était pas dupe. Peut être était-ce le lieu qui poussait son amie sur la réserve. C’est alors que d’une voix un peu hésitante, le forgeron dit :
« Que dirais-tu de marcher un peu ? Je peux laisser la forge fermée aujourd’hui et nous allons où tu le souhaites ! Si tu acceptes, je m'occupe de faire un tour du marché et j'achète les provisions pour notre balade. »
Habituellement Bennett n'est pas très habile dans ce genre de situation. Quiconque le connaît un peu sait que le jeune homme n’affectionne pas ce genre de moment. En effet, les codes sociaux et la lecture des gens sont loin d’être les forces du forgeron, sauf dans le cadre des affaires. Il décide donc de ne plus insister et attend la réponse de Sioned.
« Oh, et bien écoute la forge tourne bien, le grand Tournoi a été un sacré évènement à ma petite échelle ! Il faudra que je te raconte quelques histoires sur ma clientèle d’ailleurs, tu ne me croiras jamais ! »
“ Oh? ” - sa voix songeuse sonna faux, et elle cligna des yeux, tentant de suivre ce qu'il disait, alors que quelques autres clients semblaient vouloir prendre sa place, et doucement la poussaient un peu plus loin de l'étale. Elle s'excusa auprès de son ami, se raclant la gorge pour rattraper la conversation. Le grand Tournoi était tellement loin dans ses pensées à présent ; depuis, bien de choses s'étaient produites. Peut-être en parlerait-elle à Bennett aussi?
“ Ta clientèle te laisse dormir, au moins? ” elle rit un peu, réussissant à trouver une bribe d'humour dans cette petite échange. Oui, Bennett était apparu au bon moment, et lui avait chassé ses pensées moins bonnes.
« Que dirais-tu de marcher un peu ? Je peux laisser la forge fermée aujourd’hui et nous allons où tu le souhaites ! Si tu acceptes, je m'occupe de faire un tour du marché et j'achète les provisions pour notre balade. »
Marcher un peu était une bonne idée, surtout qu'elle n'avait que très peu décidé de sa journée, et que se dégourdir les jambes était toujours un excellent plan. “ Des provisions? Une balade? Nous allons camper à la belle lurette? ” Sioned fit une mine d'étonnement, mais lui sourit quelque peu. Avec son charisme délicieux, elle croisa son bras au sien et avança, aussitôt que l'homme accepta d'avancer aussi biensûr - après tout, il était bien plus solide qu'elle.
Alors qu'ils marchaient, un peu sans destination précise - du moins, pensait-elle- Sioned se surprit à se livrer au bavardage, de sa voix calme et feutrée : “ Je suis contente que tu sois arrivé. Je n'allais pas très bien, j'pensais à des trucs bêtes- et puis... avec l'Enclin et tout ça... les gens parlent que de ça. Tu y crois, toi, à l'Enclin? Est-ce que tes clients te passent encore plus de commandes, à présent? Ils veulent des armes, non? Ont-ils peur? ”