Une capitaine sans bateau et une intendante sans couteaux
Quels drôles de rêves l'avaient assaillie cette nuit-là.
Elle avait rêvé de Tantervale, aux plaines verdâtres; son frère, sa sœur, ses cousins mêmes, tous présents. Tout était éperdument idyllique, tel qu'elle s'en rappelait dans son enfance... sauf que... aucun d'entre eux ne savaient qui elle était. Ni même son mabari. Et puis se réveiller en sursaut, elle ne le souhaitait à personne.
Et dire qu'elle avait une journée importante devant elle; c'était comme si le Créateur se moquait de son plan, comme s'il s'acharnait à la maintenir toujours à flot, toujours anxieuse. Sioned avait beau vouloir enterrer ses fantômes, et ils s'obstinaient à s'exhumer.
Elle aurait préféré ne pas en rêver aujourd'hui, mais c'était une réalité à laquelle elle ne pouvait que céder. Forçant une longue bouffée d'air, elle se recentra pour se calmer.
Si elle n'avait pas pour autant de raisons de s’inquiéter, elle avait mit en tête qu'il était grand temps d'une chose: savoir se défendre. Après tout, c'était un acquis qui ne prenait pas de place, pas vrai? Une fois appris, savoir se préserver était un acquis plus que précieux. Surtout qu'en ce moment, la pauvre Sioned ne savait que manier un couteau au beurre. Et c'est dire.
Puis d'un rebond, pieds nus, s'approcha de sa fenêtre pour en ouvrir les fins volets. Aujourd'hui, elle prendrait congé, comme discuté avec Vera le jour précédent. Depuis l'incident au Laurier Carmin avec Lilley et les nains, l'ambiance à l'établissement s'était un peu raidit et elle était soulagée d'avoir une matinée pour soi.
Elle avait approché Manaohani il y a quelques jours dans l'espoir que celle-ci lui concède quelques enseignements de base, au combat corps à corps ou aux dagues - Sioned ne savait pas lequel serait priorisé aujourd'hui. Mana avait semblé surprise, la regardant de haut en bas, mais avait fini par accepter. Peut-être pour plaire à Vera - ou pour la chicaner? Sioned l'ignorait.
La bassine d'eau qu'elle avait sollicitée arriva, et après remercier les jeunes domestiques, elle les excusa aussitôt. Sio n'était pas sûre dans quelle mesure elle allait avoir besoin d'un autre bain ce même jour, mais elle comptait décidément le découvrir, et surtout: le mériter. Ceci dit, elle n'avait pas pour habitude de trop s'exténuer; et donc, se pressa de redoubler son hygiène et de se sécher au plus vite.
En descendant, elle passa par le garde-manger pour se prendre un pain de noix et deux dattes. Si elle allait s'épuiser aujourd'hui, elle allait avoir besoin de toutes ses maigres forces. Elle additionna à sa pochette de ceinture quelques noisettes aussi, histoire d'avoir des renforts. Son costume était aussi près de ce qu'elle avait observé être le plus confortable pour bien bouger: d'assez longues braies marron presque noires, une chemise de lin blanche semi-ceinturée, une ceinture aussi en cuir, d'où pendaient quelques poches utilitaires - elle n'avait plus jamais vêtu ceci et était secrètement ravie de les retrouver; une fourrure autour des épaules, qui retombait sur son dos. Ses bottes de cuir hautes, plutôt élégantes, étaient presque neuves et inusitées.
Sioned rejoignit l'arrière-cour du Laurier Carmin. Aucun signe de Manaohani. Elles avaient pourtant arrangé de se retrouver peu après l'aube. Mais comment juger du 'peu après' l'aube de Mana? Peut-être était-elle encore quelque part, endormie. Se faisant discrète, Sioned longea lentement le bâtiment du Laurier Carmin, marchant calmement et en attendant la capitaine sans bateau.
Pour faire face au froid, il y avait une autre solution : avoir une bouillotte humaine, ou elfique, ou naine, alors soit elle s'en débauchait une en taverne ou même au Laurier, soit elle filait chez son apollon d'elfe dans son taudis chaleureux du Bascloître, comme ce soir là. Taudis de luxe selon ses standards. Sa chambre à Cayrnair était en tout cas totalement délaissée, et pour cause, il y faisait trop froid.
Ce matin là elle est à peine réveillée qu'elle se blottit contre le blondinet, la meilleure bouillotte de Starkhaven qu'elle se convint pour ne pas se dire qu'elle s'attache, comme elle l'aurait fait n'importe quel autre jour, pour se rendormir une heure ou deux, bien au chaud. Ielvin en la sentant bouger dit quelques mots incompréhensibles, profondément endormi qu'il est. Et puis soudain le soleil la rappelle à son devoir, comme s'il était particulièrement assistant ce matin. A l'aube. Elle devait faire quelque chose à l'aube. Sioned ! Mana pousse alors le bras de l'elfe et s'extirpe des draps, enfilant ses vêtements à la va-vite, se saisissant de Jeannine et d'un bout de fourrure pour se couvrir les épaules.
Depuis le Bascloître elle remonte d'un pas vif les ruelles gelées de la ville, lui permettant d'affronter la morsure du froid. Elle maugrée tout de même, dans sa barbe qu'elle n'a pas. Que ne ferais-je pas pour une collègue ? Amie ? Oh, et puis crotte. Dans les rues du Goldhead, elle pique une brioche sur un étal et arrive la bouche pleine dans l'arrière cours du Laurier Carmin.
« Hmm hhmmm Hmm » salue-t-elle la belle Sioned. Elle ne la connait pas depuis très longtemps mais elle l'apprécie. Elle est plus accessible que la matrone, mais un peu trop droite à son goût tout de même. Mana aimerait bien la dérider un peu, sans compter que c'est une belle femme et qu'elle n'est jamais insensible aux belles femmes. En tout cas les courtisans et courtisanes s'en donnent à cœur joie en coulisse pour parler dans son dos, pas méchamment bien sûr, juste des commérages habituelles. Mais autant Vera est un peu un mystère pour la Capitaine, figure d'autorité respectée comme elle en a rarement eu, autant elle a l'impression d'avoir tout entendu sur la vie de Sioned, même si elle n'y accorde pas une grande importance. Pas parce qu'elle s'en fout, juste qu'elle sait elle-même ce qu'on dit d'elle et combien presque tout est faux.
Mana se décharge prudemment de Jeannine sur un banc puis avale enfin son morceau de brioche.
« Brrrrr... » qu'elle se secoue tout en réajustant sa fourrure. Elle ne s'en délestera que quand l'exercice l'aura réchauffée. « Bien, t'veux savoir te défendre alors ? » Qu'elle dit avec son accent de l'île, alors qu'elle n'a pas la moindre idée de comment lui apprendre ça. Elle a la bouche sèche et pâteuse, heureusement qu'elle a attrapé une pinte de cervoise dans les cuisines en passant et elle s'en prend une bonne gorgée avant de se mettre en place.
Elle s'installe alors au milieu de la cours, en face de Sioned, mains nues et en position de défense.
« Allez, saute-moi d'ssus un peu, qu'on voit tes réflexes naturels ! » Et surtout ce que t'as dans les tripes.
Et après, on avisera quoi en faire...
Elle longeait l'arrière du Laurier Carmin pour la dixième fois lorsque Manaohani apparut finalement, une pinte de cervoise à la main.
"Bonjour, Mana!" souffla-t-elle avec un fin sourire, la voix poussée qui témoignait de son nerveux. L'accident avec Lilley et le nain du Carta avec son foutu vitriol, elle ne l'oublierait jamais, et ce dernier mois elle était redevenue anxieuse, angoissée. Elle ne voulait plus l'être; toutes ces années après que Callum soit parti... avaient été suffisants.
Son amie, dévisagée, condamnée par cet idiot de nain... Cela aurait presque pu être elle! C'était depuis cet événement qu'elle avait réalisé tout ceci.
Un peu perdue, elle attendit que Mana prenne le relais de la situation. Allaient-elles rester ici? Au milieu de la rue? Elle resserrait la fourrure autour de son cou, attristée soudainement d'avoir quitté son lit bien douillet. Quelle idée, d'entamer au petit matin. Et pourtant, elle se rappelait de son père, qui jurait que les meilleures choses se commençaient à l'aube. Guettant la rue, Sioned regarda Mana engloutir son petit déjeuner. Elle songea à lui offrir un peu du pain d'épices, mais... peut-être plus tard? La brioche lui avait semblé si sèche.
La capitaine s'était préparée, et sans ni plus ni moins, la voilà relevée et positionnée à quelques pas d'elle. La jeune femme recula un peu, l'observant. Manaohani était expérimentée au combat : on en avait entendu parler dans toute Starkhaven. Et si il y a quelques jours cela l'avait inspirée à l'aborder au sujet des leçons, tout à coup cela l'intimidait.
Des yeux bien ronds, Sioned dévisagea sa tutrice d'une expression presque incrédule - pas même un peu de théorie avant?! Un nœud au ventre l'empêcha de bouger. Elle tenta tant bien que mal de l'imiter dans sa pose: hyper consciente de tout son corps, de ses poings devenus blancs, de la faiblesse de ses bras...
"... Comme ça?"
Euh, comment on tapait, en fait? La dernière fois qu'elle avait osé riposter, c'était bien ce filou à la main coquine, au Laurier, il y a quelques années. Trop lointain dans ses pensées, et puis, ça n'avait été qu'une gifle. Pas la même chose tu tout. Et quoiqu'elle ose, elle savait que Manaohani anticiperai tout ses gestes. Alors qu'elle... même elle, elle n'avait aucune idée de ses prochains gestes!
Les nerfs à vif, elle savait que Manaohani la dévisageait, attendait sa réaction, n'en ajoutait pas. Tout comme Vera: droit au but. Était-elle si coincée que cela? Non. Elle ne voulait plus l'être. L'angoisse la prit.
D'un coup qui aurait mieux été visé plus à gauche, Sioned lança son poing.
Visiblement, son coup était bien plus faible qu'elle ne l'aurait anticipé. Quelle honte! Elle n'avait pourtant pas envie de trop y mettre son poids, elle ne voulait quand même pas la blesser. Et puis, quelle prétention, pensa-t-elle avec agacement : * Comme si mon poing pourrait heurter la championne de Starkhaven, bon sang comme je peux être idiote! *
Au final, une évidence: Sioned avait TRÈS bien fait de demander des cours à son interlocutrice.
L’intendante du Laurier était une belle femme, une bourgeoise pour Mana mais pas de façon péjorative. C’était une femme élégante, toujours bien apprêtée, grâcieuse, une jolie femme qui devrait avoir un gentil mari et de gentils enfants plutôt que d’être toujours endeuillée et triste. Une coquette quoi. Elle méritait d’être heureuse, et Mana ne comprenait pas trop pourquoi elle voulait apprendre à se battre. Chacun son truc, c’était comme si elle lui demandait de lui apprendre, à elle, d’être coquette et gracieuse. Quoique l’idée ne lui déplairait pas… Mana rêvait de ne plus être vulgaire… Jusqu’à la blague grasse suivante.
Elle se tint sans bouger, le visage déterminé et ferme et attendit.
« Comment ça comme ça ? Faut pas réfléchir. »
Laisser tomber le cerveau, c’était la première étape pour une fille comme elle. L’attaque partie enfin et elle choisit le poing, Mana la rattrapa aisément car elle n’avait pas mis de force, elle n’avait pas osé, ça se voyait dès le départ.
« Ben quoi ? t’crois que j’ai jamais pris de déculotté ? »
Il fallait qu’elle trouve la rage en elle et pour ça, Mana devait l’énerver mais elle n’était pas encore certaine de savoir comment.
« Réessaye. Réessaye cent fois s’il le faut. T’vas m’en coller une comme j’en ai jamais pris, pour te prouver que t’es pas idiote. »
Elle se replaça et sortie son faciès le plus mauvais.
« Il faut que j’sois qui pour que t'ai envie de m’en foutre une ? Qu’est-ce tu ferais si je voulais te voler ta bourse ? Ou pire ? T’es seule dans une ruelle et un type s’approche de toi, tu vas faire quoi, Sio ? »
Mettant ses menaces à exécution, Mana s’approcha. Au nom de tous les connards du monde, colle m’en une.
« Faut en vouloir. Faut d’la rage et d’l’envie de vivre. T’as ça en toi ou t’es juste potiche ? »
La rivenienne plissait des yeux, les mots n’étaient pas tendre, mais il fallait bien ça et c’était rien encore, elle irait beaucoup plus loin s’il le fallait.
« Comment ça comme ça ? Faut pas réfléchir. »
C’était là bien tout le problème de l’intendante - trop penser à quoi faire, comment bouger. Sa posture était raide, c’était bien à cause de trop en être consciente. Elle déglutit, serrant ses poings comme pour mieux se prendre en main. Essayer de ne pas y songer allait être un défi déjà en soi.
« Réessaye. Réessaye cent fois s’il le faut. T’vas m’en coller une comme j’en ai jamais pris, pour te prouver que t’es pas idiote. »
Ahh, la fameuse technique, celle de tenter d'irriter l’interlocuteur. Sioned l’avait anticipé.
Ses tentatives étaient un peu trop intenses d’esprit, trop faibles physiquement. Après tout, elle n’avait pas l’habitude de faire usage si exténuant de ses petits bras, et c’était comme si elle découvrait petit à petit, de nouveaux mouvements, de nouvelles distances.
Les coups avaient tendance à mourir contre les avant-bras de Mana. Naturellement, les deux femmes avaient commencé à trouver un petit rythme de marche, et tournaient maintenant en rond dans la cour face au Laurier Carmin. Quelques passants continuaient leurs affaires, les contournant avec indifférence.
« Il faut que j’sois qui pour que t'ai envie de m’en foutre une ? Qu’est-ce tu ferais si je voulais te voler ta bourse ? Ou pire ? T’es seule dans une ruelle et un type s’approche de toi, tu vas faire quoi, Sio ? »
C’était une bonne question, et c’était comme si ses yeux prenaient feu à cet instant. D’ailleurs, tout son corps commençait à chauffer, elle n’en avait pas l’habitude.
Sioned se rappella de Paco, qui lui avait dérobé sa bourse il y a à peine quelques semaines... L’incident n’avait pas mal fini, mais elle essaya de songer à la sensation mordante qui l’avait prise à ce moment ; où elle avait pensé que le filou lui allait vraiment voler son argent, qu’il allait déguerpir. Il ne fallait juste pas penser à ce qui s’était produit juste après. La veuve Meahger chargea à nouveau.
Mais son rythme avait empiré. Elle perdait presque son équilibre, son centre de gravité semblait desaxé alors qu’elle tentait de viser tantôt le ventre de la championne, tantôt son visage - les choix trop chaotiques pour venir à bout de leur objectif. Songer à Paco n’avait décidément pas été une bonne solution, car à présent elle se sentait tout à fait déconcentrée, ses poings ne sachant plus pourquoi ils s’entraînaient.
Cette fois, Sioned devenait sacrément irritée. Du fait qu’elle vise mal, du fait que Mana soit là, non seulement à la provoquer, mais aussi à vouloir la distraire.
Son angoisse du début avait donné place à tout autre chose, et cela était visible sur son visage froncé. Sioned sentait que ses poings étaient si fermés, qu’elle pouvait sentir ses ongles se planter au beau milieu de ses paumes.
L’intendante du Laurier Carmin souffla : ses tempes sonnaient, son sang à vif, ses poumons qui lui piquaient de tellement inspirer l’air frais. Depuis le début elle avait tenté de puiser cette rage, cette haine… mais au mauvais endroit.
Elle observa la femme face à elle; elle ne voyait plus tellement Manaohani la capitaine, mais plutôt ce qui se cachait derrière. La lassitude de devoir entraîner une demoiselle qui n’était faite que pour des délicatesses. L’envie d’être ailleurs. On pouvait le deviner presque : Mana n’était même pas bien réveillée!
Sans qu’elle s'attende, des mots lui vinrent…
Ceux que lui avait priés la mercenaire, à l’époque ‘Nora’ : « Pas de manières. » , maintenant Eléonore Irvine. Le sourire moqueur de Tohopka, bourse tournoyant entre ses mains : « Si c’était quelqu’un d’autre, tu crois qu’il te l’rendrait sans discuter ? » Son amie, Arlisa. «Tu es un rayon de soleil!» Puis Callum il y a bien longtemps, « Qui, toi? Mais toi tu ne ferais pas de mal à une mouche toi – même si tu voulais » Sa famille, « Mais que vas-tu faire, toute seule à Starkhaven?» « Tu ne tiendra même pas une nuit. » Tout ceci se mêlait à présent à ceux de Manaohani. « Faut d’la rage et d’l’envie de vivre. T’as ça en toi ou t’es juste potiche ?» Puis le visage de la courtisane Lilley, défiguré par le nain du Carta.
Sioned s’était hérissée comme un fauve, prise d'une râge telle, que son corps avait finalement craqué, l'ancrant correctement sur ses pieds. Elle puisait finalement du bon côté - celui que chaque être humain avait, plus ou moins caché, aux tréfonds de soi-même.
Qu’avaient-ils tous, à se moquer d'sa tête? Pensaient-ils tous qu’elle ne serait pas capable d’infliger de dégâts? Pourquoi croyaient-ils si viscéralement qu'elle était incapable ? De se battre, de s’énerver ? De faire mal ? De survivre ?
Sioned savait que le monde n’était pas tout doux ; elle? Ne l’était pas non plus. Plus pendant ces brèves secondes qui se suivirent.
Si ses poings avaient été maladroits ou hésitants jusque là, à présent ils ne l’étaient plus du tout. Comme prise par une énergie extérieure, Sioned réussit finalement à surprendre sa tutrice, qui ne s’y attendait sûrement pas. Elle la frappa aux épaules - esquivant la défense des bras pour la toute première fois ; puis ensuite au ventre, puis même en pleine mâchoire. D’un bond, et lâchant un grognement dont elle ne croyait pas être capable, Sioned parvint à faire tomber la championne, la plaquant au sol avec tout le poids de son corps.
Viens, viens donc ma belle.
Viens donc me flanquer une rouste comme j’en ai pas pris au tournoi.
Mais les coups continuaient d’arriver toujours aussi mous, malgré ses provocations. Elle avait envie de se prendre sa chope, là, et de la boire à grande gorgée en attendant que ça passe tout en parant de son bras libre, comme si de rien n'était.
Et puis… Dans une série de gestes qu’elle ne comprit pas, avec cette rage qu’elle espérait enfin trouver dans son regard, Mana s’en prit une bonne dans la mâchoire. Perdant son adversaire de vue, elle ne pu se défendre face au dernier assaut et s’écrasa au sol, Sioned aplatie sur elle. Sa respiration se coupa un instant, elle cracha par terre mais pas de dents, heureusement, déjà qu’elle en avait plus beaucoup, puis elle éclata d’un rire franc et gras.
« S’tu v’lais d’mon corps, f’llait l’dire, beauté. »
Insupportablement vulgaire. Ramenant toujours tout au fion. Mana.
Ensemble elles se relevèrent, Mana toujours très jouasse. Première chose, elle saisit sa pinte et bu le délicieux liquide qui pétille sur la langue, accroc à son amertume.
« Ah ! » Ça va tout de suite mieux.
« Félicitations, leçon terminée ! » Quoi ? Elles n'allaient quand même pas y passer toute la journée ! La rivenienne lui tend alors le couteau, en cadeau.
« T’enfonces la pointe dans celui qui t’veut des ennuis et tu cours, voilà la seule chose à faire, puis elle lâche l’air de rien, après avoir roté, dos tourné et remettant Jeannine autour de sa taille, de façon un peu mesquine, m’enfin c’pas comme si t’en avais besoin...»
L’accusation est jetée.
Pourquoi Sioned aurait besoin de se défendre ? Aux yeux de Mana, la jeune femme est presque une nonne qui ne prend aucun risque. De quels donc dangers voudrait-elle se défendre si elle n’en croise jamais ? Pas que la bougresse veuille la pousser à changer ses habitudes, mais peut-être au moins à vivre un peu.
Mana a pris une belle tannée et considère que la leçon est suffisante. Mais elle ne se prive pas d'insinuer d'autres choses, dans l'espoir de bousculer à nouveau son amie, sans doute ?