Ballets d'ombres (Vera, Manaohani)
Petite sauterie du Carta dans l’une des nombreuses cavernes du Thaig Kavish. Des cuivres qui mugissent et des instruments à anche qui s’envolent. La caverne était en fête. Obadiah avec sa blague habituelle dès que ses frères de crimes s’organisaient une petite festivité :
« Les nains ne dansent qu’une fois par an et c’est maintenant ou jamais. »
Même si les nains en question profitaient surtout de la fête pour s’enivrer. Obadiah à l’écart à une table contre une des parois de la caverne, à jouer avec deux dès dans sa main. Oba-le-préoccupé : Mashnar le nain assassin du Carta était remonté contre l’établissement du Laurier. Mashnar aimait à effrayer les filles de joies. Sa trinité : le meurtre, la provocation, la calomnie. Mashnar qui haït les humains et les elfes. Mashnar qui cherchait à se faire bien voir en abreuvant ses amis de propos anti-humains-elfes. Il ne vivait que pour s’opposer aux possibles rivaux du Carta et susciter le mécontentement.
Voilà une serveuse naine qui regarnissait les tables des nains. Elle s’inclinait et remplissait les verres. Quelques membres du Carta la reluquèrent. Pas Obadiah. Lui il gribouillait en ce moment même un parchemin avec son fusain. Il dessina le visage d’Andrade, une jeune fille de la caste marchande surfacienne des nains. Il la dessina souriante et mécontente. Il la dessina rêveuse et terre à terre.
Obadiah jeta un coup d’oeil à un nain qui ajustait son écharpe à son bras blessé. Il s’était prit un coup de couteau dans le bras. De la part d’une des filles du Laurier. Une certaine hostilité entre le Laurier et le Carta ces jours-ci. Certains réclamaient que la surineuse impliquée se fasse énergiquement réprimander. Obadiah avait levé les deux mains en l’air en signe de paix en faisant : Laissez filer. Lui il savait que le nain avait tenté de la violer.
La caverne façon salle de danse était prise d’assaut. Les fêtards nains qui se bousculaient et s’emmêlaient les pinceaux. Obadiah qui échangea des sourires et des signes de mains avec ses principaux collègues aux autres tables. Voilà Burol le voleur qui entre dans la grotte. Il est furieux, sa tenue du Carta est trempée et en plus il n’a plus son ceinturon. Pensées immédiates d’Obadiah : Il est allé au Laurier pour menacer les gens là-bas de passer à la caisse. Pour toute réponse non seulement les sbires de Vera l’impérieuse lui ont piqué son ceinturon richement ouvragé avec sa bourse, mais en plus ils l’ont balancé dans l’un des canaux de la ville, juste pour voir si les nains savent nager. Nouvelles pensées dans la tête d’Obadiah : trop de tension, le Carta va vouloir faire le ménage… Le Laurier Carmin va vouloir faire le ménage…
La musique qui s’enchaîne dans la caverne. Les instruments à anche qui jouent en douceur un thème des Marches Libres ponctué par des percussions discrètes. Un nain raconta une blague obscène à toute une tablée et provoqua l’hilarité générale. Obadiah en capta quelques fragments de loin : « C’est un chantriste, un mage et un templier qui rentrent dans un bordel. » Les nains s’esclaffèrent. Les nains braquèrent des regards mauvais en se souvenant tout à coup du Laurier. Obadiah qui continuait à dessiner et à jouer avec ses dès. Mais où sont passé Gamorn et Shagrak ? Ses deux comparses tardaient à venir. Il les avait envoyé pour mettre la main sur Mashnar. Ce foutu assassin avait procédé lui-même à sa mise à pied. Première erreur : Mashnar a violé une des régulières du Laurier. Ce qui avait provoqué à la base toutes les tensions entre Vera l’implacable et le Carta. Deuxième erreur : Mashnar avait assassiné l’actuel indic de la garde d’Obadiah, juste parce qu’il aimait pas qu’on touche aux filles du Laurier. Troisième erreur : Mashnar ambitionnait de kidnapper une des filles de Vera la courroucé pour la livrer à un mage du sang apostat qui était prêt à payer cher, pour accomplir on ne sait quel rituel mortel. Enfin circonstances aggravantes : Mashnar poussait carrément pour qu’on dérouille Vera la dangereuse, afin que le Carta s’empare du Laurier Carmin ! Mashnar était capable de faire foirer le retour tout en douceur du Carta en ville.
Obadiah écouta les ragots échangés entre nains aux tables voisines : les truands du Carta étaient bourrés. Ils déblatéraient avec méchanceté sur les humains et les elfes. Les musiciens firent résonner les trompettes pour qu’on porte un toast à la gloire du Carta. Obadiah se leva comme tous les autres. Les nains agitèrent les petits drapeaux posés sur les tables pour l’occasion. Des bannières du Carta. Regardez donc Oba-le-provocateur. Il brandissait un drapeau dans chaque main ! Celui du Carta et celui de la ville de Starkhaven ! Cet Oba ! Quel facétieux ! Voilà Gamorn et Shagrak qui entraient précipitamment dans la caverne. Obadiah les repéra aussitôt de loin. Il leur fit un geste. Il dessina un « M » en l’air avec son doigt, pour désigner « Mashnar ». Ses deux acolytes firent un geste de la main en retour avec un air affolé. Ils levèrent un doigt en l'air comme pour dire "Mashnar a recommencé". Obadiah pigea le coup : cet empaffé venait de s'attaquer à nouveau une des filles du Laurier. Oba-l’inquiet se mit à fendre la foule de nains ivres qui brandissait leurs drapeaux.
Surveillance.
Il suffit de rester planquer dans une ruelle et de surveiller le Laurier Carmin. Attendre la suite des évènements. Le violeur rôde peut-être encore dans les parages. Mashnar n’est toujours pas revenu au Thaig Kavish. La surveillance mobilisait Obadiah et ses deux acolytes. On reste dans les ruelles et on attend. En supportant un ennui colossal qui rend tout plus pénible. Obadiah hésitait : soit on fait une chasse à l’homme, on se fait Mashnar et on apporte sa tête à Vera-la-rancune-tenace dans l’espoir qu’elle accepte de passer l’éponge. Soit on le sort de là, on l’extirpe du quartier et on le planque dans le Thaig. Obadiah enrageait : le Carta n’avait pas besoin d’attirer l’attention sur lui. Les gardes étaient encore plus à cran à l’approche du tournoi. Ils voulaient la paix dans les rues pour que les étrangers venus assister aux festivités gardent une bonne image de Starkhaven.
Résultat trois nains qui surveillaient les ruelles autours de la maison de plaisir. Enfin, un surtout. Gamorn et Shagrak étaient en train de se gargariser avec une peinte de gnôle. Obadiah resta à cogiter. Une foutue idée lui prit : allez va-y fait le, entre là dedans et tente de jouer le coup au baratin à Vera-à-qui-on-ne-la-fait-pas. C’est stupide ou c’est génial, on ne sait pas très bien. Ça pourrait marcher, ça pourrait foirer.
Obadiah quitta la ruelle et traversa la rue. Ses deux acolytes l’observèrent de loin et en restèrent juste sur place, yeux écarquillés et bouché bée. Mais qu’est-ce que tu fous ? Obadiah se planta devant la porte du Laurier et entra dans l’établissement.
CT : 11
End : 15
For : 11
Perc : 15
Ag : 13
Vol : 15
Ch : 15
On suffoque dans le dortoir. L’odeur, infecte, prend à la gorge : mélange de chair, de sueur et de vitriol. Mais les cris, déchirants, ont cessé. Étendue sur sa couche tachetée de sang, Lilley ne gémit plus. Sans doute la pauvrette n’en a-t-elle plus la force ; la douleur a ravagé la gorge, comme l’acide a dévasté le visage. À son chevet, les cocottes veillent. Pas toutes, cependant : Vera en a écarté la plupart, par souci pratique et désir de tranquillité. Certaines, trop remuées par l’incident, n’ont pas attendu les ordres de la maquasse pour prendre leurs distances. Les hurlements de leur consœur ont suffi à les pousser, meurtries, qui dans les cuisines, qui dans la cour ou qui, encore, dans les quartiers de leurs homologues masculins. Ne reste dans la chambre qu’une poignée de malheureuses : deux des plus proches confidentes de Lilley et leur patronne qui, perchée tout près du lit, observe la victime en silence.
Muscles tendus, mâchoires crispées… Vera balaie d’un regard noir le corps abîmé qui repose sur la couchette, inerte.
Ce constat lui donne la nausée.
« Sioned sera bientôt de retour. » S’entend-elle expliquer aux filles. Pour les apaiser ou se rassurer, elle ? « Ce n’est qu’une question de minutes. » La voix est calme, quoique froide - unique témoignage de l’océan de colère qui l’engloutit. Il faut rester droite, envers et contre tout.
Ravalant sa bile, Vera s’écarte doucement de la paillasse, la gorge sèche. Quoi dire ? Quoi faire de plus ? Hélas… Rien. Les blessures, bien trop graves pour son expertise, la condamnent à attendre l’arrivée d’un guérisseur. Impuissance insupportable, qui ajoute à son amertume. « Prévenez-moi si elle se réveille. » Glisse-t-elle à ses filles, avant de rejoindre, d’un pas sec, le seuil de la chambrée. Dehors, le corridor, enténébré et désert, trahit la pesanteur des faits ; Vera le traverse sans s’y attarder, l’humeur en berne et l’esprit agité. « Tu savais. » Colère, regrets. « Ils paieront pour ce qu’ils ont fait. » La maquerelle rumine tout en dévalant les escaliers. Mais comment répondre sans trop s’exposer ?
On s’agite au rez-de-chaussée. Une voix féminine, oscillant entre l’inquiétude et l’irritation. « … Pas assez fait ?! Allez-vous en ! » Les murs, épais, étouffent l’esclandre, mais Vera croit percevoir des éclats plus graves, qui l’incitent à presser l’allure. À raison : dans le vestibule du bordel, une cocotte s’écharpe avec un nain, dont la maquerelle devine sans peine l’obédience. La fille aussi, à en juger par la dague qu’elle tire brusquement de ses jupons. « Pas encore. »
« Suffit. » grince la matrone en s’approchant du duo. La cocotte sursaute, se tourne en direction de Vera, sans toutefois consentir à abaisser son arme. Le souvenir du vitriol est encore tenace…
« ― Ce salaud veut pas partir ! Je lui ai dit de foutre le camp, qu’on voulait pas de lui ! Vera, il…
― Va chercher Mana. »
Silence. Le nom de la capitaine suffit à éteindre, un peu, la fébrilité de la jeune femme. Cette dernière observe un instant sa patronne, le regard fiévreux, puis le nain… Avant de consentir à partir à la recherche de Manaohani, son couteau toujours à la main.
À Vera, à présent, de se tourner en direction du suppôt du Carta.
« Vous n’êtes pas le bienvenu ici. » Un euphémisme, tant l’envie de le lyncher est grande. Oh, comme il lui serait aisé de le faire hurler à son tour… Mais pas tout de suite. Pas maintenant. « Que voulez-vous ? »
Une fois dans la place Obadiah en oublia ses soucis actuels, pour contempler l’endroit. Le hall du Laurier Carmin, visez ça : meubles en bois rare d’Orlaïs. Jolie. Quelques dorures. Tableaux mièvres et déco d’apparat façon établissement côté, pour ceux qui savent payer rubis sur l’ongle. Jolie. Quelques tapis du Nevarra pour rehausser le tout. Jolie. Lourd rideaux en velours aux fenêtres. Jolie. Le nain constata qu’il n’était pas accueillit par quelques gros bras qui assuraient la sécurité. Aussi il poussa son avantage et déambula à travers le hall. Jolie. Une fille l’aperçut et lui battit froid. Elle lui dégoisa de sortir en pointant la porte. Obadiah à lever ses deux mains façon signe de paix. La fille déblatéra, la fille couina, la fille s’en mangeait une sévère à l’idée de trucider du nain. Elle sortit une pointe de sa robe, façon fusain affûté, assez discret pour être planqué. Les stridences de la voix de la garce avait attiré la tenancière.
Elle se ramena avec tout le panache de Vera-l’épique. Avec cet air qui disait : à-moi-on-ne-l’a-fait-pas. Appelons ça Vera-l’impératrice. Appelons ça Vera-la-charismatique. Obadiah ne la connaissait que de nom et la rencontrait pour la toute première fois, mais il savait que ça ne pouvait être qu’elle : vêtement en riche étoffe pourpre. Jolie. Coiffure assortit où le mauve le disputait au pourpre. Jolie. Bijoux : bague, pendentif et boucle d’oreilles. Des vrais ! Pas cette foutue verroterie qui sortait de nulle part juste pour faire élégante, non ! Des bijoux, des vrais ! Obadiah les yeux plein d’étoiles : Aaaah ça c’est une personnalité qui ne s’en laisse pas compter, et avec qui on doit composer.
La sbire décampa suite à la demande de sa patronne et Obadiah resta seul planté face à elle. A lever les yeux vers Vera (il faisait une tête de moins qu’elle). Elle aiguisait un regard dans le style je-hais-le-Carta. Elle mit assez de glace dans sa voix en lui disant qu’il n’était pas le bienvenue, comme si elle tentait de battre le concours de froideur d’entre toutes les froideurs. A son tour maintenant. Tenter le coup au baratin. Obadiah, façon gentil-gentil :
« On s’est laissé emporter. Parlons peu, parlons bien. Il y a dans les rangs de mes camarades quelques… agités. Des abrutis de nain qui n’ont pas compris que chercher l’épreuve de force avec les uns ou les autres, c’est… pas bon pour les affaires. »
Obadiah avec son regard enjôleur, à tenter de se mettre Vera dans la poche.
« Je me suis dis qu’un certain tocard de ma connaissance avait trop dérapé avec vos filles. Je me propose de m’associer à vous le temps d’une journée ou d’une nuit, pour l’attraper et le dégager de l’échiquier. Sincèrement, si vous l’égorgez de vos propres mains disons que… la chose ne vous sera pas reproché en haut lieu si vous voyez ce que je veux dire. »
Obadiah agita sa main et dessina en l’air avec son doigt un « B » pour désigner Brasir le chef du Carta.
Mana et les nains.
Ça aurait pu être une belle histoire d’amour et de partenariats fructueux. Mana n’avait rien contre le petit peuple après tout, d’autant qu’elle était à peine plus haute. Sauf que Brasir était un con.
Mana en avait passé des marchandises pour eux, marchandises douteuses venant de Wycome, Antiva, parfois même Névarra. Ou quittant Starkhaven en grande pompe. Elle n’était que livreuse et peu regardante, pas des plus discrètes certes mais assez efficace : elle ne se mêlait pas de ce qui ne la regardait pas et donc du contenu de ces caisses. Mais vlà qu’un jour elle récupère une cargaison, la livre à l'entrepôt de Cairnayr et qu’on lui balance, le lendemain, qu’il manque une caisse et que c’est elle qui devra rembourser. Tout lui semble arbitraire, autant le prix, que sa responsabilité : qui lui dit que la caisse n’a pas été dérobée pendant la nuit ? Bien sûr, elle n’avait pas elle-même compté alors…
Quoiqu’il en soit, la confiance est brisée et les mois qui suivent, Mana s’éloigne peu à peu du Carta, sa dette toujours au-dessus de sa tête, comme une épée de Damoclès. Elle n’arrive pas à rembourser, elle n’a pas le moindre sous et le moindre part en consommation alcoolisée… jusqu’à ce qu’elle commence à travailler au Laurier Carmin et paye une première part. Évidemment, Brasir réclame plus… De quoi lui donner envie de l’embrocher. Elle a fermement dit non, cette fois.
Même si… Il y a eu ce nain un jour comme client, elle ne le savait pas du Carta à ce moment-là. Sa bourse dépassait un peu trop, elle l’a prise, en tout bien, tout honneur. Et c’est plutôt grâce à ça qu’à son salaire qu’elle a pu faire son premier versement. Promis, sinon, elle ne fait pas trop de larcin au Laurier, juste un peu à boire et à manger ; elle respecte trop la matrone.
Et puis il y a eu l’agression, la colère et le dégoût, la culpabilité aussi. C’était son rôle de les protéger. Faire ça à une femme, une fille de joie qui plus est… Ce Carta, elle l’avait définitivement dans le viseur.
[...]
« Mana, Vera a besoin de toi. Y’a un salaud de nain qui ose se pointer chez nous ! Ils sont à l’entrée. » La capitaine plisse des yeux, met la main sur la garde de sa belle rapière et fonce à grande enjambée jusqu’à l’entrée. Elle n’a pas entendu grand chose de l’échange, mais elle s’avance, aussi menaçante que possible et s’intercale entre le nain et Vera, puis c’est cette dernière qu’elle regarde.
« Qu’voulez-vous que j’fasse de c’nain m’dame ? »
Mana n’est pas une meurtrière, elle n’a jamais tué que par nécessité, par contre, s’il faut coller un gros coup de pied au cul d’un sale nain, elle n’y voit aucun inconvénient.
CT : 11
End : 15
For : 11
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Ag : 13
Vol : 15
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Il l’observe, mine patibulaire sous la capuche de son armure. Le regard, pourtant, se veut rassurant, à l’instar de l’attitude, que le nain prend soin de lisser. En vain : Vera le jauge, l'œil mauvais, tandis qu’Obadiah cherche à s’expliquer. « On s’est laissé emporter. » Oh, vraiment ? L’euphémisme la heurte, tandis que lui reviennent en mémoire le visage défoncé de Lilley, l’odeur du sang et du vitriol. “Emporter”. « Parlons peu, parlons bien. Il y a dans les rangs de mes camarades quelques… agités. Des abrutis de nain qui n’ont pas compris que chercher l’épreuve de force avec les uns ou les autres, c’est… pas bon pour les affaires. »
Le nain louvoie en eaux troubles mais ne se démonte pas. La maquerelle, elle, ravale silencieusement sa rage, percluse d’amertume. « Je me suis dis qu’un certain tocard de ma connaissance avait trop dérapé avec vos filles. Je me propose de m’associer à vous le temps d’une journée ou d’une nuit, pour l’attraper et le dégager de l’échiquier. Sincèrement, si vous l’égorgez de vos propres mains disons que… la chose ne vous sera pas reproché en haut lieu si vous voyez ce que je veux dire. »
Un signe de la main, que Vera capte sans effort. B. « Brasir. » Surprise ? Un peu, d’autant que la maquerelle se méfie de cet inconnu un peu trop arrangeant. La proposition, pourtant, a de quoi séduire. Ses filles ne réclamaient-elles pas justice ?
« Oh. Voyez-vous ça. » Tranchante, comme la dague attachée à sa cuisse. « Essuyer les conséquences du laxisme de Brasir ne suffit pas. Voilà qu’il faudrait, en plus, que je lui torche le cul. »
La langue claque contre le palais et l’impatience monte d’un cran. S’attendait-il à des applaudissements ? Derrière la colère toutefois, Vera note un élément qui la rassure : ces rixes n’arrangent personne, pas même le Carta. Tant mieux.
Le plancher du vestibule craque sous les pas de la nouvelle arrivante : Mana est là, main sur la garde de sa rapière et l'œil mauvais. « Qu’voulez-vous que j’fasse de c’nain m’dame ? » demande la capitaine, dont la présence n’ajoute qu’à l’aplomb de la matrone. Cette dernière, d’ailleurs, n’a pas quitté le nain du regard et l’observe toujours avec hauteur. Inquisitrice, oui. Son bordel. Son territoire.
« Je me propose de m’associer à vous le temps d’une journée ou d’une nuit, pour l’attraper et le dégager de l’échiquier. » Les mots du gredin tournent entre les tempes fatiguées de Vera, se mêlent aux échos, tenaces, des cris de Lilley. Impuissance insupportable… Est-elle contrainte de la subir davantage ?
Elle se tourne vers Mana.
« Bonne question. Le tailler en deux. Voilà qui me plairait beaucoup. » Puis, reportant son regard sur le nain : « J’imagine que Brasir comprendra ce léger dérapage. N’est-ce pas ? »
Le sang, toutefois, ne coulera pas sa main. Pas celui de ce nain-ci, tout du moins.
« Votre proposition ne manque pas d’indécence, mais elle m’intéresse. Je veux le nom du fils de putain qui s’en est pris à mes filles. Et je veux que vous nous aidiez à le retrouver. »
Un coup d'œil en direction de la capitaine. Aura-t-elle quelques états d’âme à se débarrasser d’une ordure pareille ? Le choix, bien sûr, lui appartient. Vera, pour sa part, se moque bien de se salir les mains.
La réponse de Vera-à-qui-on-ne-la-fait-pas fusa comme un claquement de fouet et Obadiah manqua de se ratatiner. Il aurait du deviner que ça ne serait pas aussi simple. Pas d’accord de paix en vue. Il allait falloir soit passer à la caisse, soit que quelqu’un paye autrement, dans le sang sans doutes.
Et…
Manaohani surgit rapière en main aux côtés de sa patronne. Oba la fixa, yeux écarquillés, bouche bée.
ALERTE ROSE !!!
Obadiah, les yeux plein d’étoiles. Le visage du nain sur le point de tout paumer, de toutes les manières possibles. Raaaah !!! ça c’est une femme, une vraie !!!
Le petit Oba ne vient-il pas de piquer un fard ? Il se piqua une petite suée, modèle poids plumes. Cette Mana. C’est LA femme qui définit toutes les femmes. Celle qui touche la corde sensible, chez vous et chez moi.
Oba eut du mal à rester concentré sur son propos suivant à Vera. Il ne sembla même pas s’offusquer de la menace à son encontre proféré par elle, tellement il était accaparé à scruter Mana.
Le nain dans un souffle vers la beauté à rapière :
« Belle inconnue, est-ce moi qui t’ait fait apparaître ? Ou est-ce toi qui m’a inventé ? »
Charme : 5/10. Humour : 3/10. Subtilité : 1/10. Pas sûr que ses notes, lui donne son passage auprès de la séduisante demoiselle. Il se força à se concentrer sur les nouvelles paroles de Vera-l’impitoyable. Visiblement ils avaient un accord. La tête du fautif et elle passerait l’éponge.
« Le nom du salopard en question, c’est Mashnar. Il n’en est pas à sa première victime soit dit en passant. Il est à vous. »
Oba fit une courbette façon traine-latte, en s’inclinant bien bas. Histoire de contenter le courroux de la chef du Laurier.
« Il arrive un moment où quand on ne sait plus discerner ce qui est bon pour les affaires, il faut dégager. Le bonhomme n’a pas comprit ça. Il n’y aura pas grand monde pour le pleurer. Je suis à votre disposition. Je sais qu’il rôde dans le quartier et je connais même son petit pied à terre, si vous voulez commencer par là, mais je doute qu’il y soit encore. Permettez moi juste, une fois dehors, de renvoyer mes deux compères qui attendent dans une rue juste en face et qui ont aussi pour consigne de dénicher Mashnar, pour le mettre dans le chariot de nuit pour le grand adieu.»
Nouvelle courbette. Vers Mana cette-fois, obséquiosité, d’entre toutes les obséquiosités. Le nain, la bouche en coeur :
« Douce amie, tu viens avec nous j’espère ? »
Oba fit un clin d’oeil.