Type de RP  Classique
Date du sujet 25 Primeneige, 5:12 des Exaltés
Participants Vera et Manaohani
TW Prostitution, nudité, vulgarité, sexualité.
Résumé Manaohani cherche du travail et vient frapper au Laurier Carmin, ayant en tête de se faire embaucher comme prostituée.

« Pas ce mois-ci, non… » Les doigts se tordent. La fille, embarrassée, pince ses lèvres nues. Il est encore trop tôt pour les couvrir de rouge - le soleil n’est pas encore couché. « Je voulais attendre encore. Juste quelques jours, pour voir si… » La voix se brise, mais les sanglots ne viennent pas. Tant mieux. Vera n’a pas le temps pour cela.

Installée derrière son bureau, la maquerelle observe, impassible. C’est qu’elle connaît la chanson : la peur, l’espoir, le doute. “Ce n’est peut-être rien !” ; “Quelques jours de retard, c’est tout !”. Comment la blâmer ? Les faiseuses d’anges effraient, et les décoctions ne sont pas toujours fiables. Pourtant, Vera ne se sent pas d’humeur à compatir à l’infortune de son employée. « Tu as perdu suffisamment de temps. » La voix claque, dépourvue de chaleur, et la courtisane lui semble frémir. « Sioned te préparera une potion. Tu la boiras devant elle. » L’ordre n’attend pas de réponse, et n’en obtient pas. Tout juste un hochement de tête, silencieux et coupable. TW avortement« Si tu ne saignes pas, tu iras voir un guérisseur. »

Le poignet s’agite, signe que l’entrevue a touché à sa fin. Et déjà Vera retourne à sa paperasse, sourcils froncés, tandis que la courtisane s’éloigne. Les talons claquent sur les lattes vernies du plancher, la porte grince mais son battant ne se referme pas. Pas le temps. « Ahem. » La voix de Jeston résonne, soudain, dans le boudoir, et la maquerelle relève son museau en direction du nouvel arrivant. Perché sur le seuil du bureau, le portier ne semble pas s’émouvoir du regard noir que lui adresse la maquasse. La laisserait-on jamais tranquille ?

« ― Quoi ?
  ― Une femme s’est présentrée à l’entrée.
  ― Et ?
  ― Elle cherche du travail. Je l’ai faite patienter dans le Grand Salon. »

Voilà un moment qu’aucune prétendante n’est venue toquer à la porte du Laurier. La faute, sans doute, aux exigences de sa propriétaire et à la rumeur de la rue. La cocotte, alors, serait-elle du genre exceptionnelle ? Jusqu’alors d’humeur bien maussade, Vera s’anime désormais d’un soudain entrain. Jeston, assurément, ne l’aurait pas dérangée pour une va-nu-pieds. N’est-ce pas ?

« Merci. Tu peux la conduire ici, je vais la recevoir. »

L’homme acquiesce avant de disparaître à son tour, laissant Vera à ses papiers. À peine a-t-elle le temps d’arranger son office que le valet revient, suivi de près par l’objet de sa curiosité. « Vous pouvez entrer. » Souffle-t-il à l’attention de la fille, qui pénètre dans le bureau.

Il ne faut qu’une poignée de secondes à la matrone pour comprendre que cette entrevue est une mauvaise idée. L’odeur de l’alcool que charrie l’inconnue ne lui plaît pas, à l’instar de son allure dépenaillée, de sorte que l’envie de la congédier aussi sec la tiraille un instant. Quelque chose, toutefois, la dissuade de se débarrasser aussi brutalement de l’inconnue. Une vague impression de déjà vu. Mais d’où ?

Toisant la fille - qu’elle devine plus âgée qu’elle - avec la morgue qu’on lui connaît, Vera appuie calmement son dos contre le dossier de son fauteuil. « Votre nom ? » Son regard, jugeur, détaille avec attention la ganache - somme toute plaisante, quoique abîmée - de son interlocutrice, glisse sur sa gorge, ses épaules, ses bras, jusqu’à atteindre ses hanches. La maquerelle fronce ses sourcils. Et puis, désignant d’un léger mouvement de tête la superbe rapière pendue à sa ceinture : « Il va falloir vous en départir si vous souhaitez poursuivre cette entrevue. »

Ses yeux reviennent étudier le minois de son hôte. Intrigante créature. « Votre visage ne m’est pas inconnu. Pourquoi ? »

« Mana - o - Hani » croasse la femme, avant de consentir, bien vertement, à se délester de sa précieuse rapière. Vera l’observe faire, l'œil las. Jeannine… « Ne demande pas. » s’intime-t-elle tout bas, sentant déjà poindre la migraine. Alors, la maquerelle s’accroche à l’essentiel, à ce titre que l’inconnue vient de lui livrer - non sans orgueil - : la capitaine. Et les souvenirs affluent. Ceux du Grand Tournoi, de ses épreuves et de ses redoutables participants, de la foire et de son agitation. Sans avoir fait preuve d’une franche assiduité, Vera a bien suivi quelques étapes de la compétition, plus par curiosité que réel intérêt pour les travaux guerriers. Voir et être vu. Elle, ou ses cocottes. « Je n’ai pas pu assister à l’ensemble des épreuves, mais on m’a conté vos exploits. » Les potins allaient toujours bon train dans les cuisines, et les manières de la capitaine avaient fait des émules. « Vous avez quelques admiratrices, ici. »

Quelle pitié que Vera n’en fasse pas partie.

« Alors, j'commence quand ? » Affalée dans son fauteuil, la fille ne semble pas s’inquiéter du cadre dans lequel elle vient de pénétrer, ni de l’humeur bien morne de son interlocutrice. Loin d’amuser Vera, l’audace décomplexée de Manaohani agace sensiblement la matrone, qui peine à percevoir, dans son vis-à-vis, un quelconque intérêt pour ses affaires. Mais la femme est pugnace et, quoique mal dégrossie, semble s’être fait une jolie réputation… « Tu peux nous laisser. » annonce finalement Vera au portier. Et la porte du bureau se referme.

Silence. Toujours assise dans son fauteuil, la maquasse scrute la mine assurée de son invitée. Avait-elle jamais mis les pieds dans ce bordel ? Sans doute pas, à en juger par sa désinvolture et son allure débraillée. « Votre culot seul ne vous ouvrira pas les portes de cet établissement très chère. Il y a une procédure. » Les prunelles grisâtres jaugent celles, bien plus sombres, de la capitaine, à la recherche d’un soupçon d’hésitation. Mais les mots suffisent rarement face à pareil animal. « Le Laurier jouit d’une notoriété qui ne s’est pas acquise au hasard de l’improvisation. Vous allez donc répondre à mes questions et j’aviserai de la suite. Mais d’abord… »

Les jambes se croisent, le visage se ferme.

« Déshabillez-vous. »

La femme ne proteste pas et, avec une aisance que Vera impute à l’habitude, se déleste calmement de ses atours. La robe glisse le long des courbes discrètes, tombe aux pieds de la capitaine. Et le corps, enfin, se révèle : silhouette à la peau brune, parsemée de quelques cicatrices, piquetée d’encre, dont l’état, bien moins décrépi que ce qu’elle imaginait, surprend sensiblement la matrone. C’est que l’épiderme paraît ne souffrir d’aucun squame, ne porte nulle trace de brûlure ni de vérole. La chair, elle-même, semble relativement ferme. « Quel âge avez-vous ? » interroge naturellement la maquerelle, tout en se levant prestement de son siège. La fille mérite bien, tout compte fait, qu’elle se donne un peu de peine. Alors, dépassant son bureau de quelques courtes et agiles enjambées, voilà que Vera se coule aux côtés de son invitée, sourcils froncés. Déjà les yeux s’accrochent à la nuque, glissent le long du dos, jaugent hanches, fesses, puis s’arrêtent sur les cuisses.

« Saignez-vous encore ? » La voix, détachée, trahit la concentration dont fait preuve sa propriétaire. Cette dernière, toutefois, n’attend pas de réponse. Contournant Manaohani, lèvres pincées, la maquerelle s’intéresse désormais aux seins, au ventre et au bas-ventre, puis revient aux épaules. Sans les toucher, Vera devine sans peine la fermeté des muscles, acquise, sans doute, par l’exercice des armes. Le corps entier, d’ailleurs, trahit la rudesse d’un passé que la matrone suppose rocambolesque. Les entailles le prouvent, à l’instar de cette attitude désinvolte, de ce parler franc propre à la rue - ou tout du moins au vulgaire. Les mains, d’ailleurs, semblent passablement abîmées. « Avez-vous déjà enfanté ? » Question coutumière, quoique Vera ne perçoive aucun élément attestant d’une potentielle grossesse : ni marbrures, ni marques sur le ventre ou sur la poitrine. La réponse, toutefois, a son importance.

Si Manaohani ne semble pas s’en émouvoir, la maquerelle sait l’exercice désagréable pour l’avoir personnellement enduré à de multiples reprises. Les souteneurs tiennent à leur marchandise et la vigilance invite parfois aux pires excès. Pourtant, nulle compassion ici : de victime, Vera est devenue bourrelle. Les années et les responsabilités ont estompé les stigmates d’autrefois. Pourtant, des bribes de souvenirs demeurent. Des fragments de mémoire, imprégnés de peur, de dégoût, de colère. La honte sur ses joues d’enfant. Les mains étrangères sur son corps fatigué. La faim au creux de son ventre.

Mais les spectres n’avaient pas leur place ici.

« J’aimerais voir vos dents. » Vera pivote lentement autour de la capitaine, jusqu’à lui faire face. Regard impérieux pour une requête qui ne l’est pas moins.

Les réponses s'enchaînent au rythme des questions, clac, clac, comme les talons de la maquasse sur le parquet. Trente-sept ans ?  ge honorable pour une vagabonde de son acabit, preuve supplémentaire, s’il en fallait, que la capitaine savait se défendre, par la force de l’épée ou celle de l’esprit. Hélas, la sagesse des années n’est pas un atout dans le commerce de la chair, mais plutôt un poids sur lequel les souteneurs ne préfèrent généralement pas miser. Vera ne fait pas exception à la règle : trente-sept ans, voilà qui est bien trop avancé. À quoi bon investir temps et argent pour une fille en fin de carrière ? N’en déplaise aux culs-bénits chantristes, la matrone ne fait pas dans la charité.

« ― Hein ? J'peux vous renvoyer vos questions ? Poliment j'veux dire, pour apprendre à s'connaitre quoi. Nom, âge, enfants, boisson favorite ?
   ― Non. »

Le ton est froid, le visage demeure fermé. Pas le temps, ni l’envie de se dévoiler. Alors Vera continue son examen et laisse Manaohani lui donner un aperçu de sa dentition… Et quel aperçu. Se penchant légèrement en avant pour constater le désastre, il ne lui faut qu’une poignée de secondes pour en appréhender toute l’étendue : l’haleine pue l’alcool et les dents oscillent entre le jaunâtre et le brun. Ruines. « Y'a du chicot, ouais... M'enfin ça n'empêche pas de... hein... vous voyez ce que je veux dire. » badine la capitaine, tandis que Vera s’écarte en s’efforçant de retenir - non sans peine - une grimace embarrassée. « Dans un bouge de Clayrak, peut-être. Mais pas ici, je le crains. » Et puis, pour toute conclusion : « Vous pouvez vous rhabiller. »

Inutile de poursuivre, la fille n’a pas l’étoffe d’une cocotte du Laurier. L’âge et l’hygiène lui font défaut, à l’instar de ce savoir-être que Vera s’échine à cultiver. Trop vulgaire. Trop vieille. Trop négligée. Trop… trop.

Reculant de quelques pas, la maquerelle s’appuie contre le bureau, bras croisés sur la poitrine, tandis que la capitaine entreprend de se revêtir de ses piteux atours. Et l’esprit vagabonde, de la rapière aux muscles fermes, du tournoi de Starkhaven à l’insécurité grandissante de Goldhead, de ses affaires, florissantes, aux nombreuses menaces qui les guettent… N’y avait-il pas là une occasion à saisir ?

« Vous ne convenez pas. » Les yeux lâchent les courbes de la fille, cherchent plutôt son regard, qu’elle accroche. « Pas pour ce poste, tout du moins. Mais vous pourriez toutefois avoir votre place ici. »