Cela faisait déjà neuf ans que je m’étais engagé au sein de l’Ordre des Templiers. Mon quotidien au Cercle de Starkhaven était relativement serein. Il arrivait malheureusement que les apprentis ne réussissent guère leur confrontation, que nous ayons à intervenir afin d’écarter tout danger. C’était un travail pouvant parfois se montrer ingrat, mais nous étions entraînés, nous avions l’habitude. Il n’y avait pas de place pour l’hésitation dans le cœur d’un templier, nous devions toujours accomplir notre travail quoi qu’il en coûte. Quand bien même je n’enviais guère le sort des mages, quand bien même j’éprouvais un soupçon de sympathie pour eux ainsi enfermés et privés de leurs droits, j’avais graduellement compris la haute nécessité de ce dispositif. Nous devions nous protéger des mages, autant que nous devons les protéger d’eux-mêmes.

En cette période, je savais qu’une guerre faisait rage contre Tévinter. Je n’en avais toutefois reçu que quelques échos. Déclarée avant mon engagement au sein de l’Ordre, je savais qu’un certain nombre de nations n’avait pas répondu à l’appel suite aux pertes de la Deuxième Marche Exaltée. De mon côté, plus le temps passait, plus je songeais à prêter main forte aux alliés sur le champ de bataille. Je sentais mon devoir envers le Créateur et la Divine m’appeler. Ma décision n’était pas encore prise, mais maintenant fort de plusieurs années d’expérience en tant que templier, je savais que je pouvais me rendre utile. Sans doute pourrais-je me contenter de ma place au sein du Cercle de Starkhaven, mais peut-être était-il temps que je sois appelé à quelque chose de plus grand.

Ces réflexions mises à part, j’effectuais aujourd’hui ma ronde habituelle au Cercle, saluant poliment les enchanteurs dans les couloirs tandis que les apprentis se dirigeaient vers leur cours. Voyant que tout était en ordre, ce fut naturellement que mes pas me guidèrent vers les jardins, lieu que je priorisais pour sa sérénité. Je m’interrompis dans ma marche en voyant un jeune apprenti s’exercer maladroitement sur l’écorce d’un arbre. M’approchant sans un bruit, j’attendis qu’il eût fini sa prestation avant de me racler la gorge afin d’attirer son attention.

« Ne devriez-vous pas être en classe ? »

Aurais-je dû le saluer au préalable ? Ce n’était sans doute pas nécessaire ; il arrivait même que les templiers ne parlent pas aux mages de la journée. Nous autres n’étions là que par notre devoir de protection. Je le savais, il le savait sans l’ombre d’un doute ; inutile de tergiverser. Aussi fronçai-je légèrement les sourcils en signe de sévérité. Sans doute avais-je à faire à l’enfant d’un quelconque noble se croyant au-dessus des règles. S’il était vrai que mes confrères templiers tendaient parfois à se montrer plus souples envers les plus aisés, je ne faisais quant à moi guère la distinction ; ici, il n’était qu’un apprenti comme les autres. Ainsi guettai-je la réaction – ou plutôt le moindre signe de rébellion – chez cet homme aux cheveux bouclés.

Je n’avais pas bronché face à l’effronté, pas plus que je n’avais perdu mes airs emprunts de sévérité. Il déclarait perdre son temps en cours, non sans une certaine arrogance. J’avais beau fouiller dans mon esprit, je n’arrivais pas à me rappeler l’identité du jeune homme, peut-être n’était-il arrivé au Cercle que récemment. En temps normal, j’aurais compris ce sentiment d’ennui en me mettant quelques instants à sa place ; n’aurais-je moi-même pas aimé me retrouver ainsi dans une cage dorée, privé de mes proches. En l’occurrence, je n’arrivais pas à éprouver la moindre sympathie pour celui que je venais de prendre sur le fait. Ses airs hautains ne me rappelaient que trop les gens de la haute société. Quand bien même je ne connaissais pas le jeune mage, je devinais sans mal qu’il ne s’agît pas d’un quelconque paysan. Je percevais une certaine frustration dans son regard, pouvant aussi bien correspondre à celle d’un révolté qu’à celle d’un enfant trop gâté à qui l’on aurait privé de son jouet préféré. Avançant d’un pas, je le dévisageai un court instant avant de reprendre la parole d’une voix ferme.

« Puisque vous vous ennuyez en cours, j’en toucherai un mot à vos professeurs. » affirmai-je avec tact, « Néanmoins je ne peux pas vous laisser vous livrer à ces exercices sans surveillance. »

Je savais que j’aurais pu le réprimander avec plus de ferveur – non pas que l’envie m’en manquât –, mais je me doutais que cela ne ferait qu’accroitre la frustration du jeune homme, que je devinais être une forte tête ; il était plus judicieux de régler cette affaire sans heurts. Jetant un regard circulaire autour du jardin, je n’apercevais aucun collègue dans les parages, pas plus que je ne constatais de dégâts à déplorer. Peut-être certains se seraient-ils montrés plus souples en cette circonstance, mais j’estimais que les mages devaient s’habituer à être traités différemment des autres, la vérité cruelle étant que ce qui les attendait dehors n’était guère mieux. Ils étaient craints bien à raison. Pour avoir déjà vu des apprentis échouer à leur Confrontation, pour avoir déjà dû intervenir, j’avais déjà conscience du danger de la magie, tout comme je savais qu’elle pouvait être utilisée à bon escient. Le Cercle permettait en outre de l’exercer sous étroite surveillance, sous un bon encadrement, aussi injuste cela pouvait-il paraître pour ceux qui se trouvaient ainsi privés de leurs libertés.

« Niall Molony.» me présentai-je sans plus de détails, « Pouvez-vous me rappeler votre nom ? »
 
Un nom, oui, il serait intéressant de connaître son identité. Sans connaître tous les apprentis du Cercle, je me devais de retenir les éléments intéressants et problématiques. Peut-être aurais-je d’autres informations sur ce jeune homme par mes camarades ; avait-il pour habitude de sécher les cours et d’échapper à leur surveillance ?

« Vaël. Lachlann Vaël.
- Oui cela me revient. J’ai bien sûr entendu parler de votre venue au Cercle, mais je n’arrivais pas à mettre un nom sur votre visage. » répondis-je d’une voix neutre.

Je m’étais contenté de hausser un sourcil à la déclinaison de son identité. Si je me doutais à ses manières qu’il ne pouvait être d’origine modeste, je n’aurais jamais imaginé avoir le fils Vaël face à moi. Peut-être devrais-je prêter plus grande attention aux nouvelles recrues du Cercle ; j’aurais effectivement pu le reconnaître. Sans pour autant être impressionné, je devais admettre que ce n’était guère tous les jours que l’on croisait un membre de la famille princière. La nouvelle des pouvoirs du fils aîné de nos dirigeants s’était répandue comme une traînée de poudre ; un cruel coup du destin pour Starkhaven. J’imaginais sans mal comment la nouvelle avait dû être terrible pour la famille princière ; en tant que mage, Lachlann se trouvait automatiquement écarté de tout espoir de succession. Il aurait un statut à part, ici au Cercle. Je n’arrivais pourtant pas à éprouver le moindre sentiment de pitié pour mon interlocuteur, son sourire railleur n’arrangeant guère son cas.

Petit à petit, je sentais une colère se raviver en moi, une brèche s’entrouvrir dans mon cœur. Ces nobles se permettaient de nous prendre de haut, car ils étaient nés sous une bonne étoile. Cela les arrangeait bien, dans le fond. Ils ne connaissaient pas la faim, le froid ou encore la solitude. Non seulement ils avaient tous les privilèges, mais ils en demandaient toujours plus. Voyaient-ils la misère à leur porte ? Même si Lachlann était un mage, il jouirait nécessairement d’un plus grand nombre d’avantages face à ses confrères à cause de son ascendance. Qui pourrait combattre ces injustices ? M’efforçant de rester le plus professionnel possible, je pris une profonde inspiration pour me calmer. Acceptant son invitation, je m’asseyais à côté de lui, attendant la suite.

« Vous avez vu ce que je fais. Une démonstration de vos capacités ne serait que justice – peut-être que cela vous rassurerait même sur l’innocence de mes entrainements ? Une petite remise en perspective serait bénéfique à nous deux.
- Je ne suis pas là pour vous divertir. » rétorquai-je sèchement.

Si je n’arguais pas, il semblait évident pour moi que les pouvoirs des mages et des templiers étaient deux choses indéniablement différentes. D’une part, nous dépendions du lyrium là où les mages avaient des aptitudes innées. D’autre part, nos pouvoirs ne servaient qu’à contrer la magie et ses effets là où certains mages étaient bien capables de brûler une maison en un claquement de doigts. Nous étions toutefois unis par un principe : celui de sacrifices. Les templiers avaient simplement le choix là de suivre cette voie là où les mages ne décidaient pas de l’être.

« Où en êtes-vous dans votre entraînement ? Recevez-vous des visites ? Vous n’êtes pas obligé de me répondre. »

Faire la conversation à un étranger n’était pas vraiment mon fort, mais je préférais changer de sujet plutôt que de rester sur un terrain glissant. Si Lachlann était déjà capable d’user de flèches de magie, force était de reconnaître qu’il devait effectivement être en avance sur les autres, à ma grande exaspération. Quant aux visites, je n’avais pas eu connaissance de la venue d’un Vaël au Cercle jusqu’à présent. J’ignorais quelle pouvait bien être sa relation avec les Vaël depuis la découverte de ses pouvoirs, aussi avais-je pris un ton prudent en posant cette question, lui laissant le choix de ne pas répondre, au cas où je toucherais un point sensible.

« Je n’ai jamais insinué que vous ne pouviez pas vous exercer, les templiers doivent simplement vous encadrer. Puisque je suis ici, vous pouvez reprendre vos exercices tant que vous réparez derrière vous. », je marquai une pause, « J’ai néanmoins l’impression que vos tentatives ne sont guère fructueuses, je me trompe ? »

Simple constat, je ne disais pas cela pour l’accabler ; il était bien plus difficile de progresser en autodidacte.

« J’ai beau ne pas être mage, je peux toutefois vous offrir un conseil : vous devez vider votre esprit. Toute frustration, toute émotion négative ne servira qu’à entraver vos progrès. »

Je ne faisais qu’appliquer les enseignements des templiers ; étais-je pourtant si exemplaire ? Cette colère, la mienne, n’avait jamais disparu. Une vie marquant un homme, je ne faisais que l’enfouir au plus profond de moi. Cela se ressentait-il en ce moment à ma mâchoire serrée et mes membres crispés ?

C’est à mesure que le temps passât que le sentiment d’antipathie éprouvé envers son interlocuteur ne fît que croître. Niall pressentait Lachlann comme étant particulièrement égocentré ; imaginait-il sans mal l’ancien héritier parader à longueur de journée, son statut de mage n’éclipsant en rien les habitudes prodiguées par son éducation princière. Niall ignorait si tout cela était inhérent au sang bleu du jeune homme, aussi se gardait-il pour le moment de porter le moindre jugement, malgré un a priori négatif. En tout état de cause, le templier le traitait comme n’importe-quel autre apprenti. Il se doutait de la spoliation que son attitude était susceptible d’engendrer chez son interlocuteur, vraisemblablement habitué à la luxure et aux serviteurs exécutant ses quatre volontés. Niall ne se souciait guère de ses états d’âme. Il ne s’intéressait pas à Lachlann d’outre mesure, n’était-il même pas certain qu’il réussisse sa Confrontation. Le templier était là pour accomplir son travail, rien de plus, rien de moins. Ici, il était en position d’autorité ; il le savait.

« On a le droit de savoir ce qui nous entoure autant que vous, c’est différent. Je ne demande pas juste pour passer le temps !
- Concentrez-vous plutôt sur votre Confrontation, le reste importe peu. » répliqua-t-il tout aussi sèchement.

Lachlann avait réussi à l’agacer, le templier se donnait-il dorénavant l’air de l’adulte réprimandant un enfant particulièrement impertinent. S’il avait été d’une meilleure humeur, Niall aurait sans doute pu lui donner des nouvelles du monde extérieur – à supposer qu’il eût été mieux informé que son interlocuteur. Travailler et vivre au Cercle revenaient presque à s’enfermer dans un cocon, surtout pour les mages bien que cela s’appliquât aussi à leurs gardiens. Quand bien même les rumeurs et évènements parvenaient jusqu’à eux malgré les épais murs, le templier n’y prêtait guère oreille attentive ces temps derniers ; son esprit était occupé ailleurs.

« Oui, je reçois des visites, quoique le rapport avec mon entrainement m’échappe ? Ma mère et ma sœur viennent régulièrement, comme le montre le registre.
- Les visites des proches redonnent courage aux apprentis au travers des épreuves. Vous avez cette chance, tous ne l’ont pas. » lui rappela-t-il.

Il avait essayé de ne pas être cinglant malgré la colère éprouvée en cet instant. Pour lui qui avait connu des mages sortir de la misère et de la pauvreté, Lachlann n’était point à plaindre – estimait-il que le mage ne se rendait pas compte de la chance possédée jusqu’à présent. Bien qu’il eût été plus libre que lui, Niall ne pouvait se targuer de voir ses proches, la mort de ses parents étant une cicatrice encore visible.

Niall n’était en outre guère surpris de voir Lachlann réagir immédiatement à la remarque faite quant à sa progression. Il se doutait qu’il avait touché sa fierté, mais n’en tirait aucune satisfaction. Toujours assis, les mains sur ses genoux, il observait le mage reprendre ses exercices. Son visage crispé avait dû laisser entrevoir ses émotion ; il s’en voulut, ne voulait-il donner à son interlocuteur la satisfaction d’avoir pu l’énerver.

« Si la passion guide chacun de nos pas, elle doit toutefois être tempérée avec l’expérience. » affirma Niall, « C’est une leçon que vous apprendrez par vous-même, la frustration peut parfois vous jouer des tours. »

Suite à ses paroles, il réfléchit un instant. Des ennuis, Niall avait su s’en attirer par le passé. Il avait un sens profond de la justice et n’était pas le meilleur élève lorsqu’il s’agissait de calmer son courroux, bien qu’il s’évertuât chaque jour à apaiser ses émotions négatives. Le templier avait toutefois admis une part de vérité dans le raisonnement du jeune mage, étais-ce ainsi sa fougue qui l’avait conduite chez les templiers, et qui continuait encore aujourd’hui à le pousser à aller plus loin. Ce n’était pas l’ambition du pouvoir qui le faisait avancer. Niall était persuadé de suivre un chemin tracé par le Créateur. Tout ce qu’il souhaitait, c’était accomplir sa volonté.

Il poussa un léger soupir et commença à se détendre, sentant à nouveau le calme l’envahir. Niall observait le mage s’exercer, un bâton dans la main. Ce qu’il vit fut une flèche parfaite, touchant non seulement la cible avec grande précision, mais ne causant aucun dommage. Lorsque Lachlann se retourna vers lui, le templier put apercevoir la fierté sur son visage. Niall se leva, une lueur approbatrice dans le regard.

« On fera peut-être quelque chose de vous. »

Le mage se froisserait-il d’un manque de considération ? De nature austère, Niall était peu généreux en matière de compliments mais il n’était pas de mauvaise foi ; Lachlann se débrouillait très bien pour une nouvelle recrue. Le templier restait néanmoins prudent, était-il conscient que même les meilleures recrues pussent échouer à leur Confrontation.

« Je reste disponible, souhaitez-vous continuer à vous entraîner ? »

« Vous parlez d'expérience ?
- Oui. »

Stoïque, fidèle à lui-même, Niall n’en dit pas plus. Il n’allait pas se dévoiler, encore moins à un inconnu – quitte à laisser une grande impression de froideur derrière lui. Si le templier aurait pu prendre pareille remarque pour une insolence juvénile, il n’en tint pas rigueur cette fois-ci ; savait-il parfois se montrer clément avec ses cadets derrière ses airs d’autorité. Malgré la silhouette élancée de l’apprenti, Niall estimait qu’il ne devait pas avoir plus de seize ans. Pour lui, ce n’était encore qu’un enfant ; non que cela pût l’attendrir car il restait un mage sous sa responsabilité, il fit néanmoins appel à sa patience. S’il avait déjà vu certains mages passer leur Confrontation très jeunes, il ignorait quand celui-ci serait prêt. Niall trouvait en outre bien assez cocasse que ce fût lui – un templier – que Lachlann questionnât au sujet de cette épreuve, et non l’un de ses semblables. Il pouvait se tromper, mais il supposait que Lachlann ne devait pas avoir beaucoup d’amis au Cercle, son caractère n’y étant probablement pas un facteur inconnu.

« Tout ce que vous verrez en cours peut se révéler utile lors de votre Confrontation. » affirma Niall, « Même allumer une bougie pour la quatrième fois. » conclut-t-il d’un air amusé.

Sous le sourire joyeux du mage, les restes de colères commencèrent à s’estomper ; Niall se détendait, bien qu’une étincelle pût à nouveau rallumer la flamme intérieure. Il ne pouvait affirmer qu’il appréciait son interlocuteur et ses manières. Néanmoins, Niall le respectait pour les compétences montrées – déjà avancées pour son âge. S’il était autorité, il ne le prenait pas nécessairement de haut ; devait-il au moins reconnaître que le fils du prince avait suivi ses recommandations en s’intéressant à la Confrontation. Le rituel restant secret pour les apprentis, Niall le savait inquiétant pour beaucoup. Si Lachlann semblait être en avance sur certains cours, avait-il les qualités nécessaires pour résister aux tentations des démons ? Le templier n’en avait pour le moment aucune certitude.

« Je n’ai pas le droit de vous révéler les détails du rituel. » reprit-il, les sourcils froncés, « Ce que je peux en revanche vous affirmer, c’est qu’il est primordial d’exercer votre esprit et de le renforcer. » il marqua une pause, « Vous ne devez jamais vous reposer sur vos lauriers, l’échec ne doit pas être une option. »

Niall fit exprès de ne pas mentionner l’apaisement, ni ce qui arrivait à ceux qui échouaient le rituel. En ce qui concernait Lachlann, au vu des compétences magiques qu’il semblait démontrer, l’apaisement n’était nullement une option pour lui. Pour ce qui relevait des échecs, bien que les templiers n’en parlassent aucunement, l’apprenti n’était sans doute pas dupe sur leur sort. Niall avait déjà abattu plus d’un mage pour éviter tout risque d’abomination. Ce n’était pas une tâche facile, encore moins agréable, aussi les templiers tendaient-ils à se montrer distants des mages dont ils avaient la charge.

« Cela vous donne-t-il des idées ? »

Il le mettait seulement sur la piste, à lui de faire ses propres déductions sur la marche à suivre.

La plainte désespérée de l’apprenti arracha presque un sourire à Niall – déjà de meilleure humeur. Une lueur d’intérêt s’alluma alors dans son regard ; si un certain nombre d’apprentis était terrifié à la simple évocation de la Confrontation, ce n’était pas le cas de Lachlann qui ne semblait attendre que cela. Que ce fût un marqueur d’ignorance ou de courage, cela suffit à piquer la curiosité du templier. Sans doute suivrait-il cette histoire de plus près lorsque le jour fatidique viendrait ; s’agissait-il d’une simple bravade ou de la révélation d’un talent caché ?

« Ce sont des questions intéressantes que vous posez. » fit le templier.

Il avait attendu la fin de toutes les interrogations du mage sans l’interrompre, devait-il au moins admettre sa perspicacité. Si Niall s’étonnait une fois de plus que Lachlann n’interrogeât pas ses professeurs ou ses semblables, il n’émit à nouveau aucun commentaire. En tant que templier, il était vrai qu’il avait suffisamment de connaissances sur la magie pour en comprendre ses principes, et ce bien qu’il ne fût pas mage. Se situant en position de répondre à ses questions, il ne vit en outre aucun intérêt à lui refuser des informations relatives au Cercle.

« J’imagine que vous savez déjà comment fonctionne la magie. Vous autres mages tirez vos pouvoirs de l’énergie de l’immatériel. Il en va sans dire que lancer un sort est un exercice contribuant à faire travailler votre esprit. » il marqua une pause, « C’est sur cette notion que vous devez vous concentrer. »

Niall passait évidemment un grand nombre de détails sous silence. Il était bien trop prudent pour révéler l’entraînement des templiers pour contrer la magie – à savoir qu’ils apprenaient à renforcer la réalité mutée par les mages. Il prit également soin de ne pas mentionner les chercheurs de vérité qui n’éprouvaient aucune addiction au lyrium, contrairement aux templiers – Niall savait en outre qu’il paierait un jour le prix de son sacrifice. Peut-être générerait-il une frustration chez son interlocuteur en se montrant si taciturne ; bien que sa vision des mages fût encore meilleure que certains de ses collègues, il ne s’éloignait guère des prises de position traditionnelles. Peut-être avait-il devant lui le fils du prince et sans doute n’était-il fréquent d’être face à un Vaël, un mage restait néanmoins un mage. Il ne lui donnerait donc pas plus que le strict nécessaire.

« Les bons élèves passent généralement l’épreuve avec succès, mais il nous arrive parfois d’avoir des surprises. » il marqua une pause, pensif, « Je pense qu’il leur manquait quelque chose. Peut-être une force de caractère ? »

Niall veillait à ne pas rentrer dans les détails tout en lui donnant quelques pistes de réflexions. Peut-être soulèverait-il d’autres questions après cette remarque. Devait-il lui dire que les templiers dussent tuer le mage si la Confrontation durait trop longtemps ? Une fois de plus, il choisit de ne rien dire. Une fois de plus, il garda le silence. S’il comprenait que le rituel pût être une source d’appréhension pour les apprentis, cela ne semblait guère être le cas pour son interlocuteur. À supposer même qu’il eût exprimé son inquiétude, Niall serait resté impassible, dans son respect protocolaire.

« Toujours est-il qu’au sein du Cercle, vous apprendrez les principales écoles de magie ; création, primitive, entropie et esprit. Une fois que vous serez un mage accompli, vous pourrez utiliser vos dons pour le bien commun, car la magie doit servir l’homme et non l’asservir. » enchaîna-t-il.

Il récitait cela presque machinalement, comme tout bon chantriste ayant appris sa leçon avec justesse. Avec la magie étaient arrivés beaucoup de maux, Tévinter n’ayant pas manqué de la montrer dans toute son horreur. Ils avaient encore bien des torts à réparer suite aux erreurs passées.

« J’espère que cela répond à vos questions ? Je ne peux rien vous révéler d’autre, le rituel étant secret pour les apprentis. Si vous souhaitez savoir quand vous serez prêt, je ne suis pas en mesure de l’affirmer. Suivez vos cours avec assiduité et tout devrait bien se passer. » fit-il en lui lançant un regard entendu.

Oui, les cours. Comme celui que Lachlann crût bon de sécher en allant s’exercer en solitaire. Ce n’était qu’une piqûre de rappel. Peut-être le templier se montrait-il quelque peu rigide sur la manière de faire mais il la savait nécessaire au bon fonctionnement du Cercle. La discipline était une qualité importante pour lui.

Niall devait lui reconnaître une certaine force de caractère. Si le templier était resté vague, ne pouvant lui révéler d’autres informations, Lachlann ne s’était pas laissé décontenancer pour autant. Niall n’essayait pas de lui faire peur, mais bien de lui montrer la dure réalité de l’épreuve. Pour autant, le jeune homme ne manquait pas de cran, ni de confiance en ses capacités – malgré une once d’arrogance. Le templier commençait à se faire un portrait de l’aristocrate, n’était-il pas dépourvu de qualités. Cela serait-il suffisant lorsque viendrait le moment de l’épreuve ? Il commençait à croire que oui, du moins serait-il étonné de le voir faillir face à un démon. S’il semblait étonnant aux premiers abords que le Créateur eût choisi de faire du fils aîné du prince un mage, Niall pensait qu’il aurait un avenir au Cercle. Il semblait bon élève et possédait tout ce qu’il y avait de nécessaire en lui pour réussir. Bien que Niall n’aimât pas s’avancer sur les apprentis, il le voyait devenir un enchanteur efficace par la suite. Il garderait toutefois ses réflexions pour lui, n’ayant aucune envie particulière de gonfler un orgueil déjà bien important.

« Immondes et corrompus ceux qui retournent Son don contre Ses enfants. »

Le templier arqua un sourcil, peu sûr de la manière d’interpréter le ton employé, et ce bien qu’il fût d’accord sur le fond. Lachlann serait-il de ces mages aigris par le manque de libertés ? Ou bien haïssait-il le destin pour lui avoir conféré ces dons ? Bien que Niall comprît le sentiment des mages et eût une pointe de compassion pour eux, il savait toutes ces procédures nécessaires pour maintenir l’ordre. Il savait également que la magie dans ses bons aspects pouvait se révéler bien utile aux peuples de Thédas. Mais peut-être sur-interprétait-il, peut-être Lachlann profiterait des opportunités offertes par le Cercle pour gravir les échelons au sein des mages.

S’il n’avait pas pu répondre avec précision à ses questions, au moins le templier avait-il pu donner des pistes de réflexion à Lachlann. Ce dernier s’affirmait bientôt prêt et Niall se garda bien de l’en dissuader, se doutant le combat perdu d’avance.

« Quand que ce soit, j’espère vous revoir lors de ma Confrontation ?
- Je l’espère aussi. » répondit Niall.

Car oui, le Vaël avait réussi à piquer sa curiosité. S’il ne décidait pas de son affectation, sans doute pourrait-il s’arranger pour être là lorsque Lachlann passerait sa Confrontation. Il espérait ne pas être choisi pour accomplir le coup fatal en cas d’échec, mais il accomplirait tout de même son devoir. Si l’apprenti était conscient des dessous de l’épreuve, peut-être serait-il moins impatient à l’idée de la passer, peut-être ne serait-il pas confiant à l’idée de l’avoir à ses côtés.

Il se leva, chassant ses sombres pensées, et observa la légère agitation des salles de classes alors que les cours touchaient à leur fin.

« Votre prochain cours est l’enthropie je crois ? Il ne devrait pas tarder à commencer, je vous suggère de vous hâter. » Il resta un instant pensif, « Une dernière chose. Ne vous attardez pas le jour de l’épreuve. »

Il serait dommage de perdre bêtement un tel potentiel se retint-il d’ajouter.