« Qu'en est-il de la seconde herse commandée il y a trois ans, et pour laquelle la porte a déjà été aménagée ? »

Un silence s'abat dans la ronde, à peine perturbé par le boucan de la ville quelques mètres plus bas : le Sullenhall a toujours été actif, et la pression qu'exercent maintenant les âmes en peine cherchant la protection de la cité amplifie la vie et ses bruits. Kendric Vaël les a observés, du haut des murailles, pendant de longues minutes où il était demeuré silencieux : il paraît s'en être désormais totalement détourné et n'a d'yeux que pour la pierre, l'acier et le bois.

« La herse votre Majesté ?, un haut fonctionnaire s'avance au côté du Prince de Starkhaven pour se porter à l'aide d'une garde gênée par l'information. Celle-ci ne vous a jamais été livrée ? Je crois avoir ouï dire qu'elle était prête depuis plus d'un an.
- Elle n'est effectivement pas là. Je la veux, maintenant.
- Assurément, votre Majesté. Nous ferons le rapport au conseiller Byrne dès qu'elle le sera. »

Sans un mot supplémentaire, Kendric Vaël acquiesce à cette information : tout dans son attitude laisse à comprendre qu'il ne souffrira pas que l'on ne respecte pas à ses ordres. Personne n'y compte, après tout : pas alors que l'Enclin arrive et que toutes les initatives rassurent face à la menace qui arrive... Même si rien ne peut empêcher la marée de monter toujours plus haut.
Un balayage du regard de la part du Prince de Starkhaven ne trompe pas : il sent que l'eau lui grignote les chevilles, et personne ne saurait affimer qu'il sache nager – ni que ses lourds manteaux ne l'emporteront vers les fonds.

La tempête n'est pas là, et l'heure est à la prévision. Si Kendric Vaël en a terminé, pour l'instant, avec sa herse, il en retourne autrement avec le reste des aménagements défensifs : la question l'obsède ces dernières semaines, depuis que le siège est annoncé. Il faut avouer que le Prince a toujours eu à coeur que Starkhaven soit capable de se défendre : dans ses plus jeunes années, bien loin de suivre les traces de son père – et surtout son grand-père – dans les guerres extérieures, son regard émeraude se fixaient sur l'intérieur des Marches Libres et ses nombreuses cités.
Une lueur d'espoir dans le sombre futur qui s'annonce.

Kendric Vaël s'avance d'un pas décidé vers les créneaux, et son lourd manteau princier donne l'impression qu'il tangue : on craint de le voir basculer, et peut-être perd-il légèrement l'équilibre. Mais l'homme chasse les gardes accourus à son niveau pour le soutenir, manifestement agacé, et le voilà qu'il se penche pour observer les murailles – peut-être même cherche-t-il à les provoquer un peu.
« Qu'en est-il des poternes qui donnent accès aux douves ?
- Nous en avons vérifié la plupart, votre Majesté, intervient l'un des hauts gradés de la Garde de Starkhaven, et nous continuons d'avancer. Certaines ne sont plus empruntables parce qu'elles ont mal été entrenues, et d'autres sont en partie inondées par l'Aguera.
- Je les veux toutes condamnées. Parfaitement condamnées. Je ne veux pas qu'une souris puisse y passer, et encore moins un ogre.
- Ce sera fait, votre Majesté », l'homme a blémi à la mention de l'affreuse engeance nommée dans le plus grand des calmes.

Après une dernière inspection, Kendric Vaël se redressa, et observa l'assemblée avec attention. Un autre homme fit un pas en avant :

« Au sujet des murailles, votre Majesté...
- Comment cela, « au sujet des murailles » ?, les pupilles se ferment et se figent comme un rapace sur l'homme devant lui.
- Vous nous avez demandé d'inspecter les murailles... Malheureusement, nous n'avons pu faire une étude approfondie. Nous manquons de monde à cause des... »

Le visage de Kendric Vaël se déforme sous l'effet d'une colère soudaine : beaucoup pâlissent, certains esquissent même un geste de recul.

« Peu m'importe !, les pupilles se ferment et se figent comme un rapace sur l'homme devant lui. Les murailles seront la clef pour notre survie. Ce n'est pas négociable !
- Votre Majesté...
- Recrutez parmi les civils s'il le faut ! »

L'homme soupire : il n'y a pas lieu de s'opposer à son suzerain, de s'opposer à un homme qui n'a pas tort, pas lieu de s'opposer à un homme malade que son emportement trahit. Un échange de regards avec les autres gardes présents et présentes attestent de leur... compréhension.

« Très bien », cède-t-il en s'inclinant.