La dague de la discorde
Alors que le temps défile, la porte de la forge s’ouvre. C’est elle. Bennett prend quelques minutes pour finir de frapper le fer encore chaud qu’il avait en main et s’approche de son comptoir, la dague entre les mains. Une lame fine, sans motifs et un manche décoré de fines gravures. Le jeune homme pense avoir répondu à la demande émise mais sa cliente semblant être une femme au caractère bien affirmé n’aura peut être pas cette avis.
Nora avait déjà payé la moitié de la commande, quatre pièces d'argent. A la réception le maître forgeron en attend cinq autres pour finaliser l’échange.
« Messera, content de vous revoir à la forge. Voici la dague que vous m’avez commandée. Est-ce que celle-ci vous convient ? Comme nous l’avions convenu, je ne l’ai pas orné de trop d'artifices. Simple, efficace permettant d’aller droit au but. Je me suis permis d’agrémenter le manche de quelques gravures afin de pouvoir reconnaître votre bien s’il est amené à vous quitter. »
Si Bennett émet des doutes dans sa vie c'est bien dans ces moments. Soucieux du bonheur de ses clients et de sa réputation, le maitre forgeron ne peut se permettre de mauvais échos au sujet de son travail. Tout d'abord car il travail avec le cœur, et déteste l'échec, mais aussi car sa réputation grandissante lui offre de nouvelles perspectives. Il serait dommage que tout s’effondre. Bien sur certains clients sont d'éternels insatisfaits mais comme aime le dire Bennett, dans sa forge tout est transparent. Si vous venez pour des armes d'exception alors il sera difficile pour l'artisan d'accéder à votre requête. A l'inverse, si une personne cherche une bonne armure, Bennett est le forgeron qu'il faut.
Après de longues heures d’hésitation et de comparaison entre le différentes forges du quartiers – et aussi entre les différentes forges qui ne regardaient pas trop la tête du client, tout en faisant tout de même attention à un minimum de qualité – j’avais enfin choisi un modèle de dague, qui s’avérait finalement être le premier qui m’avait tapé dans l’œil. Enfin bien sûr, si je commandais une dague c’était plus pour son utilité que son esthétisme, mais quand même.
Le forgeron était un jeune homme, cheveux long et barbe broussailleuse avec des épaules presque plus large que sa hauteur totale, surement dû à son activité manuelle intense. Quant à moi, j’étais comme d’habitude. Mon armure de cuir bouilli sur le dos avec tous le barda que je trimballais quotidiennement. Mes cheveux étaient noués au maximum pour qu’ils ne m’embêtent pas, mais de toute façon il n’était pas aussi long que ceux des bourgeoise de la cour qui se pavanait à longueur de journée, ayant l’esprit trop étriqué pour arriver à penser plus loin que le bout de leur putain de nez. Une expiration douloureuse vint rapidement me rappeler que j’avais aussi le nez totalement de travers, suite à ma rencontre avec ces horribles nains. Qu’ils retournent dans leurs mines, ça ferait plaisir à tout le monde. J’espérais tout de même que le forgeron allait me reconnaître.
D’un pas nonchalant, je poussais la porte d’entrée de la boutique et m’engageait entre ses murs de pierre. C’était une petite échoppe, avec un grand nombre de pièces tout autour de moi, et je ne pouvais m’empêcher de penser que le propriétaire ne dormait pas entre ses armures… Enfin bref. Je m’approchais du comptoir, et pu assister aux derniers détails qu’il apportait à l’arme. J’aurais préféré qu’elle soit déjà finie et froide. Payer cinq pièces d’argent une pièce potentiellement inachevée me faisait royalement chier.
« - Messera, content de vous revoir à la forge. Voici la dague que vous m’avez commandée. Est-ce que celle-ci vous convient ? Comme nous l’avions convenu, je ne l’ai pas orné de trop d'artifices. Simple, efficace permettant d’aller droit au but. Je me suis permis d’agrémenter le manche de quelques gravures afin de pouvoir reconnaître votre bien s’il est amené à vous quitter. »
Je tendis ma main pour attraper l’objet, que je fis rapidement tourner entre mes doigts. Le fer était encore tiède, mais la facture semblait être correcte. L’acier ne devrait pas s’émousser trop rapidement, et les quelques gravures que le forgeron avait ajoutées étaient sobres, mais esthétiques.
« - Ca me semble être pas mal… En revanche – je me permet de le préciser – toutes ces histoires de gravures j’ai pas souvenir de les avoir demandées, donc si vous me comptez ça dans le prix on va pas s’entendre. »
« Bien entendu le prix reste le même, soit cinq pièce d'argent à la réception du produit. Il me semblait intéressant d'agrémenter votre dague d'éléments décoratifs afin de la personnaliser et d'être certain de pouvoir la reconnaitre si elle devait être égarée. C'est fou le nombre de vols d'armes légères comme cette dague que cette ville peut recenser ! Mais cela permet de faire tourner mes affaires un peu plus ! »
Un client content et un client qui potentiellement peut revenir à la forge. C'est une chose que le maître forgeron a très vite comprise. Que ce soit pour des armes ou du matériel, la confiance entre un client et son forgeron est primordiale. La fidélisation dans cette ville qui recense bon nombre de forges permet de survivre, alors il ne faut pas hésiter à suggérer l'idée d'un nouvel article à ceux passant la porte.
« Messera, si vous avez de nouveaux besoins en armes ou armures, je reste à votre entière disposition ! Mes tarifs sont convenables et vous savez maintenant que la qualité est au rendez-vous dans mon atelier. »
Le prix reste le même. Le marchand continua de parler, comme quoi agrémenter la garde de la dague était juste une personnalisation pour mieux la reconnaître, et la rendre mienne, mais que le prix reste le même. Puis il ajouta qu’il voulait vraiment que je ne me fasse pas voler mon achat facilement (moi),
mais que le prix reste le même.
Enfin, il me dit que ces petites agrémentations permettaient de faire tourner ses affaires un peu plus. Mais que,
Le prix,
Reste,
Le même.
« Messera, si vous avez de nouveaux besoins en armes ou armures, je reste à votre entière disposition ! Mes tarifs sont convenables et vous savez maintenant que la qualité est au rendez-vous dans mon atelier. »
Il aurait pu afficher ces quelques phrases sur la devanture de son échoppe que ça n’aurait pas fait tache. Vraiment, cet homme était un avare comme on en voyait rarement, à vouloir me faire débourser autant d’argent.
Je jetais un coup d’œil rapide sur la dague que je tenais toujours entre mes mains. C’était indéniable, l’acier avait été très bien battu. Les gravures étaient-elles-aussi, magnifique. Mais bordel, je n’avais aucune envie de débourser cinq pièces d’argent durement gagner pour ça… Pendant quelques instants, l’idée de la subtiliser me passa par la tête, mais une malhonnêteté telle ne me convenait pas trop.
« - Soit. Vous savez, je comprends que le temps de travail que vous avez passé sur cet ouvrage est important, et surement plus que nécessaire avec toutes ces petites fioritures que vous y avez ajouté. Ne pourrions-nous pas nous entendre sur un tarif un peu plus équitable et qui fasse moins un trou dans mes comptes ? Je ne sais pas, par exemple dix pièces de cuivre ? »
Malheureusement trop habitué à ce jeu de la renégociation de dernière minute, le maitre forgeron, dans un bon jour décida d'entrer dans le jeu de sa cliente.
« Messera. Si vous souhaitez faire moins de trous dans votre fortune, je peux vous proposer un couteau de cuisine comme j'en forge des dizaines par jours pour la noblesse pingre qu’abrite notre belle cité. Les gravures seront présentes aussi et ce travail coutera les dix pièces de cuivre proposées. J'aurais pensé que votre philosophie et vos besoins serait tout autre que ces gens. Bien sûr étant un forgeron honnête et quelqu'un de respectable je vous rendrais les quatre premières pièces d'argents que vous m'avez fournies. Après tout, l’honnêteté n'est-elle pas une valeur fondamentale dans notre monde ? »
Bennett n'avait pas pour habitude de se battre pour de l'argent. Bien sur, l'argent est nécessaire pour vivre, mais le maitre forgeron, par l’histoire de sa vie, sait qu'il y a bien plus précieux dans la vie qu'économiser quelques pièces. Le respect des autres, le partage sont aux yeux de Bennett bien plus important. Il comprend ces personnes souhaitant négocier. Sans argent il est difficile d'exister à Starkhaven et tout pousse à l'économiser pour le dépenser dans des choses plus ou moins futiles. Alors pourquoi ne pas essayer de négocier avec un honnête artisan pour gagner quelques pièces qui permettront d'obtenir quelques chopes supplémentaires à la taverne ou dans une maison des plaisirs ?
Bon. J’avais peut-être eu les yeux plus gros que le ventre, mais il faut dire que son poignard était excessivement cher. Ce n’était pas non plus une belle lame d’argent paré de gravures dorées. C’était une dague, tout ce qu’il y a de plus modeste, et cinq pièce d’argent, non, c’était bien trop : je ne les paierais pas, quoi qu’il en coute, même si je dois acheter un de ses fameux « couteaux » qu’il me propose.
Mais la noblesse pingre ? Moi noble ? C’était mal me connaître.
« Oui bien sûr, j’ai peut-être, éventuellement, été un peu avare. Mais reconnaissez tout de même, que neuf pièces d’argent pour ça, c’est beaucoup. Donc si vous insistez, et je comprends bien qu’il faille gagner sa croute, moi-même j’essaye difficilement de gagner la même. On pourrait peut-être s’entendre sur trois pièces d’argent ? On serait déjà sur quelque chose de correcte pour vous, et puis ça peut aussi soulager mes finances. »
Je n’aimais pas dépenser l’argent que j’avais gagné dans des futilités pareil. Mais ma précédente dague ayant rompue, il me fallait sans attendre en acquérir une nouvelle, sans quoi j’allais me retrouver à la rue. Pour certains, l’outils de travail était la houe ou la marmite, et bien pour moi c’était la dague et l’épée.
Je m’appuyais sur le rebords de la table, accoudée. L’air toujours dur, attendant la réponse de l’honnête artisan - honnête pour essayer de voler toute la bourse d’une frêle jeune fille comme moi.
Malheureusement pour lui, je ne suis pas frêle, et j’ai un marteau d’un mètre cinquante accrochée au-dessus de ma cuirasse dorsale.
« Si cela vous paraît plus dans votre budget, alors j'accepte de recevoir trois pièces d'argent aujourd'hui. La dague est à vous ! »
Bennett ne dit pas un mot de plus. Son visage se referma. Il n'avait pas envie d'expliquer pour quelques pièces, le principe d'un commerce. La « victoire » que ressente les clients au moment de négocier ces quelques pièces est un sentiment, qu’aujourd’hui, il offre à Nora.
« Je vous souhaite une bonne continuation, des aventures glorieuses et si vous participez au Grand Tournoi, que le ciel vous protège ! »
Enfin, le forgeron avait cédé. Bon, je devais quand même payer trois pièces d’argent, mais c’était mieux que cinq. Il semblait tout d’un coup s’être refermé, et avoir perdu sa gaité naturelle. Mais bon, il fallait bien vivre, et là sa dague était bien trop chère pour que le prix reste le même.
Je sortais lentement de ma poche les quelques pièces, que je posai sur le comptoir du marchand. En s’entrechoquant, l’argent de mes écus vit entendre un léger bruit de métal qui vint rompre le silence monastique de la fin de cette négociation.
« -Je vous souhaite une bonne continuation, des aventures glorieuses et si vous participez au Grand Tournoi, que le ciel vous protège !
- Je vois qu’on a fini par s’entendre. Portez-vous bien Ser. »
J’accrochai rapidement la dague à ma ceinture, et me dirigeai vers la porte baillante par laquelle entrait de vif rayons de soleil. Je me dirigeai de nouveau dans cette chaleur et cette puanteur que nous offrait Starkhaven, avec une dague, et mes pièces d’argents.
Au fond de ma poche, je pouvais sentir la pièce que ce noble à la taverne m’avait donné hier soir. Je ne pu m’empêcher de repenser à cette histoire. Mon nez me lançant toujours n’y aidait en rien.
En tout cas, ce fut un plaisir de faire affaire avec de forgeron, et j’étais sur de revenir !