Nuit étoilée [Ilenia, Gavrielle]
La journée a passé vite, car la rédaction de la prochaine comédie ne se fera pas toute seule ! Le troisième et dernier acte commence à prendre forme, les intrigues personnelles se brouillent bien entre elles, même qu’il me faudra de la relecture. Heureusement que je peux compter sur Impératrice pour ça ! Quelques éléments me travaillent encore, des bouts qui ne collent pas ensemble, des répliques qui n’atterrissent pas comme je le voudrais. Et pourtant, la représentation approche, les grandes festivités sur lesquelles nous travaillons d’arrache-pieds depuis des semaines, des mois même ! Oh, qu’il me tarde de nous voir fanfaronner, que les enfants s’émerveillent, que tous ces gens se réjouissent, prennent du bon temps !
Mais la nuit dépose son voile sur Cairnayr, et il me tarde de filer à ma roulotte ! La mienne se situe à l'une des meilleures places, pour observer le ciel, et le ciel est splendide, ce soir ! Avec un ciel autant dégagé, les astres apparaissent les uns après les autres, commencent leur petite contemplation de notre monde si petit et fourmillant. Oh, qu’il me tarde de commencer cette soirée ! Tant de choses à faire ! Nuit n’avait pas pu venir ce soir, à ma grande déception, mais Force et Roue de la fortune seront de la partie !
Ah, que j’aime cette Compagnie !
Je me faufile dans les amas de tentures et de roulottes, salue les uns et les autres, me fait accaparer un instant pour me demander mon avis, virevolte près de la roulotte du pendu qui s’est encore blessé à la jambe. Mazette ! Heureusement que je suis ici, à pouvoir prodiguer des soins ! Et je repars, chantant, jusqu’à mon petit repère douillet.
Les coussins et autres couvertures tissées avec soin envahissent l’espace. Çà et là, des plantes qui poussent, simples fleurs charmantes ou plantes médicinales. Des tapisseries, instruments, dessins, feuilles accrochées contre les murs, et évidemment, des bougies dans chaque recoin. C’est important de purifier l’air ! Un peu d’encens aussi pour aider, avec les plus douces épices qu’il m’ait été donné de sentir, et dans un coin opposé, une table en bois toute simple, armée elle aussi de bougies, et d’une chaise. Là, j’écris, tire les cartes, m’amuse. Il y a tant à faire dans ma petite roulotte ! Et tout me va, bien entendu !
Oh, elles ne sont pas encore arrivées. Je prépare les boissons, allume l’encens, ajuste les coussins, fais un peu de place. Cette soirée va être géniale ! Et puis, ça fait longtemps qu’on n’en a pas fait. Et à juste titre : chacun est affairé à ses propres activités, en ce moment, mais aussi aux préparatifs de notre grande représentation. J’observe la fumée se répandre avec lenteur, puis ressors d’un pas vif et enjoué.
Je traverse notre campement à nouveau, demande s’ils ont vu Ilenia ou Gavrielle. Aucune trace d’Ilenia, ou alors elle est probablement dans sa roulotte. Oh, ou alors elle est occupée ! La soirée ne fait que commencer, ce n’est pas grave si elle arrive plus tard ! Je m’en vais donc trouver la Force de notre Compagnie. Je marche encore un peu, avant de l’apercevoir, qui quitte justement sa roulotte. Parfait !
- « Eh, Gavitaaaa !!! »
J’accélère le pas pour la rejoindre, la serre dans mes bras, puis attrape ses épaules en me reculant, et l’observe avec réjouissance.
- « Ça me fait tellement plaisir de te revoir ! Alors, tu vas bien ? »
Rien ne faisait plus plaisir à La Force que d’avoir une soirée entre amis. Surtout en ces temps difficiles. Bien que de nature plus solitaire, elle n’avait pas hésité une seule seconde à répondre présente à cette soirée. Tiaru était certainement le meilleur ami que la petite rouquine n’avait jamais eu et Ilenia… Gavrielle avait immédiatement eu le coup de foudre pour la jolie blonde. Une alchimie s’était rapidement développée entre les deux jeunes femmes et le duo qu’elles formaient sur scène en était la preuve. Malheureusement, l’ambiguïté de leur relation n’était palpable que devant public. Au quotidien, elles étaient amies, certes, mais Ilenia demeurait insensible au charme pourtant légendaire de La Force.
Son attirance pour Ilenia était le seul secret que Gavrielle n’avait pas encore révélé à Tiaru.
La Force avait terminé de se préparer. Elle avait choisi pour l’occasion des vêtements plus confortables que les costumes flamboyants avec lesquels le public avait l’habitude de voir l’artiste et ses cheveux étaient tressés en une seule natte. Il y avait quelque chose de presque juvénile dans son apparence. De plus naturel que les artifices qu’elle utilisait généralement pour capturer les regards. Elle en était satisfaite.
En quittant sa roulotte, elle entendit son ami l’interpeller et l’aperçut aussitôt. C’est tout sourire qu’elle rendit son accolade à Tiaru. Ce simple contact physique lui était si agréable. Au sein de la Compagnie, Gavrielle se sentait aimée, respectée et protégée. Elle était sa famille. Une famille dysfonctionnelle, certes, mais sa famille tout de même.
« Il y a des jours plus difficiles que d’autres, mais aujourd’hui je vais bien. Très bien même! J’avais si hâte à cette soirée! Il me semble qu’une éternité s’est écoulée depuis la dernière fois où nous avons passé un moment ensemble, toi et moi. Comment tu vas, chez ami? Et la pièce? Elle avance comme tu veux? »
La présence de Tiaru faisait réellement du bien à La Force.
it is sweet at night to gaze at the sky.
Les mois à la Compagnie se cumulent. L'ambiance y est douce et Ilenia apprécie que l’on respecte ses parts d’ombres. Ces récits dont elle préfère garder les lippes closes. Qui est-elle ? D’où vient-elle ? Ici, tout le monde s’en fiche et elle peut se reconstituer l’identité qu’elle veut. Devenue ironiquement la Roue de la Fortune, celle qui navigue entre succès et échecs, là où rien ne demeure éternel.
La journée se termine, elle vacille entre les horizons et la ville. Elle disparaît pour réapparaître, mais ne manque jamais ses engagements auprès de la Compagnie et tient à cœur d’animer ses numéros. Les réfugiés en ont besoin, comme un fil fragile qu’il faut entretenir pour éviter les émeutes. La tension est déjà suffisamment bien lourde.
Quelques jours plus tôt, elle apprend qu’une soirée se dessine. Une soirée à contempler les étoiles avec les autres arcanes. Un moment hors du temps, comme une bulle nécessaire pour s’oxygéner.
Mais elle est en retard. Pas très à cheval sur les horaires. Vivant sur sa propre ligne du temps, elle tient pourtant à venir avec quelque chose à boire. Un bon vin ou un bon cognac.
De la ville à Cairnayr, il faut compter une bonne heure de marche. L’organisation comme point faible, elle revient tout juste de son excursion. Elle rejoint son cocon pour se changer, enfilant une robe blanche et simple, où ses cheveux recouvrent ses épaules. Son médaillon, quant à lui, trône toujours autour de son cou.
En route vers le lieu de rendez-vous, elle croise l’Impératrice, qui la questionne à propos de son nouveau numéro. Dispersée, sa réponse est vague voir banale, et mène la discussion à être reportée plus tard.
Dans son cœur, la Force et le Bateleur, lui apportent un cadre réconfortant. Ils sont comme une sœur et un frère et son besoin de les protéger grandit de jour en jour. Passer du temps avec eux, lui apporte cet éclat de joie qui s'est terni et dont elle a besoin.
Sur le chemin, elle les aperçoit, en train de s’enlacer. Le sourire se trace sur ses lèvres et arrive jusqu’à eux dans un petit trot joyeux.
Gavita me rend l’étreinte avec chaleur et engouement, comme si nous ne nous étions pas vus depuis des semaines et des semaines ! Et il semblerait que le sentiment soit partagé. Trop de choses à faire dans cette ville depuis les complications récentes pour trouver le temps de nous rassembler.
- « Il y a des jours plus difficiles que d’autres, mais aujourd’hui je vais bien. Très bien même! J’avais si hâte à cette soirée! Il me semble qu’une éternité s’est écoulée depuis la dernière fois où nous avons passé un moment ensemble, toi et moi. Comment tu vas, chez ami? Et la pièce? Elle avance comme tu veux? »
- « Je suis tellement content qu’on puisse passer la soirée ensemble !! Ça faisait en effet longtemps, mais bon : c’est loin d’être de tout repos en ce moment ! »
Aider les réfugiés, récolter des fonds, nous entretenir aussi : j’ai redoublé d’ardeur dans mes différents petits emplois pour soutenir l’équipe comme je pouvais. Je sais que certains s’en inquiètent, car ils voient l’énergie folle que j’y dépense, mais ça me fait plaisir, donc je ne compte rien ! Je recule un peu, l’observe avec attention, tout sourire. Oh, elle s’est fait toute belle aujourd’hui ! J’adore ce qu’elle a fait de ses cheveux !
- « Quant à la pièce, elle est presque prête. Nous allons pouvoir bientôt nous atteler à la répartition des rôles et aux premières répétitions ! Mais avant, il faut que je fasse un travail rigoureux de réécriture, de corrections diverse, je pensais demander à Impé’ un coup de main, et- OH MAIS LA VOILA !! »
La troisième du trio, la roue qui tourne toujours – à peu près – rond, qui s’approche de nous avec les bras grands ouverts, avant de nous serrer contre elle. Je détache un bras de Gavita pour attraper Ilenita et lui rendre son étreinte.
- «
- « Mais TOI regarde-toi, Ilenita ! Tu es ra-vi-ssante !! »
Toutes deux se sont fait des plus belles, et me voilà dans mon apparât habituel, mes cheveux indomptables et épais, mais surtout – le plus important – le visage illuminé d’une joie indescriptible, et d’une hâte tout aussi indescriptible.
Je les lâche toutes deux, leur faisant signe de me suivre avec engouement. Il ne faut pas traîner ! Nous avons une superbe soirée à passer ensemble, il serait dommage de trop s’attarder loin du confort de ma roulotte !
- « Venez venez ! Pas une minute à perdre ! »
Prenant les devants, nous arrivons bien vite à ma petite roulotte. J’ouvre la petite porte qui grince et les invite d’un geste grâcieux à franchir le seuil de mon sanctuaire. Je referme la porte derrière nous, puis m’attèle déjà à allumer quelques bougies, histoire qu’on y voie quelque chose.
- « Ce soir, on va peut-être voir une comète ! Ce n’est pas souvent que ça arrive ! »
Sortant tout mon attirail, mes grains de café, mes herbes, de l’eau que j’ai fait bouillir précédemment, et le reste de mon matériel, je nous prépare un superbe café pour bien commencer la soirée ! Revenant vers les filles avec trois tasses, j’attends qu’elles attrapent la leur avant de m’asseoir sur lit, à moitié appuyé contre un grand coussin bien trop moelleux pour mon propre bien.
- « Alors, alors, comment vous allez ? C’est super comme ville au final, non ? Personnellement je l’adore ! »