Rimes aux écumeurs
Cinq ans. Cinq ans qu’elle navigue à bord du Silver Blade et que les parfums de sel s’ancrent dans sa peau. Un appel du cœur attendu depuis ses plus jeunes années. La fierté bouillante d’avoir réussi à s’assurer cette vie. D’avoir tenu cette promesse qu’elle s’est jurée intimement. Gamine impatiente de quitter la demeure familiale. Un succès qui se déverrouille à sa dix-huitième année. Provoquant l’euphorie et l’adrénaline, mais surtout une longue initiation vers l’inconnu où Andrasté ne l’a pas choyé.
Son voyage sur les flots se terminent par un retour à Antiva. Passage obligé pour fêter leur anniversaire maritime. Sa ville d’adoption est un petit plaisir dont elle ne se lasse pas d'y passer ses heures terrestres.
L’équipage s’installe fanfaron dans la taverne de la cité. Alors que chacun s’installe, elle s’accoude auprès du serveur et lui demande cinq tire-goulots. Commande passée, elle lui demande de lui mettre de côté une bouteille de Rosée de Rowan pour plus tard. Un vin d’exception dont elle n’a pas perdu le goût. D’un rire satisfait, elle rejoint sa table. Ses jambes se croisent et ses bras se posent sur les dossiers de chaises qui l’entourent.
Un subtil mélange d’odeurs faisant échos aux différents profils qui se croisent et s’entrecroisent. Des brigands, à l’allure nonchalante. Des marchands, cherchant le repos d’une fin de journée. Des voyageurs, des civils, des solitaires. Un micro-système de tout Thédas dans cette poignée qu’est la taverne. Ilenia pousse un soupir de satisfaction. C’est dans cet environnement qu’elle se sent d’humeur à lâcher-prise.
Quand une silhouette connue se dessine à l'horizon, elle donne une bonne frappe amicale à son camarade et se lève
La porte passée, Anja balaye la salle du regard, à la recherche d’une place. Jouer tout de suite permettrait aux âmes généreuses de payer ses consommations, mais elle hésite à se lancer, la gorge déjà un peu sèche. Chanter ou boire, risquer ou investir… Sa bourse poids plume murmure encore ses arguments quand une voix connue, bras ouverts et auréolée d’un blond qui l’est encore plus, l’interrompt.
Ilia ! Iliena ? Ilenia ? Elle a toujours du mal à se souvenir, mais heureusement rarement besoin de l’avouer. Peu importe les lettres exactes, Anja la rejoint avec une exclamation ravie. L’odeur de sel qui ne quitte jamais la pirate l’enveloppe alors qu’elle l’étreint, plus douce à son cœur que le tissu qui effleure ses bras nus.
« Tu es là depuis longtemps ? s’enquiert-elle en s’écartant, cherchant des yeux l’équipage qui l’accompagne sûrement. Certains elle a appris à tolérer, mais y a-t-il des nouveaux ? Elle ne peut qu’espérer qu’Ilenia ne recrute pas n’importe qui…
– Oh ? Laquelle ? » Elle en oublie son inquiétude, reportant son attention sur la femme devant elle. L’importance est fausse et son propre sourire amusé, mais ses yeux brillent comme s’ils ne le savaient pas, brûlants de curiosité. « Besoin de mains supplémentaires pour porter tous vos verres ? »
Ilenia a un joli rire, vivant comme le reste des patrons, qui ferait presque oublier qu’elle a parlé – fort heureusement la poésie a bonne mémoire.
– Comme toujours, un peu soif, et toi ? Que voulais-tu ? »
Une accolade chaleureuse s'échange à leur rencontre. Un signe de bienvenue, un signe d'amitié. Anja est légèrement plus jeune que la Capitaine, et bien loin de la materner, elle aime pourtant veiller sur sa candeur. À l'étreinte relâchée, ses mains se posent doucement ses avant-bras pendant que la barde lui demande depuis combien de temps ils sont là. À vrai dire, dans l'ivresse de leurs joies, elle n'a pas fait attention aux heures qui s'écoulent. Préférant profiter de l'instant présent comme un cadeau qu'il faut savoir saisir.
À l'annonce d'une mission important, Ilenia secoue la tête sous la taquinerie de la musicienne, puis elle l'invite à la suivre au comptoir. Elle récupère la bouteille mise de côté et demande à obtenir deux verres. Une fois servie, elles se posent un peu à l'écart au lieu de rejoindre ses camarades. Alors qu'elle se penche légèrement en avant, laissant sa mèche d'argent tombé sur son visage, elle lui chuchote :
À la formulation terminée, elle lève sa coupe et l'invite à trinquer, peu importe sa réponse.
« Oh, félicitations ! Il y a une date précise ? » Elle ne réfléchit qu’un instant à la demande – elle ne connait certes pas beaucoup le Silver Blade, mais comment refuser ? C’est une occasion exceptionnelle en soi, et que ce soit une amie qui lui fasse ainsi confiance la touche, surtout alors qu’elle a l’air de beaucoup y tenir. La voir si sérieuse est presque rare, alors elle garde une voix assez basse malgré la nouvelle, au cas où le bruit ambiant ne suffirait pas à couvrir les oreilles de l’équipage. « Bien sûr que je te composerai quelque chose ! Tu as des idées précises ? »
Ilenia ne trinque jamais comme les marins andériens ; elle s’y habitue doucement, mais ce choc manquant la déstabilise toujours un peu, comme une chanson avec un rythme en moins. Elle a plus souvent bu avec elle qu’avec les compatriotes de son père, pourtant ; amusant comme certaines marques résistent à la distance. Le bourgeon de nostalgie se noie toutefois vite dans la gorgée de rosée, et son attention est de nouveau dans la salle – un peu plus qu’avant, un instant déstabilisée par l’intensité de l’endroit par rapport aux brumes tranquilles de ses pensées.
« Quoi ? Ah. J’y pensais, mais rien n’est gravé dans le marbre. Je reviendrai demain, je ne voudrais pas passer nos retrouvailles à chanter ! Sauf si tu préfères rejoindre ton équipage… »
L'annonce sonne fièrement entre ses lippes. The Silver Blade fête ses cinq ans. Comme une mère émue de voir son enfant grandir et se mouvoir dans l'immensité de l'océan, elle souhaite marquer le coup. Bien avant de devenir Capitaine, la rue l'a forgé mais toujours en étant guidée par le goût de la liberté. Un long chemin semé de sacrifices qui l'a mené à ce jour.
Pourtant, le temps n'est pas au remord. À rester coincé dans un passé de cendres. Non. Elle préfère célébrer et fêter. Clamer sa fierté et sa réussite. Elle le mérite, elle l'a obtenu par la force de sa propre volonté. Personne lui a servit ce destin sur un plateau d'argent. Et son équipage l'a porté jusque là. La piraterie, et le milieu hors-la-loi, baigne souvent sous l'hymne du plus fort. S'imposer. Se faire respecter et respecter son équipage. Un mot d'ordre pour tenir sur le fil de leur vie si fragile. Car tout peut basculer en une fraction de seconde.
À la demande de la barde de connaître la date d'anniversaire, Ilenia lève les yeux, comme pour chercher dans un calendrier mental.
Quand Anja lui donne son accord, la Capitaine lève le verre, laissant s'échapper la liqueur du contenant :
Elle jette un coup d'oeil vers son équipage, vérifiant que son enthousiasme n'a pas explosé jusqu'à eux, mais le brouhaha environnant couvre leurs dires. Elle se racle la gorge et se penche vers Anja pour écouter son planning de la soirée. Alors elle hoche doucement de la tête, reprend un peu de son vin, et acte de bon coeur :
Justinien, donc… Ça laisse – eh, mais ils sont en Justinien ! Son bras a un mouvement de recul à la réalisation, bouche entrouverte dans une surprise muette et brève. C’est bientôt, pour peu que ce ne soit pas ce soir ! Heureusement, Anja écrit vite ; elle chasse pour l’heure des rimes de son esprit, mais nul doute qu’elles reviendront quand besoin sera.
Elle rit franchement, avec un amusement bienveillant, à la description de son futur chef d’œuvre. De la gloire, du danger, de l’héroïsme ! Évidemment, quoi d’autre ? Parce qu’elle est femme, elle n’en est pas moins pirate, marin, capitaine à la liberté déchainée ; rêves de gloire, de richesse et d’encore plus de gloire cette fois plus dorée – Anja les adore, mais ils ne sont jamais très créatifs. Au moins un crime dont ils sont innocents. Osera-t-elle avertir la capitaine que les histoires qui marquent ne sont pas toujours les plus grandioses ? Non, finalement, puisqu’elle n’a pas l’air de l’écouter et que l’andérienne n’a pas le cœur de briser l’illusion le jour de son anniversaire. Ce sera à elle de concilier les deux, voilà tout – n’est-ce pas le travail d’un auteur et d’une amie ?
Avec ces indications qui veulent tout et rien dire – tout du fond, rien de la forme, quelle personne, quelle longueur, quel est ton mot préféré ? – en arrière-pensée, elle jette un regard vers l’équipage qui le mérite tant, avec un pincement au cœur envieux. Parfois la solitude que coute l’indépendance lui coute ; fidèle aux clichés la presque-barde se lie vite mais rentre toujours seule. Le Silver Blade lui rappelle la charrette de sa famille, du temps où ils faisaient tous les marchés de la région, avec Andra et Liese et les garçons. Aujourd’hui elle découvre et quitte les villes accompagnée de plus de notes et de chansons que les Anderfels n’en ont jamais offert, mais seule… Elle ne regrette rien, pourtant – au contraire l’amitié des pirates brille encore plus fort, éblouissante de chaleur aux yeux de la rousse. Que le monde peut être beau !
« Je t'écrirai quelque chose de bien, promet-elle quand enfin Ilenia revient à elle. Après m’avoir entendue, tout le monde voudra vous rejoindre ! »
Ilenia valide le plan de soirée et une fois de plus les yeux, cette fois quatre, glissent vers l’équipage, cette fois avec plus d’attention. Ils ne sont que quatre, dont un tellement absorbé par ce qu’il raconte qu’il en oublie d’être menaçant (voire qu’autre chose que sa propre langue existe). Le seul autre qu’elle voit est parfaitement ordinaire ; des deux autres elle ne voit respectivement qu’un dos et un bras. Pas ce qu’il y a de plus intimidant, certainement pas de quoi chasser son sourire.
« Il vaudrait mieux, si je dois écrire sur eux. J’ai hâte de les rencontrer ! Tu as l’air de vraiment tenir à eux. » Plus ou moins qu’au bateau ? « Ils sont avec toi depuis le tout début ? »
Une demande impulsive. Précipitée. Sans prendre en compte qu'un artiste a besoin de temps pour peaufiner son oeuvre. Non. Ilenia dans l'élan de sa joie festive, demande une chanson, comme si elle pouvait être improvisée ce soir, sous les lueurs de la taverne.
La Pirate ne se rend pas compte de sa franchise. Bien qu'Anja exprime une certaine surprise. La femme aux cheveux d'argent l'interprète autrement, perchée dans la description glorieuse d'un récit fécond. Aussi cliché soit-il, elle tient à peindre une histoire reluisante. Parce que les échos de leurs réputations s'étendent bien au-delà des frontières. Elle souhaite que le nom du Silver Blade et de ses membres inspirent le respect, comme pour chasser le passé et assuré aux membres, une certaine protection. Bien qu'Ilenia a un mode de vie bien à elle, et que sa survie passe avant tout, elle veille sur ceux qu'elle tient sous son aile. Que cela dure une heure, trois jours, cinq années, elle le fera. Question de principe.
« Ce sera encore mieux, affirme-t-elle avec conviction. Ça montrera que tes hommes sont encore en vie ! Promis, j’éviterai de partir trop dans les aigus, amende-t-elle avec un clin d’œil espiègle. Ça t’évitera un équipage muet. » Il parait que sur l’eau, même les femmes ont une fois plus grave, brûlée par le sel et le rhum – ou était-ce la fumée ?
– Pour… chanter quand vous serez fatigués de crier ? »
Elle a beau parler, et Ilenia enchainer les idées plus vite que sa sœur n’enchainait les perles, la proposition embrase ses joues, d’autant plus touchante qu’elle est irréalisable. Que ferait une ménestrelle sur un bateau ? Elle saurait garder son équilibre, esquiver les meubles volants et s’accrocher contre les tempêtes assassines, mais son utilité s’arrêterait là ; elle ne sait rien de l’armement, encore moins des voiles, et quelqu’un s’est certainement déjà approprié la cuisine et la couture. Et puis… et c’est un obstacle de taille… elle aurait terriblement peur de se noyer. Pourtant, le souvenir du vent du port l’attire encore, donnant aux mots d’Ilenia une aura de rêve.
« Je ne pense pas que ton équipage ait besoin de moi, » ni de ma mon cadavre gonflé d’eau, « mais je note l’offre. Une fois que j’aurai fait le tour de ce qu’il y a sur terre, peut-être… Si tu as encore de la place pour moi, bien sûr, » sourit-elle.
Les avantages des salaires plus bas. Elle doit penser à autre chose, et Anja n’y réfléchit pas plus non plus, décorée d’un nouveau patronyme.
« J’aime beaucoup, mais pourquoi quatre ?
« J’enverrai quelqu’un vous repêcher, promet-elle d’un air presque gêné. La place est libre ? »
Comédienne sait qu’elle doit prendre au moins une initiative avant qu’Ilenia n’éclipse tout, et elle désigne la chaise la plus proche avant qu’on ait le temps de l’y pousser.
Dans un avenir, proche ou lointain, quand la pirate tombera frappée par la faucheuse de la mort, restera-t-il le chant de la barde pour la célébrer ? Des mots, ajustés les uns après les autres, dévoilant la vérité crue mais frappante de ce qu’elle a été vraiment. Au-delà des artifices qu’Ilenia a construit comme armure. Un récit authentique. Une fin qui la ferait sans doute sourire, sous une douceur apaisée et rayonnante, dont personne ne lui connaît. Une intimité qu’elle n’ose dévoiler. Terrifiée de se montrer vulnérable.
À la proposition de reprendre ce qu’elle va écrire comme un hymne du bateau, elle décèle la conviction de la jeune femme. Un encore mieux qui témoignerait de la vie de son équipage. Quant aux aigus, Ilenia agite la tête comme prête à lancer le défi
Et dans l’engouement de la soirée, la Capitaine se lance dans le recrutement improvisé d’Anja ou plutôt de Quatre, de Trèfle ou de Quatre de Trèfle dans sa reconversion pirate. Ilenia rit de plus en plus fort en entendant la question. Une recrue qui chante quand ils seront fatigués de crier. En sont-ils seulement capables ? Eux, ces experts du bruit et du tumulte ? Elle s’essuie les yeux mouillés du bout de sa manche sans répondre, mais elle note cette répartie qu’elle n’oubliera jamais.
Le sérieux reprend quand le rire s’estompe et qu’un certain calme revient entre elles. L’appel de la mer ne semble pas être pour celle aux cheveux de feu, mais la pirate n’a pas dit son dernier mot. D’autant plus quand elle remarque que son nouveau surnom provoque la curiosité.
Alors qu’elle l’attrape pour la présenter aux autres membres présents. Après avoir décrété qu’elle appartient à la famille du Trèfle, elle se tourne vers l’infiltrateur.ice, le bras toujours autour de celui de Quatre, oubliant parfois de respecter les limites des autres. Ilenia est toujours dans le trop plein, encore plus quand l’alcool coule à flots.
« Que tu as très envie de me flatter, se contente-t-elle de dire en souriant. Je commence d’ailleurs à croire qu’en la matière, tu pourrais me donner des cours. »
Le bras dans le sien lui rappelle quand, au village, Andra et elle rendaient visite au voisin, décorées de leurs plus beaux gants ; enfants jouant aux dames sans convaincre personne, imitant les postures de chansons dont elles oubliaient le contexte. Elle ne se sent pas plus noble aujourd’hui, ni vraiment plus adulte, mais si ridicule il y a, Ilenia l’accapare aussi bien que sa sœur autrefois, la laissant remarquablement à l’aise.
– Sacré rôle, acquiesce-t-elle, tu ne dois pas t’ennuyer. » Elle hésite, regarde les autres qui n’ont pas eu droit à une grande introduction. « Et…
Elle se méfie, malgré tout, de la fosse non moins dangereuse parce que les lions dorment ; l’équilibre menacé par la capitaine ne peut l’être par une nouvelle arrivante, malgré l’envie, malgré l’intérêt inégal que lui inspirent les sous-commandants. Elle sourit donc sans laisser son regard vagabonder, le forçant tantôt sur l’un, tantôt sur l’autre, tantôt sur Ilenia à qui elle répond avant tout.
« Je préfère pas, l’air antivan se rafraichit vite… Et quitte à choisir, j’aime mieux découvrir les gens dans une chambre chauffée. »
Répondre, dévier le sujet, ne dire ni oui ni non, laisser à l’autre pleine liberté avec toute l’assurance d’une vierge qui ne sait pas à quoi elle s’ouvre ni ne s’inquiète de le découvrir. Pourquoi le ferait-elle après tout, l’ainée n’est-elle pas là pour la protéger ?
Contrairement à l’andérienne, la pirate sait exactement ce qu’elle fait – comme elle et malgré la centaine d’années qui les sépare, du moins Anja a-t-elle cette impression de ne pas avoir vu sa famille depuis toute une vie, elle ne cache rien de ses intentions. Tout la bienveillance ne suffit pas à masquer son sourire satisfait, ni le regard au ciel de Carreau quand l’étendue du plan est dévoilée. Oh et puis zut. Ils ont son respect et son bonjour, ils lui pardonneront bien un léger favoritisme ? Il en faut bien pour suivre le rythme de la pirate ! Elle se tourne donc vers Trèfle avec seulement un petit reste de gêne.
« Donc c’est toi qu’il faut convaincre pour une ballade sur le pont ? »
Le mystère continue de flotter sur la fameuse signification du surnom. Les lippes closes, bien déterminées, à garder sous silence les réponses de l’esprit. Dans cet instant, son visage garde l’expression de son espièglerie alors qu’elle semble pour une fois prendre vraiment le temps de l’écouter sans divaguer à droite ou à gauche.
La flatterie. Malgré son jeune âge, Anja est loin d’être naïve, et décèle rapidement quelques mécanismes de la Capitaine. Elle reste un instant, à l’observer longuement, sans déstabilisation.
Alors qu’elles rejoignent les autres membres, où sont installés Carreau, Cœur et Trèfle ; Sibyllin semble avoir complètement disparu du paysage. Iel a toujours eu le tempérament solitaire plutôt que celui de la chaude camaraderie. Chacun ses raisons et Ilenia s’en inquiète peu, du moment que la sécurité de son équipage n’est pas en jeu.
Mais aujourd'hui, les feux de projecteur sont orientés sur Trèfle et non Sibyllin. Ilenia est persuadée qu’avec Anja, il ferait une belle équipe et pour ce, elle ne prend même pas la peine de présenter les autres. Maladresse, impolitesse ou est-ce autre chose ?
La Capitaine les observe, l’alcool joue sur ses humeurs et accentue son extravagance. Elle les regarde, comme dans l'attente d'un lancement de pièce de théâtre. Alors qu’elle se marre dans son coin, elle se balance sur sa chaise mais manque d'en tomber en entendant la réplique de la barde.
Un charme contagieux, imitable sans le vouloir, à la fois proche et différent du sien. Là où Ilenia est lune, unique et inévitable, aimant à yeux oubliés, Anja s’éparpille comme les rayons du soleil ; mais toutes deux vivent d’exubérance. La capitaine se fie peut-être moins aux réactions qu’elle élicite, mais elles ne sont pas foncièrement opposées à celles qu’éveille la barde – attention indivisée, attention pleine. Elle espère donc toujours que ce charme soit compris, car il lui ouvre la voie – chasse peut-être des gens qui auraient toléré musique plus douce, mais assure que ceux qui restent ne s’offenseront pas. L’équipage devrait donc accepter une ménestrelle plus douce mais pas moins vivace, non ? Le contraire aurait été tant pis pour eux – pour Trèfle, spécifiquement, puisqu’iel est seul.e encore présent.e – de toute façon ; elle ne ferait pas beaucoup mieux que se taire en boucle si on lui demandait de se renier, et elle n’a pas choisi sa carrière pour ça !
Elle est reconnaissante à Cœur de les libérer et s’amuse du choix qui apparait de plus en plus justifié de leurs noms. Ce sont bien des pseudonymes, comme Pique, non ? À moins que, peut-être, il n’y en ait un.e parmi eux né.e ainsi, fils ou fille de taroteur passionné, et que les autres aient simplement profité du thème gratuit ou de la solidarité facile. Ce serait si romantique. Peut-être est-ce même Trèfle ? Elle se retient de demander, mais la question de son prénom lui parait tout à coup d’importance capitale. Il faudra qu’elle demande, à un moment – mais d’abord…
« Désolée, j’ai dû la chercher. Je ne pensais pas vous récolteriez ma tempête. »
Elle espère n’avoir mis personne dans l’embarras, et l’excuse est sincère – lui fait baisser les yeux – sans pourtant qu’elle ait envie de s’y attarder.
« J’aimerais bien, admet-elle, une main jouant nerveusement avec le ruban à son poignet. Me… » … sser.ah Carreau pourra la prévenir, s’apprête-t-elle à dire avant de se souvenir du on et de la potentielle compagnie qu’ils auront. Il serait plus que malpoli de l’exclure comme ça…
Elle cherche des yeux le duo disparu dans la maigre foule pour le retrouver au bar, immanquable. Elle ne pense pas qu’Ilenia lui en voudra de visiter son bateau, même si elle risque de lui reprocher de disparaître si tôt… Ou, plus précisément, de sourire avec ce sourire particulier qui n’a pas besoin de mots pour embarrasser. Tant pis, ça en vaut le coup, la vie d’un vrai pirate et celle de la capitaine parfois évasive l’a toujours intriguée. Elle se retourne vers Trèfle avec un sourire timide mais enthouaisaste et des yeux pétillants.
« On peut y aller maintenant ? »
Cœur accompagne Ilenia au comptoir, afin d’offrir un peu d’espace à Anja. La Capitaine aime l’attention. Créer le suspense. Le spectacle. Une personnalité extravertie qui ne demande qu’à s’exprimer et même si l’intention envers ceux qu’elle apprécie est toujours bienveillante, elle n’en reste pas moins assommante. Ce caractère, couplé à l’ambiance festive du moment, n'en devient pas moins décuplé.
Accoudée au bar, pendant qu’ils attendent à être servi leur deuxième tournée (ou la troisième), Ilenia regagne un peu de son sérieux.
Pendant ce temps, Trèfle échange avec Anja et Carreau reste… sur le carreau. Habitué aux négociations et aux marchandages, iel prend plaisir à ce moment de détente pour faire autre chose. Trèfle reprend, « Ne t’excuse pas, elle est toujours comme ça. C’est juste qu’on a l’habitude mais parfois ça peut être de trop pour nos invités. » Le rire de Carreau et Trèfle résonnent à l’unisson pour apaiser son tracas.
Alors que l’invitation à visiter le navire est lancée, Trèfle se lève sous la question de la barde « On peut y aller maintenant ! » Carreau, ne bouge pas d’un iota et fait mine d’être absorbé par ce qu’iel est en train de faire. « Ce n'est pas très loin d'ici » et d'un geste, iel l'invite à le.a suivre par delà la sortie.
La rue est calme et contraste avec l'animation de la taverne. Ils regagnent aisément le port où siège pour ces prochains jours le fier Silver Blade. Un bateau imposant dont la coque en bois luit sous les reflets argentés de l'eau. Trèfle laisse passer Anja pour rejoindre le pont, alors que les matelots curieux observent ce nouveau duo.
Elle aurait des sonnets à écrire sans faire un pas de plus ; la façon dont les planches se rejoignent en un arceau si lisse – quel tranchant l’enlever dévoilerait-il ? –, les clous en colonnes régulières sauf ceux qui n’en sont pas, constellations dissonantes là où le bois est plus sombre, les différentes cordes qui pendant jusqu’à terre et font briller la laque brune de leurs ombres, presque invisibles à l’œil qui veut le vaisseau sans artifice. Si lisse ici, si encombré en haut. Sûrement rongé de moisissure en bas. Entre la mer et l’homme, l’acacia sans camp.
Elle reprend vite sa marche, malgré tout, pour rejoindre le pirate à l’entrée. Parle-t-on d’entrée ? Elle en doute, mais tant pis.
L’espace entre le petit pont et le vrai est relativement mince, mais à la lueur des balancements il parait infranchissable. La jetée n’était déjà pas très sûre, ballotée par des vagues pourtant faibles, mais ce grand pas est plus impressionnant encore.
Allez, Anja. Tu peux le faire.
« C’est haut ! Les cabines doivent être au-dessus de l’eau, en fait… »
Les voiles sont levées, certains tonneaux ouverts et peu de matelots bien réveillés. Ils ne sont pas près de partir, visiblement – quelque chose qu’Ilenia aurait pu lui dire si elle avait pensé à demander. Le vent fouette déjà plus ici, alors qu’ils se sont à peine éloignés, et elle sort un ruban pour réattacher les mèches qui s’ingénient à l’aveugler. La curiosité la tire vers le bas, où vivent les hommes, mais il est trop tôt pour le montrer ; elle indique la boite aux vitres transparentes, couvertes de rideaux gris, qui dépasse à quelques mètres.
« C’est là qu’Ilenia devient La Capitaine ? »
À la salutation d’Anja, Carreau hoche poliment la tête, et lui adresse un signe de la main. Coeur et Pique sont absorbés par leur discussion et ne se rendent pas compte de l’éclipsement. Heureusement qu’il y en d'autres qui restent attentifs à leur environnement.
De la sortie jusqu’au bateau, ils longent les chemins en pavés, avant d’arriver devant l’imposant navire. La coque sombre est rehaussée par les fenêtres à canons qui prennent une teinte plus flamboyante. Les voiles sont soigneusement remontées pour ne pas abimer le tissu à l’arrêt. Face au monstre des mers, Anja et Trèfle semblent minuscules. Ils restent un instant debout, pour que la barde puisse s'imprégner de la découverte.
Après un silence de contemplation, le.a sous-commandant.e s’avance pour désigner le passage qui mène à bord. Un passage étroit, qui demande un peu d’agilité, comme un droit d’entrée qui se mérite à tout ceux qui souhaitent monter à bord.
Dans l’habitude quotidienne, Trèfle empreinte le passage mouvant, bercé par les mouvements des vagues. Iel observe Anja s’en tirer avec excellence « Je suis sûr.e que le Capitaine aurait aimé voir ça. » Ilenia aurait sans doute clamer très fort qu’Anja est une pirate dans l’âme.
Tout l’équipage n’est pas à bord. Une partie est à la taverne, une autre en ville et certains train dorment ou festoient. Les jours sur terre sont autant appréciés que ceux en mer. Le vent se lève, l’air est frais. Dans les hauteurs qui surplombent la ville, ils peuvent observer la danse des lumières qui scintillent et composer le paysage de la Cité.
Alors que la main féminine indique une cabine, elle lui demande si elle est celle d’Ilenia. Trèfle secoue la tête, le regard brièvement vague, balançant ses quelques mèches. « Non, elle reste auprès du gouvernail, là-bas. » Son doigt lui pointe l’autre extrémité du bateau. « Et ses quartiers ne sont pas loin du nôtre, mais il faut descendre par la trappe. »
« Oh. Vous n’en avez pas un autre à l’intérieur ? Pour ne pas toujours être dehors ? »
Elle suit le regard bleu vers le gouvernail. C’est vrai, se rappelle-t-elle, ils ont un mot spécial ici ; c’est à la fois plus et moins pratique que l’andérien qui n’a que la barre. Plus ou moins poétique. Elle s’est longuement amusée en l’apprenant par une serveuse à la frontière.
Ta vie ne fait qu’un, suis l’air du bateau
Sa barre n’est guère plus fragmentée que ton dos
Gare aux mains baladeuses qui lorgnent ton gouvernail
Laisse-les prendre les rennes, tu ne seras bientôt que du bétail
… le passage entre les langues avait teinté ses vers au moins autant que ses voyages. Heureusement, le Silver Blade se prête peu à la poésie, bercé par la réalité qu’il est, et elle n’accorde au cerceau gravé – l’est-il seulement ? de si loin elle ne voit pas – qu’un bref regard avant de s’en détourner et chercher la trappe vers le bas. C’est une chance que peu soient sur le pont avec eux, mais elle se tient calme malgré tout, proche de Trèfle, pour ne pas déranger ceux qui restent ni abuser de son hospitalité.
« Je te suis ! Si ça ne dérange pas que je vienne, bien sûr. Le pont est déjà incroyable, je n’étais jamais montée sur un vrai navire. »
Ceux de chez elle sont bien plus petits et elle a surtout voyagé sur terre. Elle est néanmoins ravie de se sentir à l’aise, malgré les balancements, les menaces de chute à chaque pas et l’eau noire qui les entoure – peut-être parce qu’ils sont encore en ville, et que le.a commandant.e est figure suffisante pour rassurer ?
Trèfle emmène Anja à visiter le Silver Blade où elle parvient sans aucun mal à s’élancer sur le pont. Un sourire s’esquive à la pensée du Capitaine qui a manqué cette adresse. Ils se fraient un chemin sur le pont, se mêlant aux pirates attentifs. Un monstre des mers, constitué de bois, de voiles et de cordages. Un géant façonné par les mains humaines. Combien d’années se sont-elles écoulées pour que ce chef d’œuvre prenne vie ?
Anja questionne sur le gouvernail, apparemment surprise qu’il n’en est qu’un et à l’extérieur. Trèfle arque un sourcil surpris.e et trouve l’idée ingénieuse. « Je crois que ça doit être un truc de Capitaine, d’affronter la mer en extérieur, qu’il pleut, vente ou que le beau temps soit avec nous. » Iel réfléchit, se disant qu’il peut être astucieux de mettre la main sur d’autres plans de navires et d’en tirer quelques secrets de conceptions. Seulement, Ilenia serait-elle d’accord de procéder à des modifications ?
Amarré au bord, le bateau est stable et son bercement est à peine perceptible. Quelques mouettes chantent au-dessus d’eux, les plus courageuses qui ne se sont pas encore endormies. Après avoir dépassé les mats, ils parviennent à une trappe qui mène à l’étage inférieur. Trèfle attrape la grosse poignée en métal et son ouverture provoque un grincement. Agenouillé.e sa tête se relève vers son hôte, lui adressant quelques mots « Attention, l’échelle est un peu raide, ça va aller ? » puis iel se glisse dans le passage.
L’ambiance qui se révèle est différente. L’odeur du bois est chaude et se mêle aux épices des cargaisons stockées. La mélodie des vaguelettes se fait entendre si l’on tend bien l’oreille. Ici, c’est le quartier des équipages. Un grand espace à vivre y est central, là où quelques marins jouent aux cartes, le verre à la main. « Les appartements du Capitaine sont tout au nord, les nôtres sont sur les côtés et ceux des autres membres sont au sud. » Alors qu'ils s'avancent vers l'espace central où le jeu de cartes est de rigueur, Trèfle introduit Anja au petit groupe « Je vous présente Anja, une amie barde du Capitaine. » Les sourires adressés sont bienveillants, les choppes se lèvent en son honneur et dans un choeur commun les voix s'élèvent Bienvenue au Silver Blade M'amzelle ! Une des membres du quartier de Coeur s'approche « Ce serait super si on pouvait vous entendre chanter un petit quelque chose. » Trèfle sourit, le regard se pose sur Anja et iel se penche pour lui murmurer « Ne te sens pas obliger, tu peux décliner. »
- La chanson d'Anja:
Trèfle dévoile le passage jusqu’à la trappe et l’ouvre, lui arrachant un frisson. On dirait un tunnel – on dirait un boyau au fond duquel gémissent les victimes rêvant de devenir bourreau, soutenues d’une bougie qui parvient à peine jusqu’à eux, baignant l’échelle d’une lueur presque sinistre. Elle se mord la joue, regarde le frais autour d’elle puis le.a pirate qui l’attend. Rien qu’un bateau. Rien que quelques pirates, desquels elle a un.e chef à ses côtés. Rien qu’une échelle un peu raide qui la nargue autant que ce qu’elle cache l’effraie. Bien sûr que ça ira, puisqu’elle a le pied marin ! Elle y va doucement au cas où, tâte les deux premiers barreaux, mais les estime assez solides pour descendre les autres avec toute la confiance du monde. Des dizaines d’hommes empruntent ce passage chaque jour, il ne la fera pas plus fuir !
Évidemment, ce qui l’accueille n’a rien d’une prison et encore moins d’entrailles monstrueuses, même si la lumière bien plus chaude change de tout ce qu’il y a eu avant. Entre taverne et dortoir, l’air respire la camaraderie malgré les dés qui atteignent justement une tête quand ils arrivent. La voilà juste assez dépaysée pour leur donner tout son intérêt.
On lui propose de chanter, et bientôt de ne pas le faire, mais elle secoue la tête en souriant. Gagnée sans lutte par la chaleur de l’endroit et armée d’une guitare qui n’a pas encore pu servir, pourquoi le ferait-elle ? Trèfle n’a pas l’air gêné.e par l’idée, malgré l’échappatoire offerte.
« Avec plaisir ! Une préférence ?
Classique, donc ! Et classique sera aussi la chanson, décide-t-elle dans la seconde qu’il faut à son instrument pour rejoindre ses mains et à ses pieds pour la propulser sur une caisse, lui donnant une vue incomparable sur les fronts et les hauts de lits. Elle ne veut pas en rajouter avec la mer, surtout avec la requête d’Ilenia – que cela lui semble loin, elle s’en souvient à peine – mais elle tient à l’ambiance. Ses doigts glissent sur les cordes, le plus bel accord qui ne s’entend pourtant qu’une fois par soirée, et sa voix s’élève dans l’acoustique particulière de la cale. Est-ce la cale ? Elle ne connait pas assez pour le savoir, mais personne n’ira corriger ses pensées.
« Plus d’excuses aujourd’hui
J’ai une cravate de trois pieds sur une caisse de whisky.
Un collier comme les pires ennemis de la bonne
Enfilé par le juge Lynch en personne !
Alors tape, tape dans la caisse que je les fasse pas attendre !
L’escalier au paradis est loin et j’y ai des comptes à rendre
J’ai soif et c’est là-bas qu’est le meilleur des bars
Alors tape, tape dans la caisse que j’puisse en finir de ce brouillard !
Ah si toutes mes caisses de whisky étaient vides,
J’en construirais une maison dans la forêt d’Alhertide
J’y ferais une jolie cabane pour m’assoir à la fenêtre
Et j’y boirais avec Wilhelm, et j’y boirais en maitre !
Alors tape, tape dans la caisse que je les fasse pas attendre !
L’escalier au paradis est loin et j’y ai des comptes à rendre
J’ai soif et c’est là-bas qu’est le meilleur des bars
Alors tape, tape dans la caisse que j’puisse en finir de ce brouillard !
J’avais un cheval, qui faisait pas trois kilomètres
Sans son propre verre de whisky, le sale traitre !
Sacrée chance que m’a filé ce monde préjudiciel
Quand même mon cheval préfère le whisky au miel ! »
Les refrains étaient connus dans tout le pays, mais personne ne s’aventurait dans les couplets, réservés au musicien par tradition autant que par confort. Un compromis idéal pour son public, selon elle. C’était une de ses préférées, malgré le thème – inutile de leur préciser qu’elle ne leur souhaitait pas le même sort, non ? Elle sauta de son léger perchoir, ironiquement un coffre sans indication, radieuse et enjouée.
Le passage entre le pont et la pièce inférieure se fait par la traversée d’une trappe. L’échelle raide qui s’enfonce dans le noir. Comme une nouvelle épreuve à franchir. La transition n’est pas des plus accueillante, mais elle en vaut la peine.
D’ordinaire, les célébrations sont la spécialité du sous-commandant Cœur et de son quartier. L’arrivé de la barde accompagnée de Trèfle, est repérée par l’un d’entre eux, qui lui demande sans vergogne, si une petite chanson est possible. Après tout, l’heure est à la fête, non ?
Alors qu’un échappatoire lui est offert, Anja la décline et s’applique à son talent. Les notes de la guitare viennent remplir la salle où s’ajoute le chant de la barde. Les pirates encore occupés à boire ou à jouer aux cartes s’arrêtent. L’attention prise par le spectacle improvisé. Tour à tour, chacun vient à taper des mains et les plus vaillants ajoutent leurs voix rauques à la composition. L’ambiance, devient de plus en plus festive, comme si les mots de la chanson provoquent cette ivresse collective.
Alors tape, tape dans la caisse que je les fasse pas attendre !
L’escalier au paradis est loin et j’y ai des comptes à rendre
J’ai soif et c’est là-bas qu’est le meilleur des bars
Alors tape, tape dans la caisse que j’puisse en finir de ce brouillard !
Le refrain prend des allures d’hymnes. Il frappe et résonne dans l’intérieur de cette caisse navale. Les chopes claquent et déversent le parfum des différents alcools. Une illustration troublante des mots récités.
Alors que les dernières notes s’élèvent avant de disparaître dans le vide, des pas claquent en rythme sur l’air joyeux. Ce sont ceux du Capitaine, accompagnée de Coeur. Un peu éméchée par la soirée, son visage exprime une franche déception en découvrant qu’elle vient de rater la prestation. Ses sourcils se froncent, sa bouche s’ouvre et se ferme sans un lâcher un mot, et Cœur éclate de rire « Tu vas t'en remettre » s'exclame-t-iel en lui tapant franchement dans le dos.
Pendant qu'une partie de l'équipage charrie le Capitaine, trois d'entre eux poursuivent leur lancer de couteaux, au fond du bateau, l'activité légèrement dissimulée par les poutres de bois mais où leurs cris clament des scores. Pour ceux dont le regard s'attarde sur la scène, la cible prend forme. Un bout de papier où l'on distingue de loin, un portrait dessiné. Des cheveux longs, une cicatrice.
« Trèfle a dit que je peux, ajoute-t-elle malgré tout pour la bonne mesure, même si ce n’est pas tout à fait vrai, avant de s’approcher pour murmurer à voix plus basse : Et puis, tu entendras encore mieux la prochaine fois ! »
Cette fois, elle l’attendra. Ne manquerait plus qu’elle manque son propre anniversaire ! En parlant, ou sous-entendant, d’anniversaire, la rousse se retourne vers la salle, soudain de nouveau consciente que c’est plus un dortoir qu’une cantine. Là où ils dorment, là où ils rangent leurs petits trésors, là où ils jouent… Au fond, certains le font d’ailleurs encore, et elle plisse les yeux pour mieux voir, intriguée.
… C’est la capitaine sur ce croquis, non ? Elle tourne la tête vers cette dernière, hésitant entre demander et laisser les pirates régler leurs propres affaires. Elle avait pourtant cru son amie populaire au sein de l’équipage – mais peut-être est-ce le genre de plaisanterie que les marins font sans arrière-pensée.
« D’ailleurs, se souvient-elle, tu es déjà là ? Je ne pensais pas qu’il était si tard… »
Accuse-t-elle la capitaine de hanter les tavernes jusqu’aux aurores ? Totalement.
Un petit tremblement de terre, ou plutôt de mer, à bord du Silver Blade. Anja, invitée spéciale de la soirée, anime avec la ferveur d’un chef, le concert improvisé. Alors que le Capitaine apparaît la mine boudeuse, où elle ne peut qu’en tirer une fin qui s’estompe, son sous-commandant s’amuse de sa réaction. Ilenia peut être impitoyable et pourtant, elle affiche parfois cet air candide qui en ferait presque oublier qui elle est.
La voix mélodieuse de la barde reprend son timbre de conversation lorsqu’elle justifie l’action sous le coup de feu de Trèfle. Ce.tte dernier.er arque d’un sourcil, l’air amusé. Entre la réaction de la Barde et de la Capitaine, iel a l’impression d'observer le spectacle de deux enfants, mais d’un air coopératif il hoche la tête en faveur de leur invité.
Au fond de la pièce, un groupe de pirates cessent de jouer pour écouter le Capitaine fraîchement débarqué. Leur cible de jeu est un bout de papier où un portrait y est griffonné. Des cheveux longs, une balafre géante. Si l’œil se plisse, on constate que ce personnage est un homme assez vieux, la chevelure noire et les traits disgracieux.
***
Intrigué par le fracas qui résonne dans toute la zone, Osgar quitte la paisibilité troublée de son quartier, pour vérifier ce qu'il s'y passe. La Capitaine et ses sous-commandants sont partis à la taverne il y a quelques heures et elle l’a mis dans la confidence, elle prépare une surprise pour l’équipage pour fêter les cinq ans du navire. Mais aux informations qu’elle lui a cité, il ne s’attendait pas à ce que la soi-disante surprise explose ce soir. Ou alors, c’est un cas à part qui rugit dans le ventre du bateau. Dans tous les cas, il veille silencieusement à la sécurité de ce petit bijou, et il compte bien s’assurer que tout va bien.
À sa grande surprise, plus il s’approche et plus il saisit l’hymne au whisky. La voix mélodieuse n’a rien à voir avec celle qu'il connaît de la Capitaine. L’équipage a déjà eu le privilège de l’entendre et ce n’est pas un don que les dieux lui ont donné.
Arrivé au cœur de la scène, il s’appuie contre une poudre et observe le spectacle. Trèfle est au côté de l’artiste, mais aucune trace de Cœur, Carreau ou du Capitaine. Mais cette absence ne s’éternise pas, son timing est raté, les têtes se découvrent de l’ombre quand le spectacle se termine. Ilenia affiche cet air boudeur et enfantin qui se trace quand elle a trop bu. Cœur s’en amuse, iel est le premie.re a la poussé à se lâcher un peu plus. Ça lui donne matière à raconter des histoires de toutes sortes.
Osgar s’avance vers le groupe, observe la ménestrelle et la salut d’un léger hochement de tête.
Fin du sujet.